La réunion commence à quatorze heures trente.
La commission spéciale auditionne, dans une table ronde réunissant les fédérations hospitalières, le Pr Bertrand Guidet, président du comité d'éthique et M. Marc Bourquin, conseiller stratégie et responsable de l'articulation et de la coordination Parcours, Proximité, Autonomie et Territoire de la Fédération hospitalière de France, Mmes Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France, M. Charles Guépratte, directeur général et le Pr Olivier Guérin, conseiller médical de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale de la Fédération hospitalière des centres de lutte contre le cancer (Unicancer), le Dr Élisabeth Hubert, présidente et M. Mathurin Laurin, délégué national de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile.
Nous accueillons pour cette table ronde les représentants des fédérations hospitalières.
Je suis porteur de deux messages sur les soins d'accompagnement. Le premier est qu'il faut absolument préserver la continuité de la prise en charge des malades, ce qui plaide en faveur de lits identifiés de soins palliatifs et des unités mobiles de soins palliatifs. Le second message est que les unités de soins palliatifs ne seront jamais en mesure de répondre à la demande sur le territoire national. C'est pourquoi il faut les structurer en réseau.
Concernant l'aide d'active à mourir, j'attire votre attention sur ses conditions de réalisation. Des difficultés concrètes peuvent survenir lors de l'administration du produit létal. Il convient de définir l'attitude que l'équipe soignante devra adopter en ces circonstances.
J'insiste sur l'importance de la stratégie décennale sur les soins palliatifs. Elle est certes nécessaire en raison des faiblesses dans l'accès aux soins palliatifs, mais surtout parce qu'il ne faut pas que germe dans le grand public l'idée que le projet de loi viendrait se substituer à une politique en la matière voire, pire encore, procurer des économies.
Nous devons développer une culture palliative dans les établissements de santé, mais aussi dans les établissements médico-sociaux où elle fait trop souvent l'objet d'un déni. Je pense en particulier aux structures pour personnes en situation de handicap, dont la population est vieillissante. Un tiers des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) n'a, à ce jour, pas de convention avec une unité mobile de soins palliatifs. Cette proportion est supérieure encore dans le champ du handicap. Ces enjeux requièrent une action du législateur afin d'organiser le travail des pouvoirs publics.
Enfin, nous devons veiller à ce que la gouvernance des soins d'accompagnement soit bien définie, aux niveaux national et surtout territorial, afin d'améliorer la coordination des services de soins palliatifs, notamment des unités mobiles.
La Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) représente 1 030 cliniques et hôpitaux privés, soit 160 000 salariés et 40 000 médecins libéraux. Nous répondons à 23 % des besoins de soins palliatifs sur l'ensemble du territoire. Notre rôle est donc significatif. Le contexte est extrêmement difficile car les décisions tarifaires récentes nous pénalisent considérablement. C'est la raison pour laquelle la FHP et six syndicats de médecins libéraux ont décidé d'une mobilisation à compter du 3 juin.
Les soins palliatifs ne font l'objet ni d'autorisation, ni d'appels à projets. Ceci nuit au développement de notre offre, stable depuis dix ans. À ce frein s'ajoutent des difficultés récurrentes de ressources humaines et une instabilité des financements. La notion de soins d'accompagnement, formulée dans le projet de loi, représente une évolution intéressante puisqu'elle renvoie à une approche holistique de la prise en charge, combinant les soins de support et deconfort. Développer la prise en charge à domicile, lever les cloisonnements entre les mondes de la santé et médico-social, constituent deux autres leviers à actionner.
Nous souscrivons à l'article 4 du projet de loi, qui améliore la formulation par anticipation des souhaits de prise en charge médicale. La Fédération s'était exprimée en faveur de la possibilité d'enregistrer ses directives anticipées dans l'espace numérique de santé. En outre, nous estimons que la notion de discussion anticipée est plus fructueuse que celle de directive anticipée, à laquelle il est faiblement recouru. Or, il est crucial que les patients s'approprient leurs droits. Les principes d'accompagnement et de projet personnalisé que porte le projet de loi doivent y contribuer, comme l'implication de la communauté médicale, des associations d'aidants et des bénévoles. Nous déplorons un grand déficit de données sur la fin de vie. Le combler favoriserait une compréhension plus fine de ce qui motive les demandes des patients.
