La réunion

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La mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des Français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable a auditionné, dans le cadre d'une table-ronde avec des acteurs du bâtiment et de la construction : M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment, M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques et Mme Léa Ligneres, chargée d'études ; M. David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, en charge des affaires économiques, et M. Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles ; Mme Françoise Despret, présidente de la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage, M. Loïc Berger, administrateur et M. David Lemaire, secrétaire général

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'Assemblée nationale mis en place une mission parlementaire transpartisane sur les questions du logement. Notre objectif est de présenter un rapport qui pourrait conforter ou soutenir un projet de loi à venir, avec trois axes principaux.

Il importe tout d'abord de reconnaître que la crise immobilière que nous traversons aujourd'hui n'est pas semblable à celles que notre pays a déjà connues : elle est aussi une crise sociale. Cette crise est clairement liée à l'offre, avec comme premier enjeu celui de la production de logements. Nous sommes donc preneurs de vos réflexions et propositions sur ce sujet.

Un deuxième aspect, certainement moins central à vos yeux mais qui fait également partie de notre mission, est lié à une plus grande mobilité au sein du parc existant.

Troisièmement, il existe un enjeu de rénovation thermique des logements, qui nous oblige à être au rendez-vous d'une double ambition : augmenter la production de logements et favoriser la transition énergétique.

Par ailleurs, le secteur du logement est un acteur économique essentiel. Le bâtiment est l'une des grandes filières d'emploi en France, sur laquelle notre pays a depuis longtemps établi des brevets d'excellence, et, de surcroît, il s'agit d'emplois non délocalisables. Ainsi, la crise immobilière et la crise du logement pourraient également avoir un impact économique, en cas de baisse d'activité des métiers que vous représentez.

Le Gouvernement devrait présenter trois projets de loi prochainement. Le premier, prévu d'ici la fin de l'année, se concentrera sur les copropriétés et la résorption de l'habitat insalubre. Le deuxième traitera de la régulation des meublés touristiques tandis que le troisième, sans nécessairement constituer une loi d'orientation, revêtira un caractère plus généraliste et comportera un volet important sur la décentralisation, comme annoncé la semaine dernière à Nantes, lors du Congrès HLM 2023, par le ministre chargé du logement – et comme le ministre l'a confirmé ce week-end, dans un entretien au journal Le Monde.

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

La Fédération française du bâtiment (FFB) représente 52 000 entreprises et les deux tiers des salariés du secteur travaillent dans nos entreprises adhérentes.

Neuf ou ancien, le logement rencontre aujourd'hui de grandes difficultés. Chacun sait que la France est en croissance démographique et que nous constatons d'importantes migrations internes. Dans la mesure où le lien emploi-logement est crucial, il faut absolument que le parcours résidentiel soit facilité et se débloque : la mobilité est nécessaire à la réindustrialisation de la France comme elle l'est à la création d'emplois, essentiellement non délocalisables dans le bâtiment comme dans d'autres secteurs. La politique qui consiste à rétablir une industrie solide en France, après un long épisode de désindustrialisation, doit transcender les clivages politiques. Il faut que nos concitoyens puissent se loger de façon abordable économiquement, d'abord, mais surtout confortable. Quelle que soit notre appartenance politique, je pense que nous sommes tous unanimes à reconnaître qu'il n'est plus possible d'opposer logement confortable et logement abordable.

Vous ne trouverez plus de climatosceptiques au sein de la filière construction, bâtiment, logement. Nous sommes pleinement conscients des enjeux environnementaux qui se dressent devant nous et, en réalité, ils sont source de motivation et d'attractivité. Ces défis poussent en outre les acteurs du secteur à se former avec enthousiasme pour devenir plus performants et exploiter des matériaux ou techniques nouveaux, que ce soit dans la construction neuve ou dans le cadre de la rénovation énergétique.

La France est championne du monde en matière de réglementation, comme l'illustre la norme environnementale RE2020. C'est un aspect dont nous sommes fiers. La FFB prône depuis des années l'innovation, y compris dans des domaines autres que le numérique, et encourage la recherche en collaboration avec l'industrie, notamment dans le domaine des matériaux biosourcés. La RE2020 est une norme qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Elle ne représente pas une contrainte, mais constitue un défi pour nos entreprises ; elle attire vers nous de nombreux talents, jeunes et moins jeunes, séduits par notre approche plus respectueuse de l'environnement. Désormais, la dimension environnementale et écologique est au cœur de toutes les préoccupations. C'est une vision que nous partageons tous.

Les belles intentions de sobriété foncière annoncées par ce gouvernement, après qu'elles l'ont été par celui d'Édouard Philippe, et la préparation de la RE2020, qui devait radicalement changer la donne après la réglementation thermique RT2012, se sont fracassées sur des événements pandémiques, dans un premier temps, puis géopolitiques, dans un second temps. Ces perturbations ont modifié la trajectoire que nous anticipions, portée par des taux d'intérêt bas et stables et une reprise économique déjà en cours depuis 2016-2017. Dans notre secteur, nous constations une reprise non seulement de notre chiffre d'affaires, mais aussi en termes d'emploi et de formation des jeunes. La belle trajectoire que nous connaissions en 2019 a ainsi été brusquement interrompue au cours de l'année 2020. Malgré cela, cette dynamique positive a pu se poursuivre, il faut le souligner, grâce aux aides gouvernementales. Cela a permis à toutes nos entreprises, des artisans aux PME en passant par les très petites entreprises (TPE), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes du secteur, de maintenir une activité soutenue, caractérisée par un carnet de commandes substantiel à l'époque, bien au-dessus de la moyenne. Cette situation nous a offert une perspective d'avenir un peu plus solide que ce que nous connaissons aujourd'hui.

Malheureusement, la pandémie a rapidement entraîné une désorganisation totale de la chaîne d'approvisionnement mondiale en matériaux. La première crise majeure que nous avons dû affronter en France, à savoir la crise des matériaux, s'est caractérisée par une augmentation exponentielle des prix des matériaux depuis janvier 2021, bien avant la crise liée au conflit en Ukraine. Entre janvier et juin 2021, nous avons vécu une flambée des prix des matériaux, en particulier le bois, l'acier, le cuivre ou encore le PVC. Dès 2021, nous avons connu un renchérissement du prix des logements neufs, mais celui de la rénovation. La hausse du coût des matériaux s'est répercutée sur le prix des produits finis dans les deux cas.

