Le piège consisterait à multiplier les séminaires et préparations de crise pour s'entraîner à mobiliser beaucoup plus rapidement les solutions existantes. Le débriefing permettrait de mesurer l'écart entre les actions réellement mises en œuvre et celles qu'il aurait fallu déployer.
Aussi nécessaire soit-elle, cette démarche n'est pas suffisante pour répondre aux surprises. À titre personnel, j'adopte une approche radicalement différente dans mes travaux avec les directeurs médicaux de crise à Sorbonne Université. Au lieu de leur proposer des scénarios connus, je leur demande de concevoir eux-mêmes des situations hypothétiques auxquelles nous n'avons pas de réponse. Je les accompagne pour parvenir à naviguer dans cet univers fait de surprises et d'inconnu.
C'est une approche difficile à mettre en place et cela nécessite donc une impulsion au plus haut niveau. Je me souviens que lors de la création de l'IHESI, Pierre Joxe avait ouvert un premier séminaire auquel plusieurs préfets avaient participé. En revanche, trois ou quatre préfets n'avaient pas souhaité le suivre. Quelle ne fut pas leur stupeur en apprenant que le séminaire se poursuivrait à Beauvau, en présence du ministre ? Ils prirent ainsi conscience de l'importance de ce travail. Cette démarche avait montré qu'il existait, au plus haut niveau de l'État, une volonté d'envoyer un message de mobilisation collective sur ces questions essentielles.
Dans les années 2000, nous avons relancé ce parcours de formation à destination des préfets. Dans ce cadre, nous avons organisé un séminaire spécifique sur le thème « Nouvelles crises, nouvelles attitudes » : les participants étaient invités à nous faire part des solutions qu'ils avaient inventées pour faire face à des crises inédites. Cette expérience s'est révélée passionnante.
Bref, nous avons besoin d'une logique d'ouverture. À ce propos, il me vient à l'esprit une demande récente d'Olivier Schmitz, gouverneur de la province de Luxembourg, en Belgique. Ce dernier a fait appel à moi pour mettre au défi son équipe, la pousser dans ses retranchements et l'encourager à aller au-delà du connu.
Avec le général Gallet, qui était à l'époque commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, nous avions organisé une journée internationale au Palais de la Découverte, intitulée Thinking differently. Il s'agissait d'étudier les nouveaux univers de pensée qu'il était nécessaire de s'approprier. À cette occasion, le général Gallet avait invité le patron des sapeurs-pompiers de Tokyo et le responsable des sapeurs-pompiers de New York ayant dirigé les opérations au World Trade Center en 2001.
Quand j'ai été sollicité chez EDF pour entraîner une « force de réflexion rapide », aux côtés de Pierre Béroux, la surprise était systématiquement au centre des scénarios sur lesquels nous travaillions. Nous tenions en effet à constituer une équipe capable d'intervenir très rapidement sur une « feuille blanche », sans détenir l'expertise et la connaissance du milieu nécessaires.
L'objectif est bien d'aller au-delà des plans donnés et au-delà des réponses pour travailler sur les questions. Nous devons parvenir à mobiliser de l'énergie et de la détermination pour enclencher cette dynamique, et cela suppose une stimulation au plus haut niveau. L'exercice est inquiétant, car il nous oblige à passer de la gestion à l'invention, en temps réel et avec d'autres intervenants. Tel est l'esprit des actions qu'il nous faut engager.