Délégation aux droits des enfants

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 05

Présidence de Mme Perrine Goulet, Présidente de la délégation

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Sept ans après le phénomène #MeToo aux États-Unis, la parole se libère en France. Nous avons l'honneur de recevoir Mme Judith Godrèche afin d'entendre son témoignage sur la vulnérabilité des jeunes mineurs dans le milieu du cinéma et le silence face à leur souffrance.

Madame Godrèche, votre histoire personnelle a émergé ces derniers mois, notamment grâce à votre travail et à la promotion de la série Icon of French Cinema, diffusée sur Arte. Vous incarnez la lutte contre les violences sexuelles, mais aussi sexistes ; c'est pourquoi nous avons souhaité vous auditionner avec la délégation aux droits des femmes.

Je profite de l'occasion pour saluer l'initiative #MeTooGarçons, car ces violences touchent les mineures, mais aussi les mineurs, ne l'oublions pas.

Le phénomène de l'emprise concerne tous les milieux artistiques, le cinéma, la télévision, les milieux littéraires, le mannequinat. Lors de la Journée internationale des droits de l'enfant, la délégation aux droits des enfants a d'ailleurs organisé une projection du film Le Consentement, de Vanessa Filho, tiré du livre-témoignage de Vanessa Springora. Ce film témoigne de quatre défaillances majeures : de la cellule familiale, de l'environnement scolaire, des équipes de santé et de la justice. J'avoue avoir un peu de mal avec l'idée que « c'était comme ça à l'époque, ce n'est plus le cas aujourd'hui ». Votre histoire me semble faire écho à ce qu'ont rapporté d'autres personnalités célèbres : Vanessa Springora, mais aussi Flavie Flament. Ce phénomène d'emprise sur les jeunes filles et leur famille nous pousse nécessairement à nous interroger.

Nous sommes ravies de vous entendre.

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Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine

Merci de me faire l'honneur de me recevoir et d'avoir convié à la même table la délégation aux droits des enfants et la délégation aux droits des femmes.

Ces derniers jours, alors que je me préparais à cette audition et que j'essayais de rassembler mes pensées pour venir vous exposer avec le plus d'éloquence possible mon humble vision de la société dans laquelle j'évolue, je me suis surprise à répéter à haute voix ces mots : « les droits des femmes, les droits des enfants ». Leur fort pouvoir évocateur guidait la construction de mes pensées. Mais, comme par un jeu de chaises musicales, la phrase évocatrice que je murmurais en boucle a perdu des mots en chemin. Va savoir pourquoi, mon inconscient a pris la liberté de faire un drôle de tri, en perdant en route les deux premiers mots qui définissent vos délégations : « les droits ». Dans ma tête à moi, comme dirait la petite fille que je suis, ne résonnent que les mots « femmes » et « enfants », tout seuls, isolés dans le silence.

Curieusement, ce tour de passe-passe imposé par mon cerveau taquin, la disparition symbolique de ces mots, illustre parfaitement mon propos : cette solitude qui est la mienne et celle de milliers qui m'écrivent. Un jour, des hommes sont partis en voyage, loin, loin, loin, avec ces mots-là. En effet, je ne suis toujours pas en mesure d'affirmer que des hommes n'ont pas tous les droits sur nous, et a fortiori tout pouvoir. Pour aller plus loin dans cette pensée, le pouvoir, les gouvernements et le patriarcat ne font qu'un. La petite fille que j'étais, devenue la femme qui se trouve devant vous, est encore à la recherche d'un équilibre, de la preuve absolue de cette égalité dont nous parlons tant : l'égalité dans le pouvoir.

Ne me croyez pas ingrate. Je célèbre moi aussi le progrès, les avancées, les victoires, avec passion et optimisme. Je danse de toutes mes forces avec mes sœurs anonymes quand une loi qui nous protège est votée. Mais soyons honnêtes : quand, encore aujourd'hui, un homme balaie si facilement du revers de la main la parole d'un enfant qui se confie à la société dans l'espoir d'être entendu, quand un autre homme puissant viole inlassablement des mineurs en toute impunité, quand les non-lieux se suivent et se ressemblent, quand la société du cinéma agresse, manipule et sadise les enfants depuis des décennies, devant un parterre d'aficionados conquis et silencieux, en pleine béatitude, sans l'ombre d'une révolte, d'un dégoût, d'un sursaut, quand on s'adresse à des techniciennes comme à des sous-fifres, qu'on les maltraite et qu'on leur hurle dessus, où puis-je trouver ces deux mots perdus en chemin, « les droits » ? Les droits des femmes, les droits des enfants, le droit de dire non.

Ce sont peut-être les sévices subis dans mon enfance de la part de réalisateurs adorés de l'intelligentsia française qui m'ont incapacitée, qui m'ont rendus impossible d'inscrire ma confiance en un monde régenté par des adultes qui, en ce qui me concerne, dans l'univers du cinéma, n'ont fait qu'abuser de la confiance que je plaçais en eux. La société incestueuse du cinéma n'est que le reflet de notre société. Les mêmes mécanismes sont à l'œuvre.

Comme l'écrivait Sándor Ferenczi dans son article « Confusion de langue entre les adultes et l'enfant », le plus souvent, l'adulte abuseur n'est pas un inconnu pour l'enfant. C'est une personne de confiance : son père, son éducateur, son réalisateur. Lors d'une agression, le « premier mouvement » de l'enfant « serait le refus, la haine, le dégoût, une résistance violente. « Non, non, je ne veux pas, c'est trop fort, ça me fait mal, laisse-moi ! » Ceci, ou quelque chose d'approchant, serait la réaction immédiate si celle-ci n'était pas inhibée par une peur intense. Les enfants se sentent physiquement et moralement sans défense, leur personnalité encore trop faible pour pouvoir protester, même en pensée, la force et l'autorité écrasante des adultes les rendent muets, et peuvent même leur faire perdre conscience ».

Cette opération est coûteuse. L'enfant est plongé dans un état quasi hallucinatoire. La réalité est modifiée afin que l'enfant puisse maintenir la situation de tendresse antérieure. C'est-à-dire que l'adulte ne passe pas pour un agresseur à ses yeux. Ainsi, l'enfant peut rêver un adulte tendre à son égard. Moyennant l'identification, l'enfant s'approprie la culpabilité de l'adulte. Il pense que sa soumission mérite punition. Cela produit des enfants savants qui adoptent très facilement un rôle maternel à l'égard des adultes. Ils deviennent de véritables nurses à leur tour. Il s'opère un clivage de la personnalité de l'enfant, qui, d'une part, maintient son besoin de tendresse antérieur et, d'autre part, acquiert la langue de l'adulte et sa culpabilité. À ce sujet, Ferenczi parle de « fragmentation » et d'« atomisation » de la personnalité de l'enfant.

