Intervention de Dr Claire Fourcade

Réunion du mercredi 24 avril 2024 à 11h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Dr Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs :

Mon parcours personnel et professionnel m'a conduite vers la médecine palliative. Elle place la relation humaine au cœur du soin. Ses pionniers ont dénoncé le scandale de laisser mourir dans la douleur ou la peur, et de faire mourir. C'est grâce à eux que, chaque année, plus de 150 000 Français et leurs proches sont accompagnés, et qu'un corpus législatif sur la fin de vie a été construit. Les soins palliatifs sont un immense progrès, qui permet de vivre dignement jusqu'à la mort. La nécessité de les développer fait consensus. Si nous ne pouvons pas promettre la guérison, nous pouvons accompagner la vie avec une maladie grave et soulager jusqu'au bout, même si cela raccourcit la vie. La confrontation à la maladie et la mort est parfois déchirante.

Vingt-cinq ans de soins palliatifs, ce sont plus de 13 000 personnes accompagnées jusqu'à la mort, des milliers de familles soutenues, et seulement trois demandes d'euthanasie qui ont persisté. Les milliers de soignants et de bénévoles qui ont choisi les soins palliatifs m'ont confié la responsabilité de porter leur parole et de partager avec vous leur expérience. Nous sommes les bâtisseurs d'un projet progressiste contre le « mal mourir », pour déconstruire le pouvoir médical et construire une médecine qui accepte son impuissance à vaincre la mort, mais qui jamais ne renonce à soulager. Nous luttons pour rendre aux patients le pouvoir enlevé aux médecins. Vous envisagez maintenant de leur permettre de décider qui doit vivre et qui peut mourir, de dire l'incurabilité et le temps qu'il reste, d'évaluer le discernement et la capacité à consentir, de prescrire et injecter la mort. Nous refusons le pouvoir de faire mourir quand nous n'avons pas celui de guérir. Nous voulons soulager jusqu'à la mort plutôt que la donner, même si on la demande.

Un questionnaire sur ce projet de loi a été adressé aux équipes de soins palliatifs en France. Sur les 2 300 réponses reçues, 76 % se déclarent inquiets. Plus de 90 % des médecins et infirmiers ne veulent ni prescrire ni fournir ni administrer un produit létal. 86 % d'entre eux anticipent un risque de tension dans les équipes. 22 % des médecins et 17 % des infirmiers envisagent de quitter leur poste si la loi est votée. Nous devons entendre. La loi témoigne des valeurs et des choix d'une société.

Quel que soit votre choix, quatre éléments sont essentiels pour la communauté palliative. Premièrement, elle a besoin de soutien et d'engagement pour que l'égalité d'accès promise par la loi soit garante d'une véritable liberté pour les plus fragiles. Deuxièmement, choisissez la collégialité de la décision : ne laissez pas le médecin décider seul de la vie ou de la mort ; cette toute-puissance nous mettrait en danger ou conduirait à des pratiques non éthiques. Troisièmement, ne légalisez pas l'euthanasie, même exceptionnelle, au risque de mettre en cause avec la relation de soin l'un des fondements de la vie en société alors que le système de santé est à bout de souffle, et les soignants épuisés en demande d'écoute et de respect. Quatrièmement, protégez les soignants car, si la présence soignante est la seule qui vous semble répondre à notre angoisse de mort collective, cette mission doit être réservée aux volontaires, formés et accompagnés, capables de ne pas abuser du pouvoir immense qui leur serait confié. Car cette loi, en l'état, est celle de la toute-puissance médicale.

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