La terminologie de la loi se doit d'être claire, en particulier la distinction entre suicide assisté, aide active à mourir et euthanasie. Cette clarté lèvera les ambiguïtés pour une acculturation du modèle français à la notion d'aide active à mourir. Les conditions cumulatives d'accès à celle-ci semblent ainsi clairement définies. Elles posent des garde-fous éthiques indispensables qui doivent être sanctuarisés, notamment l'équilibre de la collégialité, la clause de conscience et la registre de professionnels volontaires.
Les inquiétudes des professionnels de santé doivent être entendues. Des soignants engagés dans les soins palliatifs considèrent l'aide à mourir comme une négation de leur accompagnement. La loi ne pas doit laisser transparaître l'idée d'un continuum entre les soins d'accompagnement et l'aide à mourir. Celle-ci, la ministre de la santé l'a rappelé, doit relever de l'exception, lorsque les dispositions de la loi Claeys-Leonetti ne suffisent plus.
Notre fédération rassemble près de 6 000 adhérents dans les domaines sanitaire, médico-social et social. Elle s'est fait une spécialité d'accompagner les personnes fragiles. Nous saluons le travail d'approfondissement de la législation existante, qui étend la notion de soins palliatifs à une logique plus holistique, et qui précise le régime des directives anticipées.
La Fédération soutient résolument la création des maisons d'accompagnement. Cette offre intermédiaire étoffera une stratégie globale de soins palliatifs et de soins d'accompagnement. Elle doit s'inscrire dans une logique de renforcement des modalités existantes.
Nous avons choisi de ne pas nous prononcer sur le concept d'aide active à mourir. Toutefois, cette question de société nous interroge sur les modalités de son application.
Président du Conseil national professionnel de gériatrie, j'interviens ici en tant que conseiller médical de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires. De mes échanges avec mes collègues sur le projet de loi, il ressort que le premier élément d'inquiétude concerne la définition complexe du moyen terme.
Le deuxième élément d'inquiétude se rapporte au lieu même de l'Ehpad. En raison de la dimension collective de la vie en ce lieu, il paraît certain que le choix d'un résident de recourir à une aide active à mourir sur place impactera de manière violente l'ensemble de la communauté. C'est pourquoi nous souhaitons, dans le dispositif de l'aide à mourir, une exclusion de pratique dans les murs des Ehpad. De même, il faut réfléchir à l'idée d'une clause de conscience collective à l'échelle d'une équipe de soins, bien que sa mise en œuvre promette d'être difficile.
L'intercession d'un volontaire dans l'aide active à mourir est une innovation qui soulève de nombreuses questions, en particulier sur son impact émotionnel. La capacité de suivi psychologique de ces volontaires devra être au rendez-vous.
Nous saluons l'ambition du projet de loi en matière d'accompagnement de la fin de vie. La notion de soin accompagnement, très large, devra distinguer les soins de support des soins palliatifs afin de mieux les anticiper. À cet égard, il serait important d'inscrire systématiquement au dossier hospitalier qu'une proposition de soins palliatifs et de soins de support anticipés a été formulée.
Développer la coordination des soins palliatifs dans les territoires est fondamental afin de s'appuyer sur des structures comme les centres de lutte contre le cancer, qui possèdent une culture palliative et de l'anticipation. Développer une filière universitaire contribuerait aussi à la recherche en soins palliatifs.
Les médecins des centres de lutte contre le cancer sont, à l'image de leurs confrères, préoccupés par la question du moyen terme. Deux populations différentes de patients existent en cancérologie. D'une part, il existe des malades dont l'état général n'autorisera pas une nouvelle ligne thérapeutique du fait de leur fragilité. Mais d'autre part, des patients porteurs de cancer en deuxième ligne de traitement présentent une espérance de vie médiane de six à douze mois. Pour une fraction de cette seconde catégorie, les progrès thérapeutiques permettent d'envisager une survie prolongée. Dès lors, cette distinction doit être prise en compte par le législateur.
Nous réunissons la quasi-totalité des établissements d'hospitalisation à domicile (HAD), soit 282 structures. En 2023, ils ont accueilli 300 000 séjours au bénéfice de 165 000 patients. Durant la crise du covid-19, le nombre de séjours en soins palliatifs a crû de 30 %, et cette croissance était de 10 % entre 2022 et 2023. Les établissements d'hospitalisation à domicile sont présents sur tout le territoire, y compris dans les vingt départements dépourvus d'unités de soins palliatifs.
