La réunion commence à onze heures.
La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde sur les soins palliatifs, le professeur Franck Chauvin, professeur en santé publique, président de l'instance de réflexion stratégique chargée de préfigurer le plan décennal « soins palliatifs, prise en charge de la douleur et accompagnement de la fin de vie en France » 2024-2034, la docteure Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, la docteure Michèle Lévy-Soussan, médecin responsable de l'unité mobile d'accompagnement et de soins palliatifs de la Pitié-Salpêtrière (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), et la professeure Valéria Martinez, professeure anesthésie – douleur chronique à l'hôpital Raymond-Poincaré (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), présidente de la Société française d'étude et de traitement de la douleur.
Les soins palliatifs sont l'un des thèmes essentiels de ce projet de loi, dans son article 1. Nous remercions donc les auditionnés d'avoir accepté de prendre part à cette table ronde.
Depuis le 1er juin 2023, l'instance de réflexion stratégique a travaillé de façon soutenue pour élaborer des propositions définissant une stratégie décennale pour les soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l'accompagnement de la fin de vie. Le Haut Conseil de la santé publique avait en effet recommandé au Gouvernement d'élaborer des stratégies de long terme afin d'impulser des changements profonds. Le processus d'élaboration de ce projet de loi et de la stratégie décennale est inédit dans l'histoire des politiques publiques en matière de santé car il a vu différentes structures collaborer pendant un temps limité.
La France est le troisième pays derrière les États-Unis et l'Allemagne en termes de dépenses de santé, à hauteur de 12 % de son produit intérieur brut. Nous nous inscrivons, en outre, dans un contexte international fort avec la Déclaration d'Astana, ratifiée par tous les États membres de l'Organisation des Nations unies, qui rappelle que tous les citoyens d'un pays doivent pouvoir accéder aux soins palliatifs. De nombreux États réfléchissent à une évolution de leur système de santé et, en particulier, des soins palliatifs. Les pays développés ayant achevé leurs transitions démographiques et épidémiologiques, les maladies chroniques ont désormais remplacé les maladies aiguës, conduisant les systèmes de santé à une « transition systémique » d'adaptation à ces évolutions. Certains, tels que l'Angleterre ou l'Australie, ont élaboré des plans similaires à la France dans le champ des soins palliatifs. L'Organisation mondiale de la Santé a proposé dix-huit indicateurs pour évaluer la façon dont se structurent des soins palliatifs, que nous avons utilisés pour évaluer la situation en France. Selon le consensus international, seule une minorité des patients, soit 10 %, nécessite une prise en charge complexe répétée nécessitant des unités spécialisées. La France recense environ 620 000 décès par an, dont plus de 75 % liés à des maladies chroniques. Près de 500 000 personnes sont donc en phase terminale de leur maladie chronique et susceptibles de recevoir des soins palliatifs, dont 10 % des soins spécialisés dans des unités spécialisées.
En France, un glissement sémantique du terme « soins palliatifs » est observé, à l'inverse de l'étranger où l'on différencie généralement les soins palliatifs proprement dits et les soins de fin de vie (end of life care). Le taux de décès dans nos unités de soins palliatifs est d'ailleurs de 80 %, et implique donc des soins de fin de vie. En étudiant les soins palliatifs, on en observe essentiellement la partie hospitalière, qui représente pourtant une minorité. J'ai constaté une dévalorisation, à la fois hospitalière et universitaire, avec des unités souvent situées dans des pavillons à l'écart au sein des hôpitaux. À la lumière de ces éléments, plusieurs conclusions se sont imposées, aboutissant à des préconisations. La première est la réorganisation des soins palliatifs, avec le renforcement par les soins primaires conformément aux orientations de l'Organisation mondiale de la Santé. La deuxième concerne la réappropriation du décès et de la fin de vie par la société. Nous recommandons, enfin, une spécialisation de la médecine palliative et son développement comme discipline universitaire.
