Le décideur doit tenir compte de deux dimensions, imbriquées en contexte de crise. D'une part, il lui faut répondre à l'événement et à ses potentiels effets systémiques rapides, en s'efforçant de s'adapter à l'inconnu et à des surprises de haute intensité. D'autre part, les socles sur lesquels le décideur ancre ses actions sont de plus en plus fragiles : la cohésion sociale, la crédibilité des experts et des responsables, la légitimité, la vérité des faits et la démocratie elle-même sont de plus en plus mises en cause. Il s'agit donc de composer avec des événements sortant des cadres, en s'appuyant sur des socles beaucoup plus friables. Cet environnement nécessite de revoir les liens entre les organes de décision et les organes d'expertise, et c'est l'un des grands défis de la gestion de crise aujourd'hui. À cet égard, la crise de Covid-19, au même titre que tous les grands événements récents, a révélé la difficulté à piloter les décisions dans un tel contexte.
Selon mes hypothèses, nous ne sommes pas préparés à ces situations. À mon sens, le grand danger serait d'améliorer notre capacité de réponse à des urgences limitées, que nous savons déjà traiter, alors que l'essentiel est ailleurs : nous devons apprendre à « fracturer nos univers mentaux », pour citer les propos du patron de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) après le passage de l'ouragan Sandy. Bien entendu, il est extrêmement difficile et angoissant de se préparer à des scénarios inconnus avec des acteurs que nous ne connaissons pas. C'est pourtant bien l'enjeu des crises que nous allons rencontrer, et si nous prenons du retard dans ce domaine, nous le paierons très cher. Il est donc urgent de s'atteler à répondre aux crises d'aujourd'hui, plutôt que de se préoccuper des crises d'hier.