Le premier volet du projet de loi inclut les soins palliatifs dans l'ensemble plus large des soins d'accompagnement. Les soins palliatifs ont une définition précise et, à l'heure où s'exprime la volonté de les développer, il semble contradictoire de les occulter au profit des notions vagues de soutien et d'assistance. La nécessité de prise en compte précoce de l'enjeu palliatif semble acquise, et la Fédération espère que ses établissements, qui à ce jour ne peuvent intervenir dans cette phase précoce pour des raisons de tarification et de codification, pourront demain s'intégrer dans le processus.
Les maisons d'accompagnement représentent un heureux complément à l'offre hospitalière et une alternative bienvenue à une fin de vie au domicile pas toujours possible. Les initiatives existantes devront être intégrées à leur déploiement. Par ailleurs, nous souhaitons une distinction claire entre répit et aide à mourir : ces maisons d'accompagnement ne sauraient devenir des lieux privilégiés de l'aide à mourir. Le financement annoncé semble aussi en décalage avec les moyens nécessaires. Enfin, les plans personnalisés de fin de vie sont une excellente initiative. La vigilance s'imposera sur la formation des professionnels amenés à les établir, et sur la disponibilité des soignants que requiert cette approche dans un contexte de pénurie.
En résumé, nous nous demandons en quoi ces articles sur les soins palliatifs permettront de faire mieux. Ainsi que le Conseil d'État l'a noté, le projet de loi est dépourvu de dispositions budgétaires. Depuis 2018, plusieurs plans de soins palliatifs, dont le contenu satisfaisait les professionnels, n'ont pas trouvé de traduction concrète faute de moyens.
Concernant l'aide à mourir, j'aimerais faire une remarque sémantique. Le Conseil d'État a indiqué dans son avis que le projet de loi « a pour objet principal de créer une aide à mourir, entendue comme la légalisation sous certaines conditions de l'assistance au suicide et de l'euthanasie à la demande de la personne ». Pourquoi ne pas utiliser ces mots ?
Les conditions d'accès à cette aide à mourir sont strictes. Mais les exemples étrangers montrent qu'il ne faut guère d'années avant qu'elles soient assouplies. Par ailleurs, la collégialité requise pour la prise de décision n'est pas au rendez-vous : le texte décrit un simple recueil d'un avis, débouchant sur la notification de la décision par le seul médecin sollicité par le malade. Enfin, concernant la clause de conscience, que ferons-nous dans les établissements d'hospitalisation à domicile si tous les professionnels refusent d'être associés à l'aide active à mourir ?
Madame la présidente, vous avez déclaré dans un entretien récent que le projet de loi avait été co-construit avec les soignants. Je suis sûre que vous aurez à cœur de préciser : « des » soignants, non « les » soignants.
Lorsque le Président de la République a cité l'exemple d'un malade amené à se rendre à l'étranger pour être accompagné dans sa fin de vie, il a blessé de nombreux soignants tant cette situation est loin de la réalité. Nos concitoyens craignent de mal mourir, de souffrir. Intervenant nuit et jour auprès de patients fragiles, les soignants constatent qu'ils sont encore capables d'éprouver des joies, de faire des projets. Parfois, le vœu d'en finir est prononcé mais il s'agit souvent d'un appel au secours face à la solitude, l'indifférence et la peur. Ces malades demandent de l'empathie. La demande d'euthanasie est rarissime. Comment la confiance de nos patients ne serait-elle pas amoindrie si, au même titre que nous administrons des thérapeutiques, nous étions conduits à injecter un produit létal ? Cette démarche va à l'encontre de notre déontologie.
Le droit à mourir avec une assistance médicale serait l'ultime espace de liberté et de dignité. Mais en quoi la maladie est-elle source d'indignité ? Ce dispositif laisse craindre qu'il soit reproché à des personnes âgées, handicapées ou malades de ne pas en avoir fait usage. Pour ces raisons, la Fédération est défavorable au volet du projet de loi sur cette aide à mourir. Elle estime la France déjà dotée d'instruments législatifs permettant de répondre aux demandes de patients engagés dans un processus irrémédiable de fin de vie.