Mon parcours personnel et professionnel m'a conduite vers la médecine palliative. Elle place la relation humaine au cœur du soin. Ses pionniers ont dénoncé le scandale de laisser mourir dans la douleur ou la peur, et de faire mourir. C'est grâce à eux que, chaque année, plus de 150 000 Français et leurs proches sont accompagnés, et qu'un corpus législatif sur la fin de vie a été construit. Les soins palliatifs sont un immense progrès, qui permet de vivre dignement jusqu'à la mort. La nécessité de les développer fait consensus. Si nous ne pouvons pas promettre la guérison, nous pouvons accompagner la vie avec une maladie grave et soulager jusqu'au bout, même si cela raccourcit la vie. La confrontation à la maladie et la mort est parfois déchirante.
Vingt-cinq ans de soins palliatifs, ce sont plus de 13 000 personnes accompagnées jusqu'à la mort, des milliers de familles soutenues, et seulement trois demandes d'euthanasie qui ont persisté. Les milliers de soignants et de bénévoles qui ont choisi les soins palliatifs m'ont confié la responsabilité de porter leur parole et de partager avec vous leur expérience. Nous sommes les bâtisseurs d'un projet progressiste contre le « mal mourir », pour déconstruire le pouvoir médical et construire une médecine qui accepte son impuissance à vaincre la mort, mais qui jamais ne renonce à soulager. Nous luttons pour rendre aux patients le pouvoir enlevé aux médecins. Vous envisagez maintenant de leur permettre de décider qui doit vivre et qui peut mourir, de dire l'incurabilité et le temps qu'il reste, d'évaluer le discernement et la capacité à consentir, de prescrire et injecter la mort. Nous refusons le pouvoir de faire mourir quand nous n'avons pas celui de guérir. Nous voulons soulager jusqu'à la mort plutôt que la donner, même si on la demande.
Un questionnaire sur ce projet de loi a été adressé aux équipes de soins palliatifs en France. Sur les 2 300 réponses reçues, 76 % se déclarent inquiets. Plus de 90 % des médecins et infirmiers ne veulent ni prescrire ni fournir ni administrer un produit létal. 86 % d'entre eux anticipent un risque de tension dans les équipes. 22 % des médecins et 17 % des infirmiers envisagent de quitter leur poste si la loi est votée. Nous devons entendre. La loi témoigne des valeurs et des choix d'une société.
Quel que soit votre choix, quatre éléments sont essentiels pour la communauté palliative. Premièrement, elle a besoin de soutien et d'engagement pour que l'égalité d'accès promise par la loi soit garante d'une véritable liberté pour les plus fragiles. Deuxièmement, choisissez la collégialité de la décision : ne laissez pas le médecin décider seul de la vie ou de la mort ; cette toute-puissance nous mettrait en danger ou conduirait à des pratiques non éthiques. Troisièmement, ne légalisez pas l'euthanasie, même exceptionnelle, au risque de mettre en cause avec la relation de soin l'un des fondements de la vie en société alors que le système de santé est à bout de souffle, et les soignants épuisés en demande d'écoute et de respect. Quatrièmement, protégez les soignants car, si la présence soignante est la seule qui vous semble répondre à notre angoisse de mort collective, cette mission doit être réservée aux volontaires, formés et accompagnés, capables de ne pas abuser du pouvoir immense qui leur serait confié. Car cette loi, en l'état, est celle de la toute-puissance médicale.
Je me suis consacrée vingt-cinq ans aux soins palliatifs. J'ai connu l'époque où ils n'existaient pas, où les patients étaient laissés en souffrance et où je faisais une injection létale à un patient, qui n'en savait rien, dont la maladie arrivait en toute fin de son évolution. Cela me laissait dans un profond désarroi. On m'a confié un enseignement d'éthique à la faculté de la Sorbonne dont les questions se posent encore vingt-huit ans plus tard. Nous sommes des soignants, mais également des humains et des citoyens. La façon dont se rencontrent ces positions doit être considérée. Nous en avons fait un projet de recherche soumis à la Convention citoyenne, prouvant que des questions de santé complexes pouvaient être comprises et débattues dans le respect de toutes les positions.