Tout cela, je l'ai vécu. L'amnésie de la victime peut être longue. Comme je l'ai dit si souvent ces derniers temps, moi, Judith, 51 ans, actrice, réalisatrice et mère de deux enfants, j'ai passé toute ma vie, depuis mes 14 ans, à repeindre la chambre en rose. Un réalisateur puis un autre firent de moi leur objet. Ils se disputaient l'enfant Judith. Et tout autour de nous, dans ce monde d'érudits, de savants et de génies, le silence, la permissivité de la société, la sacralisation de ces auteurs par les journalistes de cinéma, par les acteurs et actrices adultes. Des livres tout entiers les encensent. Les avez-vous parcourus, ces livres ? Je comprends : cela semble être une question étrange, naïve peut-être, mais elle est nécessaire pour illustrer ce déni sociétal, collectif, qui assure l'impunité des agresseurs. La société cultivée, capable de lire Gilles Deleuze et de le comprendre, ne sait pas interpréter les interviews de ces réalisateurs, en tirer des conclusions sur leur humanité ?

La société du cinéma a perdu la mémoire, la vision, l'ouïe. Mais, une fois encore, il suffirait de quelques-uns parmi les puissants pour autoriser les autres à recouvrer la mémoire, la vision, l'ouïe, pour donner l'exemple, dans notre société, dans le Gouvernement. Nous ne sommes pas tous des Martin Luther King, mais pouvons-nous au moins rendre leur image aux enfants fantômes, ceux qui s'éteignent comme autant de petites filles aux allumettes ? Qu'avez-vous fait du juge Durand ?

Je ne suis pas allée à l'école très longtemps, mais je sais que, lorsqu'un réalisateur se vante de se nourrir de l'histoire intime des enfants, glamourise le viol ou l'inceste, dévalorise la possibilité du non, il y a un problème. Que faisaient les érudits, les savants, les journalistes, les directeurs de cinémathèque et filmothèque, les ministres de la culture, les festivals, le CNC, Centre national du cinéma pendant tout ce temps ? Les dîners mondains, les soirées arrosées au champagne, les échanges de bons mots, les citations de Cioran et d'Althusser, l'entre-soi, nous savons faire. Quid de la morale, de notre sens des responsabilités ? Plus on transgresse, plus on est invité de nouveau. Tiens, il y en a même dont le nom est inscrit en doré sur le porte-serviette. Alors que tout le monde savait.

Comment, dans ce contexte, imaginer que les bouches des petites filles, des jeunes femmes, des jeunes hommes abusés puissent bouger pour exprimer autre chose que « pas de problème, oui, j'ai compris, je me tais » ? Que contiennent les souvenirs des petites filles et petits garçons dans le silence ? Des choses assez équivalentes à ce que vous pouvez voir dans les pages de ces livres sur ces réalisateurs que vous devriez feuilleter de nouveau. Récemment, une inconnue bienveillante m'envoie une photo de l'intérieur d'un livre sur un réalisateur avec qui j'ai travaillé. Les personnes qui ont publié ce livre ont cru bon d'inclure, à droite de l'éloge que fait de lui le producteur de La Désenchantée, une photo de moi, nue, face caméra, à 17 ans. Pourquoi ?

Je vous parle aujourd'hui et c'est comme si tout recommençait, ou si tout était à inventer. Combien vont devoir se succéder pour que la société regarde les choses en face ? Dans les rues de Paris, je marche, le 8 mars ; des jeunes filles, des femmes plus âgées se précipitent vers moi, me remercient, pleurent. Ont-elles, elles aussi, été abandonnées par la société ? Elles me serrent dans leurs bras avec l'énergie d'un espoir. Attendaient-elles la prochaine voyageuse privilégiée qui ose parler publiquement ? Celle qui, dans le rayon de lumière de la notoriété, a le privilège de pouvoir parler de l'ombre ? Oui, je suis privilégiée. Un privilège que j'ai décidé d'utiliser dorénavant à bonne fin.

Quand j'étais petite, je me disais souvent : « C'est pas grave, je ferai ça dans ma deuxième vie » ; « cette chose-là, je ne peux pas la dire, je la dirai dans ma deuxième vie ». Mais il n'y a pas de deuxième vie. C'est ici et maintenant. Le choc, les larmes, la bataille, la possibilité de ne plus travailler, être haïe par le milieu, le réalisme des procès en diffamation, tout cela n'a rien d'enviable. Mais ce n'est rien comparé à la peur des jeunes actrices, des enfants acteurs laissés seuls dans des pièces avec des directeurs de casting rabatteurs, des agents pour enfants sans licence – non obligatoire –, des réalisateurs tout-puissants qui volent l'intimité d'une enfant, l'endroit d'une histoire qu'elle n'a pas envie de partager lors d'un rendez-vous avec un étranger, mais que le réalisateur pille encore et encore pour nourrir ses scénarios.

Certains adultes se livrent dans notre société à la négation pure et simple des conduites incestueuses. Le silence de l'entourage de la victime est une négation des faits pour l'enfant. De la même manière, sur qui doit-on compter pour s'assurer que, dorénavant, aucun enfant ne sera victime de violences sexuelles ou morales sur un plateau ou lors d'un casting ? Allons-nous garder le silence ?

Moi, je compte sur vous. Je compte sur vous pour protéger les enfants, ne plus les livrer au cinéma sans aucune protection. Mais, vous le savez, ce sont les mêmes hommes, les mêmes systèmes que ceux de l'éducation, de la médecine, de l'édition ou que celui du sport, auquel vous avez consacré une commission d'enquête. Vous savez ce que fait le pouvoir aux femmes : il les viole. Les enfants ? Ils en disposent comme ils veulent.

Parlons concrètement. Un directeur de casting est un homme ou une femme qui peut, du jour au lendemain, décider d'être directeur de casting. Ce peut être le meilleur ami du réalisateur, sa meilleure amie ; il – ou elle – se trouve la plupart du temps seul dans une pièce avec un enfant. Un enfant seul face à cette autorité, cette promesse d'un rôle, cette excitation dans la famille : « Tu vas passer des essais, tu te rends compte ? Tu pourrais être comme telle ou telle star que tu aimes ! » Une petite fille à qui on demande de raconter sa vie ; mais pourquoi ? Est-elle chez son psy ? Non ! Qui sont ces étrangers qui veulent tout d'elle ? Elle se sent obligée ; et si elle n'avait pas le rôle, et si elle n'était pas choisie ? Elle serait déçue, sa famille serait déçue, ses copines seraient déçues.

Quelques jours plus tôt, dans la même pièce, une jeune femme majeure s'est retrouvée dans la même situation. Pas de texte, pas de dialogues. « Donne-nous toi ; qui es-tu, parle-nous de ta sexualité, as-tu un petit ami ? » Suivant les réponses, la fragilité, un homme est appelé. Parfois, il est déjà là. Parfois, il est déjà trop tard. Ensuite, il est encore trop tard. L'emprise, l'autorité, la peur. Mais je ne vous apprends rien, nous le savons depuis des décennies.

En grandissant, je me pensais mauvaise, sale, coupable. Je sais maintenant que je n'ai rien fait. Mais la société est coupable, parce qu'elle les adule, parce qu'elle les soutient, parce qu'elle les protège. Notre société et ces hommes-là.