Ma fonction de présidente, docteur Hubert, m'interdit de livrer mes opinions. Mais puisque vous m'interpellez à propos de travaux antérieurs, j'aimerais répondre. Ce n'est pas parce que ces travaux n'ont pas abouti aux conclusions que vous souhaitiez que vous n'y avez pas été associée. La politique suppose des choix. Ces choix, parfaitement assumés, ont abouti au projet de loi discuté aujourd'hui.
Docteur Hubert, vous déplorez que la co-construction du projet de loi ait concerné des soignants, et non pas les soignants. Votre fédération incarne-t-elle la conscience collective de tous les soignants ?
Je suis absolument hostile, professeur Guérin, à l'idée d'une clause de conscience collective à l'échelle d'une équipe de soins, qui remettrait en cause le principe de la clause individuelle. Par ailleurs, lorsque vous vous prononcez en faveur d'une exclusion des Ehpad en tant que lieu de pratique de l'aide à mourir, j'espère que vous ne sous-entendez pas une clause de conscience d'établissement. Les murs n'ont pas de conscience. Ce serait considérer que vivre en Ehpad n'est pas vivre à domicile, et qu'une personne éligible à l'aide à mourir devrait être envoyée à l'hôpital sans pouvoir mourir chez elle.
Professeur Guidet, vous avez évoqué la question de la gouvernance territoriale et du travail en réseau. Avez-vous des préconisations à formuler ?
J'aimerais savoir ce que propose la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France pour co-construire le projet personnalisé d'accompagnement. Considérez-vous que l'aide à mourir peut relever de l'activité privée avec éventuel dépassement d'honoraires ?
Enfin, docteur Hubert, pourriez-vous préciser les conditions à remplir, selon vous, pour garantir le fonctionnement des maisons d'accompagnement ?
J'aimerais recueillir l'avis du professeur Guérin quant à la place des médecins coordonateurs et des équipes soignantes dans les établissements médico-sociaux, y compris dans les établissements de prise en charge de personnes handicapées. Par ailleurs, pourriez-vous préciser la manière dont vous appréhendez l'accompagnement, le soutien et la formation des volontaires dont vous avez parlé ?
Madame Beaupère, pourriez-vous développer votre point de vue sur la question du court et du moyen terme ?
J'aimerais revenir sur la remarque du professeur Guérin à propos de la violence d'une pratique de l'aide à mourir au sein des Ehpad. Quitter son Ehpad, c'est-à-dire son domicile, pour vivre ailleurs ses derniers jours, n'est-ce pas une grande violence pour les résidents comme pour les soignants ?
Docteur Hubert, informer le patient, en cas de grande souffrance, qu'il dispose du droit de recourir à la loi Claeys-Leonetti, ne représente-t-il pas pour lui une forme de soulagement ?
L'Ehpad est un lieu de vie et un domicile. Cependant, ainsi que je l'ai écrit dans un rapport avec Claude Jeandel à la demande du ministère de la santé, l'Ehpad est devenu de fait un lieu de soins, c'est-à-dire un domicile très particulier. Connaissant bien le fonctionnement interne d'un tel établissement au quotidien, il me semble délicat d'imaginer y pratiquer l'aide active à mourir. La très grande majorité des résidents appréhende la perspective de la mort avec anxiété.
Le rôle du médecin coordonnateur au sein d'un Ehpad me paraît difficile à distinguer de celui de la communauté soignante et accompagnante dans son ensemble. Quant à son rôle dans l'aide active à mourir, il serait préjudiciable à mon sens qu'il soit désigné pour formuler un second avis. Il n'a pas pour mission d'assurer un suivi des soins du patient.
L'enjeu de ma proposition de clause de conscience collective est de constituer des équipes de soins cohérentes et fédérées autour d'un choix commun. C'est important au moment où nous rencontrons des difficultés de recrutement, où le sens du métier est interrogé.
Parmi les initiatives existantes auxquelles j'ai fait référence, je citerai, par exemple, la Maison de Nicodème, à Nantes, qui répond à une partie de l'enjeu d'accompagnement.
Pratiquer l'aide active à mourir au sein des maisons d'accompagnement nous placerait au-devant de grandes difficultés, en particulier pour les personnes qui ne sont pas engagées dans ce processus. Je rejoins, sur ce point, le professeur Guérin. J'ajoute que ce serait dévoyer ce beau projet de maison d'accompagnement.
