La séance est ouverte à quatorze heures dix.
Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.
La mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Sécurité civile et risque sanitaire ».
Madame la directrice, monsieur le directeur, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, nous débutons cet après-midi d'auditions par notre avant-dernière table ronde thématique, organisée dans le cadre de notre mission d'information.
Après plusieurs temps d'échange consacrés à la question environnementale, aux technologies de communication, aux grands événements et à la gestion de crise, nous nous penchons sur les questions liées aux risques sanitaires.
En ouvrant cette table ronde, je tiens tout d'abord à saluer l'engagement sans faille de nos forces de sécurité civile, de nos soignants et de tous les acteurs impliqués dans la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19. Cette crise sans précédent a évidemment beaucoup marqué nos concitoyens, en raison de l'inquiétude et des décès survenus, mais aussi des difficultés d'organisation rencontrées et des mesures prises en urgence, ainsi que des multiples conséquences de cette situation pour notre société. Cette crise sanitaire a d'ailleurs souvent été évoquée au cours de nos auditions comme lors de nos déplacements.
Nous avons l'honneur d'accueillir aujourd'hui Mme Anne Hegoburu, sous-directrice en charge de la régulation de l'offre de soins à la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités, et M. Pierre Savary, chef du bureau premier recours au sein de cette direction générale, ainsi que le docteur Jean-Marc Philippe, conseiller médical à la direction générale de la santé (DGS) du ministère du travail, de la santé et des solidarités.
Nous accueillons également Mme Cécile Somarriba, directrice de la veille et de la sécurité sanitaire à l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France ; le docteur Romain Hellmann, conseiller médical de la directrice générale de l'ARS du Grand Est, et M. Laurent Dalmas, directeur de la qualité, de la performance et de l'innovation au sein de l'ARS du Grand Est ; et M. Samuel Pratmarty, directeur de l'offre de soins de l'ARS de Nouvelle-Aquitaine.
Nous ne pouvions naturellement pas convier toutes les ARS à cette table ronde. Nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur les établissements Grand Est, Nouvelle Aquitaine et Île-de-France, qui nous ont semblé refléter des problématiques complémentaires.
Nous remercions chacune et chacun d'entre vous pour votre présence, qui illustre la coordination administrative requise pour anticiper et préparer les crises sanitaires, ainsi que pour y répondre efficacement.
Cette table ronde vise à approfondir notre compréhension des risques sanitaires auxquels la France est exposée et à réfléchir au rôle que la sécurité civile peut jouer dans la prévention et l'identification précoce de ces risques, ainsi que dans la gestion des crises sanitaires. Il nous paraît essentiel d'identifier les synergies possibles entre les différents acteurs de la santé et de la sécurité civile pour optimiser notre réponse à ces menaces.
Avant de vous céder la parole, je rappelle rapidement que notre mission d'information est composée de députés issus de tous les groupes politiques. Elle a été constituée à l'initiative du groupe Horizons, dont fait partie notre rapporteur, Didier Lemaire. Cette audition, filmée et accessible sur le site internet de l'Assemblée nationale, sera retranscrite sous forme de compte rendu. Ce dernier sera annexé au rapport, que nous espérons rendre public d'ici quelques semaines.
Je tiens à préciser qu'avant d'être député, j'ai été élu local et sapeur-pompier. La crise sanitaire que nous avons traversée à partir de 2020 m'a incité à engager une réflexion sur nos capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de sécurité civile.
Pourriez-vous, tout d'abord, nous présenter votre direction ou votre agence, à travers ses missions et ses effectifs ? Par ailleurs, comment vos structures contribuent-elles à la sécurité sanitaire ou à la protection des populations dans un contexte de crise sanitaire ? Enfin, les moyens dont vos organisations disposent vous paraissent-ils suffisants et adaptés pour assurer ces missions ?
La DGS compte 280 agents, dont 85 % de cadres de catégorie A. Elle a pour mission de préparer la politique de santé publique et de contribuer à sa mise en œuvre. Quatre grands objectifs animent notre direction.
Premièrement, il lui appartient de protéger les populations contre les menaces graves. La DGS est chargée notamment de la politique de santé et de sécurité sanitaire découlant de l'article L. 1142 du code de la sécurité intérieure, qui définit les missions du ministre chargé de la santé – notamment en matière de veille, de prévention, de préparation du système de santé aux crises et de prise en charge des victimes ou malades.
Deuxièmement, la DGS est investie d'une mission de santé publique, consistant à préserver et améliorer l'état de la population.
Troisièmement, elle se doit de garantir la qualité et la sécurité de l'accès aux soins dans le système de santé, notamment par la politique du médicament.
Quatrièmement, la DGS travaille en interaction avec les agences sanitaires, qu'elle mobilise et coordonne.
Près de 280 agents sont employés à la DGOS. Notre mission principale est d'organiser le système de soins et de piloter la gestion des ressources, qu'il s'agisse des ressources humaines ou des moyens de financement – en particulier ceux destinés aux établissements de santé.
Pour le ministère, la DGOS est en première ligne dans la gestion des crises sanitaires. Elle est donc mobilisée autant que de besoin sur ce périmètre de compétences par la DGS. Au sein de la DGOS, un poste de conseillère médicale est d'ailleurs dédié aux questions de sécurité sanitaire. Rattaché à la directrice générale, ce poste assure un lien privilégié entre notre direction et la DGS. Il est en capacité de mobiliser l'ensemble des ressources de la DGOS pour faire face aux crises sanitaires.
L'ARS d'Île-de-France a pour mission la mise en œuvre de la politique de santé dans notre région, sur l'ensemble du champ visé (santé, prévention, soins ou secteur médico-social). Elle compte plus de 1 000 agents, et se compose de cinq directions métier, ainsi que de délégations implantées dans chacun des huit départements d'Île-de-France. Les cinq directions métier couvrent tous les champs d'intervention de l'agence : direction de l'offre de soins, direction de l'autonomie, direction de la santé publique, direction de l'innovation et du numérique, et enfin direction de la veille et de la sécurité sanitaire.
Cette dernière direction, dont je suis la directrice, comprend 70 agents. Notre objectif consiste à renforcer et faciliter la mission de surveillance et de réponse aux alertes. À cet effet, un point focal réceptionne l'ensemble des signalements et des alertes pour toute la région. La direction de la veille et de la sécurité sanitaire déploie aussi une approche transversale de la gestion des risques sanitaires, en répondant à la fois aux alertes de type infectieux, aux pathologies liées à l'environnement et aux risques induits par les prises en charge (événements indésirables ou graves et dysfonctionnements survenant dans les établissements sanitaires et médico-sociaux).
Nous recevons près de 10 000 signalements par an, qui sont traités selon une approche graduée. Il s'agit principalement d'alertes ponctuelles appelant des mesures de gestion, mais nous pouvons aussi être sollicités pour des situations sanitaires plus exceptionnelles. Au sein de la direction de la veille et de la sécurité sanitaire, un département travaille sur la préparation et la planification de ces situations. En cas de besoin, c'est lui qui conduit les opérations de gestion de crise.
Enfin, je tiens à souligner que notre direction s'appuie sur un réseau d'expertise national, animé notamment par les structures de vigilance et par les systèmes de soins.
L'ARS du Grand Est est un établissement public administratif, avec un effectif de près de 700 agents et un siège implanté à Nancy. Chaque département est doté d'une délégation territoriale. Notre rôle consiste à mettre en œuvre la politique de santé, avec sa dimension territoriale, tout en respectant le cadre national. Pour ce faire, l'ARS du Grand Est exerce des missions de planification et de pilotage, d'appui, de contrôle, de veille et de sécurité sanitaire, et surtout de coordination des acteurs du monde sanitaire.
Ainsi que vous l'avez suggéré, monsieur le rapporteur, la crise sanitaire a occasionné une véritable rupture. Toutes les agences ont été affectées. À ce propos, je tiens à remercier l'ensemble de mes collègues, qui ont lutté ensemble sur le terrain.
La crise ne connaît pas de frontières, et c'est pourquoi nous devons nous attacher à rassembler les différents acteurs pour avancer. La crise sanitaire nous a amenés à prendre conscience de la nécessité d'adopter d'autres manières de travailler. Les agences se sont transformées pour devenir plus opérationnelles, en s'efforçant de développer des synergies pour faire face aux crises.
Pour compléter ces propos, je voudrais insister sur la résilience du système. Celle-ci repose non seulement sur l'organisation décrite par mon collègue, mais aussi sur la préparation des acteurs de santé. Chacun doit se doter d'un plan de gestion de crise, tout en s'inscrivant dans notre dispositif régional d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan). Il s'agit d'assurer la résilience de l'ensemble du système face aux crises.
Cette démarche se rencontre aussi dans le champ sanitaire avec le plan Blanc, et dans le domaine médico-social avec le plan Bleu. Elle fait partie d'un dispositif global de gestion des tensions hospitalières et événements sanitaires exceptionnels. J'ajoute qu'un plan Blanc est en cours d'élaboration pour la médecine libérale, impliquant les maisons de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Le succès du dispositif résulte de la co-construction de la réponse et de la préparation (formations, exercices et retours d'expérience).
Notre agence dispose également d'un point focal recueillant l'ensemble des signalements au niveau régional. Il est tenu par cinq agents à temps plein et assisté par une équipe de veille sanitaire de dix personnes. Il reçoit également l'appui transversal de toutes les directions métier de l'agence.
Enfin, une équipe dédiée à la planification et à la gestion de crise se charge de la planification des exercices, des formations et des retours d'expérience et plans d'action associés.
Eu égard aux évolutions du contexte national et international (changement climatique, cyberattaques, risque terroriste), nous sommes mobilisés plus fortement pour ces situations exceptionnelles. De notre point de vue, il est urgent de professionnaliser les personnels de santé, ainsi que les agents de l'ARS Grand Est, tout en favorisant l'acculturation du grand public à ces situations.
Les missions de notre agence étant identiques à celles dévolues aux ARS d'Île-de-France et du Grand Est, permettez-moi de ne pas les répéter.