Pour finir, je vais vous lire Le Petit Chaperon rouge, dans la version de Perrault, qui donne la clé de cette métaphore très ancienne de la dévoration d'un enfant par un loup, avec vérité et subtilité. « On voit ici que de jeunes enfants,/ Surtout de jeunes filles/ Belles, bien faites, et gentilles,/ Font très mal d'écouter toutes sortes de gens,/ Et que ce n'est pas chose étrange,/ S'il en est tant que le loup mange./ Je dis le loup, car tous les loups/Ne sont pas de la même sorte ;/ Il en est d'une humeur accorte,/ Sans bruit, sans fiel et sans courroux,/ Qui, privés, complaisants et doux,/ Suivent les jeunes demoiselles/ Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles./ Mais, hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,/ De tous les loups sont les plus dangereux ? »

Je me permets de vous demander de prendre l'initiative d'une commission d'enquête sur le droit du travail dans le monde du cinéma, en particulier ses risques pour les femmes et les enfants.

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Merci infiniment pour ces mots ; merci, madame Judith Godrèche, d'être parmi nous. Vous vous livrez depuis quelque temps à un exercice difficile. Nous entendons votre cri et vos demandes.

Je retiens d'abord que vous nous dites compter sur nous pour protéger les enfants, aujourd'hui et demain. En tant que députés, nous avons trois missions : représenter, légiférer et contrôler l'action du Gouvernement. En vous auditionnant, il est certain que nous visons à changer les choses. J'espère que votre audition contribuera à nous donner des éléments pour le faire.

Vous avez établi un parallèle avec d'autres secteurs où les mêmes agissements peuvent avoir lieu. Dans le monde du sport aussi, de jeunes enfants éloignés de leur famille peuvent en être la proie. De votre point de vue, quelles actions concrètes permettraient de les protéger ?

Une autre piste consiste à développer davantage l'éducation des enfants à la vie sexuelle et affective. Quels éléments faudrait-il y inclure pour que les enfants puissent se protéger et être protégés par les adultes ?

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Lors de votre audition au Sénat, vous avez décrit la fascination exercée sur les jeunes, mais aussi sur les parents, par le monde de paillettes qu'est le cinéma et que peuvent être d'autres milieux, alors même qu'aucun garde-fou n'est instauré. Quel garde-fou attendez-vous, vous qui connaissez ce monde mieux que nous ?

Y a-t-il une manière de sensibiliser les mineurs et leurs parents vis-à-vis de ces milieux artistiques ? Que préconisez-vous pour mieux les accompagner ?

Pensez-vous que la libération actuelle de la parole va faire évoluer le milieu du cinéma ? Avez-vous déjà constaté une évolution ? Comment y faire mieux respecter les droits des mineurs ?

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Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine

Tout d'abord, je pense vraiment qu'un enfant n'est pas en mesure de se protéger dans ce cadre-là, celui d'un rapport d'autorité et de pouvoir, quelle que soit l'éducation sexuelle qu'il a reçue. Il n'y a pas de prévention qui donnerait à un enfant la capacité de se défendre.

Par ailleurs, quand il s'agit de mineurs, il y a une double dépendance et un double fantasme : d'un côté, le désir du producteur, du réalisateur, leur pouvoir de séduction ; de l'autre, les parents, qui peuvent être impressionnés, séduits, souhaiter le succès de leur enfant, sans savoir exactement ce qui se passe dans le milieu du cinéma.

Il n'y a aucune formation obligatoire pour faire passer un casting à un enfant, aucune différence entre un directeur de casting selon qu'il voit des adultes ou des enfants. Ces personnes n'ont aucune formation psychologique, elles s'adressent à un enfant comme à un adulte. Quand un parent ne peut pas accompagner son enfant parce qu'il ou elle travaille à temps plein, l'enfant prend le métro sans eux pour aller faire son casting seul. Même quand les parents accompagnent leur enfant, ils ne sont jamais dans la pièce avec lui : il se retrouve seul avec le directeur de casting.

Il serait important d'imposer qu'il y ait une tierce personne en permanence dans cette pièce avec ce directeur de casting qui, comme je l'ai dit, peut être absolument n'importe qui. Vous êtes un aventurier qui a envie de se reconvertir, un ami réalise un film et vous propose de vous occuper du casting : vous pouvez aller attendre devant le lycée Victor-Hugo pour voir s'il y a des jeunes filles qui correspondent au profil du rôle et les aborder en disant « vous aimeriez jouer dans un film » ? Combien de jeunes filles vous diront non ? Probablement aucune. Et c'est comme ça qu'une histoire se raconte, et cette histoire n'est pas toujours drôle.

Pour les agents qui représentent des enfants, il n'y a plus de licence obligatoire. Si demain vous avez envie de devenir agent pour enfants, c'est possible. Aucun risque que l'on vous retire votre licence si vous vous comportez mal, puisqu'il n'est pas nécessaire d'en avoir une. On peut s'improviser agent pour enfants comme directeur de casting, et, de nouveau, se retrouver seul dans une pièce avec un enfant, expliquer aux parents ce qu'il est nécessaire de faire – pourquoi refuser ? En fonction de votre intérêt, de votre moralité, de votre influence sur ces parents qui ne savent pas tout de la manière dont les choses se passent, vous pouvez leur raconter n'importe quoi.

Mais, au-delà de ces deux problèmes, la famille du cinéma est une famille coupée du monde extérieur, entourée d'une aura de magie et de mystère. On ne voit rien, parce qu'on ne veut rien voir. Cette famille doit regarder ses erreurs en face et accepter de se remettre en question. Si nous voulons voir se lever enfin un jour nouveau, les personnes à la tête d'institutions comme le CNC – j'y reviens – doivent se comporter de manière exemplaire, irréprochable. Car cette industrie est malade : malade de son manque de respect envers les enfants et les femmes, malade de ses violences sexistes et sexuelles, qui se reproduisent chaque jour.

Je vais vous faire part de mes préconisations. D'abord, comme je le disais, rien n'encadre le casting. Le collectif 50/50, qui m'a fait parvenir des documents me permettant de prendre la mesure de cette lacune, propose de rédiger, en association avec des syndicats de la profession, des chartes de bonne conduite destinées aux établissements accueillant les castings, notamment les écoles et les centres de loisir. En effet, si vous vous présentez en tant que responsable de casting à une directrice d'école en lui demandant l'autorisation de vous entretenir avec des enfants et de les filmer dans une salle de classe, il est probable qu'elle ne se pose pas trop de questions. Elle ne sait pas que le cinéma est une industrie dans laquelle se passent des choses terribles avec les enfants : pourquoi s'opposerait-elle à ce qu'un réalisateur, ayant pignon sur rue, fasse réaliser un casting dans son école ? Mais ce qui se passe ensuite dans la salle de classe, personne ne le sait.

Il faut donc sensibiliser les responsables de ces établissements et les avertir que, lorsqu'ils sont sollicités de la sorte, un système d'encadrement devrait être instauré. Peut-être la Drieets (Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) devrait-elle être sollicitée dès cette étape préliminaire. Il arrive souvent que des réalisateurs entreprennent un casting avant même d'avoir un budget et des enfants peuvent être auditionnés pour un projet de film qui n'aboutira jamais.