Sur ce projet de loi, ma position est différente de celle de ma collègue. Un grand nombre de soignants sont venus aux soins palliatifs dans une position d'humilité. Pour autant, je ne considère pas que cette loi consacrerait la toute-puissance médicale, mais plutôt reconnaître les limites du soulagement de la souffrance en dépit de toutes les ressources mobilisées. S'il s'agit de consacrer l'importance du soin palliatif pour soulager, il est nécessaire, au bout d'un certain temps, si la demande persiste, d'aider à mourir. Je remercie le Gouvernement d'avoir abandonné les termes d'euthanasie et de suicide assisté. L'expression « aide à mourir » se situe dans cette humilité et cet accompagnement.
Dans ma carrière de médecin en soins palliatifs, j'ai accueilli peu de demandes d'aide à mourir. La loi votée en 2016, qui prévoit la sédation profonde et continue jusqu'au décès, est mal appliquée par des professionnels qui ont longtemps considéré cet acte comme un équivalent d'euthanasie. On ne soigne pas avec des lois, qui ne vivent que dans la relation de soins. Cette sédation profonde et continue a peu vécu car peu de médecins l'ont évoquée avec leurs patients en fin de vie et en situation de souffrance réfractaire. L'essentiel se situe dans les soins d'accompagnement, qui ne concernent pas uniquement les spécialistes en soins palliatifs, mais les soignants dans leur ensemble qui, du fait de la chronicisation des maladies, effectuent quasiment tous du soin palliatif et du soin d'accompagnement.
Nous saluons le souhait de considérer la prise en charge de la douleur comme composante essentielle des soins palliatifs. Ce projet de loi pose des jalons pour l'amélioration des droits des malades et le renforcement des soins d'accompagnement. Il représente une opportunité de mobiliser tous les acteurs.
Avec ses 278 structures labellisées, la France dispose d'un maillage unique, aujourd'hui fragilisé, en matière de structures dédiées à la douleur. Elle doit donc renforcer cette offre de soins et les structures mentionnées dans la loi comme des partenaires indispensables aux soins d'accompagnement. Pour une meilleure prise en charge de la douleur, trois pistes sont proposées : développer des actions sur le dépistage des patients à risque de douleur chronique et prévenir la chronicisation, faire de la médecine de la douleur une spécialité médicale et mettre en place les plateformes d'algologie interventionnelle dans chaque région.
Au sein des structures douleur, nous prenons en charge les personnes qui souffrent des douleurs complexes. Si les problématiques de fin de vie ne sont pas notre quotidien, nous sommes experts de la douleur chronique, connaissons ses multiples formes et savons accompagner les patients dans une approche globale en renforçant leur autonomie. Du fait de son expertise, la Société française d'étude et de traitement de la douleur peut donc apporter un éclairage. Il n'existe pas de corrélation entre la gravité d'une maladie et l'intensité de la douleur, qui peut concerner toute personne à tout âge. Son intensité et son caractère insupportable ne dépendent pas du pronostic vital. Le symptôme douloureux ne se caractérise pas uniquement par son intensité. Il est également important de distinguer la douleur aiguë de la douleur chronique, qui affecte toute la vie du patient et qui est classée comme maladie à part entière par l'Organisation mondiale de la Santé depuis 2019.
La Société française d'étude et de traitement de la douleur ne prend pas position sur le projet de loi, mais partage plusieurs constats. Malgré les progrès, toutes les douleurs ne peuvent pas être soulagées. Nous sommes régulièrement confrontés à des douleurs réfractaires qui peuvent devenir insoutenables. Dans ces situations, la médecine peut se trouver démunie, entraînant une rupture de la relation, des suicides, des aides à mourir clandestines. Enfin, nous respectons l'autonomie et la participation des patients à toutes les étapes de leurs soins, y compris dans leurs décisions concernant les traitements de leurs douleurs. C'est ce principe qui guide notre réflexion sur les questions de fin de vie.
Que pensez-vous de la notion de soins d'accompagnement qui apparaît dans ce texte ? Dans quelle mesure vous complète-t-elle celle des soins palliatifs, qui s'inclut désormais dans un ensemble davantage anticipateur et pluridisciplinaire ?