L'agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine comprend environ 750 agents, répartis sur l'ensemble du territoire. La moitié de l'effectif est située dans les trois implantations du siège, à Bordeaux, Poitiers et Limoges. L'autre moitié travaille dans les douze délégations départementales.
Les missions de veille, de sécurité sanitaire, de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles sont assurées par deux services dédiés, auxquels peuvent être agrégées des compétences et ressources supplémentaires issues des équipes métiers. En cas de situation exceptionnelle, comme lors de la pandémie de Covid-19, tous les agents peuvent être réaffectés sur de nouvelles missions.
Les deux services dédiés à la préparation et à la gestion des situations exceptionnelles sont, d'une part, la cellule de veille et de gestion des alertes, et, d'autre part, le département de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
La cellule de veille et de gestion des alertes a pour tâche de recevoir, qualifier et analyser l'ensemble des signalements. Le cas échéant, elle alerte l'ensemble de l'agence pour activer les comités internes. Pour sa part, le service de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles est chargé de rédiger l'ensemble des plans opérationnels Orsan pour le compte de la région, d'assurer la coordination avec l'état-major de zone et d'organiser des exercices.
Les moyens disponibles sont suffisants pour assurer l'essentiel des missions, mais des ressources supplémentaires permettraient naturellement d'aller plus loin. La cellule de veille et d'alerte est dotée d'une quinzaine d'agents, d'infirmières et de médecins. C'est une équipe pluridisciplinaire, en capacité d'appréhender toutes les situations. Quant à l'équipe dédiée à la gestion des situations sanitaires exceptionnelles, elle est constituée de quatre agents affectés au siège et de six équivalents temps plein répartis sur douze personnes.
Merci beaucoup pour cette présentation.
Quels sont les risques sanitaires majeurs auxquels la France est confrontée aujourd'hui ? De quelle manière s'articule le dispositif de veille et d'alerte dans vos structures ?
Les risques sanitaires sont multiples. Pour commencer, nous devons répondre au risque infectieux, aussi appelé risque épidémique et biologique, en adoptant une approche « Une seule santé » (santé environnementale, santé animale et santé humaine). Des agents infectieux émergent ou réapparaissent, comme le montre l'épidémie de rougeole en Europe, qui est due pour partie à un déficit vaccinal. Nous observons aussi des zoonoses et des arboviroses, qui constituent une préoccupation majeure. Les arboviroses sont des maladies virales transmises par des moustiques, comme la dengue, le chikungunya ou le zika.
Il faut également mentionner le risque industriel et technologique, qu'il s'agisse du risque chimique ou du risque nucléaire, en passant par les pollutions, les incendies, les explosions et les accidents collectifs.
Par ailleurs, notre population peut être exposée aux risques environnementaux (catastrophe naturelle, événement climatique extrême).
À côté de ces risques sanitaires, nous devons aussi répondre aux menaces : le risque d'attentat par armes de guerre ou explosifs, la dispersion d'agents radiologiques, biologiques et chimiques, ou encore les cyberattaques d'infrastructures ou d'équipements de santé. Les grandes manifestations comme la Coupe du monde de rugby, les Jeux olympiques et paralympiques à venir ou les commémorations du Débarquement sont susceptibles de majorer les risques et menaces.
L'organisation est conçue pour mener un travail de veille. Il s'agit de surveiller l'émergence de nouveaux ennemis. Cette veille s'opère au plus près du terrain, avec les cliniciens et les biologistes. Les plateformes régionales de veille et d'alerte des ARS analysent les risques et prennent les mesures nécessaires au niveau local. Elles transmettent également les signalements au centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) du ministère de la santé.
Le Corruss analyse les signalements, apporte son appui aux agences et mobilise s'il y a lieu les agences nationales – et, plus largement, tout moyen d'expertise scientifique. Le Corruss assure donc une veille permanente sur les informations provenant non seulement du territoire national, mais aussi des organisations internationales. Le Corruss est en lien avec les centres opérationnels des autres ministères : le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic), le centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ou encore le centre de planification et de conduite des opérations (CDCO) du service de santé des armées.
À l'instar des autres ARS, notre agence finalise la deuxième version du dispositif Orsan, qui distingue six risques majeurs : le risque d'accueil massif de nombreuses victimes (Amavi) ; le risque nucléaire, radiologique ou chimique ; le risque climatique, dont les risques liés aux événements climatiques stricto sensu ainsi que les inondations ; le risque épidémique ; le risque lié aux urgences médico-psychologiques (prise en charge des traumatismes) ; le risque de cyberattaques contre les établissements de santé ou médico-sociaux.
S'agissant du dispositif de veille sanitaire, nous nous efforçons de le rendre aussi large et transversal que possible. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le point focal régional, qui centralise tous les signalements, quelle qu'en soit la nature. Cela implique une mise en alerte active de l'ARS par un professionnel de santé ou un établissement. Selon le type de réponse attendu, l'agence intervient avec la préfecture ou avec d'autres services de l'État.
En complément, nous recourons à des services de surveillance non spécifiques. Je pense, en particulier, aux systèmes de surveillance mis en œuvre par Santé publique France, avec l'aide de ses cellules régionales : en cas d'alerte, les codages des passages aux urgences font l'objet d'un suivi quotidien. Cette information nous permet de connaître le volume et la typologie des recours aux soins urgents dont les Franciliens ont besoin, de manière à pouvoir renforcer si nécessaire la surveillance.
Pour assurer sa mission de surveillance, notre agence est épaulée par un réseau de partenaires : Santé publique France, les observatoires régionaux des soins non programmés, mais aussi les centres de toxicovigilance, de pharmacovigilance ou d'addicto-vigilance.
Nous reprenons à notre compte l'ensemble des explications apportées par Cécile Somarriba. En complément, il me paraît opportun de rappeler l'existence du système d'information sanitaire des alertes et des crises (Sisac), qui nous permet d'alerter l'Agence nationale et les services de la préfecture. J'insisterai également sur l'interaction permanente entre le 15 et le 18 et sur la collaboration inter-service au sein de la préfecture.
Quelles sont les crises récentes auxquelles vos structures ont été confrontées ? Quelle mission avez-vous exercée dans ce contexte ? Enfin, avez-vous établi un bilan ou un retour d'expérience de ces crises ?
Nous préférons parler de situation sanitaire exceptionnelle, car le terme « crise » est quelque peu galvaudé.
Je citerai bien entendu les épidémies de chikungunya à La Réunion et dans les départements français d'Amérique, la pandémie de Covid-19, qui nous a profondément marqués, ou encore l'épidémie de mpox (aussi connue sous l'appellation « variole du singe ») en 2022. Je mentionnerai aussi les attentats de 2015 en région parisienne, de 2016 à Nice ou de 2018 à Strasbourg. Enfin, j'évoquerai les épisodes climatiques majeurs, notamment le cyclone Irma qui a frappé les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en 2017.
Face à une situation sanitaire exceptionnelle exigeant une grande coordination, des mécanismes interministériels entrent en action. Dans ce cadre, le Corruss est activement mobilisé. Il participe aux travaux de la cellule interministérielle de crise. Pour sa part, la cellule interministérielle d'information du public et d'aide aux victimes (Cipav) se charge d'informer les proches du lieu où sont prises en charge les victimes et d'élaborer un bilan victimaire.
Le retour d'expérience constitue une dimension majeure et consubstantielle au travail de préparation à la crise. De fait, il faut être capable de s'adapter en permanence face à une situation mouvante, comme l'a montré l'épidémie de Covid-19. La conduite de crise doit être évaluée à travers un retour d'expérience, et la direction générale de la santé a élaboré un guide méthodologique à ce sujet. D'ailleurs, le dispositif Orsan et le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) donnent systématiquement lieu à un retour d'expérience.
En cas de crise, la DGOS intervient en appui du centre de crise et assure le lien avec les acteurs concernés. À titre d'exemple, la DGOS participe à la rédaction des doctrines nationales des fédérations hospitalières, en anticipation de la crise. Elle prend également part à la rédaction des retours d'expérience. Enfin, elle accompagne les éventuelles modifications réglementaires lorsque des mesures d'urgence doivent être engagées.
La seule véritable crise sanitaire que nous avons connue au cours des dernières années est l'épidémie de Covid-19. Cependant, nous avons été exposés à plusieurs autres situations sanitaires exceptionnelles depuis lors. En mars et avril 2022, nous avons organisé la prise en charge sanitaire, somatique et psychologique des réfugiés d'Ukraine. Nous avons aussi fait face à l'épidémie de mpox, entre mai et août 2022, ainsi que l'a rappelé le docteur Philippe. Dans ce cadre, les agences ont assuré le traçage des personnes infectées, afin de prévoir leur vaccination préventive. Elles ont aussi organisé des campagnes de vaccination préventive et des campagnes d'information et de sensibilisation auprès des personnes à risque. Enfin, je voudrais aussi citer les mégafeux de l'été 2022, qui ont frappé particulièrement la Gironde et les Landes. Avec les services de la préfecture, nous avons analysé les conséquences des dégagements de fumée causés par ces feux. Nous avons aussi pris en charge l'évacuation et le relogement des résidents des Ehpad menacés.
Je retiendrai trois situations exceptionnelles en région Grand Est sur les dernières années. La première remonte à 2018 : il s'agit de l'attaque terroriste perpétrée à Strasbourg. Cet attentat a fait 5 morts et 11 blessés, mais plus de 1 000 personnes ont eu besoin d'aide psychologique. La cellule d'urgence médico-psychologique (Cump) du plan Orsan a donc été activée. Des personnels d'autres régions ont été envoyés en renfort pour maintenir une continuité dans la prise en charge des victimes. Nous avons aussi dû traiter la question du transport et de l'hébergement de ces personnes, en plein marché de Noël. Ce dispositif exceptionnel a fait l'objet d'un retour d'expérience : nous avons ainsi constaté la difficulté à faire accepter aux hôteliers des réservations de la part de l'ARS lors d'un pic de fréquentation, de surcroît sans possibilité de régler par carte de crédit. Cette expérience nous a amenés à nous doter de moyens de paiement.