La porosité entre l'aide à mourir et les démarches d'accompagnement de fin de vie ouvre sur cette inconnue qu'est la définition du moyen terme. Jusqu'à ce que nous instituions des formations sur la loi Claeys-Leonetti, j'ai constaté la grande ignorance de professionnels pourtant avertis en matière de soins palliatifs quant à ce que recouvre la sédation profonde et continue, et ce qu'elle requiert en termes d'accompagnement. Dès lors, je considère qu'il y a une forme d'inachèvement dans l'application de cette loi. Rien n'a été mis en place afin que les professionnels se l'approprient, ce que je regrette.
Enfin, pour répondre au rapporteur général, je n'ignore pas qu'une concertation a eu lieu. Mais je ne confonds pas concertation et co-construction.
La gouvernance territoriale relève de la stratégie décennale sur les soins palliatifs. Il reviendra à l'agence régionale de santé de réunir un comité de pilotage en y associant les représentants des usagers et des familles, et rendant compte régulièrement du déploiement de la stratégie. La question du niveau et surtout du mode de financement des unités mobiles devra être posée dans ce cadre.
La Fédération hospitalière de France, en tant qu'institution, ne souhaite pas prendre position sur l'aide active à mourir. Si celle-ci devait être autorisée, il appartiendrait aux professionnels exerçant en Ehpad d'accompagner les personnes dans leurs choix, y compris celui de mourir. Il conviendra d'intégrer cette possibilité à la culture palliative afin de donner droit à la demande légitime de la personne, sans la contraindre à se rendre dans un autre lieu.
Un maillage territorial des soins palliatifs est indispensable. Il reviendra aux agences régionales de santé de l'organiser. Les unités de soins palliatifs pourraient en être les pivots avec des actions de formation et de coordination des unités mobiles, dont la Fédération hospitalière de France souhaite le renforcement.
Je ne saurais définir ce qu'est le moyen terme. Au mieux pourrais-je dire ce qu'il n'est pas : du court terme. Le court terme, on le rencontre en service de réanimation où environ un décès sur deux est précédé d'une décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Définir fermement le moyen terme semble impossible, faut de critère solide. En revanche, je perçois la complémentarité du projet de loi avec la loi Claeys-Leonetti.
J'insiste à nouveau sur la nécessité d'une continuité de la prise en charge afin d'éviter la situation dans laquelle le patient, accueilli durant des années, est envoyé en unité de soins palliatifs. C'est la raison pour laquelle je suis favorable au maintien des malades dans leur établissement à condition qu'il dispose des moyens nécessaires à une activité palliative.
Je partage les propos du professeur Guidet sur la nécessité d'un maillage territorial. Procéder à des appels à projets transparents est tout aussi important, parce que de nombreuses équipes peinent à voir leurs projets soutenus au niveau régional.
La question du moyen terme, cela a été rappelé, est insoluble. Il nous paraît important qu'elle soit appréhendée de manière collégiale et pluridisciplinaire, compte tenu de la complexité des situations.
Certains professionnels exerçant en centre de lutte contre le cancer feront jouer leur clause de conscience. Dès lors, appliquer la loi ne sera pas chose simple. Les établissements devront être accompagnés, dans un contexte de ressources humaines tendu. À ce titre, j'insiste à nouveau sur l'importance d'une filière universitaire dédiée aux soins palliatifs.
Par ailleurs, il semble essentiel de prendre en compte la situation des aidants et de leur proposer un soutien psychologique et social. Certains projets sur ce thème sont actuellement élaborés dans les centres de lutte contre le cancer.
Enfin, j'attire votre attention sur la tarification dans la stratégie décennale. La question se pose au regard du coût réel du travail de coordination ; la tarification ne permet pas d'identifier et de tracer l'activité de soins palliatifs.
Instituer une garantie solide de la clause de conscience individuelle des médecins, et des conditions cumulatives robustes d'accès à l'aide à mourir, donnerait un cadre rassurant et propice au changement de paradigme porté par la loi.
Je souligne l'importance de la fluidité du parcours en matière de projet personnalisé. Elle requiert deux conditions : la formation des professionnels de santé et l'appropriation par les citoyens de leurs droits individuels et collectifs.
Enfin, j'estime la validité d'une nouveauté éthique et sociétale à l'aune de son impact sur les plus vulnérables. Les débats doivent se dérouler sous cet angle.