Concernant la situation des soins palliatifs et l'évaluation de la loi actuelle, malgré l'absence de codification des actes de sédation profonde et continue, nous constatons que celle-ci est très peu appliquée. Pourquoi cela, alors même que cet acte avait été présenté en 2016 comme une alternative à une ouverture de l'aide à mourir ?
Madame Fourcade, la toute-puissance, n'est-elle pas également de refuser par principe toute volonté exprimée librement et de façon éclairée d'être aidé à mourir ?
Professeur Chauvin, la ministre de la santé a indiqué que les soins palliatifs et d'accompagnement et le plan décennal seront mis en œuvre avant le vote de la loi, qui interviendra probablement dans un an et demi à deux ans. La préfiguration de l'Inspection générale des affaires sociales permettra la mise en place de mesures concrètes.
Quelles sont vos connaissances sur les fins de vie clandestines et disposez-vous de données sur ce sujet ?
Professeur Chauvin, vous avez évoqué le glissement sémantique des soins palliatifs et indiqué que nous devions sortir du modèle cure pour développer le care. Quel est votre sentiment sur ces termes concernant les soins d'accompagnement ?
Docteur Fourcade, en quoi la loi Claeys-Leonetti ne répond-elle pas de façon exhaustive sur le sujet de la collégialité de la décision ? Quel est votre sentiment concernant l'index thérapeutique ?
Nous sommes à l'origine de la proposition concernant les soins d'accompagnement, qui repose sur les constats suivants : une spécialité mise de côté, un glissement sémantique et des soignants qui demandent une meilleure anticipation. La proposition de soins d'accompagnement répond à la nécessité d'un élargissement du cadre, y compris sémantique, et d'une implication du maximum de soignants. Nous savons tous, pour l'avoir vécu, ce que signifie le passage à l'étape des soins palliatifs. En oncologie, l'un des changements majeurs est venu de l'introduction des soins de support qui ont réparti la prise en charge, y compris dans les stades initiaux de la maladie. Nous avons souhaité impulser une dynamique similaire avec ces soins d'accompagnement.
J'ai été frappé, en recherchant des données au cours de ma mission, par l'état lacunaire du système d'information. Ce sera l'une des tâches majeures de la mise en œuvre de la stratégie. Un système performant est nécessaire au pilotage.
J'estime que la faible application de la loi en vigueur s'explique en partie par le relatif isolement de la spécialité. La sédation profonde et continue jusqu'au décès ne fait pas partie de la culture ou de la formation de la plupart des médecins. Il est nécessaire d'anticiper et de permettre aux soins d'accompagnement de pénétrer les soins curatifs le plus tôt possible.
J'estime que cette stratégie sera un plan de santé publique majeur dans les dix années à venir. Il est important de mettre en place, le plus tôt possible, une gouvernance forte qui assurera sa concrétisation dans la durée. Nous avons proposé au Gouvernement, qui les a repris, des virages essentiels. Nous sommes conscients de la difficulté que représente la mise en œuvre, et de l'importance d'un pilotage déterminée.
Nos équipes pratiquent déjà des soins pluridisciplinaires. Il s'agit désormais de développer la précocité des prises en charge à travers l'accompagnement du patient tout au long de l'évolution de sa maladie.
Notre discipline s'inscrit dans un contexte international, avec des critères mondiaux et des réseaux de recherche qui doivent être intégrés si nous souhaitons encourager son essor. Les soins palliatifs sont au cœur de la politique de santé publique de l'Organisation mondiale de la Santé.
Quel que soit le nom employé, l'approche de la mort est compliquée et suscite des réticences, y compris chez les soignants qui doivent être soutenus. Du fait de l'absence de chiffres, nous ignorons combien d'actes de sédation sont pratiqués. Les pratiques sédatives sont la possibilité de faire varier le niveau de conscience des patients avec l'intention de soulager et, lorsque c'est impossible, de diminuer le niveau de conscience voire de mettre en place une anesthésie générale. C'est cette possibilité de sédation qui permet d'honorer la promesse du non-abandon et de rester jusqu'au bout, d'accompagner et d'apaiser des situations de crise. Nous ne craignons pas d'utiliser les doses nécessaires, y compris si cela doit raccourcir la vie, conformément à ce que prévoit la loi. Ces éléments sont systématiquement évoqués avec les patients, avec qui nous définissons par anticipation ce qui est acceptable. En fonction du souhait du patient, notre travail est d'utiliser les quantités de médicaments nécessaires.