L'automne qui a suivi a été marqué par la première crise énergétique. Elle a engendré une nouvelle augmentation des coûts des produits finis, impactant de nouveau les prix dans les secteurs du logement et de la rénovation énergétique. Ainsi, début 2022, les prix des logements avaient connu une hausse significative, de l'ordre de 10 à 15 %. Les prix des maisons individuelles avaient déjà connu une augmentation de 7 à 8 % avec la mise en application de la RE2020. Cette situation concernait à la fois le secteur privé et le logement social.

Par la suite, les prix ont malheureusement connu un nouveau renchérissement en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a entraîné une escalade des coûts, en particulier dans le domaine de l'énergie. Finalement, l'inflation s'est généralisée et a également affecté le prix des matériaux, puis les taux d'intérêt ont augmenté. Ces deux effets conjugués ont conduit à exclure du crédit 60 % de nos concitoyens, qui voient aujourd'hui leurs demandes d'emprunt refusées par les banques. Si cette situation a principalement concerné le logement privé, collectif ou individuel, le logement social n'a pas été épargné : l'inflation a conduit à l'augmentation du taux du livret A, privant le secteur de l'habitat social d'une partie de ses ressources ; par ailleurs, le foncier est devenu beaucoup plus rare, notamment en raison des dispositions de la loi « Climat et résilience » promulguée en 2021. Que ce soit pour le logement social ou pour le logement privé, la disponibilité et le prix du foncier n'ont fait qu'ajouter une complexité supplémentaire pour le secteur du bâtiment.

Nous avons désormais atteint un point de blocage dans le parcours résidentiel. Les plus modestes d'entre nous, qui sont logés dans des logements ultra-sociaux, ont plus de mal à accéder à des logements sociaux ou intermédiaires en raison d'une diminution de leur pouvoir d'achat, certainement due à l'inflation. Les locataires en secteurs intermédiaire et social ne parviennent plus à acquérir un logement, en raison d'un accès au crédit devenu plus difficile et de l'augmentation des prix immobiliers. Le Haut-Conseil de stabilité financière (HCSF) a institué des règles limitant la durée maximale de remboursement à 25 ans et imposant un taux d'endettement maximal de 35 % du revenu du ménage. C'est le cumul de près d'une dizaine de facteurs de ce type qui nous conduit aujourd'hui à une période de blocage.

Nous avons travaillé activement dans le cadre de différents comités, de la commission pour la relance durable de la construction, dite « commission Rebsamen », de colloques et aux assises du BTP. Nos efforts n'ont pas été vains, car nous avons obtenu des avancées significatives dans le domaine de la rénovation, notamment énergétique, qui représente 54 % de notre chiffre d'affaires. Je pense à MaPrimeRénov', aux initiatives pour les écoles, sans oublier le décret « tertiaire » et les aides à la rénovation énergétique des entreprises (25 % de crédit d'impôt) : nous sommes plutôt satisfaits des mesures obtenues sur la partie « Rénovation énergétique ». D'ailleurs, depuis deux ans, nous progressons à un rythme de 2 % par an ; néanmoins, nous pourrions faire beaucoup mieux. Nous avons obtenu une augmentation de 66 % du budget annuel consacré à MaPrimeRénov', ce qui est tout à fait significatif et permettra un fort effet de levier.

En ce qui concerne les transactions immobilières classiques dans l'ancien, le constat est clair : avec des taux de crédit moins favorables, des aides plus limitées et un pouvoir d'achat des acquéreurs réduit et alors que les transactions se sont maintenues à un niveau élevé en 2021 et 2022, elles connaissent désormais un effondrement total.

J'en terminerai par la situation du logement neuf, qui connaît à la fois des crises de l'offre et de la demande et est marquée par une baisse des permis de construire et des commandes. Cette situation constitue une réelle épreuve pour le secteur du bâtiment. L'effondrement généralisé des commandes de logements neufs, qui représentent 30 % de notre activité, est une source d'inquiétude majeure. Une chute de 30 % signifie une perte pour le secteur comprise entre 16 et 20 milliards d'euros et ce, dès la fin de l'année prochaine et le début de 2025.

Les efforts consacrés à la rénovation énergétique ne seront pas suffisants pour relancer les parcours résidentiels ou pour combler le déficit attendu dans le secteur du bâtiment. Cette année, notre activité devrait connaître une stagnation, voire une très légère baisse selon les acteurs. En revanche, dès l'année prochaine, nous risquons de connaître une perte d'activité de l'ordre de 5 %, ce qui signifie que nous serons alors en récession – un terme que nous n'aimons pas prononcer dans le secteur du bâtiment. Tout cela est d'autant plus regrettable que nous avons fait preuve d'une grande résilience pendant deux à trois ans après la covid-19, en dépit de la guerre en Ukraine et de bien d'autres événements. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation critique, nous ignorons tout de ce que l'avenir nous réserve et nos prévisions sont inquiétantes.

Dans ces conditions, l'arrêt des aides est préoccupant, notamment pour les primo-accédants, avec la restriction du prêt à taux zéro sur 93 % du territoire. Malgré l'annonce de la Première ministre concernant l'accès de six millions de Français au prêt à taux zéro, le compte n'y est pas.

En dépit de cette situation catastrophique, des mesures pénalisantes sont annoncées. Le prêt à taux zéro est arrêté, et surtout, il est mis fin au dispositif de soutien à l'investissement locatif privé, dit dispositif « Pinel ». Nous avons proposé de le renommer différemment et de revoir ses modalités de calcul en lien avec un véritable statut du bailleur privé. L'ensemble de la filière, depuis les notaires jusqu'à nous, de l'aval à l'amont, est d'accord sur le fait qu'il est essentiel de mobiliser l'épargne des Français. Cependant, cette mobilisation ne peut être obtenue que si nos concitoyens ont la perspective de récupérer un petit pécule in fine : une société civile de placement immobilier (SCPI) ou d'autres placements qui ne rapportent que 2 % n'offrent pas de perspectives de rendement suffisantes et c'est la raison pour laquelle les investisseurs institutionnels ne s'y intéressent pas non plus. Les Français ont besoin de pouvoir récupérer leur bien après un certain nombre d'années, même si cela implique des avantages fiscaux un peu moins favorables qu'auparavant. C'est précisément ce que nous demandons avec le statut du bailleur privé.

Nous avons examiné attentivement les études et les explications, relativement succinctes, que nous avons reçues concernant le calcul du coût du statut du bailleur privé : nous ne sommes pas d'accord avec elles. Il nous paraît essentiel de nous réunir pour négocier un dispositif qui permette à nos concitoyens qui en ont les moyens d'acheter un bien qu'ils pourront louer à ceux dont les moyens sont insuffisants : c'est ainsi que fonctionne la société française depuis des décennies et nous étions parvenus à un certain équilibre.