Quand on cherche un enfant pour un rôle, on choisit en fait deux enfants, au cas où la Drieets ne délivrerait pas l'autorisation pour le premier choix, un autre enfant est désigné comme deuxième choix. Si cela peut se justifier, il faut prendre la mesure de ce que cette position de deuxième choix peut avoir de déstabilisant, pour des enfants, ces petits êtres humains, qui investissent leur dans la possibilité d'être pris : l'attente et, éventuellement, la déception. Si cette pratique persiste, il faudrait un accompagnement psychologique pour ces enfants du deuxième choix, du non-choix.

Sur un tournage, la présence d'un coach formé pour accompagner les enfants n'est pas obligatoire. Ce rôle peut être joué par un stagiaire, un troisième assistant-réalisateur, sans aucune formation spécifique, notamment en psychologie. Il n'y a pas même d'obligation que quelqu'un soit simplement là pour l'enfant.

Quand un enfant doit jouer un rôle émotionnellement très difficile, aucun soutien psychologique n'est prévu pour les jours qui suivent le tournage. Mais une transition serait peut-être nécessaire, avant le retour à la vie normale, pour qu'il puisse comprendre que c'est terminé, que ce n'était qu'un rôle. Lors d'un casting, on peut poser à un enfant des questions très intrusives sur sa vie privée, ou des questions très difficiles, sur des sujets de société : comment peut-il comprendre qu'on les lui pose ? Absolument tout est possible.

Quand un réalisateur a choisi un enfant pour un rôle, il doit déposer un dossier à la Drieets. Ce sont souvent les assistants de production – parfois même des stagiaires – qui le constituent. Le collectif 50/50 propose qu'il faille y ajouter des attestations sur l'honneur, pour les productrices et les producteurs comme pour les réalisatrices et les réalisateurs, qu'ils ont pris connaissance des horaires autorisés et du cadre légal du travail des mineurs, et qu'ils s'engagent à adopter des protocoles adaptés spécifiquement aux enfants.

Il faudrait également que les scénarios soient lus par des coordinatrices d'intimité – dont la présence sur un tournage, à l'heure actuelle, n'est même pas obligatoire – afin d'analyser les situations nécessitant un traitement particulier, au-delà des seules scènes de nudité et de représentation de la sexualité.

Cela ne changera pas le monde, mais impliquerait les producteurs et les réalisateurs et susciterait, sur cette question du traitement des enfants souvent vue sous le seul prisme négatif des horaires de travail, des réflexions qui pour le moment arrivent trop tard et sont trop réduites. La présence d'un coordinateur d'intimité, d'un coach, devrait être obligatoire tout comme celle d'un répétiteur formé pour le travail avec des enfants. D'autres problèmes existent encore, comme celui des demandes de dérogation pour le travail de nuit.

On m'a souvent dit une chose qui me paraît extrêmement choquante : sur les tournages, les dresseurs d'animaux sont plus écoutés que les personnes qui encadrent les enfants…

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« On ne peut pas ignorer la vérité parce qu'il ne s'agit pas de notre enfant, de notre fils, notre fille. On ne peut pas être à un tel niveau d'impunité, de déni et de privilège, qui fait que la morale nous passe par-dessus la tête. Nous devons donner l'exemple. […] Vous savez, pour se croire, faut-il encore être crue. » Ces mots, Mme Judith Godrèche, ce sont les vôtres, prononcés à l'occasion de la quarante-neuvième cérémonie des Césars, le 23 février dernier.

Nous vous croyons, et nous croyons les victimes. Je vous remercie d'avoir pris la parole avec courage pour dénoncer les abus que vous avez subis. Votre témoignage salutaire éclaire l'opinion publique sur la notion de consentement et encourage la libération de la parole. Les violences sexuelles contre les enfants sont un fléau qui touche tous les milieux sociaux et toutes les catégories d'âge. Particulièrement vulnérables face à ces agressions, les enfants ont du mal à comprendre ce qui leur arrive, à exprimer leur consentement et, par la suite, leur souffrance. Les agresseurs se servent de cette vulnérabilité pour instaurer leur emprise sur leurs victimes, en utilisant menaces, chantages et promesses. Ces violences sexuelles contre les femmes et les enfants sont également préoccupantes lorsque l'emprise prend la forme d'un contrôle permanent, pouvant conduire à l'isolement social et économique de la victime.

La lutte contre les violences sexuelles est une priorité absolue, la grande cause du Gouvernement et de ce quinquennat. De grands progrès ont été accomplis depuis 2017, grâce à l'engagement de la société tout entière, de nos forces de l'ordre, mais aussi de notre justice, qui doit être plus rapide, plus efficace, mieux formée, plus sévère.

Votre cas n'est pas isolé, madame Judith Godrèche, mais le produit de tout un système basé sur la domination, la complicité, l'impunité. Nous devons y mettre fin et agir ensemble pour protéger les enfants et les jeunes femmes. Nous devons également agir pour changer les mentalités et promouvoir une culture du respect et de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Afin de sensibiliser l'opinion et de mieux protéger ces personnes exposées à la violence, comment pourriez-vous définir les contours du consentement de la victime – ou plutôt de l'absence de ce consentement – dans ces situations rencontrées dans des milieux comme celui du cinéma, là où se joue nécessairement une question d'intimité ?

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La familia grande du cinéma – et bien au-delà du cinéma – continue de se protéger : on le voit au peu de soutien que vous avez reçu à la suite de votre courageux témoignage et à certaines déclarations honteuses qui ont tenté de le salir. Auprès des réalisateurs que vous avez dénoncés, vous avez probablement vécu la pire époque : celle qui, issue du libertarisme post-soixante-huitard, ne souffrait aucune barrière ni aucun interdit et que Camille Kouchner a si bien décrite dans son livre La Familia grande. Époque qui pétitionnait, dans les années soixante-dix, en une de Libération, pour défendre les pédophiles poursuivis par la justice, ou dans Le Monde, en 1977, pour défendre les relations sexuelles entre adultes et enfants. C'est un extrait d'un documentaire très complaisant de Gérard Miller – aujourd'hui accusé de violences sexuelles par plus de soixante femmes –, dans lequel il interroge Benoît Jacquot, qui vous a décidée à prendre la parole.

Vous nous dites que des mineurs, lors de castings ou sur des plateaux de cinéma, souffrent d'abus, d'attouchements ou de gestes déplacés, comme vous en avez vous-même fait l'expérience sur le tournage du film La Fille de quinze ans. Ce que vous avez vécu pourrait-il se reproduire sans que personne ne réagisse ?

Je soutiens par ailleurs votre demande de création d'une commission d'enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma : la protection des enfants qui évoluent dans les milieux artistiques ne doit pas échapper à la loi.