Qu'est-ce qui, selon vous, devrait évoluer dans les dispositifs existants pour favoriser le plan personnalisé d'accompagnement ? Je pense aux dispositifs d'appui à la coordination (DAC) qui, à mon sens, ne sont pas assez déclinés et demeurent mal connus des patients.
Je m'interroge sur l'opportunité d'une évolution législative sur le suicide assisté pour les personnels hospitaliers, au sein desquels l'étude Amadeus de 2023 a mesuré le taux alarmant de dépressions. Dans un tel contexte, jugez-vous opportun de leur accorder la prérogative d'administrer une substance létale à des patients ?
La Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France a déploré un manque de données concernant la fin de vie. Quel type de données fait défaut, selon vous ?
La stratégie décennale sur les soins palliatifs prévoit une discussion sur un nouveau modèle de financement. Quelle modalité de financement vous paraît la plus pertinente pour assurer la pérennité et la sûreté des moyens des soins palliatifs ?
J'aimerais rappeler que la clause de conscience collective existe et qu'elle peut concerner un établissement. Ainsi, l'article L. 2212-8 du code de la santé publique précise qu'un « établissement privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soit pratiquées dans ses locaux ». Est-ce ce type de clause de conscience auquel vous faites référence, professeur Guérin ?
Professeur Guidet, en tant que médecin réanimateur, pourriez-vous expliquer comment, en pratique, est prise une décision collégiale d'arrêt de traitement ?
La fin de vie coûte très cher, en particulier en réanimation. Au Canada, l'aide active à mourir aurait fait économiser environ 80 millions de dollars au système de santé en 2022. La Fédération hospitalière de France dispose-t-elle d'études médico-économiques sur le coût des derniers jours de vie en France ?
J'ai entendu ce que le professeur Guérin a dit à propos des problèmes qui se poseraient en Ehpad, tant pour les personnels que pour les patients, si un résident demandait l'aide active à mourir. Des drames absolus se sont produits dans les Ehpad lors de l'épidémie de covid-19. L'éthique n'a pas toujours été au rendez-vous, du moins les familles l'ont-elles ressenti ainsi. À l'aune de cette expérience, quelles sont les voies d'amélioration ?
Professeur Guidet, incluez-vous le secteur privé au travail commun et au maillage territorial dont vous avez souligné la nécessité ?
Selon moi, le projet de loi sur la fin de vie répond aux situations liées à la maladie, non au grand âge. Or, nous parlons des Ehpad, qui sont pour moi des lieux de vie où l'on termine paisiblement ses jours. Lier fin de vie et Ehpad me semble équivoque.
Nous sommes confrontés à un problème de sémantique générale. On ne veut pas parler d'euthanasie ni de suicide assisté. On refuse de considérer la dimension collective de la vie en Ehpad, comme l'a rappelé le professeur Guérin, qui a aussi précisé que ces Ehpad sont avant tout des établissements médico-sociaux. L'absence de frontière étanche entre les lieux de soins et les lieux dans lesquels on accompagne jusqu'au bout de la vie sème le trouble, tant pour les familles que pour les soignants.
Un rapport de la Cour des comptes a pointé l'an dernier l'insuffisance des soins palliatifs en Ehpad. Or, si l'Ehpad est un lieu de vie, il peut également être un lieu de fin de vie, où l'on souffre de douleurs réfractaires. Nous devons avancer concomitamment sur les enjeux des soins palliatifs et de la fin de vie. Dès lors, les Ehpad, au regard de la culture palliative de ses personnels, ne pourraient-ils intégrer pour partie le projet de déploiement des maisons d'accompagnement ?
Professeur Guérin, vous avez rappelé qu'un soignant devait se tenir à proximité du lieu où est administrée la dose létale. Ce terme de proximité a paru vous gêner. Comment faudrait-il procéder selon vous ?
Que pensez-vous de la possibilité offerte par le projet de loi aux professionnels de santé de pratiquer le suicide assisté et l'euthanasie en milieu hospitalier ?
Pensez-vous que la création des maisons d'accompagnement, comme le prévoit le rapport Chauvin, répondra aux besoins ?
Enfin, la prescription du produit létal et l'euthanasie pratiquée par un médecin sont-ils pour vous des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels ? Si oui, pourquoi n'ont-ils pas une base légale dans le code de la santé publique ?