Aujourd'hui, face aux difficultés multiples que nous rencontrons, une seule mesure ne suffira pas : il faudra du prêt à taux zéro et un statut du bailleur privé. Il faudra aussi que le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) soit appliqué tel qu'il doit l'être et pas d'une façon maximaliste par des maires qui refusent de construire. Le ZAN consiste à construire deux fois moins sur les terres agricoles ces dix prochaines années qu'au cours des dix dernières. Il existe donc une marge d'action, d'autant que l'on peut compter sur la réhabilitation des friches, le « construire intelligent » ou la densification urbaine – même si certains maires la refusent. Il existe également des axes de développement intéressants au niveau des zones commerciales ou des entrées de ville à restructurer.

Ce discours peut sembler grave, mais il est teinté d'optimisme. La France a besoin de certaines évolutions pour désamorcer la bombe sociale dont il est devenu courant de parler. Nous le ressentons aujourd'hui sur le terrain. Pourquoi ? Parce que la filière du bâtiment et des travaux publics emploie deux millions de personnes. Parmi ces deux millions d'actifs, 1,7 million travaille sur les chantiers. Ce sont nos ouvriers, nos techniciens, et aujourd'hui, ce sont eux qui souffrent et se retrouvent dans une impasse en termes de parcours résidentiel. Je rappelle que 80 % de nos concitoyens aspirent à avoir leur petit « chez soi » : s'ils n'y parviennent pas en raison des blocages que nous avons évoqués, le mécontentement social peut grandir, avec les graves conséquences qu'on peut imaginer. C'est pourquoi dans le secteur du bâtiment, acteur de l'intégration sociale, nous nous battons, nous défendons nos convictions autour de tout ce qui doit être accompli dans les décennies à venir. Je pense aux nombreuses rénovations énergétiques, mais je n'oublie pas la nécessité de continuer à construire.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

Nous partageons les constats qui viennent d'être dressés par les présidents Stéphane Peu et Olivier Salleron. Au niveau de la Capeb, notre implication auprès des bailleurs sociaux est moindre et nous sommes davantage impliqués dans les travaux au bénéfice des particuliers. Notre engagement est également moins important dans les projets neufs que dans les rénovations, qui représentent notre cœur d'activité. Nous sommes également très mobilisés dans des opérations de rénovation énergétique, travaillant activement à trouver des solutions plus efficaces pour atteindre les objectifs qui ont été fixés par les pouvoirs publics.

Nous sommes conscients de la crise immobilière qui sévit ; nous sommes également conscients de l'existence d'une crise de la mobilité, tant en milieu urbain que rural : nos préoccupations rejoignent donc en partie les vôtres. Une politique orientée vers les territoires est plus efficace si elle est menée en proximité plutôt que directement depuis le niveau national : il est essentiel de prendre en compte la spécificité de chaque lieu, car entre milieux rural et urbain, les enjeux diffèrent considérablement. D'un côté, l'objectif est de préserver la présence des populations en zone rurale, tandis que de l'autre, c'est la gestion des habitants dans les zones à forte densité qui est la priorité. Nous sommes d'accord sur la nécessité d'une approche de la crise point par point, car la situation n'est pas la même partout. L'offre de transport, par exemple, diffère entre zones urbaines et zones rurales ; or transport et logement sont intrinsèquement liés. La politique de revitalisation de certaines zones est également essentielle à considérer.

Le constat peut-être le plus évident concerne les problématiques financières. Aujourd'hui, les bailleurs sociaux peinent à trouver les fonds nécessaires pour mener à bien leur mission. Les familles et les particuliers éprouvent les mêmes difficultés dans l'accès au crédit. Vous avez mentionné qu'à une certaine époque, il était possible de consacrer jusqu'à 35 % de son revenu au remboursement d'un prêt immobilier. La fin de cette possibilité rend l'accès à la propriété de plus en plus difficile. La construction de logements décents pour soi-même ou pour d'autres, qui était la préoccupation de nos aînés, est devenue un défi de plus en plus complexe.

Nous partageons donc l'inquiétude exprimée par la FFB. Nous sommes favorables à une réflexion sur la décentralisation de la politique de logement, qui s'adapterait plus étroitement aux besoins des territoires. Cependant, nous soulevons la question de l'équité dans la répartition des ressources budgétaires : il est crucial que les riches ne deviennent pas plus riches, tandis que les pauvres s'appauvriraient davantage.

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Loïc Berger, administrateur de la Chambre nationale de l'artisanat, des travaux publics et du paysage

La Chambre nationale de l'artisanat, des travaux publics et du paysage (CNATP) a le privilège de représenter deux secteurs, les travaux publics et les métiers du paysage, mais surtout de représenter les artisans de ces deux domaines. Lorsque nous parlons d'artisans dans ces secteurs, nous nous concentrons davantage sur des professionnels installés dans des zones rurales, même si l'on trouve des entreprises plus importantes dans les grandes agglomérations.

Pour ce qui concerne le logement et dans la mesure où nous représentons des métiers d'extérieur, notre perspective est un peu différente. Nous parlons certes beaucoup de rénovation énergétique et il est indéniable que des ressources considérables ont été investies dans ce domaine, ce qui est tout à fait louable. Cependant, nous estimons qu'il est essentiel de considérer le bâtiment dans sa globalité : actuellement, lorsqu'une rénovation énergétique est effectuée, elle vise à apporter un confort thermique et, éventuellement, à générer des économies pour les particuliers ; malheureusement, ces économies sont souvent réinvesties dans la consommation générale et non dans des dépenses autour du logement et de ses habitants, qu'ils soient locataires ou propriétaires. Notre demande consiste donc à réfléchir plus globalement à tout ce qui entoure le logement.

Les logements produisent des déchets et des eaux usées ; en France, il reste encore 20 % de logements qui ne sont pas aux normes en matière de traitement de ces eaux usées. Un tel taux n'est pas normal, d'autant qu'il concerne aussi le logement locatif. Ces 20 % représentent plus de cinq millions de logements et il nous paraît urgent d'agir. La France est très en retard, dans ce domaine, par rapport à d'autres pays européens tels que la Belgique. Il est anormal que notre secteur soit confronté à des réglementations différentes dans chaque département et chaque communauté de communes, avec des modalités d'application également différentes. Nous insistons sur la nécessité de réunir les parties prenantes pour moderniser ces règles, dont certaines commencent à dater – à l'image de celles relatives à l'assainissement, qui datent de 2011.