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Madame Judith Godrèche, je voudrais d'abord vous dire merci pour les petites filles, merci pour les punks, merci pour le petit chaperon rouge, merci surtout pour votre courage, qui nous donnera, je l'espère, celui de tourner la page de ce vieux monde qui n'en finit pas de finir. J'avais douze ans, comme Charlotte Gainsbourg, à la sortie de Lemon Incest – je n'ai jamais trop aimé cette chanson que tout le monde trouvait si délicieusement transgressive, mais j'ai encore le vinyle à la maison. J'avais dix-sept ans, comme Vanessa Paradis, à la sortie de Noce blanche, film de Jean-Claude Brisseau qui raconte les amours de Mathilde – Vanessa Paradis, seize ans au moment du tournage – et de son prof de philo, joué par un Bruno Cremer de soixante ans. Je me rappelle à ma grande honte avoir adoré le film. Nous avons grandi dans ce monde-là, où une petite fille appelée Jeanne, qui aura cinquante ans le mois prochain, pouvait chanter à pleine voix, avec des adultes, qui n'y trouvaient pas malice, Jeanneton prend sa faucille, une histoire rigolote de viol en réunion, dans laquelle « les hommes sont des cochons » et « les femmes aiment les cochons. »

J'avais des dizaines de questions, j'en ai retenu deux, et une requête. Voici la première. Jacques Doillon porte plainte contre vous pour diffamation. Il s'agit là d'une énième procédure bâillon, arme habituelle des agresseurs dont on a pu mesurer la terrible efficacité lors de l'affaire Johny Depp contre Amber Heard, même si chez nous la procédure ne finit pas toujours bien pour le plaignant. Une récente tribune appelle à légiférer sur le modèle des lois anti-Slapp (contre les poursuites abusives ciblant les voix critiques) états-uniennes ou canadiennes. Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet ?

Deuxième question : vous avez indiqué lors de votre audition au Sénat que la ministre de la culture vous avait transmis une invitation du Président de la République, mais que cette rencontre n'avait pas eu lieu. Depuis lors, Emmanuel Macron vous a-t-il reçue ? Si oui, était-ce pour une photo ou pour une vraie conversation ?

Enfin la requête : lors de cette même audition, vous avez déploré la décision de retirer Édouard Durand de la tête de la Ciivise Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants pour la laisser « s'échoir sur le sable, mort-née ». Nous sommes nombreux à penser que le juge Durand doit reprendre la direction désormais vacante de cette commission indépendante. Pouvez-vous nous aider à en convaincre le Président et sa nouvelle ministre déléguée, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles ?

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Madame Judith Godrèche, je tiens à vous dire merci, merci pour votre engagement ; merci pour la force de votre témoignage, y compris très récemment lors de la cérémonie des Césars ; merci d'avoir pris la parole pour briser le tabou entourant les VSS Violences sexuelles et sexistes contre les femmes et contre les mineurs. Cette parole est nécessaire et précieuse pour que la société se saisisse de ces sujets. Vos interventions, ainsi que la publication du rapport de la Ciivise Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, en novembre 2023, m'ont conduite à déposer une proposition de loi pour rendre imprescriptibles les crimes et délits sexuels contre les mineurs. Je remercie d'ailleurs vivement les présidentes Véronique Riotton et Perrine Goulet, et tous les autres députés qui ont apporté leur soutien à ce texte. Plusieurs collègues de nos délégations respectives se sont intéressés aux conclusions de ce rapport. Sur les 27 000 témoignages recueillis par la Ciivise, savez-vous combien se rapportaient à des faits prescrits ? Les trois-quarts, 75 %, c'est énorme ! Alors que ces méfaits ont brisé des vies, les victimes n'obtiendront jamais justice, étape pourtant nécessaire dans leur processus de reconstruction.

L'allongement du délai de prescription par notre parlement a marqué un progrès, qui reste toutefois insuffisant. Ma proposition reprend l'une des principales recommandations issues des travaux de la Ciivise, menés sous la conduite du juge Édouard Durand. Dans les médias et devant nos collègues sénateurs, vous avez eu des mots très élogieux à son égard, soulignant son implication sans faille pour défendre les enfants et recueillir la parole des victimes. Le travail collectif du juge et des autres membres de la Ciivise, a été précieux pour recenser les problèmes liés aux violences sexuelles contre les mineurs. Je regrette donc que la Ciivise fasse à présent l'objet de polémiques, que le juge Durand ait été débarqué et qu'en conséquence cette commission travaille au ralenti.

J'aimerais connaître votre avis concernant la prescription. Avez-vous eu l'occasion d'échanger avec le juge Durand à ce sujet ?

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Comme mon collègue Léo Walter, je suis touché par votre témoignage, madame Judith Godrèche, et un peu gêné : adolescent, puis jeune adulte – j'ai presque le même âge que vous – j'ai beaucoup aimé les films dans lesquels vous jouiez. Vos révélations ont été une sorte de cataclysme, laissant comme une blessure, une incompréhension : se dire que ces films qu'on a aimés, croyant en toute innocence voir des œuvres de cinéma, n'étaient pas que cela pour vous, c'est assez terrible. Vous êtes d'un courage absolu, vous n'êtes pas la première : Adèle Haenel avait également eu des mots forts pour dénoncer certaines choses, nous étions en 2019. Nous voilà en 2024, rien ne semble avoir vraiment bougé dans le milieu du cinéma. Autant les révélations liées au mouvement international #MeToo paraissent avoir provoqué une prise de conscience dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, autant le monde du cinéma français me donne l'impression d'être resté au milieu du gué.

Organiser une commission d'enquête serait bien sûr nécessaire : elle nous révélerait certains problèmes. Mais nous pouvons d'ores et déjà travailler sur plusieurs points : le droit des enfants dans le cinéma doit être revu de la cave au grenier. Normalement, il y a des règles. Pourquoi sont-elles insuffisantes ? Comment se fait-il que les enfants ne soient pas accompagnés ? Qu'un enfant se retrouve seul avec un adulte me paraît complètement saugrenu. Un tel cas de figure n'est pas censé être possible et ne devrait plus l'être ! Il faut donc que nous légiférions vite à ce sujet, notamment pour donner un statut aux agences de casting pour enfants, qui doivent évidemment avoir une licence ; encadrer le métier de directeur de casting, en imposant des règles, une obligation de formation et de qualification me semble également important.

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Merci, Madame Judith Godrèche. Votre témoignage vient en compléter d'autres : en osant témoigner, vous avez eu le même courage que Sarah Abitbol dans le milieu du sport ou Vanessa Springora. Il y a quelques mois, Le Consentement avait été projeté à l'Assemblée nationale à l'initiative de Perrine Goulet. À la fin du film, nous étions toutes et tous K.O. Comme j'étais ministre à l'époque, Perrine Goulet m'avait proposé gentiment de prendre la parole : je n'avais pas su quoi dire. Après réflexion, je me dis que ce film doit peut-être constituer une sorte de jalon des progrès que nous avons faits et indiquer ceux qui nous restent à faire. Il montre en effet une faillite collective : à l'époque, ni la maman, ni la police, ni les services d'éducation n'ont su accompagner cette jeune fille dans ce qu'elle vivait.

On parle beaucoup de l'enfant, mais peu des parents. Comment les accompagner et les prévenir ? Quelle doit être leur place auprès de l'enfant, quand il rentre dans un monde un peu particulier, comme celui du spectacle ou celui du sport ? Il nous faut aussi évoquer cette place. Le Consentement peut servir d'outil pédagogique pour donner à voir à quel point la faillite a été collective. Ce film m'a profondément marquée, je pense à l'image du plateau de Bernard Pivot en train de rigoler avec… Je ne crois pas qu'on puisse voir de telles images à la télévision en 2024 – j'ose l'espérer, mais je n'en suis pas certaine.