Le deuxième événement que je tiens à signaler est l'incendie de Wintzenheim, en août 2023. Il s'est déclaré dans un gîte accueillant des personnes handicapées. Le centre opérationnel de décision de l'agence a été mobilisé, et une cellule interne a été mise en place. Ici encore, l'ARS s'est employée à organiser la prise en charge médico-psychologique et s'est efforcée de libérer des places dans les unités de traitement de grands brûlés.
J'évoquerai, enfin, l'immobilisation à l'aéroport de Vatry d'un avion transportant des personnes suspectées de se livrer à la traite d'êtres humains. En décembre 2023, 300 passagers ont ainsi été bloqués à l'aéroport. L'agence a été appelée à rejoindre le centre opérationnel départemental (COD) et une cellule de crise interne a été activée, afin d'assurer une présence médicale permanente et l'approvisionnement en médicaments. Pendant un week-end coïncidant avec les fêtes de fin d'année, la capacité à mobiliser l'ensemble des acteurs a été un véritable défi.
La difficulté réside dans l'équilibre à trouver entre les situations sanitaires exceptionnelles et le quotidien. J'en veux pour preuve l'activation récente du plan Blanc territorial en Alsace, en réponse à la saturation des lits d'hospitalisation due à l'épidémie de grippe. Là encore, il nous a fallu activer des cellules territoriales de coordination et déprogrammer des opérations. La complexité inhérente à la gestion des situations exceptionnelles tient au fait qu'il faut, en parallèle, continuer à assurer la prise en charge des malades.
Face aux situations exceptionnelles, il appartient à l'ARS d'organiser la réponse sanitaire, depuis la prévention jusqu'à la prise en charge et à l'adaptation du système de santé. À propos de l'épidémie de mpox, je rappellerai que l'Île-de-France a rapidement connu de nombreux cas, qui ont entraîné des besoins de vaccination importants. Nous avons pu travailler sur le dispositif de réponse dans le prolongement des travaux habituels, en partenariat avec les services de maladies infectieuses et les associations de prévention et de santé sexuelles. Ces dernières ont facilité la diffusion des messages de prévention et sensibilisé à l'utilité de la vaccination. Notre collaboration régulière nous a aidés à déployer des actions inhabituelles, adaptées à ce contexte exceptionnel.
Enfin, il me semble important de détailler le cas d'une cyberattaque ayant touché un établissement de santé. Je précise que les dommages causés aux systèmes d'information et sur le risque de contamination ou de divulgation ne relèvent pas de la compétence de l'ARS mais de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Cependant, l'ARS veille à la continuité des prises en charge. Elle accompagne donc l'établissement touché, déploie des moyens supplémentaires pour l'aider et s'assure de la réorganisation des circuits de prise en charge.
Lors d'un événement impliquant de nombreuses équipes, dans le contexte de tensions hospitalières que nous connaissons, quelles mesures déployez-vous pour éviter la saturation des établissements de soins ? À travers cette question, je pense notamment aux transferts de résidents d'Ehpad et aux problèmes posés par leur réintégration.
La DGS s'est dotée en 2014 d'un dispositif destiné à mobiliser de manière coordonnée les acteurs de l'ensemble du système de santé et à assurer la prise en charge des patients, victimes et blessés, quel que soit le type de situation sanitaire exceptionnelle. C'est l'objet du dispositif Orsan. Ce dernier est un cadre intégré pour la préparation et la réponse du système de santé. Il permet la montée en puissance des opérateurs de soins (établissements de santé, médecins de ville, établissements médico-sociaux), en s'appuyant sur trois composantes indissociables : la planification opérationnelle, la formation, et enfin le maintien opérationnel des moyens de soins.
Le dispositif Orsan est élaboré, dans chaque région, par l'ARS. Bien qu'inscrit dans un cadre national, il implique une co-construction à l'échelle régionale, avec l'ensemble des acteurs. J'ajoute qu'il est construit dans une logique de parcours de soins, avec le dispositif de prise en charge préhospitalière Orsec. Dès lors que les patients quittent le poste médical avancé, ils intègrent le système de santé standard. Or, on ne peut exiger d'un établissement de santé fonctionnant à flux tendu qu'il accueille d'un coup cinq blessés graves et trente blessés légers. Il convient de mettre en place une organisation particulière, et c'est l'objectif du dispositif Orsec.
Pour être en capacité de bien agir lors d'une crise, il faut déjà bien agir au quotidien. Nul ne s'invente gestionnaire de crise. Les opérations que nous menons en période de crise sont déjà mises en œuvre au quotidien, à commencer par la gestion des capacités d'établissement au regard de l'accueil de malades graves. Les plans Blanc territoriaux sont donc utilisés à la fois en situation sanitaire exceptionnelle et en temps normal. À l'échelle du département, nous devons veiller à la bonne coordination de l'ensemble des acteurs. À l'échelle régionale, la coopération interdépartementale est essentielle, mais elle s'avère compliquée. La visibilité en temps réel sur les disponibilités en lits d'hôpital dans un territoire nécessite, par exemple, une connexion entre les systèmes d'information des établissements. Autant de mesures qui nous aident à répondre à un afflux important de malades.
Enfin, nous travaillons avec les établissements pour élaborer des plans de continuité d'activité (PCA), de manière à garantir la qualité et la sécurité de la prise en charge des malades en cas de difficulté imprévue. Il existe aussi des PCA de territoire. Ces nouveaux outils, conçus suite à l'épidémie de Covid-19, visent à mobiliser le collectif pour répondre aux crises.
L'intervention des ARS est d'abord préventive. Dans le cadre du dispositif Orsan, la première tâche consiste à recenser l'ensemble des ressources disponibles pour avoir la meilleure connaissance des capacités quantitatives et qualitatives de l'ensemble du système de santé de la région. C'est une étape indispensable pour être en mesure de faire face à un événement inopiné.
Il faut également prépositionner un ensemble de moyens dits tactiques, qui ne seront déclenchés qu'en cas de situation sanitaire exceptionnelle : postes sanitaires en ville, équipements de protection individuelle, etc. Ces moyens sont prépositionnés pour l'essentiel auprès des établissements et des Samu, et font l'objet de contrôles réguliers pour s'assurer de leur disponibilité en cas de besoin.
Nous participons aussi, auprès des préfets, à l'animation d'exercices de crise, l'objectif étant de bien coordonner l'ensemble des intervenants.
En situation sanitaire exceptionnelle, notre rôle consiste à mobiliser l'ensemble de ces ressources et, le cas échéant, à faire appel à d'autres ressources. Il s'agit, en quelque sorte, de construire une chaîne de solidarité entre établissements. En cas de dépassement des capacités du système de soins, l'ARS intervient aussi dans la priorisation de ces capacités. Ainsi, elle peut être amenée à demander à un établissement de santé de déprogrammer certaines activités pour en privilégier d'autres, comme ce fut le cas durant l'épidémie de Covid-19.
Les questions logistiques touchent à la fois aux capacités, aux ressources en ressources humaines et aux moyens (dispositifs de santé et médicaments). La démarche de planification est ici déterminante. Elle se traduit par la constitution de stocks tactiques et par l'identification du niveau de réponse par établissement pour les différentes composantes du plan Orsan.
Cette démarche de planification se décline au niveau régional, mais aussi à l'échelle de l'établissement, à travers le plan de gestion des tensions et des situations sanitaires exceptionnelles.
En matière de gestion de crise, le maître-mot est « coordination ». Comment votre action se coordonne-t-elle avec celle des autres acteurs ? Cette coordination vous paraît-elle suffisante ?
Dans une logique de parcours de soins, la coordination est effectivement primordiale. Le dispositif sectoriel sanitaire Orsan s'articule avec le plan Orsec, qui est intersectoriel. Par exemple, le dispositif Orsan Amavi est le pendant du plan Orsec Novi. Cette articulation se matérialise au travers de la régulation médicale, qui envoie dans les établissements des flux de patients en fonction de leurs lésions et des plateaux techniques d'accueil.
Lorsque les dispositions Orsan ne sont pas suffisantes, le préfet peut, à sa propre initiative ou à la demande du directeur général de l'ARS, mobiliser des moyens opérationnels Orsec pour répondre à une mission sanitaire. Ce cas se présente notamment lorsqu'il faut évacuer un établissement de santé, lors d'opérations exceptionnelles de vaccination dans des centres dédiés, ou lors d'une distribution urgente à la population de produits de santé.
L'articulation entre les dispositifs Orsan et Orsec est prévue dans le code de la santé publique comme dans le code de la sécurité intérieure.
La dernière loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) comprend un article permettant au préfet de zone d'habiliter le préfet de département à prendre toutes mesures nécessaires, et singulièrement à mobiliser l'ensemble des services et établissements publics de l'État, en cas de danger grave et imminent, de troubles à l'ordre public, ou encore de nécessité de préserver l'environnement ou la santé des populations.
L'efficience de cette articulation est en effet cruciale. L'organisation de la coordination s'effectue surtout au moment de la planification de la réponse et lors de la survenance de l'événement. La préfecture – et au premier chef la préfecture de zone – est associée aux travaux de révision opérationnelle des volets Orsan, de manière à identifier les points d'articulation à décliner. En retour, la préfecture implique bien évidemment l'ARS dans l'élaboration des projets Orsec.
Lorsqu'un événement survient, la coordination se prépare en centre opérationnel départemental ou en centre opérationnel de sécurité. Dans tous les cas, l'ARS participe à ces réunions.
Je voudrais souligner que sur le terrain, la coordination opérationnelle se passe bien. Les acteurs dialoguent davantage qu'avant la crise du Covid-19.
Mme Somarriba, vous êtes associée auprès du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) à la gestion de crise et à l'élaboration des fiches de mesure mises à disposition de la cellule interministérielle.
Au niveau zonal et non national, l'ARS Île-de-France est effectivement associée aux travaux de planification, dès lors qu'ils comportent un aspect sanitaire. Nous participons ainsi aux travaux sur l'Orsec LAV (lutte anti-vectorielle).