Ma position, parfois qualifiée de dogmatique, est collective. Elle se base sur les interrogations et les ressentis de la grande majorité des professionnels du soin palliatif. Elle émane du sentiment dont font part les soignants. Il est contradictoire de saluer leur travail tout en prenant des décisions qui les mettront en difficulté. Un psychologue nous a indiqué que les équipes se trouvaient en état de stress pré-traumatique, car elles appréhendent les changements de cadre qui se profilent. Je vous invite une nouvelle fois à prendre soin des soignants, en considérant la difficulté de travailler chaque jour auprès de la mort.
L'ambition du projet de loi est de prévoir qu'au-delà des soignants qui exercent dans des structures identifiées de soins palliatifs, il existe tous les autres soignants qui, de fait, effectuent des soins de support. Les soins palliatifs et d'accompagnement sont une culture qui infuse, et de plus en plus de jeunes y sont sensibles. Ils la mettent en œuvre à toutes les étapes. L'ambition de ce texte me semble de consacrer tous les soignants, y compris les auxiliaires de vie et les aidants, en parlant de soins d'accompagnement et en leur donnant des moyens grâce à une gouvernance forte.
Si toutes les douleurs ne peuvent être soulagées, aucune demande d'aide à mourir ne doit aboutir lorsqu'elles le peuvent. L'article 7 du projet de loi précise que nous devons proposer, à chaque patient qui demande une aide à mourir, des soins palliatifs. J'ajouterais la proposition de bénéficier d'un recours à une structure de douleur chronique en cas de symptomatologie douloureuse prédominante.
Le soin d'accompagnement est innovant, original et nécessaire. La mise en place est ambitieuse. Elle sera longue. Nous travaillons aujourd'hui en silo, chacun avec sa spécialité et ses patients. Pouvoir travailler ensemble, tisser des liens et partager est important.
Sur l'aide à mourir clandestine, nous ne disposons d'aucune donnée. Selon ma propre expérience, sur une cohorte d'environ 1 000 patients, deux ou trois patients se suicident et, dans un à deux cas, l'aide à mourir est effectuée à domicile et par des aidants. Les personnes les plus proches de la famille qui en arrivent à ce geste le font par amour.
Le développement universitaire de la discipline, notamment avec les sciences humaines et sociales, doit avoir l'ambition de méthodes d'évaluation qui ne soient pas uniquement quantitatives. Je plaide pour que prévale ce courant de récit dans le soin afin d'accompagner les soignants, les équipes de liaison et les familles en leur permettant de revenir de manière narrative sur le déroulement de la fin de vie.
L'une de nos propositions, reprise par le Gouvernement, est d'élargir aux soins d'accompagnement le concept de soins palliatifs, en respectant par là même le critère de l'Organisation mondiale de la Santé qui est la création d'une filière universitaire et d'un programme de recherche de spécialité en médecine palliative. C'est actuellement très peu développé en France.
Professeur Chauvin, quelle est, dans le projet de maisons d'accompagnement, la place des associations qui effectuent actuellement des soins de support auprès des malades ?
Docteur Lévy-Soussan, vous avez indiqué ne pas souhaiter que les termes d'euthanasie et de suicide assisté soient utilisés. Je comprends mal cette volonté d'euphémisation puisque cette loi modifie considérablement la mission du soignant en lui donnant le pouvoir d'administrer la mort.
Docteur Fourcade, de nombreux médecins changent d'orientation professionnelle pour se consacrer aux soins palliatifs car ils y trouvent davantage de sens. Est-ce un mouvement dont vous avez quantifié la portée ?
Beaucoup de malades qui aspirent à une aide active à mourir abandonnent le projet dès lors que sont convenablement traités l'isolement et la douleur. Ce constat ébranle-t-il vos certitudes quant à la nécessité de voter cette loi ?