Dans le domaine de l'assainissement et notamment du logement salubre, il est temps de nous réunir et de nous entourer d'experts pour réexaminer les réglementations, en particulier dans le traitement des eaux usées. Le plan « Eau » est une avancée positive et la CNATP le soutient. Malheureusement, une fois de plus, il n'est pas assez ambitieux et n'aborde pas les questions de la récupération de l'eau de pluie, de son utilisation, de la rétention et de l'infiltration : aujourd'hui, l'eau de pluie est traitée comme un déchet et systématiquement rejetée au fossé. Il est impératif que nous travaillions plus intelligemment entre professionnels.

Nous avons de nombreuses idées d'axes de développement en la matière, notamment en investissant davantage sur les particuliers, qu'ils soient propriétaires ou locataires : si on leur annonce qu'ils profiteront demain de logements plus sophistiqués, capables de récupérer l'eau et de l'utiliser de manière optimale, ils seront incités à développer de nouvelles pratiques vertueuses, dans un domaine comme la production de légumes à domicile, par exemple. La réglementation autorise aussi, par un décret de 2008, l'utilisation d'eau de pluie dans les WC ou dans les machines à laver, moyennant un léger traitement : nous devons travailler sur ces sujets.

En dépit de certaines avancées permises par le plan « Eau », il nous semble que chaque pas en avant dans ce domaine est accompagné d'un recul simultané. Ainsi, concernant les eaux usées à usage non domestique et alors qu'avec le décret de 2008, nous pouvions utiliser l'eau de pluie dans des logements, locations ou bâtiments tertiaires, le décret n° 2023-835 du 28 août 2023 indique désormais le contraire. Il est extrêmement surprenant qu'en 2023, nous revenions sur des règles établies en 2008 et dans un sens qui n'est pas un progrès. Nous avons immédiatement soulevé ce point et adressé des courriers conjoints avec d'autres fédérations. Il nous a été répondu que ces règles seront réécrites ; j'espère que ces réécritures se feront en tenant compte des avis des professionnels du secteur. De nombreuses études ont été réalisées dans ce domaine et il est essentiel que les textes qui seront produits permettent d'aller de l'avant.

Pour ce qui concerne la densification des logements, il est indispensable que nous adoptions une vision globale. Au regard des dispositions de la loi ZAN, il faudra, en revanche, traiter les sujets au cas par cas, car, en milieu rural, nous sommes souvent confrontés à de grands bâtiments anciens, qui ne sont pas exploités comme ils devraient l'être en raison du coût de leur rénovation. Les dépenses atteignent des sommets et, selon les régions, nous opérons souvent sur des bases forfaitaires au mètre carré élevées. La loi ZAN pourrait compliquer la rénovation des logements existants, si elle entrave à l'excès notre marge de manœuvre.

L'augmentation des prix des matériaux constitue un défi, de même que la hausse du coût des travaux. Les acteurs des travaux publics et des paysages verront, dès l'année prochaine, le prix du carburant professionnel augmenter : la hausse affectera nos entreprises, cette dépense pouvant représenter jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de certaines d'entre elles, comme les terrassiers ; pour les sociétés spécialisées dans les canalisations et les voiries et réseaux divers (VRD), ce poids est de l'ordre de 5 %. Il est même question d'une augmentation d'un tiers des coûts de carburant à l'horizon de 2030.

Il est clair que nous ne pourrons pas revenir au niveau des coûts que nous connaissions au démarrage des dernières politiques gouvernementales. Dans ce contexte et s'il est question de « mettre de l'argent sur la table », autant le faire en favorisant l'élaboration de solutions créatives pour convertir certains déchets, comme l'eau, en richesse réelle. Ces initiatives pourraient avoir un impact concret pour le bâtiment, y compris dans le secteur locatif. Certaines réglementations suscitent de réelles interrogations parmi nous et nous sommes disponibles pour en discuter, car cette situation est regrettable.

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Pour ce qui a trait à la décentralisation, nous sommes d'accord pour admettre que toutes les zones ne doivent pas être traitées de la même façon. Le PTZ a été supprimé sur 93 % du territoire environ et son extension à quelque 200 communes supplémentaires est nettement insuffisante. Si la décentralisation est une piste à explorer, nous devons néanmoins veiller, comme d'autres l'ont dit, à ne pas accroître les aides dans les zones déjà bien pourvues et au détriment des départements ruraux, qui en souffriraient. Par conséquent, il est impératif de maintenir une coordination nationale, car il est difficile d'imaginer une décentralisation qui serait immédiate et totale, notamment en ce qui concerne les financements : une telle approche ne ferait qu'entraver davantage la faisabilité et la production de logements.

Je participe à la commission « Croissance et territoires » du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui concentre ses réflexions sur les bassins d'emploi et de vie englobant plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Une approche de ce type, plus régionale, axée sur des bassins de vie et d'emploi définis par la région, pourrait être envisagée et portée par le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) ou le schéma de cohérence territoriale (SCoT) : il s'agirait alors de définir les aménagements nécessaires en fonction de caractéristiques locales comme le bâti, la démographie, l'industrialisation ou le développement de l'artisanat. Bien que ces idées soient déjà prévues dans de nombreux textes, leur mise en œuvre reste limitée. Une telle décentralisation étendue au secteur du logement pourrait s'avérer judicieuse, mais il serait essentiel d'adopter alors une approche progressive, afin d'éviter les écueils d'une mise en œuvre hâtive qui contribuerait à bloquer le système.

Les zonages établis en 2014 doivent être revus à la lumière de l'évolution de notre pays depuis dix ans et des besoins actuels en matière d'aménagement du territoire : je pense aux quartiers prioritaires de la politique de la ville ou à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), dont l'action doit être prolongée et élargie. La déconstruction-reconstruction que favorise l'Anru est importante pour développer la mixité des quartiers, en secteur HLM ou hors secteur HLM. Il est important de ne pas limiter cette vision aux quartiers les plus compliqués : l'action de l'Anru concerne une large diversité de contrées en France, y compris la Dordogne ! Ces rénovations ont fait leurs preuves, favorisant la mixité sociale et le développement de nombreux quartiers dans une véritable logique d'aménagement du territoire.