Au niveau national, nous participons aux travaux interministériels, sous l'égide du SGDSN. Dans ce cadre, nous sommes associés aux réflexions sur la stratégie nationale de résilience, qui mobilise l'ensemble des ministères sur des thématiques diverses. La DGS est aussi impliquée dans la refonte de la planification de l'État. En déclinaison de ces travaux, nous produisons des doctrines, qui viennent alimenter la planification sanitaire et la planification Orsan. Celles-ci permettent d'élaborer des stratégies et de concevoir les tactiques mises en œuvre sur le terrain. La coopération interministérielle à l'échelon national est donc complétée par une déclinaison au niveau zonal et départemental, et la mise en œuvre sur le terrain s'opère avec les équipes, dans le cadre des planifications. La formation des acteurs des cellules interministérielles de crise est organisée grâce aux plans de formation dont nous sommes chargés avec le SGDSN.
Cette coordination est une réalité concrète que nous expérimentons lors des exercices sur le terrain qui sont pilotés par la préfecture, en partenariat avec l'ensemble des acteurs, dont les ARS.
Lors de la crise de Covid-19, quels ont été le rôle et les missions de vos organisations respectives ? Quel bilan en tirez-vous sur la coordination entre les acteurs sanitaires, mais aussi avec les pays voisins ?
Tous les acteurs nationaux ont été fortement sollicités par cette crise sanitaire mondiale. Au départ, une organisation strictement sanitaire a été déployée. Elle a rapidement été élargie, avec la création d'une cellule interministérielle de crise.
La plupart des acteurs mobilisés ont élaboré un retour d'expérience sur cette situation inédite. Dans ce cadre, il s'est avéré que des mesures réputées impossibles ont pu, contre toute attente, devenir une réalité concrète. Je pense par exemple au doublement de la capacité de lits de réanimation, qui paraissait inconcevable.
Il s'agit de capitaliser le savoir-faire acquis durant cette crise pour enrichir le dispositif Orsan, qui ne cesse d'évoluer.
La DGOS a été pleinement mobilisée tout au long de la crise Covid-19, pour organiser à la fois la prise en charge des patients contaminés, mais aussi celle de tous les autres patients. Pour ce faire, il a fallu édicter des consignes nationales, assouplir les cadres réglementaires pour donner plus de liberté aux établissements et aux ARS, simplifier le fonctionnement général du système, et enfin parvenir à trouver des ressources humaines, matérielles et logistiques. À l'instar des autres structures, la DGOS a dressé son propre retour d'expérience pour évaluer ses modalités de fonctionnement.
La crise Covid-19 a connu différentes étapes, et le rôle de l'ARS a évolué en conséquence. Quatre grandes séquences peuvent être dégagées. Tout d'abord, les premières alertes sérieuses ont été émises en janvier et février 2020, ce qui a entraîné la mobilisation préventive d'un certain nombre de professionnels. Dans notre région, l'accueil du premier patient atteint du Covid-19 au CHU de Bordeaux remonte au 24 janvier 2020. Dans un premier temps, l'ARS a donc adopté une posture de veille, de préparation et d'attente, ignorant quelle serait l'évolution de la situation.
À partir de mars et jusqu'en juin 2020, les ARS ont été recentrées exclusivement sur des missions de gestion de crise, autour des priorités suivantes : réorganiser complètement les modalités de fonctionnement des établissements de santé et médico-sociaux, accroître les capacités de soins critiques, et enfin préparer les évacuations sanitaires entre régions, avec la cellule de crise du ministère et les autres ARS. Il se trouve que la région Aquitaine a accueilli le plus grand nombre de transferts, puisqu'elle conservait des capacités disponibles.
Entre juin 2020 et jusqu'au deuxième pic de contaminations, nous avons vécu une troisième phase délicate : tout en reprenant ses activités traditionnelles, notre ARS a dû faire face à un accroissement des besoins en soins critiques et à une nouvelle vague de transferts de patients entre régions.
Une quatrième étape a été l'organisation de la campagne de vaccination, qui nous a occupés plusieurs mois, à partir de janvier 2021.
Il est vrai qu'au début de la crise, nous avions très peu d'informations sur l'épidémie. Malgré tout, il a fallu construire des scénarios pour tenter de répondre à ce défi sans précédent. Ensuite, le rôle des ARS s'est transformé. Jusqu'alors, nous exercions des missions de contrôle et d'appui à l'organisation au quotidien. Avec l'irruption de la crise sanitaire, les ARS se sont vu confier des tâches nouvelles, telles que la distribution des masques ou la gestion des appareils respiratoires. Les équipes ont dû se familiariser à ces nouveaux métiers en quelques semaines, voire en quelques jours. Nous nous sommes efforcés collectivement de garantir l'égalité des territoires vis-à-vis des dispositifs mis en place, notamment l'accès aux tests PCR et aux vaccins.
L'accessibilité aux soins et aux actions de prévention (dépistage ou vaccination), en particulier en direction des publics les plus éloignés du soin, a été l'une de nos priorités. À cet effet, les ARS ont déployé des actions essentielles au plus près des populations. L'Île-de-France a d'ailleurs mené un travail spécifique sur les aéroports, lors de la reprise des échanges internationaux, pour que les voyageurs puissent être testés à leur arrivée sur le sol français.
J'ajouterai que le travail conduit auprès des aéroports a été initié par les ARS, qui ont été mobilisées en première ligne.
Je voudrais aussi souligner qu'à l'occasion de cette crise de Covid-19, les ARS ont été amenées à prendre en charge des activités qu'elles n'avaient jamais couvertes jusqu'alors : outre la distribution de masques, je citerai l'établissement massif d'arrêts de travail, ou encore le traitement d'un volume considérable d'appels téléphoniques. Dans le Grand Est, nous avons été rapidement débordés par l'afflux d'appels.
Les retours d'expérience nous ont conduits à faire évoluer notre dispositif téléphonique de gestion du point focal régional et à lancer un marché visant à sécuriser la mobilisation d'une plateforme téléphonique de secours.
Nous avons d'ailleurs conservé certaines initiatives héritées de la crise de Covid-19. Je pense par exemple à la cellule de gestion des lits de soins critiques, qui a été créée par l'ARS Île-de-France et dupliquée dans d'autres régions. Un certain nombre de nouveaux métiers qui ont émergé pendant l'épidémie de Covid-19 ont été conservés. Il est indispensable de garder cette mémoire.
Force est de constater qu'il a fallu réinventer le modèle de gestion de crise. Lorsque j'étais élu local, en tant qu'adjoint au maire, j'ai pu mesurer l'importance de la coordination avec l'ARS. Une relation de confiance s'est instaurée entre l'agence et les collectivités locales. D'ailleurs, ma ville d'Altkirch, qui compte 6 000 habitants, a accueilli un centre de vaccination occupant 300 bénévoles pendant plusieurs mois.
Ma question suivante porte sur les associations agréées de sécurité civile. Avez-vous une estimation du nombre de bénévoles impliqués dans cette crise ? Quels rôles ont-ils remplis ? Depuis l'épidémie de Covid-19, ces partenaires sont-ils mieux identifiés ? Un renforcement de la connaissance et du rôle de ces associations vous paraît-il utile, en prévision de futures crises sanitaires ?
Je confirme que les associations agréées de sécurité civile ont accompli un travail considérable pendant la crise de Covid-19, et je tiens à saluer leur contribution. Ces associations se sont investies très activement dans les plateformes d'écoute à destination des personnes confinées, dans l'appui à l'aide médicale d'urgence, dans la mise en œuvre de la stratégie de lutte anti-Covid et dans les campagnes de vaccination. Elles ont aussi apporté leur soutien aux établissements de santé.
Nous n'avions pas attendu cette crise pour identifier les associations agréées de sécurité civile, qui contribuent au plan Orsec. Elles sont d'ailleurs citées dans le guide méthodologique du dispositif Orsan comme des partenaires pouvant être mobilisés lors de situations exceptionnelles. Grâce aux conventions existantes, les cellules d'urgence médico-psychologique bénéficient souvent de l'appui de ces associations.
En Île-de-France, les associations agréées de sécurité civile ont effectivement été un recours précieux pour de multiples actions. Le médiateur de lutte anti-Covid, par exemple, se déplaçait au plus près des populations pour porter des messages de prévention, faciliter les dépistages et contribuer aux opérations de vaccination. Pour illustrer ce propos, je rappellerai que le centre de vaccination du Stade de France était tenu par la Croix-Rouge 93. En parallèle, des associations agréées de sécurité civile apportaient leur concours à la vaccination des personnes âgées à domicile.
Je soulignerai que cette mobilisation a toujours été organisée en amont avec les préfectures. Au-delà de leurs capacités opérationnelles, les associations ont l'avantage d'être connues des populations et peuvent donc relayer efficacement les messages.
Les associations ont aussi joué un rôle important et utile en Nouvelle Aquitaine pendant l'épidémie de Covid-19. Nous avions déjà l'habitude de travailler avec elles avant la crise, au cas par cas, mais ces besoins de coopération ont été décuplés par le Covid-19.
Les associations agréées de sécurité civile ont largement contribué, aux côtés des structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) et des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), à l'organisation des transferts de patients interrégionaux. Elles ont également apporté leur soutien à l'armement des sas sanitaires installés à l'entrée des Ehpad. Pour finir, elles ont participé activement à la montée en puissance des centres de vaccination, à compter de janvier 2021.
L'ARS du Grand Est souscrit entièrement à ces interventions. Nous saluons à notre tour la mobilisation des associations agréées de sécurité civile, et nous y sommes d'autant plus sensibles que nous avons fait appel à une équipe d'Île-de-France au tout début de l'épidémie pour intervenir sur des foyers identifiés dans la région Grand Est.
D'après vous, est-il nécessaire d'approfondir la formation des bénévoles afin qu'ils puissent pratiquer des gestes médicaux ou paramédicaux en situation d'urgence ?
Les formations de sécurité civile (PSE1 et PSE2) ont été enrichies de connaissances sur les risques infectieux et sanitaires. Il existe aussi des modules complémentaires dédiés à certaines typologies de risques.