Professeur Chauvin, face à la pénurie de médecins, quelles sont les solutions pour que les centres de soins palliatifs fonctionnent correctement ?
L'article 7 indique que le médecin doit proposer à la personne de bénéficier de soins palliatifs et s'assurer, le cas échéant, qu'elle puisse y accéder. Il s'agit donc de privilégier les soins palliatifs et, à la demande expresse du malade, de privilégier sa volonté ultime.
Nous ne devons pas opposer les soins curatifs, les soins palliatifs, et la possibilité offerte par ce texte d'aide active à mourir, qu'elle passe par le suicide assisté ou par l'euthanasie. Ce choix me semble faire partie des évolutions positives de nos sociétés modernes, qui utilisent les avancées scientifiques et éthiques pour permettre aux gens le choix de leur mort, particulièrement lorsque celle-ci est inéluctable ou que la souffrance chronique devient insupportable.
Professeur Martinez, comment les soins palliatifs prennent-ils en charge la douleur psychologique liée à la dégénérescence neurocognitive, et peuvent-ils soulager les douleurs occasionnées par les neuroatypies ?
Professeur Chauvin, existe-t-il une spécificité dans l'accueil en soins palliatifs des mineurs souffrant de manière insupportable et réfractaire
Docteur Fourcade, votre organisation a-t-elle été associée au travail de rédaction du rapport produit sous la présidence du professeur Chauvin, qui engage la France sur la voie des soins palliatifs pour les dix prochaines années ?
Aujourd'hui, vingt départements sont dépourvus d'unités de soins palliatifs. Disposez-vous de données sur l'évolution de ces soins et de l'accompagnement des patients dans les pays qui ont légalisé l'euthanasie ?
Sur les soins palliatifs, 60 % des personnes qui entrent en soins palliatifs au centre hospitalier universitaire de Lyon en sortent. Disposez-vous de statistiques ?
Professeur Chauvin, pouvez-vous confirmer que les soins d'accompagnement englobent les soins palliatifs ?
Ma dernière question est relative à la douleur. Pour résumer, le choix donné au patient est soit l'arrêt du traitement, soit la sédation profonde et continue, soit la substance létale. Dans tous les cas, la souffrance réfractaire est en jeu. Vous paraît-il normal d'avoir un choix supplémentaire pour le patient ?
Je souhaite que le professeur Chauvin et le docteur Fourcade, qui ont donné des chiffres différents, nous apportent un éclairage sur le sujet des personnes qui auraient eu besoin de soins palliatifs et n'y ont pas eu accès.
Docteur Fourcade, refuser par principe la volonté du patient n'est-il pas également, pour un médecin, une manière d'exercer une toute-puissance ?
Le projet de loi ne confère pas aux soignants la possibilité de donner la mort, mais aux patients de prendre la substance létale si leur pronostic vital est engagé. Docteur Fourcade, quelles modalités de la clause de conscience viennent étayer votre opinion et votre positionnement personnel de ne pas vouloir y autoriser les patients ? Les fins de vie que l'on dessine me semblent, en creux, traduire la toute-puissance des soignants à ne pas entendre la volonté absolue de mourir des personnes libres et éclairées.
J'estime qu'il n'existe pas d'opposition entre les soins palliatifs et l'aide à mourir. Il est nécessaire de mieux accompagner et d'entendre la demande des malades, tout en permettant aux soignants d'invoquer la clause de conscience.
Concernant la douleur, quelles sont vos propositions en termes de prise en charge dans les maisons d'accompagnement, à domicile et dans les secteurs de soins qui ne sont pas des unités spécialisées, mais qui disposent de lits de soins palliatifs ?
Professeur Chauvin, la loi de 2016 n'est pas appliquée sur l'ensemble du territoire, notamment pour des raisons budgétaires. D'ici à 2034, une hausse de seulement 6 % du budget annuel est prévue. Le chiffre de 500 personnes décédant chaque jour sans accès aux soins palliatifs est appelé à croître en raison du vieillissement de la population. Comment prétendre créer autant de moyens pour les soins palliatifs sans disposer du budget nécessaire ?