De telles initiatives doivent être encouragées localement, de façon décentralisée, pour une plus grande efficacité : j'ai pu constater, depuis que je siège au conseil d'administration de l'Anru, que tous les budgets disponibles ne parvenaient pas à être utilisés. Mes confrères marseillais me faisaient part récemment de leur perplexité lorsqu'ils constataient qu'en dépit des centaines de millions d'euros investis au cours des vingt-cinq dernières années, les résultats dans leur zone n'étaient pas au rendez-vous. La situation actuelle nécessite donc une réflexion, il nous semble important de modifier la gouvernance et de privilégier une prise de décision plus locale pour favoriser une transformation plus intelligente de nos villes et de nos villages.

S'agissant de la vacance des logements, certains observateurs peu familiers du secteur considèrent que, le nombre de logements vacants étant de l'ordre de quatre millions, cela suffirait, en théorie, à résoudre les problèmes de logement de nos concitoyens. En réalité, une grande partie de ces logements vacants se situe dans la « diagonale du vide », qui s'étend du grand Est jusqu'au Sud-Ouest, au sein de régions peu attractives en termes d'emplois disponibles. Nous ne pouvons pas forcer nos concitoyens à s'installer dans des régions où ils ne souhaitent pas vivre ni les contraindre à exercer une activité agricole, comme peuvent l'imaginer certains intellectuels ou think tankers comme M. Jean-Marc Jancovici.

Selon les données issues de l'Observatoire de la vacance, on estime qu'environ un million de logements sont inoccupés depuis deux ans, pas davantage. Certains sont bloqués en raison de problèmes de succession, tandis que d'autres sont en cours de rénovation. Encourager la mise en location de ces logements vacants ou envisager des sanctions pour les propriétaires qui les laissent inoccupés peut être une solution, même si nous ne sommes pas forcément favorables à ce type d'obligations ; mais cela ne résoudra pas tous les problèmes liés au logement de nos concitoyens.

Par ailleurs, tout le monde pense qu'en tant que professionnels, nous nous réjouissons de l'obligation de travaux et de l'interdiction de louer des passoires thermiques. Certes, cela promet du travail supplémentaire pour notre secteur, mais il nous paraît essentiel de privilégier les dispositifs incitatifs. Les propriétaires bailleurs ne forment pas un groupe homogène. Certains possèdent un grand nombre d'appartements et ont des revenus importants ; ils sont faciles à identifier et n'ont peut-être pas besoin d'aide financière. À l'inverse, une grande partie des loueurs sont des citoyens français moyens ou modestes qui possèdent un ou quelques appartements, fruits de leur investissement en vue de garantir un revenu complémentaire à la retraite : pour ces propriétaires, des mesures d'incitation nous semblent préférables à une obligation soudaine de rénovation qui serait imposée. S'il s'agit d'une décision politique, il faut accepter que l'aide soit plus conséquente.

Les contraintes qui pèsent actuellement sur la construction neuve et la rénovation énergétique sont nombreuses et elles appellent des choix politiques plus affirmés. Il est évident que nous sommes tous favorables à la préservation de la planète et qu'il ne s'agit pas d'être climatosceptique. Mais certaines étapes sont à revoir, en tenant compte de la situation d'endettement de l'État, d'une part, mais également de la baisse du pouvoir d'achat de nos concitoyens, d'autre part. L'équation est difficile à résoudre et elle impose de faire preuve de discernement. Nous ressentons déjà, malheureusement, un mécontentement latent face au problème du logement : 12 % des étudiants ne poursuivent pas leurs études en raison du manque de logements abordables ; pour l'accueil de nos stagiaires, c'est la « débrouille » pour essayer de leur trouver un logement, même dans des régions comme le Périgord où l'offre de logement social reste insuffisante. La crise du logement affecte de nombreux jeunes, qu'ils soient étudiants ou qu'ils souhaitent simplement progresser dans la vie, et c'est un problème qui va bien au-delà de l'économie du bâtiment : nous le ressentons au quotidien au travers du sort de nos salariés, qui appartiennent bien souvent à des milieux modestes.

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Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques de la Fédération française du bâtiment

L'Insee a identifié 8 % de logements vacants en France, ce qui porterait leur nombre à environ quatre millions. Cependant, après extraction du fichier Lovac de la seule vacance à plus de trois ans et en prenant en compte les logements HLM, ce nombre se réduit à environ un million de logements vacants. Lorsque l'on exclut, ensuite, les zones et collectivités dans lesquelles la population diminue structurellement depuis dix ans, notamment au sein de la « diagonale du vide », ce nombre tombe à cinq cent mille ou six cent mille logements, dont un certain nombre sont certainement insalubres et inhabitables. Il semble donc que nous disposions, in fine, d'un nombre de logements vacants équivalent à une année moyenne ou bonne de construction : ce potentiel de récupération est certes à exploiter, mais cela ne peut constituer à soi seul la politique du logement en France.

Au sein de l'Eurométropole de Strasbourg, une initiative avait été lancée dans un contexte où l'Insee estimait qu'il y avait dix-huit mille logements vacants. À partir d'une analyse plus fine sur la base de l'équivalent du fichier Lovac, ce nombre a chuté à environ quatre mille logements réellement vacants depuis plus de deux ans. La grande opération lancée par la municipalité pour reconquérir ces logements, à base de mailing et d'accompagnements financier et humain, n'a permis de retirer de la vacance que quatre cents logements en quatre ans. Il est donc important de traiter la question des logements vacants, mais cela ne suffira pas à asseoir une politique du logement complète, y compris dans les territoires détendus.

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Nous entendons beaucoup d'incantations autour du logement vacant : les chiffres concernant des logements vacants à hauteur de quatre millions sont faux et c'est mathématiquement vérifiable. Le maire de Châteauroux Gil Avérous, président de Villes de France, l'a d'ailleurs vérifié : dans son agglomération, la municipalité a constaté que les logements réputés vacants étaient en réalité occupés à hauteur des deux tiers ou des trois quarts. La prudence vis-à-vis des chiffres officiels sur la vacance est donc de mise, lorsqu'il s'agit d'alimenter la réflexion politique sur l'aménagement du territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une mission d'information comme la nôtre peut déboucher sur la formulation de propositions, mais également tordre le cou à certaines idées reçues qui circulent. Nous ne devons pas rejeter d'emblée le débat sur la vacance, qui mérite d'être analysée objectivement, mais il faut éviter de laisser croire qu'il y a là une solution – à tout le moins, autre que partielle. Le sujet mérite en tout cas d'être éclairé.

S'agissant de la décentralisation – même si la décentralisation n'est pas l'objet central de notre mission, il me semble important de s'emparer du sujet, dans la mesure où l'une des futures lois sur le logement l'abordera probablement – je n'ai rien contre le concept de proximité, mais je crains fort que, dans un pays où il n'existe plus de politique d'aménagement du territoire, une décentralisation supplémentaire ne creuse davantage les disparités territoriales plutôt qu'elle ne les résorbe.