Lorsque nous avons mis en œuvre la démarche « tester, alerter, protéger », nous avons dû former les acteurs à la prise en charge des dépistages. À cet effet, un parcours de formation en ligne a été élaboré à notre demande par l'École des hautes études en santé publique. Il a permis d'apporter les connaissances nécessaires aux personnes travaillant dans les centres de dépistage ou de vaccination. Il me paraît judicieux d'adapter continuellement les formations existantes pour améliorer leur efficacité dans la réponse aux crises.
Estimez-vous que les bénévoles des associations agréées de sécurité civile pourraient pratiquer, en cas de crise, des actes médicaux simples ? Ces derniers considèrent qu'ils seraient en capacité de le faire, sous la supervision à distance d'un médecin. Cette orientation vous paraît-elle souhaitable ?
Les bénévoles ont été amenés à exécuter des prélèvements, qui constituent pourtant un geste médical invasif. Jusqu'alors, cette pratique n'était même pas autorisée à certains professionnels paramédicaux. Il a fallu commencer par généraliser l'autorisation à toutes ces professions paramédicales, avant de l'étendre à des non-professionnels. Cette démarche s'est accompagnée, bien entendu, d'un parcours de formation. En outre, les prélèvements ont été effectués avec la présence permanente d'un professionnel de santé susceptible d'intervenir.
Notre modèle de protection et de sécurité civile repose sur une multiplicité d'acteurs, publics ou associatifs. Cette constellation vous semble-t-elle adéquate et lisible ? La répartition des compétences entre ces différents acteurs, notamment entre les pompiers et les Samu pour les appels d'urgence, est-elle suffisamment claire et pertinente ? Si tel n'est pas le cas, comment pourrait-elle être améliorée ?
Nous partageons le constat que dans le champ de l'urgence préhospitalière, de nombreux acteurs sont formés pour mettre à disposition du patient leurs compétences. La coordination en temps de crise doit rejoindre celle du quotidien.
Il existe depuis 2008 un référentiel sur les secours aux personnes et l'aide médicale urgente. Nous sommes en relation avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour une éventuelle révision de ce référentiel.
Les acteurs de la santé se sont aussi beaucoup mobilisés autour des transports sanitaires urgents. La diminution des carences ambulancières est une réforme préparée de longue date avec l'ensemble des acteurs, notamment les transporteurs sanitaires. Déployée à partir de l'été 2022, elle est en cours d'évaluation. Les premières données disponibles sont positives, puisqu'elles mettent en évidence une diminution de 27 % des carences ambulancières. Un bilan qualitatif sera également réalisé.
S'agissant des numéros d'urgence, ils sont bien connus de la population. Cette organisation se transforme avec la généralisation des services d'accès aux soins. Ainsi, le 15 devient à la fois le numéro de l'accès aux soins de médecine d'urgence et celui de l'accès aux soins non programmés.
Par ailleurs, le ministère du travail, de la santé et des solidarités prend toute sa place dans les travaux sur l'expérimentation Matras, qui vise à explorer d'autres formes de coopération. Cette démarche donnera également lieu à une évaluation.
La répartition des rôles et missions des différents acteurs est relativement claire. Il existe effectivement des zones de chevauchement, qui nécessitent une coordination fine, mais elles sont résiduelles.
Nous avons eu à cœur de garantir la meilleure coopération possible entre les services, dans l'intérêt de la population. À cet effet, nous avons instauré en 2019 une gouvernance partagée au niveau régional et départemental. Nous avons aussi engagé des chantiers communs, comme la réorganisation de la gare ambulancière. Cette action a permis de réduire de 50 % le nombre de carences, selon les dernières données disponibles.
Avec les services de sécurité civile, nous menons depuis quelques mois un travail sur l'ordre zonal d'engagement des hélicoptères de la sécurité civile. Cette démarche devrait être finalisée d'ici quelques semaines. De manière générale, nous associons volontiers les SDIS à nos travaux, et réciproquement. Nous faisons tout notre possible pour structurer et pacifier nos relations avec ces services, de manière à pouvoir résoudre conjointement les problèmes auxquels nous faisons face.
Au quotidien, les acteurs connaissent bien les limites de leurs missions sur le terrain. Des situations conflictuelles peuvent se présenter, mais il en est ainsi dans toute organisation.
En tant que représentants des ARS, notre préoccupation consiste à choisir l'offre la mieux adaptée aux besoins du malade. Nous associons les SDIS à nos travaux, et nous partageons avec eux les règles et les protocoles.
En région Grand Est, l'enjeu relève davantage de la doctrine : comment construire une stratégie commune à moyen terme ? Nous avons identifié des pistes d'action qui nous aideraient à consolider ces progrès et à gagner en efficacité.
L'acculturation au risque de notre population vous paraît-elle suffisante ? À votre sens, les jeunes générations sont-elles suffisamment impliquées ? Avez-vous l'occasion d'aborder ce sujet avec le ministère de l'éducation nationale ?
Vous soulevez là une question fondamentale : comment rendre notre nation plus résiliente aux crises, et particulièrement aux situations sanitaires exceptionnelles ? Cette problématique est prise en compte dans la stratégie nationale de résilience, qui a pour objet de renforcer la résistance aux chocs de l'ensemble des acteurs de la nation : les citoyens, les collectivités territoriales, mais aussi les entreprises.
Dans le milieu du travail, des ambassadeurs de lutte anti-Covid ont été désignés. Leur mission consistait à porter des messages de prévention auprès de leurs collègues. Dans l'éducation nationale, de nombreuses initiatives en ce sens ont aussi été déployées.
Selon moi, l'intégration de la notion de résilience dans les parcours de formation de type PSC1 mérite un débat interministériel.
Je rappellerai aussi qu'une journée « Tous résilients face aux risques » a été organisée en 2022 par le Gouvernement. Cette initiative s'avère très intéressante pour approfondir la connaissance du sujet. Seule la diffusion de la connaissance permet de contrer l'influence des réseaux de désinformation. En tout état de cause, notre ministère est très ouvert pour travailler sur ces différents sujets.
Vous avez mis en avant la nécessité d'une bonne coordination entre acteurs, ainsi que les dispositifs engagés pour répondre aux situations rencontrées. Plusieurs directeurs de SDIS nous ont rapporté que leurs ambulances devaient parfois patienter plusieurs heures aux urgences lors des pics d'affluence. Avez-vous examiné ce problème et identifié des pistes pour y remédier ?
Je vous confirme que cette préoccupation est bien détectée et fait l'objet d'échanges fréquents entre l'administration, les ARS, les représentants des urgentistes et tous les acteurs du ministère de l'intérieur. Cette question est appréhendée au travers de l'engagement présidentiel pour le désengorgement du système de soins.
Une réforme importante sur les autorisations de médecine d'urgence est entrée en action au moment des fêtes de fin d'année. Elle a permis de pérenniser plusieurs mesures des missions flashs du Docteur François Braun, qui ouvrent de nouvelles possibilités d'organisation pour les territoires. C'est l'une des solutions mises en œuvre pour réduire les pressions dans les urgences, et ses effets devraient aussi permettre de réduire les délais d'attente des ambulanciers et des sapeurs-pompiers.
En Nouvelle Aquitaine, ce problème est bien identifié, mais il doit être relativisé. De fait, cette difficulté n'affecte que deux départements sur douze dans notre région. Si elle touche la Gironde de manière quasi permanente, elle affecte les Landes essentiellement en période estivale, du fait de l'afflux de population. En résumé, onze départements sur douze ne connaissent pas de problèmes chroniques d'engorgement des urgences. J'ajoute qu'en Gironde, le phénomène touche spécifiquement l'agglomération de Bordeaux, où les temps d'attente aux urgences sont historiquement élevés.
Les SDIS, la préfecture et les ARS ont pris la mesure du problème, et plusieurs actions ont été lancées. Dans plusieurs établissements, des bornes d'horodatage ont été installées, de manière à pouvoir quantifier les temps d'attente. En outre, des zones de dépose dédiées aux SDIS ou transporteurs sanitaires ont été aménagées. Certains établissements se dotent aussi de circuits de prise en charge dédiés aux sapeurs-pompiers ou transporteurs sanitaires. La combinaison de ces mesures a permis de réduire significativement la durée des temps d'attente et la fréquence des délais excessifs.
Des améliorations ont pu être constatées objectivement depuis quelques années, mais la situation reste perfectible. C'est d'ailleurs l'une des priorités de notre directeur général pour 2024. À cet effet, nous avons prévu de contractualiser avec les établissements de santé portant les services d'accueil d'urgence pour redoubler d'efforts sur la diminution des temps d'attente.
Ce sujet fait aussi partie des priorités de l'ARS du Grand Est. En tant que médecin urgentiste en activité, je peux témoigner de la complexité de cette question. Il est à noter que la saturation des services d'urgences n'est pas une problématique propre à la France : tous les pays développés rencontrent la même difficulté.
Dans la région Grand Est, nous avons décidé d'inscrire à notre projet régional de santé (PRS) un objectif « zéro brancard » pour les patients en attente d'hospitalisation. En complément, nous prévoyons un investissement de 8 millions d'euros en 2024 pour aider les établissements à se doter de dispositifs internes. Il s'agit d'un travail structurel de grande ampleur, qui nécessite du temps.
Merci beaucoup pour cet échange. Si vous le souhaitez, n'hésitez pas à nous adresser vos contributions écrites, qui seront prises en compte dans notre rapport.
Puis, la mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Recherche et anticipation au service de la sécurité civile ».
Nous terminons cette après-midi d'auditions avec une dernière table ronde thématique : après avoir échangé, lors des précédentes tables rondes, sur les questions environnementales, les technologies de communication, les grands événements, la logistique d'urgence et, aujourd'hui même, sur les enjeux sanitaires concernantla sécurité civile, nous nous penchons enfin sur les questions de recherche et d'anticipation.
Cet enjeu se trouve au cœur de la mission d'information : c'est en anticipant l'avenir que nous parviendrons à faire évoluer notre modèle de sécurité civile afin de lui permettre de faire face aux grands enjeux de notre siècle – et il y a encore, en la matière, d'importants efforts à mener.