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Madame Judith Godrèche, comme mes collègues vous l'ont dit : merci – mais cela, on vous l'a répété mille fois depuis votre courageuse prise de parole. J'ai écouté attentivement votre audition au Sénat, vous l'avez dit, souvent explicitement, parfois de façon plus implicite : vous attendez des actions concrètes.

Nous avons l'honneur de recevoir votre parole à l'Assemblée au sein de la délégation aux droits des enfants. Une telle délégation n'existe pas au Sénat, malgré les demandes de plusieurs sénateurs et sénatrices qui s'investissent à ce sujet. Lors de votre audition au Sénat, vous avez dit une chose qui m'a beaucoup marquée. Travaillant sur les questions de droits et de protection des enfants, je me suis sentie particulièrement en phase avec une image que vous avez utilisée : filles et garçons, les enfants qui dénoncent, arrivent avec leur sac à dos chargé de vérités lourdes à porter, de violences subies, de paroles écrasées. Ils ont transporté ce sac à dos péniblement et l'ont ouvert douloureusement face à nous, adultes – parents, frères ou sœurs, enseignants, médecins, juges, policiers ou gendarmes, ou responsables politiques – et, dans l'écrasante majorité des cas, nous ne savons qu'égarer ces sacs à dos, du moins jusqu'à présent. Je pense – j'espère ne pas être la seule – que les temps ont changé, que nous n'avons plus envie de les perdre, mais de permettre à leur contenu de se dire et à celui ou celle qui l'a transporté jusqu'à nous de parler. « Je te crois, je te protège. » Le juge Durand et la Ciivise nous ont ouvert et montré la route, encore longue et sinueuse sans doute, mais loin d'être impraticable. Pour avancer sur ce chemin, mon équipe parlementaire et moi-même soumettons à signature une demande de commission d'enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. Nous avons également déposé, comme ma collègue Virginie Duby-Muller, une proposition de loi visant à rendre imprescriptibles les viols, les agressions et atteintes sexuelles commis contre les mineurs.

Ma question est la suivante : sur la longue route qui s'annonce, comment imaginez-vous votre action et votre contribution, bien qu'elles aient déjà été immenses ?

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Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine

J'ai vécu les onze dernières années aux États-Unis, où j'ai travaillé comme actrice, participant au tournage de films américains, de tout petits et de très gros. Dans les deux cas, quand, actrice ou acteur, vous jouez un rôle dans une scène dont le scénario dit par exemple : « Juliette fait l'amour avec Paul. » en décrivant, parfois en détail, parfois sommairement, ce qui sera alors mis en scène au moment du tournage, vous en discutez avec votre agent, et avec votre avocat si vous en avez un, chose assez courante là-bas, avant de signer un contrat qui spécifie chacune des parties de votre corps que vous acceptez de montrer dans cette scène d'amour, de sorte qu'à votre arrivée sur le tournage, le réalisateur ne peut pas vous dire, tout à coup : « Bah non, je préfère que tu enlèves ta culotte. » Sans quoi, au moment où vous vous retrouvez, même adulte, devant une équipe de cinéma, la pression des délais et du budget fait que vous n'avez pas le temps de discuter, de bavarder : producteur et directeur de production, installés derrière le combo, tapotent leur montre d'un air de dire : « Faut y aller, là ! », sinon il y aura des heures supplémentaires, etc. Quelle responsabilité d'être la personne qui va bavarder, négocier, essayer de résister à cette demande et prendre du temps.

L'existence d'un cadre, voilà la question récurrente et la raison pour laquelle il était important pour moi de venir vous voir : comment faire entrer la loi sur un tournage ? Pas la loi des parents. Quand on est enfant, on identifie la loi aux parents, mais sur un tournage, la loi ce n'est pas les parents.

Quand je suis dans la maison de Jane Birkin, toute seule avec Jacques Doillon, et qu'il prend des notes et m'enregistre pour nourrir son scénario, ma maman n'est pas avec moi dans la pièce. Quand j'ai 15 ans, je me rends toute seule à une adresse qu'on me donne, car comment puis-je savoir ce qui va m'arriver ? Mais il est déjà trop tard : je suis déjà dans un système dans lequel je ne peux pas identifier la possibilité du non. On ne m'a pas donné les clés.

C'était le cas à l'époque mais, que l'on soit après 1968 ou en 2024, il faut mesurer la puissance du réalisateur et d'une équipe qui est elle-même en danger : la première ou la deuxième assistante n'est pas une personne mauvaise, mais si elle intervient en disant : « Non, mais ça ne va pas ? Elle ne veut pas enlever sa culotte ! », elle va peut-être perdre son boulot. Peut-être va-t-elle d'ailleurs décider de quitter le plateau. Mais c'est un petit milieu, une petite industrie : on est dépendant du prochain coup de fil – c'est vrai aussi bien pour les actrices que pour les techniciens.

Et que font les techniciennes aujourd'hui ? Vont-elles ensemble parler au CNC ou avec vous ? Non, elles s'organisent toutes seules et mettent en place des groupes de discussion. Les femmes se débrouillent toutes seules. Pourquoi ? Combien faut-il de femmes pour être entendues par un homme ? Combien en faut-il pour qu'on nous croie lorsque l'on dit qu'un homme connu et puissant nous a agressée ?

Aux États-Unis, il y a un grand intérêt pour les tueurs en série, au sujet desquels on écrit beaucoup de livres et l'on fait beaucoup de films. Dans le fond, un violeur en série c'est la même chose : c'est un homme qui viole une fois, deux fois, trois fois…

Je ne suis pas unique et j'en sais trop. J'en sais beaucoup, beaucoup trop. C'est un poids et une souffrance pour moi, mais surtout pour celles qui se sont confiées à moi. Elles l'ont fait non pas parce que je suis toute-puissante, mais parce que je suis privilégiée : je peux m'exprimer en public et j'ai la chance d'être invitée ici. À travers moi, elles ont un tout petit espoir d'être entendues.

Même quand nous sommes deux, trois ou quatre, nous avons toujours peur. Il y a en effet en permanence la menace d'un procès en diffamation. De jeunes étudiantes en théâtre m'ont parlé d'une jeune fille qui se retrouve avec un tel procès. Tout le monde n'a pas les moyens de se payer une avocate. Évidemment, des associations merveilleuses aident, mais il y a tellement d'abus sexuels !

Je considère la France avec une perspective un peu singulière, puisque je reviens des États-Unis, où j'ai vécu. Les 5 000 messages que j'ai reçus à ce jour sont une porte ouverte sur l'enfer. On est obligé de vivre notre vie de tous les jours, en nous levant, nous habillant et en travaillant, sans pouvoir passer notre journée à penser à ce qui se passe à côté de nous ; il est difficile de consacrer sa vie à cette souffrance.

Certains le font très bien, avec un amour de l'humanité, un respect des enfants et une sincérité qui ont la puissance d'une foule. Édouard Durand est une personne rare – et c'est peut-être parce qu'elle est si rare qu'elle n'est plus à la tête de la Ciivise… Je ne m'explique pas pourquoi il en a été écarté. Je n'étais pas en France lorsque la Ciivise a été créée et j'ai découvert Edouard Durand parce qu'on m'a dit qu'il était important que je le rencontre. Je ne suis pas en mesure d'analyser pourquoi une personne aussi exceptionnelle n'est plus à même d'aider ceux qu'elle aidait.