Le projet de loi autorise l'exercice de l'euthanasie par un tiers. Que vous inspire, sur le plan éthique, cette disposition unique au monde ?
Docteur Lévy-Soussan, comment et dans quel contexte pensez-vous possible, pour une personne, d'apporter la mort à un proche, et quelles conséquences psychologiques et psychiatriques cela peut-il engendrer ?
Docteur Fourcade, je refuse d'assimiler l'aide à mourir à un permis de tuer, ce qui serait un biais regrettable du débat. Il n'y a pas d'opposition entre les deux piliers du texte, et certains médecins et soignants sont favorables à l'aide active à mourir, qu'ils considèrent comme un soin. Le projet de loi me semble, au contraire, placer le patient au centre des décisions. Selon vous, comment accompagne-t-on une personne dont la mort est inévitable et qui souhaite en déterminer en toute conscience les conditions ? Que pensez-vous des propos d'Alain Claeys, selon qui la sédation profonde et continue ne répond pas à toutes les situations ?
Professeur Martinez, pensez-vous qu'un critère de douleur mériterait d'être introduit dans le débat au-delà de la question du moyen terme ?
Combien de patients en fin de vie avez-vous chacun personnellement suivi au cours du dernier mois ?
Professeur Chauvin, les 100 millions d'euros par an prévus viennent-ils s'ajouter à l'évolution normale du financement de la sécurité sociale ? Comment garantir dix ans avec des lois annuelles ? Quant au financement des maisons d'accompagnement, cent maisons à 1 million d'euros par an représentent 100 millions par an, soit la totalité de l'enveloppe d'1 milliard d'euros. Que reste-t-il ? À qui incombent les dépenses d'investissement ? En enlevant 550 000 euros pour les salaires, il reste 450 000 euros pour les patients, ce qui correspond à trois patients par jour. Ces chiffres ne vous semblent-ils pas témoigner d'un sous-financement de votre projet ?
Quels sont les moyens à déployer pour que le retard que nous constatons soit rattrapé ? Ne pensez-vous pas que les maisons d'accompagnement devraient être prioritairement installées dans les départements où il n'existe pas de soins palliatifs, sinon des équipes mobiles qui expriment leur désarroi ?
Comment expliquer que notre pays ne soit pas capable, en 2024 et au moment de la mise en place de l'espace numérique de santé, de remonter des données sur les 600 000 décès ?
Docteur Lévy-Soussan, pensez-vous qu'il faille créer une filière palliative, une spécialisation dans la formation des médecins ?
Concernant la douleur, la méconnaissance et le manque de formation sont évidents. Cette discipline n'est pas amenée au plus haut niveau, dans la formation, les facultés ou la recherche. La Société française d'étude et de traitement de la douleur se bat pour une formation de tous les soignants et pour une sensibilisation des citoyens aux différents types de douleur comme aux moyens de les soulager. Le diplôme d'études spécialisées en soins palliatifs envisagé est important, pour à la fois favoriser l'attractivité auprès des jeunes et stimuler la recherche.
Le critère de douleur dans l'aide à mourir est important car le projet actuel écarte certaines personnes. Il faut y associer réfractaire, insupportable, sans perspective d'apaisement ou d'amélioration.
Je vois environ deux patients en fin de vie par mois.
Nous souffrons du cloisonnement. Les professionnels n'ont pas une représentation de l'intégralité des parcours de soins, de plus en plus longs et complexes. Le développement universitaire de la discipline doit amener à bâtir des ponts. Je plaide donc, non pour une spécialisation, mais pour une intégration de la démarche palliative dans toutes les disciplines médicales. Elles sont toutes concernées par l'accompagnement et la fin de vie.
Les chiffres de l'accès aux soins palliatifs sont difficiles à interpréter. Les équipes mobiles d'accompagnement et de soins palliatifs ne sont pas présentes dans toutes les situations car d'autres professionnels parviennent à les dispenser aux patients. Il convient d'interpréter les chiffres avec prudence : les soins d'accompagnement concernent bien au-delà des professionnels de soins palliatifs. Les équipes de liaison et mobiles d'accompagnement interviennent en support des soignants.