Vous avez évoqué la multiplicité des crises auxquelles le secteur du bâtiment a dû faire face. Avez-vous évalué l'impact de ces crises sur le coût réel de la construction ? Pouvez-vous fournir une estimation de l'évolution de vos coûts de production ? Par ailleurs, alors qu'un grand nombre de rapports et d'études prospectives concernant la production de logements en France ont été publiés par la Banque des territoires, l'USH, la Cour des comptes et d'autres, avez-vous évalué les risques et menaces potentiels qui pèsent sur la filière au regard de ces prévisions, dont certaines sont extrêmement préoccupantes ? Avez-vous envisagé les conséquences de la poursuite de la baisse de la production de logements, à la fois en termes d'activité économique et d'emploi dans le secteur du bâtiment ?

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Le renchérissement du coût du logement est estimé aujourd'hui entre + 20 % et + 25 %. En ce qui concerne spécifiquement les maisons individuelles et la RE2020, nous avions anticipé une augmentation de 10 %, mais finalement, elle se situe entre + 7 % et + 8 %, jusqu'à + 13 % voire davantage en fonction des spécificités de chaque projet. À l'heure actuelle et par rapport au début de mars 2020, soit trois ans et demi, c'est bien d'une hausse de 20 à 25 % du coût de la construction neuve dont il est question, pour les maisons individuelles comme pour l'habitat collectif. Cette hausse est liée à l'augmentation du prix des matières premières, mais également au fait que nous avons été vertueux et que nous avons accordé des augmentations de salaire à la hauteur de l'augmentation du coût de la vie, dans une fourchette de + 5 % à + 7 % cette année comme l'année dernière. Or les salaires ont un impact significatif sur les coûts finaux..

Comme nos partenaires de la Capeb, nous ferons face à une récession dès cette année. Si nous avons connu récemment une croissance de plus de 2 % dans le domaine de la rénovation énergétique, nous constatons un déclin au niveau de la construction neuve dès la fin de cette fin année, qui se traduira par une baisse d'activité de plusieurs milliards d'euros. Plus préoccupant encore, l'année à venir s'annonce difficile, avec des prévisions indiquant une baisse d'environ 5 % dans l'ensemble du secteur de la construction : j'anticipe donc une diminution de 16 à 20 milliards d'euros de notre chiffre d'affaires l'année prochaine. Cette diminution est principalement due au secteur de la construction neuve, qui a un impact considérable sur l'ensemble de l'industrie du bâtiment.

Nous devrions idéalement produire entre 400 000 et 500 000 logements neufs par an, même s'il est vrai que le niveau de 500 000 logements neufs n'a été atteint qu'une seule année au cours des quinze dernières années. Les spécialistes admettent que le seuil de 400 000 logements constituerait déjà un progrès significatif pour améliorer le sort de nos concitoyens. L'année dernière, le chiffre était de 370 000 logements, ce qui signifie que, chaque année, nous accumulons un déficit par rapport à nos besoins théoriques. Pour l'année 2023, nous ne sommes pas certains d'atteindre le niveau de 300 000 logements. Nous voyons donc un schéma inquiétant se dessiner et, malheureusement, nous sommes sur le point de revenir à un niveau similaire à celui de 1991. Sans aucune intervention des pouvoirs publics sur le PTZ ou tout autre dispositif, nous pourrions descendre à 250 000 logements par an – peut-être 270 000 en 2024 si les conditions actuelles se maintiennent, mais, pour 2025, cette évolution est pratiquement inéluctable : le secteur de la construction est comparable à un paquebot qu'il est extrêmement difficile de relancer après un coup d'arrêt ; les travaux commencent douze à dix-huit mois après la délivrance du permis de construire et les chantiers sont livrés encore 24 à 30 mois plus tard.

J'ai averti nos adhérents, en particulier ceux œuvrant dans le secteur de la construction neuve, qu'il est déjà trop tard pour espérer échapper à la crise. Bon nombre de ceux-ci, en particulier les petits entrepreneurs employant moins de dix salariés, sont très dépendants de la construction neuve issue de la promotion locale, qui constitue une part significative de leur chiffre d'affaires. Les promoteurs commencent à faire face à des difficultés financières et glissent vers le néant ; derrière eux, c'est tout le monde de la construction et toute une filière qui plongent.

Nous avons estimé la perte d'activité de 16 à 20 milliards d'euros. Une baisse d'une telle ampleur aura nécessairement des conséquences. Même si la rénovation énergétique pourrait compenser un peu moins de la moitié de cette baisse, nous devrons probablement faire face à un déficit d'activité d'environ 5 % : c'est pourquoi je parle d'une récession forte et préoccupante en 2024 et 2025.

Cette situation est largement propre à la France ; elle n'est pas seulement liée à la dette, à une pandémie ou à des questions géopolitiques, lors même que des facteurs extérieurs tels que la flambée du prix du pétrole pourraient avoir un impact supplémentaire. Dans tous les cas, le problème central reste celui de l'investissement dans le logement abordable pour nos concitoyens, que ce soit dans la construction neuve ou dans la rénovation énergétique – même si rien ne vaut un logement neuf pour réduire la consommation énergétique.

Dernière remarque en forme de calcul : lorsqu'un Français moyen souscrit un prêt à taux zéro, c'est l'État qui perçoit environ 34 000 euros – cela peut sembler surprenant, mais on peut le prouver. Lorsque j'évoque ce point avec le ministre Thomas Cazenave et ses services, on m'explique que, pour l'Europe et les notations, ce sont les dépenses qui comptent : il faut donc faire des efforts. Nous pensons qu'il serait plus pertinent de distinguer entre « bonne dette » et « mauvaise dette », sans parler des versements de TVA générés immédiatement par le secteur du logement.

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Comme l'avait indiqué un ancien ministre du budget, le logement dans son ensemble coûte 40 milliards d'euros et en rapporte 90, soit un écart positif de 50 milliards d'euros. Certains disent qu'il faut surtout considérer la dépense : personnellement, si chaque euro que je joue au casino m'en rapporte deux, j'y retourne tous les jours…

Nous nous trouvons donc au seuil d'une récession, bien que notre filière ait prouvé sa robustesse ces dernières années : nous avons embauché 120 000 salariés depuis le début de la crise de la crise de la covid-19, y compris des jeunes et des apprentis, et sans avoir licencié auparavant, ce qui est un résultat exceptionnel ; malheureusement, le solde entre les départs et les nouvelles embauches sera à zéro cette année.