En revanche, je suis tout à fait capable de comprendre pourquoi les femmes qui m'écrivent ont peur de s'exprimer, dans quel cercle vicieux elles se trouvent et comment elles sont obligées de s'organiser et de réfléchir toutes seules.

La colère d'Adèle Haenel est absolument légitime. Elle avait tellement raison d'être en colère. Mais, malgré elle et c'est horrible, la manière dont elle s'est exprimée a donné la possibilité à ceux à qui elle posait problème de s'abriter derrière cette colère pour désavouer sa parole. Car lorsque l'on est une femme et que l'on est en colère, il est impossible d'être entendue. C'est pourquoi, même si je suis aussi très en colère, très, très en colère, je parle doucement et je m'exprime différemment. Mais cela ne veut pas dire que je ne comprends pas Adèle Haenel, que je ne l'entends pas et que je ne la porte pas d'une certaine manière en moi.

Et je comprends qu'elle soit partie. Moi-même, je me demande tous les matins si je ne devrais pas faire autre chose que du cinéma. Pourquoi continuer à travailler dans un milieu qui ne veut pas se remettre en question ?

Les acteurs et les actrices, les techniciens et les techniciennes, les producteurs et les productrices ne sont des gens malintentionnés. Il faudrait créer un cadre qui leur donne la possibilité de parler. Si on sait qu'une autre a porté plainte, on peut décider de le faire aussi, car on sait qu'un cadre existe, que quelqu'un va recueillir notre parole et qu'on ne va pas se faire virer de son travail. Et s'il y a un endroit pour porter plainte, c'est la brigade des mineurs.

Je suis terriblement privilégiée. Je suis allée directement à la brigade des mineurs, grâce à mon avocate qui s'est battue et parce que je suis une personne connue. Mais des enfants, des jeunes, des femmes et des hommes vont au commissariat et passent neuf heures à raconter leur histoire ; puis ils attendent un rendez-vous à la brigade des mineurs et peuvent rester sans nouvelles pendant des mois et des mois – parce qu'il n'y a pas assez de crédits ni d'effectifs. Je sais, parce que je le vis, qu'une enquête prend du temps, implique beaucoup de gens et d'actes. Il a tellement d'abus sexuels et de viols que les choses vont forcément prendre un temps fou.

Je ne pense pas pouvoir vous aider à avoir quelque influence que ce soit auprès d'Emmanuel Macron quant à sa décision concernant la Ciivise. Ma voix porte très peu quand il s'agit d'être entendu par M. le Président de la République.

J'ai évoqué une chose qui me paraît être de l'ordre du raisonnable, c'est-à-dire donner l'exemple. M. Dominique Boutonnat est accusé d'abus sexuel et de viol par son filleul et ce n'est pas quelqu'un d'irremplaçable – je ne le suis pas non plus. On pourrait nommer quelqu'un sur lequel ne pèsent pas de telles charges.

Je discute avec des associations comme le Collectif 50/50 et avec les syndicats représentant les agents et ceux qui s'occupent des castings – dont l'association des responsables de distribution artistiques (Arda). Il est évident qu'il est compliqué d'aller parler au CNC des questions d'agressions sexuelles alors que cette institution est présidée par quelqu'un qui fait l'objet de telles accusations.

La présomption d'innocence s'applique, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Nous parlons d'une révolution nécessaire à l'intérieur d'une société, celle du cinéma, au sein de laquelle tellement de plis ont été pris. La toute-puissance des réalisateurs est absolument réelle. Elle ne se limite pas aux années de ma jeunesse : elle est encore présente aujourd'hui. Les histoires qu'on me raconte ne datent pas toutes des années 1980 ou 1990 : cela fait trente ans qu'elles se reproduisent inlassablement de la même manière.

C'est un système féodal, au sommet duquel se trouvent le réalisateur et le producteur.

Les gens n'osent pas prendre la parole, mais ils ont raison ; je les comprends ; ce n'est pas parce qu'ils manquent de courage.

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Madame Judith Godrèche, merci d'avoir apporté votre témoignage après celles qui sont venues avant vous – dont notamment Adèle Haenel.

En vous entendant, je pense au poème « Héritage » de Rupi Kaur : « je suis debout / au-dessus des sacrifices / d'un million de femmes avant moi / me disant / que puis-je faire / pour rendre cette montagne plus haute / pour que les femmes après moi / puissent voir plus loin ».

Merci d'avoir rendu notre montagne plus haute en osant parler publiquement.

Si nos deux délégations vous entendent conjointement, c'est bien parce qu'il y a un lien entre les droits des femmes et ceux des enfants. Ils subissent partout la même domination, la même violence et le même contrôle sur leur corps. Dans le cinéma comme ailleurs, c'est un système, c'est notre société et notre responsabilité collective. La spécificité du cinéma est d'être un miroir de nos cultures et une loupe grossissante de nos représentations.

Depuis vos prises de parole ces dernières semaines, sentez-vous que l'industrie du cinéma est prête à bouger et à se remettre enfin en question ?

Vous avez parlé de révolte et nous pouvons légitimement nous révolter, pour faire respecter nos droits, dont celui d'exister librement, sans peur et sans contrôle. Depuis #MeToo, j'ai le sentiment que la parole a enfin été entendue mais que le grand chamboulement que nous attendions n'est pas arrivé.

Sommes-nous sur le point de le voir s'opérer ? Ne sommes-nous pas à la deuxième phase de #MeToo ? Après l'écoute, l'heure n'est-elle pas à l'action ? Une action qui doit être menée de manière systémique par le Gouvernement, en y mettant les moyens nécessaires, pour que plus aucune femme ou homme, plus aucune petite fille ou petit garçon n'ait à se dire qu'il lui faudrait une deuxième vie pour pouvoir la vivre librement et que notre société l'a abandonné.

Enfin, comme vous êtes, vous aussi poursuivie pour diffamation, je souhaite que nous ayons une pensée pour les militants et militantes féministes, notamment pour Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu qui, en ce moment même, comparaissent devant la 17e chambre du tribunal judiciaire pour diffamation dans l'affaire Christophe Girard. À défaut de pouvoir les accompagner, nous pouvons leur envoyer une pensée de soutien.

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Merci pour votre parole, votre courage et votre colère. Votre histoire m'a d'autant plus bouleversée qu'elle s'est déroulée en partie sous mes yeux, comme sous ceux de l'ensemble de la société, qui a laissé faire. En effet, tout le monde savait.

C'est même pire. Comme Vanessa Springora, vous révélez une forme de droit d'agresser de l'artiste au nom de l'excellence de son art, tandis que l'on déguise sa victime en muse. Il y a une forme totalement intolérable de glamourisation des abus afin de les justifier.