Nous avons l'honneur de recevoir M. Patrick Laclémence, professeur, titulaire de la chaire gestion de crise de l'université de Troyes ; M. Patrick Lagadec, chercheur spécialiste de la gestion de crise et du risque, qui est avec nous en visioconférence ; et M. Jérôme Dantan, enseignant-chercheur, docteur en informatique au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et spécialiste des systèmes de décision en univers incertain, également en visioconférence.
Je tiens à vous remercier pour votre présence et pour le temps que vous avez bien voulu nous accorder pour contribuer à nos travaux de contrôle et, ainsi, éclairer la représentation nationale sur la situation actuelle et les évolutions souhaitables pour notre modèle de protection et de sécurité civile.
Avant de vous céder la parole, je rappelle rapidement que notre mission d'information, composée de députés issus de tous les groupes politiques, a été initiée par le groupe Horizons, dont fait partie notre rapporteur, Didier Lemaire. Cette table-ronde, enregistrée et accessible sur le site internet de l'Assemblée nationale, fera aussi l'objet d'un compte rendu qui sera annexé au rapport ; nous espérons que notre rapport pourra être rendu rendu public au printemps.
Cette mission m'a été inspirée par mon expérience d'élu local, notamment durant la crise sanitaire, et par mon ancien métier de sapeur-pompier. Il m'est apparu important d'engager une réflexion sur notre modèle de sécurité civile.
Messieurs, comment définiriez-vous les notions de crise et de gestion de crise ? Quels sont les principaux défis liés à ces situations pour les pouvoirs publics ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais préciser que notre chaire gestion de crise est codirigée par l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Au regard du sujet qui nous occupe, cette coopération trouve tout son sens.
Avant de définir la notion de crise, il faut commencer par comprendre dans quelle société nous vivons. Jamais l'homme n'a autant échangé, jamais il ne s'est autant déplacé qu'aujourd'hui. La continuité d'activité est devenue une obsession. Dans cet environnement, l'enjeu consiste à maintenir le décideur au centre du système. Il s'agit d'une problématique centrale du troisième millénaire.
En ce qui concerne la crise, toute la difficulté consiste à gérer la rupture et la minute d'après. Cette préoccupation a toujours habité l'être humain. La minute d'après est angoissante, traumatisante, et source de problèmes à résoudre. De fait, nous vivons constamment dans l'anticipation.
Nous sommes confrontés aujourd'hui à différents types de crise. Je distinguerai tout d'abord la crise « de rupture », qui nécessite de relier l'avant et l'après. C'est le cas par exemple de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. Il existe aussi une crise « de fracture », qui pose beaucoup plus de difficultés, car elle est liée à des phénomènes naturels. Au cours des vingt dernières années, les crises de cette nature se sont multipliées. Elles ont des coûts humains et financiers élevés. Par ailleurs, j'appellerai crise « de mémoire » les attentats terroristes, qui touchent la mémoire collective d'une société. Récemment, elle s'est matérialisée sous forme de « self terrorisme ». Enfin, avec le Covid-19, nous avons fait l'expérience d'un autre type de crise. Dans ce cas, nous sommes passés de la gestion de crise à la crise de gestion. Nous avons dû nous demander où positionner l'expertise, et le politique a repris la main.
La gestion de crise doit être temporaire, car dès qu'elle s'inscrit dans une échelle de temps plus longue, de nouveaux problèmes émergent. Personnellement, j'ai consacré ma thèse aux phénomènes de panique dans les stades. Contrairement à la peur, qui a un objet défini, l'angoisse est liée à une atmosphère. Il est donc essentiel d'apporter une réponse le plus rapidement possible, et c'est tout le principe de la gestion de crise. Pour cela, il faut trouver la bonne articulation entre les différents niveaux d'intervention.
Nous avons l'habitude de définir la crise à partir de l'accident. Néanmoins, la crise ne se confond pas avec l'urgence. L'urgence implique de mobiliser très rapidement des moyens pour faire face à une situation connue, empreinte d'une légère incertitude : il s'agit d'alerter, de mobiliser et de coordonner au mieux dans cet environnement.
Pour sa part, la crise survient lorsqu'il y a une destruction des références : les paradigmes habituels et les hypothèses appliquées en temps normal n'opèrent plus. Nous sommes obligés de passer d'un univers de réponses à un univers de questions. Comme le précisait un ministre américain de la santé en 1976 à propos de l'épidémie de grippe porcine : « Ce n'est pas que nous n'avions pas les réponses : nous n'avions pas les questions que nous aurions dû nous poser. »
Pour les décideurs, l'enjeu est bien de parvenir à passer d'un univers de réponses à un univers de questions très complexes. Cela implique deux exigences : l'excellence dans le connu, d'une part, et l'inventivité dans l'inconnu, d'autre part. Si la société est plutôt bien préparée aux grandes urgences, elle est très mal préparée à l'environnement de crise. Il est primordial de bien comprendre que nous sommes désormais confrontés à des scénarios de surprise de haute intensité, qui sont d'une nature radicalement différente des risques auxquels nous avions à faire face jusqu'alors.
Hippocrate décrivait la crise comme un moment où tout peut basculer, où tous les futurs sont possibles. Une crise est une situation exceptionnelle et imprévisible, et par conséquent inconnue de l'homme. La gestion de crise consiste à prendre des décisions visant à minimiser les conséquences négatives de la crise. Pour cela, il convient de s'appuyer sur l'anticipation et la prévention.
Pour les pouvoirs publics, la complexité et l'incertitude découlant de la crise sont des défis majeurs. Les technologies d'information et de communication sont déterminantes pour la prévention et la gestion de la crise.
À la lumière de vos expertises respectives, quel regard portez-vous sur l'évolution des menaces et des crises des dernières décennies ? Quelles seraient les caractéristiques des crises des années à venir ?
Comme je vous le précisais, j'ai travaillé sur les phénomènes de violence et de panique dans les stades. En 1985, un mouvement de foule consécutif à des attaques de supporters, au stade du Heysel à Bruxelles, faisait 39 morts et plus de 400 blessés. La tragédie avait été retransmise en direct à la télévision. Margaret Thatcher avait alors engagé une politique très dure pour combattre le phénomène, qui représentait l'ennemi public numéro un et qui deviendra une véritable obsession. Cela n'empêchera pas la survenue d'un nouveau drame, quatre ans plus tard, à la suite d'un mouvement de foule. Cet exemple montre qu'il faut savoir trouver le bon équilibre entre la gestion du quotidien et des mesures ciblant des situations extrêmes, sans céder à l'angoisse permanente.
Le décideur doit tenir compte de deux dimensions, imbriquées en contexte de crise. D'une part, il lui faut répondre à l'événement et à ses potentiels effets systémiques rapides, en s'efforçant de s'adapter à l'inconnu et à des surprises de haute intensité. D'autre part, les socles sur lesquels le décideur ancre ses actions sont de plus en plus fragiles : la cohésion sociale, la crédibilité des experts et des responsables, la légitimité, la vérité des faits et la démocratie elle-même sont de plus en plus mises en cause. Il s'agit donc de composer avec des événements sortant des cadres, en s'appuyant sur des socles beaucoup plus friables. Cet environnement nécessite de revoir les liens entre les organes de décision et les organes d'expertise, et c'est l'un des grands défis de la gestion de crise aujourd'hui. À cet égard, la crise de Covid-19, au même titre que tous les grands événements récents, a révélé la difficulté à piloter les décisions dans un tel contexte.
Selon mes hypothèses, nous ne sommes pas préparés à ces situations. À mon sens, le grand danger serait d'améliorer notre capacité de réponse à des urgences limitées, que nous savons déjà traiter, alors que l'essentiel est ailleurs : nous devons apprendre à « fracturer nos univers mentaux », pour citer les propos du patron de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) après le passage de l'ouragan Sandy. Bien entendu, il est extrêmement difficile et angoissant de se préparer à des scénarios inconnus avec des acteurs que nous ne connaissons pas. C'est pourtant bien l'enjeu des crises que nous allons rencontrer, et si nous prenons du retard dans ce domaine, nous le paierons très cher. Il est donc urgent de s'atteler à répondre aux crises d'aujourd'hui, plutôt que de se préoccuper des crises d'hier.
Mes travaux de recherche confirment que les crises à venir auront des conséquences de long terme sur le système de sécurité civile. Nous prévoyons des pénuries de ressources énergétiques, des manques d'eau et une réduction des surfaces agricoles, dans un contexte d'augmentation de la population. Les impacts du changement climatique deviennent également plus significatifs.
Parmi les solutions envisagées, l'agriculture de précision devrait aider à ajuster les doses d'intrants au plus près des besoins, limitant ainsi les impacts sur l'environnement. En production animale, les technologies de l'information ouvrent des avancées en matière de bien-être animal, de santé et de sécurité sanitaire. Elles faciliteront notamment la prévention des pandémies.
L'aide à la surveillance environnementale est tout aussi fondamentale. Elle permet de lutter par exemple contre les feux de forêt, grâce à la prévention de la sécheresse.
Pour sa part, la robotisation réduira la pénibilité, améliorant du même coup les conditions de travail des agriculteurs. Cette thématique sera appréhendée dans notre institut par la future chaire « Agromachinisme et nouvelles technologies ».
À l'avenir, les services de sécurité civile seront certainement amenés à prendre en charge des opérations de logistique et à assurer l'approvisionnement en eau des régions en pénurie. Tous les outils et procédés permettant d'économiser la ressource en eau prendront une importance stratégique.
Par ailleurs, les attaques contre les systèmes d'information des hôpitaux, des entreprises ou des usines risquent de se multiplier dans les années à venir. Cette menace pèse aussi sur les objets connectés et les capteurs, qui pourraient propager de fausses informations.
Quelle crise récente vous paraît emblématique des forces et limites du modèle français de gestion de crise ? Quels enseignements en tirez-vous ?
Le premier cas qui me vient à l'esprit est celui de la crise de Covid-19, qui a mis en évidence les forces et faiblesses de notre modèle. Pour ce qui est des faiblesses, il convient de constater que notre modèle d'expertise devient difficile à gérer, notamment pour le décideur. D'ailleurs, l'intelligence artificielle vient compliquer l'équation, en court-circuitant le rôle du chercheur. Les résultats issus de calculs mathématiques semblent en effet impossibles à contredire.
