Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Patrick Lagadec

Réunion du jeudi 15 février 2024 à 14h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Patrick Lagadec, chercheur spécialiste de la gestion de crise et du risque :

Permettez-moi de vous citer quelques exemples qui donnent matière à réflexion sur la gestion de crise. J'évoquerai, tout d'abord, l'explosion de l'usine chimique AZF à Toulouse. D'après la première information transmise au Samu, des bombes avaient éclaté dans toute la ville. Dès lors, il était impossible de déterminer les lieux d'intervention prioritaires. Une autre difficulté tenait au fait que les premiers blessés se trouvaient dans l'hôpital, ayant été touchés par des éclats de verre. Ce sont les blessés qui ont orienté le Smur sur le lieu de l'accident. La règle veut que dans une situation d'urgence de ce type, les vitres et entrées d'air soient colmatées. Or, les vitres avaient été pulvérisées, ce qui empêchait de respecter cette consigne. Enfin, en l'espace de quelques minutes, des centaines de blessés avaient rejoint l'hôpital. La situation était d'autant plus inquiétante que l'on redoutait un effondrement du bâtiment. De son côté, le colonel des sapeurs-pompiers découvre qu'il a perdu toute liaison avec le préfet et avec ses troupes. Comment agir en présence d'événements aussi singuliers et complexes ? Vingt ans après les faits, les résultats des expertises sur les circonstances demeurent incertains.

En août 2022, la Corse fut frappée par des orages d'une violence extrême. Cet événement climatique avait été prévu par un modèle météorologique, mais les autres simulations étaient bien moins alarmistes. Le scénario le plus inquiétant avait donc été ignoré, de sorte que les populations n'ont pas été alertées aussi vite qu'il l'aurait fallu.

En résumé, c'est la plongée dans des situations auxquelles les décideurs et les experts ne sont pas bien préparés qui soulève des problèmes majeurs. Face à de telles crises, les experts doivent être capables de prendre des décisions intelligentes en temps réel, en acceptant des risques mesurés. D'ailleurs, les organismes d'expertise n'ont peut-être pas engagé de réflexion sur les actions à mener, dans une configuration d'extrême urgence et d'extrême incertitude, pour éclairer les décideurs. C'est bien sur ces nouvelles frontières que nous devons apprendre à travailler.

Lors des attentats du 11 septembre 2001, 18 officiers supérieurs des sapeurs-pompiers sur 23 sont décédés en montant dans les tours du World Trade Center pour tenter d'éteindre ce qui semblait être un incendie. Dans un univers aussi déconcertant, il était impensable de conduire une réflexion stratégique guidant l'action.

Il est certain que nous allons connaître d'autres situations de ce type, à l'instar de celles que nous avons connues à profusion pendant la crise sanitaire. Je maintiens que nous ne sommes absolument pas préparés à ces événements, tant il est culturellement angoissant de s'entraîner à réfléchir à très haute vitesse sur des hypothèses aussi inédites.

C'est pourquoi j'ai proposé à EDF de développer une « force de réflexion rapide », à savoir une capacité de réflexion à très haute vitesse, avec des personnes très entraînées, pour imaginer des perspectives d'action dans des environnements fragilisés. Nous devons nous préparer de toute urgence à ces défis, sous peine d'être « vaincus à chaque bataille », comme l'écrivait Marc Bloch.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.