Cela pose la question de la pose d'un cadre protecteur pour les enfants-artistes au sein d'une société où l'on aime tant les prodiges – dans le cinéma, la musique, le sport ou la danse. On les jette dans une vie d'adulte avec des adultes, sans qu'ils aient les armes pour y faire face. Cela les place dans une position d'extrême fragilité, propice à l'influence, à l'emprise et à la violence. Vous avez eu ces mots terribles : « Un enfant qui a eu peur aura peur toute sa vie. »

La loi ne prévoit pas de suivi de la pratique professionnelle des enfants-artistes, ni d'assistance sociale pour prévenir les risques. Vous avez évoqué des pistes intéressantes, en relevant notamment le manque flagrant d'exigence du cadre des castings et en proposant d'imposer la présence d'un référent pour l'enfant lors des tournages. Pourriez-vous détailler davantage cette idée d'accompagnement pratique ou psychologique, afin de nous aider à légiférer ? Les milliers de témoignages que vous avez reçus – qui n'émanent probablement pas seulement du milieu du cinéma – vous ont-ils orientée vers d'autres pistes ?

Je ne connaissais pas le milieu du cinéma et j'ai découvert que les autorisations de tournage pour un mineur de 16 ans relevaient seulement du préfet, par l'intermédiaire de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass). Ne pourrait-on pas imaginer un mécanisme qui permette d'anticiper davantage le risque, en conditionnant l'octroi d'une autorisation à la réalisation d'une enquête sur les risques psychosociaux, en ce qui concerne tant l'équipe que le réalisateur qui fait la demande ?

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Vous avez dit que les enfants ou les mineurs souffrent aujourd'hui d'abus, d'attouchements et de gestes déplacés lors des castings et sur plateaux de cinéma. Est-ce encore vraiment le cas ? Ce qui vous est arrivé sur le tournage de La fille de 15 ans pourrait-il arriver de nouveau sans que quelqu'un ne réagisse ?

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Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine

Je pense précisément que pour que les informations ne viennent plus de moi mais que vous les ayez directement, il serait nécessaire que je vous fasse parvenir tous les documents et les contacts afin d'aller vite. Il y a des choses qui me révoltent.

Il faut faire entrer la loi dans le cadre et l'exception culturelle ne peut pas justifier que le monde de la culture échappe aux lois ordinaires. Il aime se raconter qu'il est une famille et qu'il est uni par le lien si fort d'un idéal artistique auquel tout le monde croit – comme dans l'Église catholique, considérée comme une famille réunie par une même croyance. Le déni du pouvoir – qui est pourtant à l'œuvre dans le cinéma, avec un artiste tout-puissant – est dangereux. Des abus de pouvoir ont donc lieu. C'est exactement le même système d'oppression du plus faible qui fonctionne dans d'autres milieux. Les témoignages que je reçois pourraient être transposés.

Je me répète, mais la famille du cinéma est une famille incestueuse, où le plus fort domine les plus faibles, c'est-à-dire l'enfant ou la femme, l'actrice, la technicienne, le jeune garçon – lesquels vont se sentir coupables et ne vont pas parler.

Un enfant qui fait un casting ne sait pas ce qui est bien et ce qui est mal. Lorsque l'on va voir un film, on est ébloui. On est pris, on rêve notre vie et on en oublie parfois même les souffrances de notre quotidien. On se sent moins seul. C'est la même chose quand on imagine qu'on va participer à un film. D'une certaine manière, la sacralisation de cet art que j'aime profondément donne à cet enfant l'illusion qu'il ne peut rien lui arriver. Les grands qui l'agressent ont sûrement raison, puisque c'est du cinéma.

Comment un enfant peut-il remettre en question la parole d'un adulte qui est en train de lui faire du mal sans que cet enfant le sache ou sans qu'il ose se l'avouer ? Avec quelle force psychique pourrait-il le faire ?

Quand on m'a dit de m'allonger sur le canapé, je me suis allongée sur le canapé – et je n'étais pas une enfant sans cerveau. Je n'ai pas su que j'avais le choix. C'était ma vie.

Le réalisateur et le producteur sont dans un rapport hiérarchique avec les comédiens et les comédiennes et les techniciens et les techniciennes. La preuve en est que les uns peuvent renvoyer les autres, et pas l'inverse. L'abus d'autorité doit donc être pris en compte de la même manière qu'il l'est dans d'autres circonstances.

Cette famille du cinéma marche au désir. Comment refuser de plaire ? Il faut être prise, être choisie. « Est-ce que je vais être prise ? On n'a pas de nouvelles du réalisateur ? Oh non ! Il ne m'a pas prise ! » Dès le départ le rapport s'organise autour du fait que l'on dispose de vous.

C'est à l'adulte et à la loi de mettre en place un cadre dans lequel on ne pourra pas disposer du corps de l'autre et où le réalisateur ne pourra pas abuser de son pouvoir. Même moi, je peux encore me retrouver dans une situation où je n'oserai pas dire non. C'est vraiment très compliqué.

Si les révélations d'abus commis sur des enfants lors de tournages privaient de financements publics les producteurs et les réalisateurs, peut-être se poseraient-ils les vraies questions.

Comment faire intervenir la loi ?

Tout est possible tout au long de la chaîne qui va du premier jour de casting à la fin du tournage.

Sur le tournage d' Icon of French cinema, une jeune actrice de 14 ans était mal à l'aise à l'idée même de rapprocher sa bouche de celle de Loïc Corbery dans certaines scènes. J'aurais pu lui dire que je voulais qu'elle se rapproche encore davantage pour que l'on puisse plus facilement croire qu'elle l'embrasse. Mais au nom de quoi l'aurais-je fait ? C'était à moi de m'adapter. C'est au réalisateur ou à la réalisatrice de transformer sa mise en scène pour que cela soit crédible, sans avoir à abuser de cette jeune fille. Mais j'aurais pu abuser de ma position si elle n'avait pas eu sa coach intimité, avec une formation de psychologue. Cette tierce personne qui ne s'occupait que de la jeune fille était rémunérée par la production. Or je pense que, dans tous les tournages qui impliquent un mineur, il faut un référent harcèlement indépendant, qui n'ait pas de comptes à rendre à la production. Sinon, on ne sort pas du cercle vicieux.

Il faut en outre un coach intimité, tant pour les enfants que pour les adultes. Même une actrice adulte peut ne pas oser refuser, puisqu'en France on ne signe pas de contrat qui détaille les parties du corps que l'on accepte de montrer.

Il faut donc créer un cadre, car il n'en existe aucun actuellement.

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Je vous remercie pour cette audition, madame Judith Godrèche. Nous pensons tous qu'il faut faire quelque chose dans le milieu du spectacle au sens large. On parle du cinéma, mais on voit que le phénomène est général.

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Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine

Oui, il faut agir dans l'ensemble du monde du spectacle et des agences de mannequinat.

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Comme vous l'avez dit, sur les tournages les animaux sont protégés par des chartes dont l'application est contrôlée. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait pour les enfants, notamment en prévoyant des référents intimité ?

Les délégations aux droits des enfants et aux droits des femmes vont poursuivre votre combat. Il reste à définir par quels moyens, mais en tout cas nous ne laisserons pas tomber votre témoignage. Nous pouvons vous le garantir.

La séance est levée à 15 heures 35

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, M. Paul Christophe, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Perrine Goulet, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Léo Walter.

Excusées. – Mme Anne-Laure Blin, Mme Nicole Dubré-Chirat.

Assistaient également à la réunion. - Mme Émilie Chandler, Mme Julie Delpech, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Marie-France Lorho, Mme Véronique Riotton, Mme Sarah Tanzilli.