Aujourd'hui, nous nous sentons stigmatisés. Souffrons-nous de nos éclatants succès passés et du célèbre adage selon lequel « quand le bâtiment va, tout va » ? Nous connaissons l'effet d'entraînement qu'à notre filière sur l'ensemble de l'économie. Nous formons un grand nombre de jeunes et de moins jeunes, nous œuvrons en collaboration avec nos partenaires de la Capeb à l'intégration des publics migrants et des réfugiés politiques en situation régulière, nous nous engageons depuis des années dans des actions de ce type. Soutenir l'activité du bâtiment ne peut que contribuer à aller vers le plein emploi et nous risquons de ne pas être au rendez-vous, à ce niveau, en 2024 et 2025.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

Du côté de la Capeb, nous sommes un peu moins pessimistes et ne parlons pas de récession. Nous avons constaté une croissance de 0,5 % au cours du dernier trimestre et nos prévisions ne vont pas aussi loin que celles de la FFB. Nous attendons les chiffres du prochain trimestre pour disposer d'une meilleure vision de l'évolution, nous prévoyons que la courbe continuera de descendre bien que nous n'anticipions pas un effondrement. Cependant, nous sommes préoccupés concernant la rénovation énergétique et craignons les effets négatifs des nouvelles règles prévues à partir de janvier, notamment dans le cadre des deux piliers de MaPrimeRénov'.

En effet, jusqu'à présent, la rénovation énergétique était principalement axée sur des travaux dispersés et qualifiés de « monogestes ». Désormais, l'objectif est de privilégier une approche de rénovation globale, ce qui n'est pas une tâche facile. De plus, cette rénovation globale devra être encadrée par des « accompagnateurs Rénov' ». L'institution d'une nouvelle aide ou de nouvelles règles entraîne des difficultés par la complexité supplémentaire qu'elle induit. Nous avons d'ailleurs présenté quinze propositions visant à simplifier ces processus.

Nous pensons qu'il est essentiel, au début de l'année prochaine, de rechercher plus de flexibilité et de souplesse dans les deux piliers de MaPrimeRénov', afin d'éviter que ce taux de croissance actuel de 0,5 % ne diminue davantage. Le secteur de la construction neuve est en décroissance, mais la rénovation reste encore relativement stable et la rénovation énergétique porte l'ensemble : si elle venait à décliner, cela pourrait entraîner des difficultés majeures. Compte tenu de l'inertie du secteur du bâtiment évoquée précédemment, mieux vaut éviter de le voir « plonger » en prenant des mesures dès à présent plutôt que de devoir ensuite trouver des solutions pour le redresser.

Nous avons de nombreuses idées à proposer, s'agissant notamment des groupements momentanés d'entreprises. Avec l'aide des parlementaires, nous pourrions écarter la solidarité au sein de ce type de groupements, qui peut parfois représenter un frein. Nous espérons plus de souplesse dès le début d'année prochaine en matière de rénovation énergétique, de manière à éviter le trou d'air redouté et un freinage trop brutal.

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Loïc Berger, administrateur de la Chambre nationale de l'artisanat, des travaux publics et du paysage

S'agissant de l'augmentation des coûts et pour ce qui concerne l'aménagement et la viabilisation des lots et des logements, tout dépend où vous placez le curseur. Depuis la fin de la crise sanitaire jusqu'à présent, nous affichons des hausses de coût de + 25 % à + 28 %. Il est important de noter que le coût du carburant a largement contribué à alourdir la facture et que cette tendance semble appelée à se poursuivre, même si la fiscalité liée aux carburants, la fiscalité « brune », est un sujet délicat. Mais il est essentiel que nous abordions ces questions de manière franche : sommes-nous prêts à protéger ces métiers et à garantir le renouvellement de l'habitat en France ?

Pour ce qui concerne les matériaux, certains fabricants ont mis la barre assez haut, ce qui nous a rendus vulnérables en raison des crises successives. Nous espérons ne pas être à l'aube d'une nouvelle crise dans certains pays, qui pourrait créer de nouvelles difficultés toujours liées au coût des carburants.

Nous avons mené une enquête de conjoncture à la rentrée et plusieurs points problématiques en ressortent.

D'une part, les entreprises ont pris du retard sur leur carnet de commandes en raison de la covid-19, ce qui est inédit. L'augmentation des prix et l'impossibilité de les réactualiser ont donc mis à rude épreuve les trésoreries : actuellement, plus de la moitié des entreprises de travaux publics sont en difficulté de trésorerie. D'autre part, la confiance des entreprises est en berne : plus de 67 % d'entre elles déclarent ne pas avoir confiance en l'avenir. Par ailleurs, ces entreprises ont beaucoup embauché et elles font aujourd'hui face à un véritable ralentissement ; les embauches continuent, notamment dans le domaine de l'apprentissage et parce que nous sommes toujours présents et déterminés à former la jeunesse, mais leur rythme a nettement ralenti.

Pour rebâtir la confiance entre les entreprises et l'État, il est essentiel d'être prudent par rapport aux effets d'annonce : si, chaque année, le projet de loi de finances annonce la fin de la TVA à 10 % sur la rénovation et que l'on prône une fiscalité brune par une taxation plus élevée sur les carburants, cela crée de l'incertitude et de l'appréhension. Nos machines consomment du carburant fossile, nous en sommes conscients et privilégions le matériel récent, moins gourmand ; néanmoins, nous ne pourrons pas électrifier le parc de machines et construire les logements à l'électricité : cela n'est pas possible, à moins de tripler le coût d'investissement en matériel et de prévoir les infrastructures de recharge nécessaires. Ce type d'annonce peut décourager les investissements, y compris chez les artisans qui sont confrontés à un dilemme s'ils doivent, par exemple, envisager l'achat d'un véhicule utilitaire : ils ignorent s'ils pourront encore l'utiliser dans quelques années dans les zones urbaines. Ces incertitudes ont un impact direct sur les coûts de construction, car les projets de construction s'inscrivent sur le long terme et les actualisations de prix ne permettent pas de compenser les augmentations. Les trésoreries de nos entreprises sont déjà fragiles, trop fragiles, et si une nouvelle crise se profilait, les conséquences financières pourraient être considérables.

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Nous sommes conscients de la situation actuelle, exacerbée par une série de crises successives. La conjoncture fait qu'il sera difficile d'atteindre des objectifs de production qui ne cessent de s'éloigner et nous comprenons que cette conjoncture ne va pas s'améliorer.