De mon point de vue, notre fragilité réside aussi dans notre capacité à percevoir la limite du système. D'un côté, nous disposons d'un nombre croissant de systèmes d'assistance, qui font notre force. D'un autre côté, le décideur ne peut plus réfuter les informations produites par des bases de calcul. De ce fait, il perd la maîtrise du processus de prise de décision.
Où placer le décideur ? Comment l'aider à se protéger ? Comment attribuer les responsabilités dans la chaîne hiérarchique ? Telles sont, en résumé, les questions de fond auxquelles il nous incombe de répondre. Il en découle une autre interrogation cruciale : comment faire progresser le droit pour tenir compte de ces évolutions ?
Permettez-moi de vous citer quelques exemples qui donnent matière à réflexion sur la gestion de crise. J'évoquerai, tout d'abord, l'explosion de l'usine chimique AZF à Toulouse. D'après la première information transmise au Samu, des bombes avaient éclaté dans toute la ville. Dès lors, il était impossible de déterminer les lieux d'intervention prioritaires. Une autre difficulté tenait au fait que les premiers blessés se trouvaient dans l'hôpital, ayant été touchés par des éclats de verre. Ce sont les blessés qui ont orienté le Smur sur le lieu de l'accident. La règle veut que dans une situation d'urgence de ce type, les vitres et entrées d'air soient colmatées. Or, les vitres avaient été pulvérisées, ce qui empêchait de respecter cette consigne. Enfin, en l'espace de quelques minutes, des centaines de blessés avaient rejoint l'hôpital. La situation était d'autant plus inquiétante que l'on redoutait un effondrement du bâtiment. De son côté, le colonel des sapeurs-pompiers découvre qu'il a perdu toute liaison avec le préfet et avec ses troupes. Comment agir en présence d'événements aussi singuliers et complexes ? Vingt ans après les faits, les résultats des expertises sur les circonstances demeurent incertains.
En août 2022, la Corse fut frappée par des orages d'une violence extrême. Cet événement climatique avait été prévu par un modèle météorologique, mais les autres simulations étaient bien moins alarmistes. Le scénario le plus inquiétant avait donc été ignoré, de sorte que les populations n'ont pas été alertées aussi vite qu'il l'aurait fallu.
En résumé, c'est la plongée dans des situations auxquelles les décideurs et les experts ne sont pas bien préparés qui soulève des problèmes majeurs. Face à de telles crises, les experts doivent être capables de prendre des décisions intelligentes en temps réel, en acceptant des risques mesurés. D'ailleurs, les organismes d'expertise n'ont peut-être pas engagé de réflexion sur les actions à mener, dans une configuration d'extrême urgence et d'extrême incertitude, pour éclairer les décideurs. C'est bien sur ces nouvelles frontières que nous devons apprendre à travailler.
Lors des attentats du 11 septembre 2001, 18 officiers supérieurs des sapeurs-pompiers sur 23 sont décédés en montant dans les tours du World Trade Center pour tenter d'éteindre ce qui semblait être un incendie. Dans un univers aussi déconcertant, il était impensable de conduire une réflexion stratégique guidant l'action.
Il est certain que nous allons connaître d'autres situations de ce type, à l'instar de celles que nous avons connues à profusion pendant la crise sanitaire. Je maintiens que nous ne sommes absolument pas préparés à ces événements, tant il est culturellement angoissant de s'entraîner à réfléchir à très haute vitesse sur des hypothèses aussi inédites.
C'est pourquoi j'ai proposé à EDF de développer une « force de réflexion rapide », à savoir une capacité de réflexion à très haute vitesse, avec des personnes très entraînées, pour imaginer des perspectives d'action dans des environnements fragilisés. Nous devons nous préparer de toute urgence à ces défis, sous peine d'être « vaincus à chaque bataille », comme l'écrivait Marc Bloch.
Par nature, une crise est un moment de rupture, que nous ne pouvons pas appréhender en fonction des expériences passées. Il nous faudra donc développer des systèmes informatiques capables de tenir compte de la réalité à l'instant t et des futures hypothèses. Or, il existe un décalage entre le temps présent et sa transposition dans les systèmes informatiques. Il s'agit donc de réduire autant que possible cet écart.
Une autre source de difficulté tient à la véracité de l'information qui nous est communiquée par des capteurs automatiques ou d'origine humaine. La fiabilité de la source et la crédibilité de l'information vont devenir de plus en plus cruciales. Il faut employer des outils permettant d'agréger des données, en vue de qualifier une source. Les informaticiens devront aussi concevoir des solutions pour identifier la source de la source.
Il convient aussi d'être attentif aux aléas liés au facteur humain, et notamment aux biais cognitifs : l'être humain a une tendance naturelle à se focaliser sur les crises récentes, en oubliant les crises plus anciennes. De même, nous devrons mettre au point des outils permettant de détecter les dissonances cognitives, de manière à s'assurer que différents interlocuteurs parlent bien du même sujet.
Monsieur Laclémence, comment définiriez-vous les concepts de sécurité globale et d'anticipation ?
Pour répondre à votre question, je voudrais commencer par rappeler la création de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI) par Pierre Joxe en 1989. Cette date n'a rien de fortuit, puisqu'il s'agissait de repenser la sécurité intérieure dans un monde ouvert, après la chute du Mur de Berlin. C'est à partir de cette époque qu'une réflexion sur la notion de sécurité va être lancée. J'ai eu la chance de participer à ces travaux.
Après l'attentat de la station Saint-Michel, en 1995, un espace sécuritaire est reconstruit et les militaires sont sollicités pour compléter les patrouilles. S'ensuit une succession d'actes terroristes, qui conduisent à s'orienter vers une approche globale de la sécurité.
À l'époque, nous avons ouvert, avec Dominique Bourg, un laboratoire consacré aux risques sociaux et sociétaux à l'université de technologie de Troyes. Au sein de cette équipe de recherche, nous travaillons sur la sécurité globale.
La santé et la sécurité font face à la même problématique. Si Robert Debré avait décidé d'associer des établissements universitaires avec des hôpitaux, c'est parce que dans notre monde, la recherche ne peut plus être désolidarisée du décideur. C'est pourquoi l'IHESI et d'autres laboratoires se sont efforcés de ramener le décideur au niveau de la recherche.
Dans le cadre de mes fonctions à l'Agence nationale de la recherche, j'ai été amené à travailler sur la question de la résilience. La sécurité globale implique d'appréhender l'ensemble du système pour traiter un point particulier, en associant dès le départ les praticiens. L'enjeu consiste à faire participer la hiérarchie aux travaux de recherche. C'est l'une des facettes de la sécurité globale, qui est une méthodologie.
J'en viens à votre question sur l'anticipation. J'ai pu accompagner des professionnels jusqu'au doctorat, ce qui a permis de bénéficier de leurs retours d'expérience et de leur longue expertise. C'est un extraordinaire levier d'anticipation.
Pour terminer, je voudrais évoquer un dernier exemple. Il y a près de six ans, nous avons répondu à un appel à projets du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur le terrorisme. Avec une archéologue, nous avons donc bâti un programme de recherche sur l'« archéologie du sang » : il portait sur les objets provenant de pays en guerre et intégrant les circuits de la criminalité organisée. Cette initiative, née d'une coopération entre professionnels et chercheurs, est devenue un programme européen.
La sécurité globale nécessite la mutualisation de compétences de très haut niveau, sur des domaines transversaux, l'objectif étant d'assurer la continuité d'activité.
Monsieur Dantan, quelle place occupe le numérique dans la survenue des crises et leur gestion ? Comment anticiper son rôle futur ?
Nous avons déjà mentionné le risque de piratage d'infrastructures stratégiques et de systèmes d'information. La gestion d'une crise repose très largement sur les moyens de communication, et il faut éviter à tout prix l'irruption d'une « crise dans la crise », notamment à travers la rupture des moyens de communication. En ce sens, le numérique joue un rôle dans la survenue des crises.
Il faut aussi contrer la propagation de la désinformation et optimiser la coordination entre les acteurs, grâce à des applications prévues à cet effet. Les solutions de « télésanté » et de « télémédecine » sont aussi des outils précieux facilitant les soins à distance.
À côté de la gestion de crise, j'insisterai également sur le travail de prévention. Je pense notamment à la surveillance environnementale, qui passe par des drones, des capteurs de température ou d'humidité et des modélisations alimentées par l'intelligence artificielle.
Nous disposons donc d'un large panel de capteurs à même de nous fournir des données plutôt locales, ainsi que d'indicateurs globaux tels que la télédétection.
En ce qui concerne l'anticipation du rôle du numérique, nous avons déjà fait référence à l'intelligence artificielle, et relevé l'importance de la coordination entre les acteurs métiers pour vérifier la fiabilité des données obtenues par cette technologie.
En tout état de cause, il est indispensable que les acteurs du terrain collaborent non seulement avec le décideur, mais aussi avec le modélisateur. Dans la même perspective, il faut se doter de modèles explicables.
Les progrès des technologies promettent de grandes avancées. Les images satellites deviendront plus fréquentes et précises, et les drones gagneront en capacité et en autonomie. De nouveaux robots capables d'intervenir en conditions extrêmes seront également mis au point.
Enfin, la réalité virtuelle et la réalité augmentée pourront être mises au service d'actions de formation, notamment à travers des simulations. Ces procédés permettent en effet de créer des environnements plus réalistes. Les équipes de gestion de crise ont tout intérêt à investir dans le développement des compétences numériques.
Monsieur Lagadec, par quels moyens est-il possible de s'entraîner, à l'échelle d'une société, à gérer la « surprise », soit le caractère imprévu d'une crise ?
Le piège consisterait à multiplier les séminaires et préparations de crise pour s'entraîner à mobiliser beaucoup plus rapidement les solutions existantes. Le débriefing permettrait de mesurer l'écart entre les actions réellement mises en œuvre et celles qu'il aurait fallu déployer.