J'accompagnais, avec mon équipe, environ dix patients en fin de vie au quotidien.
La question de l'euphémisation des termes renvoie à des notions théoriques. La réalité renvoie à des patients en détresse qui demandent de l'aide. L'enjeu est celui de la relation entre le patient et le soignant, qui mobilisera les ressources existantes. Personne ne peut se reconnaître dans des termes comme « administrer la mort ». Les soins d'accompagnement sont aussi psychologiques. Ils ne traitent pas uniquement la douleur physique.
Dans mon service de soins palliatifs, nous accompagnons environ quinze patients par jour.
Tous les patients en fin de vie n'ont pas besoin d'une équipe de soins palliatifs. Mais notre travail consiste également à accompagner les professionnels non-spécialistes dans de telles situations. Un vrai travail est possible pour mieux comprendre et mieux évaluer. Les statistiques de sortie de service diffèrent de l'un à l'autre. Dans celui où je travaille, 50 % des patients sortent, notamment grâce à la prise en charge précoce et à l'accompagnement au plus juste qu'elle autorise. Je souhaite que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale traduise une volonté de nous aider et d'investir pour développer ces éléments.
Sur la réorientation professionnelle, une majorité de médecins qui travaillent en soins palliatifs y sont venus en deuxième intention. Pour autant, nous accueillons deux internes par semestre, qui souhaitent aller plus loin que les quelques heures d'enseignement spécifique reçues au cours de leurs études, afin de pouvoir accompagner ensuite leurs patients.
Notre métier doit être considéré avec toutes ses nuances. La demande de mort doit toujours être entendue. Elle n'appelle aucun jugement. L'enjeu est celui de la réponse collective que nous choisissons d'y apporter. Si ce projet de loi nous semble donner un trop grand pouvoir au médecin, c'est que l'évaluation lui incombe même si la demande émane du patient. Certains pays ont fait le choix de ne pas impliquer les soignants afin qu'ils puissent continuer à entendre le « pourquoi » plutôt que d'être dans le « comment » ou le « quand ». La question est celle de la compatibilité entre les soins palliatifs et la possibilité de la mort provoquée. Beaucoup de soignants ne se sentent pas en capacité de le faire.
La Cour des comptes estime que les personnes en phase terminale d'une maladie chronique sont environ 350 000 à 400 000 par an. Nous avons l'habitude de voir la santé à travers l'hôpital alors qu'il ne représente qu'une partie mineure de la prise en charge. La création des maisons d'accompagnement vise ainsi à recréer des structures intermédiaires, de proximité, qui soient des relais entre le domicile et l'hospitalisation dans des centres spécialisés. Il s'agit d'éviter à des personnes en phase terminale d'être mutées vers un service d'urgence. La reconstruction de notre système de santé doit développer fortement les soins primaires et les structures intermédiaires.
Concernant les chiffres demandés, je me propose de vous transmettre une note.
La prise en charge des enfants nécessite des techniques spécifiques et la mobilisation de moyens particuliers. Le maintien à domicile doit être favorisé, c'est l'idée des unités mobiles et des soins primaires.
Pour ce qui est du budget, il s'agit de passer de 1,6 milliard à 2,7 milliards d'euros en fin d'exercice, et les 100 millions d'euros se cumulent dans la mécanique. Les crédits sont alloués en sus de l'évolution normale puisqu'il s'agit de mesures spécifiques telles que les maisons d'accompagnement et les unités mobiles territoriales. Je ne suis pas compétent pour estimer ce financement suffisant ou non.
Nous avons évidemment, au cours de nos travaux, auditionné la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Une commission d'expertise ne doit pas, en revanche, inclure de représentants, afin d'éviter un processus de consensus ou des actions de groupes de pression.
La réunion s'achève à treize heures dix.
Présences en réunion
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Chantal Bouloux, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusée. – Mme Lise Magnier
Assistaient également à la réunion. – Mme Claire Colomb-Pitollat, M. Pierre Cordier, Mme Maud Gatel, M. Pascal Lecamp, Mme Sandrine Rousseau