Je voudrais recentrer le débat sur les malades et vous soumettre un cas concret. Face à un patient qui souffre, pour lequel les traitements ne sont plus efficaces, que faites-vous ? Je pose la question en tant que médecin. Quand on fait appel à notre humanité, peut-on affirmer, de façon péremptoire, que l'on ne reçoit pas cet appel parce que c'est difficile à organiser, parce que cela réclame une délibération collégiale ?
Il convient de dissocier l'instruction de la demande de sa réalisation. L'instruction se déroule sous un angle médical. Le caractère médicalisé de la réalisation est discutable, néanmoins cette réalisation suppose de disposer d'un plan B.
En réanimation, les professionnels cherchent un accord global, pas toujours synonyme de consensus, avant d'aborder le sujet auprès des proches du patient. Le projet de loi assure une certaine collégialité bien que des complications soient toujours possibles, par exemple dans le cas de pathologie psychiatrique. En outre, la question des délais devra être examinée puisque l'expert qui éclairera la décision doit être mobilisable dans les quatorze jours, ce qui me semble risqué.
Le projet de loi semble manquer de précision quant au rôle de l'équipe mobilisable dans le cas où l'administration de la substance létale par le malade rencontre une difficulté.
On peut imaginer que les modalités de financement des soins palliatifs comprennent une partie forfaitaire et une partie à l'activité, dans des proportions respectives certes difficiles à déterminer.
Sur l'aspect médico-économique, il est évident que la prise en charge lourde des dernières semaines de vie représente un impact financier. Cependant, il faut absolument se garder d'introduire de telles considérations financières dans la réflexion.
Je partage ces propos. J'ajoute que les chiffres de l'étude canadienne citée par le député Juvin sont dérisoires rapportés aux dépenses de santé globales.
Un immense effort est à fournir pour que les unités mobiles puissent répondre à la demande des Ehpad. Le développement d'une culture palliative suppose également que les Ehpad accroissent cette demande. Ce sont des structures médico-sociales, qui doivent être au cœur de la stratégie décennale.
Si la pratique des directives anticipées était largement répandue, leur recueil anonymisé fournirait de précieux renseignements sur ce qui motive les choix relatifs à la fin de vie.
La clause de conscience collective portée par la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires n'est pas une clause de conscience d'établissement, comme celle évoquée par le député Juvin. Elle s'organise à l'échelle d'une équipe de soins afin de surmonter d'éventuelles dissensions difficiles à gérer dans l'état actuel du fonctionnement des établissements.
Il me semble nécessaire, d'une part de mieux médicaliser les Ehpad parce qu'ils ne sauraient être un lieu de vie si on n'y est pas soigné, et d'autre part de laisser entrer dans ses murs des compétences externes en complément de la montée en compétences internes. Si des progrès sont accomplis sur ces deux points, l'aide à mourir sera envisageable en Ehpad. Mais elle ne saurait être pratiquée dans les chambres : on entre dans ces établissements pour y accomplir un projet de vie.
Les dispositifs d'appui à la coordination, à ce jour, ne sont pas effectifs sur l'ensemble du territoire. Leur amélioration se rapporte à une question de gouvernance territoriale. Il revient aux agences régionales de santé de s'emparer de ce sujet.
L'application de la loi en établissement d'hospitalisation à domicile, c'est-à-dire en établissement de santé puisque l'hospitalisation à domicile jouit de ce statut, pose une grave question. Lorsque la capacité de prise en charge d'un établissement est réduite et que l'équipe est composée d'un médecin et de quelques infirmiers, que faites-vous si ces professionnels refusent l'aide active à mourir ? Bien entendu, le patient ne sera pas abandonné. Mais que fait-on s'il demande à mourir et que l'équipe se refuse à pratiquer l'acte ?
Le bilan des dispositifs d'appui à la coordination est variable d'une région à l'autre. Le maillage territorial repose surtout sur la capacité des équipes mobiles de soins palliatifs à se projeter au niveau régional.
L'un des enjeux du financement des soins palliatifs est la mise en cohérence de la valorisation et des coûts réels de l'activité. À ce titre, je rejoins la position de la Fédération hospitalière de France sur l'intérêt d'un mélange entre financement à l'activité et financement forfaitaire.
Enfin, je voudrais souligner l'importance de l'accompagnement et de la formation des professionnels en vue de l'application de la loi.
La réunion s'achève à seize heures vingt-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusé. – M. Raphaël Gérard