Aussi nécessaire soit-elle, cette démarche n'est pas suffisante pour répondre aux surprises. À titre personnel, j'adopte une approche radicalement différente dans mes travaux avec les directeurs médicaux de crise à Sorbonne Université. Au lieu de leur proposer des scénarios connus, je leur demande de concevoir eux-mêmes des situations hypothétiques auxquelles nous n'avons pas de réponse. Je les accompagne pour parvenir à naviguer dans cet univers fait de surprises et d'inconnu.
C'est une approche difficile à mettre en place et cela nécessite donc une impulsion au plus haut niveau. Je me souviens que lors de la création de l'IHESI, Pierre Joxe avait ouvert un premier séminaire auquel plusieurs préfets avaient participé. En revanche, trois ou quatre préfets n'avaient pas souhaité le suivre. Quelle ne fut pas leur stupeur en apprenant que le séminaire se poursuivrait à Beauvau, en présence du ministre ? Ils prirent ainsi conscience de l'importance de ce travail. Cette démarche avait montré qu'il existait, au plus haut niveau de l'État, une volonté d'envoyer un message de mobilisation collective sur ces questions essentielles.
Dans les années 2000, nous avons relancé ce parcours de formation à destination des préfets. Dans ce cadre, nous avons organisé un séminaire spécifique sur le thème « Nouvelles crises, nouvelles attitudes » : les participants étaient invités à nous faire part des solutions qu'ils avaient inventées pour faire face à des crises inédites. Cette expérience s'est révélée passionnante.
Bref, nous avons besoin d'une logique d'ouverture. À ce propos, il me vient à l'esprit une demande récente d'Olivier Schmitz, gouverneur de la province de Luxembourg, en Belgique. Ce dernier a fait appel à moi pour mettre au défi son équipe, la pousser dans ses retranchements et l'encourager à aller au-delà du connu.
Avec le général Gallet, qui était à l'époque commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, nous avions organisé une journée internationale au Palais de la Découverte, intitulée Thinking differently. Il s'agissait d'étudier les nouveaux univers de pensée qu'il était nécessaire de s'approprier. À cette occasion, le général Gallet avait invité le patron des sapeurs-pompiers de Tokyo et le responsable des sapeurs-pompiers de New York ayant dirigé les opérations au World Trade Center en 2001.
Quand j'ai été sollicité chez EDF pour entraîner une « force de réflexion rapide », aux côtés de Pierre Béroux, la surprise était systématiquement au centre des scénarios sur lesquels nous travaillions. Nous tenions en effet à constituer une équipe capable d'intervenir très rapidement sur une « feuille blanche », sans détenir l'expertise et la connaissance du milieu nécessaires.
L'objectif est bien d'aller au-delà des plans donnés et au-delà des réponses pour travailler sur les questions. Nous devons parvenir à mobiliser de l'énergie et de la détermination pour enclencher cette dynamique, et cela suppose une stimulation au plus haut niveau. L'exercice est inquiétant, car il nous oblige à passer de la gestion à l'invention, en temps réel et avec d'autres intervenants. Tel est l'esprit des actions qu'il nous faut engager.
Quel regard portez-vous sur la place de la protection et de la sécurité civile dans notre modèle français ? Quel est votre avis sur la coordination interministérielle dans ce domaine ?
Plusieurs diplômes en sécurité globale ont été créés il y a une vingtaine d'années. Il existe aussi un diplôme de gestion de crise, qui a été mis en place avec les officiers de sapeurs-pompiers.
Dans une culture d'ouverture et d'hybridation, qui amène à étudier aussi bien les risques sociaux et sociétaux que les risques technologiques ou les risques environnementaux, nous devons élaborer de nouveaux moteurs de décision avec une perspective globale. Vingt ans après la création des premiers diplômes en sécurité globale, d'anciens étudiants ayant réussi le concours de sapeur-pompier ou d'officier viennent occuper des postes de décision. Certains poursuivent leurs études jusqu'au doctorat.
La sécurité civile est un système très réactif. Elle n'est pas organisée autour d'un ennemi, mais autour de problématiques à résoudre. Par conséquent, elle requiert une stratégie. Les modèles partent du réel pour aller vers la définition des besoins.
De mon point de vue, la sécurité civile est un modèle intéressant, tant en termes de programmation qu'en termes de proximité. De fait, la sécurité civile est la première force de proximité. En tant que telle, elle est exportable.
En revanche, je suis assez dubitatif sur la pertinence d'une coordination interministérielle dans ce domaine. En effet, il paraît difficile de concilier l'exigence de proximité avec les mécanismes des décisions interministérielles. Se pose, plus largement, la question de se doter d'un système de sécurité civile européen. Quoi qu'il en soit, je constate que la crise amène tous les acteurs à se réunir.
La véritable préoccupation, d'après moi, a trait à la préparation des acteurs : au-delà des moyens employés en salle de crise, l'efficacité de notre réponse dépend essentiellement de la préparation de l'ensemble des acteurs aux nouvelles surprises à affronter. Cette question me paraît prioritaire par rapport à celle de la coordination interministérielle. Encore une fois, si nous sommes en retard d'une guerre, nous en paierons le prix fort. Mieux vaut faire travailler les acteurs sur des sujets qui nous dépassent plutôt que de visiter des salles de crise. C'est le grand enjeu de la sécurité civile.
Je ne peux que souscrire aux interventions de mes collègues. J'ajouterai que toutes les mesures susceptibles de favoriser le partage et la centralisation d'informations seront bienvenues, tout comme les actions de formation continue des différents intervenants – en particulier au sein du ministère de l'intérieur et dans les services de sécurité civile.
Avant de vous poser une dernière question, je vous rappelle que vous pouvez librement nous faire parvenir vos contributions écrites sur tout sujet se rapportant à notre thématique de travail.
Au fil de nos auditions, nous avons constaté un déficit dans la culture du risque de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des élus ou des citoyens. Nos travaux montrent que personne ne sait comment réagir face à une situation anormale ou une crise. Il nous apparaît donc nécessaire de diffuser cette culture du risque, de sensibiliser et d'informer.
Selon vous, par quels moyens pouvons-nous parvenir à mieux diffuser dans la population la culture du risque et faire connaître les premiers réflexes à adopter en cas d'événement imprévu ?
On estime à 75 milliards le nombre d'objets interconnectés en 2025.
Pour répondre à votre question, j'aimerais vous faire part du témoignage d'un jeune doctorant équatorien ayant participé à un programme de recherche que j'ai animé en partenariat avec l'école des sapeurs-pompiers d'Aix et Airbus, parmi d'autres structures. Ce chercheur avait choisi de travailler sur la catastrophe climatique ayant touché la vallée de la Roya dans les Alpes-Maritimes en 2021. Il s'est intéressé à l'entraide entre villageois qui a précédé l'intervention du système institutionnel, et a pu mettre en évidence le rôle significatif de cette coopération. De retour de son enquête, il nous a confié que les villages de la Roya lui rappelaient son village natal par l'importance du lien social. Le fait est que les relations de voisinage contribuent beaucoup à la transmission de la culture du risque. Or, ces relations ont été mises à mal par la crise sanitaire.
Par conséquent, les liens sociaux sont un excellent vecteur de propagation de la culture du risque. D'ailleurs, les pompiers volontaires participent activement à cette démarche, de même que les policiers et gendarmes volontaires.
Enfin, le milieu associatif, par sa vocation à « aller vers » les populations, peut aussi nous aider à mobiliser nos concitoyens. Je pense, par exemple, aux actions de sensibilisation portant sur les défibrillateurs dans les villages.
Je voudrais évoquer à mon tour une anecdote qui me semble bien résumer le problème de la diffusion de la culture du risque dans la population. Lors d'un séminaire, nous avons assisté à une rencontre entre des sapeurs-pompiers et des écoles. À cette occasion, j'ai entendu un sapeur-pompier dire à une élève de CM2 : « S'il y a un problème, ne t'en fais pas, nous serons là. » En aparté, je lui ai conseillé d'expliquer aussi aux écoliers qu'il leur faudrait peut-être un jour sauver eux-mêmes un membre de leur famille. Je pense ici à Tilly Smith, jeune Anglaise de dix ans qui, ayant compris qu'un tsunami approchait, a sauvé 100 personnes en faisant évacuer une plage de Thaïlande en 2004. Il faudrait porter largement ce message, et cesser de s'effrayer du partage de l'information.
Pour ce qui est de l'implantation de la culture du risque au plus haut niveau, je reprendrai à mon compte le remarquable dispositif mis en place par le conseiller spécial de l'Agence fédérale des situations d'urgence américaine (FEMA) lors de l'ouragan Sandy. Ce dispositif se composait de trois cellules d'appui au directeur général de la FEMA : une cellule « Détection des erreurs », une cellule « Détection des initiatives émergentes », et enfin une cellule « Inventions ». Je suis convaincu que les initiatives stratégiques au plus haut niveau, destinées à faciliter le pilotage, sont absolument primordiales. C'est bien cette capacité d'invention collective, tant sur le terrain qu'au niveau stratégique le plus élevé, qui nous fait défaut et que nous devons développer aujourd'hui.
Malheureusement, ce sujet suscite tant d'inquiétude qu'en règle générale, les acteurs s'en tiennent à des scénarios déjà connus. Sans nier l'importance de ce travail, je constate que nous ne sommes pas assez impliqués dans la préparation à l'imprévu. Excellence dans le connu et inventivité dans l'inconnu : nous devons travailler sur ces deux dimensions. Force est de constater que jusqu'à présent, nous avons peu investi le second axe.
En tant qu'enseignant-chercheur, mais aussi en tant que citoyen, je suis particulièrement sensible aux questions d'éducation et de sensibilisation. À titre personnel, j'ai été marqué par les formations au secourisme. Elles gagneraient à être déployées plus activement dans les établissements scolaires ou dans les sites recevant du public.
La séance est levée à dix-sept heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Florian Chauche, M. Didier Lemaire
Excusés. - M. Bertrand Bouyx, Mme Marietta Karamanli, M. Éric Pauget,