Si l'effort s'accentue en matière de rénovation thermique, quelles difficultés pourriez-vous rencontrer en matière de disponibilité de la main-d'œuvre pour répondre à la demande ? Il est en effet essentiel de disposer d'une main-d'œuvre qualifiée pour atteindre les objectifs fixés.

Par ailleurs, la réindustrialisation dont nous parlons va de pair avec la production ou la réhabilitation de logements pour les salariés, ce qui nécessitera un investissement considérable. En dehors des financements publics, qui ne sont pas nécessairement disponibles, comment, selon vous, parvenir à mobiliser des fonds privés permettant de produire les logements dont les candidats auront besoin pour postuler ? L'idée n'est pas de contribuer à aggraver le phénomène d'hyper-métropolisation, mais bien de tendre vers un meilleur équilibre territorial. Si une entreprise s'installe quelque part, il faudra pouvoir loger ses salariés : quelles pourraient être les solutions permettant de débloquer les situations et parfois de contribuer à la revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes ?

Pour ce qui concerne le ZAN, il résulte de décennies de déroulement du tissu urbain que nous totalisons 176 000 hectares de friches aujourd'hui en France. Quels outils devons-nous mettre en place pour élaborer un plan de défrichage visant à développer à la fois des logements et, éventuellement, des activités économiques ? Vous avez mentionné les zones commerciales situées aux entrées de ville et dotées d'infrastructures complètes, y compris de transports en commun. Comment envisagez-vous d'intégrer des logements dans ces zones sans avoir recours à l'exploitation des terrains agricoles voisins ?

Vous avez mentionné une étude sur les logements vacants et l'élu d'agglomération que je suis est très intéressé par ces données. Des discours prospèrent localement sur l'exploitation des logements vacants afin de réduire la consommation d'espaces agricoles et naturels ; c'est également un argument souvent avancé pour justifier une diminution de l'enveloppe de consommation aux yeux d'un président d'agglomération. Mais il serait problématique que nous nous appuyions sur des données incorrectes et il est essentiel de mettre des données exactes à la disposition de ceux qui décident des orientations sur nos territoires : cela éviterait de se fixer des objectifs qui ne seront jamais atteints.

Il importe également de prendre en considération la hausse continue du prix du foncier. Comment faire pour que ce coût ne soit pas pénalisant pour l'acheteur et comment garantir qu'il puisse toujours accéder à la propriété, malgré l'augmentation de ce prix ? Les banques jouent un rôle en la matière, elles qui sont parfois réticentes à octroyer un prêt permettant d'acquérir un logement alors même que le montant du remboursement mensuel est inférieur au montant du loyer acquitté par leur client.

Je suis, comme vous, un fervent partisan d'une approche holistique du logement. À ce titre, il est vrai que le système du « tout-tuyau » que nous avons connu au cours des cinquante dernières années, privilégiant l'utilisation de canalisations en PVC à base de pétrole et du bitume, est obsolète. Nous parlons aujourd'hui de gestion intégrée des eaux pluviales. Peut-être serait-il pertinent de réfléchir, à l'échelle de nos agglomérations, à une évolution du mode de rémunération de nos délégataires fournisseurs d'eau, qui facturent au mètre cube d'eau vendue, alors que nous réclamons au consommateur final des économies de consommation.

Pour ce qui concerne le logement social, je suis conscient que certaines entreprises, de par leur modèle économique, dépendent largement de la production de logements sociaux. Dès lors, la diminution constante de ce carnet de commandes place ces entreprises dans une situation de plus en plus difficile. Les subventions pour la construction de bâtiments neufs ne sont plus à la hauteur des enjeux et de l'augmentation des coûts. Comment faire en sorte que la production des logements nécessaires puisse s'appuyer sur des financements autres que publics, ceux-ci étant déjà largement sollicités en période de crise ? Existe-t-il, selon vous, un modèle économique viable qui permettrait de financer le logement par le biais de fonds privés ?

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Quand MaPrimeRénov' a été créée, elle a englobé les copropriétés. Or il existe des questions juridiques à traiter pour réaliser des rénovations complètes en copropriété, car il suffit de l'opposition d'un seul copropriétaire pour empêcher cette rénovation. Toutefois, lorsque le système a été étendu à l'ensemble des ménages français et comme je l'ai mentionné précédemment, nous avons embauché 120 000 salariés supplémentaires : cela signifie qu'une fois que le financement est disponible, que la visibilité est réelle et qu'il n'est pas nécessaire d'attendre le projet de loi de finances de l'année suivante pour connaître le fonctionnement des aides – comme c'est trop souvent le cas et ce qui met notre flexibilité à rude épreuve – nous sommes capables de trouver la main-d'œuvre nécessaire. Nous avons notamment « récupéré » des travailleurs d'autres secteurs en moins bonne santé ou qui offraient des salaires moins élevés. Il faut insister sur le fait que les négociations sociales dans notre branche ont abouti, ces dernières années, à des améliorations significatives des conditions de rémunération et des avantages proposés à nos salariés. Nous savons former nos équipes et les faire monter en compétences, nous sommes un véritable « aspirateur » à nouvelles technologies, nous attirons les jeunes qui sont sensibles aux enjeux écologiques, ce qui renforce notre attractivité.

Vous avez mentionné la mobilisation des fonds privés et il convient, à ce titre, d'évoquer le rôle d'Action logement, par le biais duquel les entreprises jouent un rôle central dans le financement du logement social. Action logement a été sauvé, il y a moins de trois mois, par un plan quinquennal auquel nous avons fortement contribué. Cet organisme permet de loger de nombreux salariés du secteur privé et contribue à fournir du logement de proximité aux salariés : Action logement, comme le secteur social, ont pour mission d'accompagner la réindustrialisation du pays. La construction d'une gigafactory à Dunkerque est une avancée significative, mais il est regrettable que la question du logement n'ait pas été abordée par le ministre en présence du Président de la République : il est pourtant essentiel de s'assurer que les douze mille salariés qui seront embauchés pourront se loger sans avoir à parcourir cinquante kilomètres chaque jour pour rejoindre leur lieu de travail !

Mobiliser davantage de ressources pour le logement social est une nécessité, mais il faut également soutenir ceux qui souhaitent investir dans des logements locatifs en tant que bailleurs privés, par des dispositifs type « Pinel ». Il existe en France des particuliers qui disposent de moyens financiers importants, notamment sous forme d'épargne. Il est donc temps d'envisager des décisions iconoclastes, telles que la taxation de 0,01 % des transactions vers l'assurance-vie pour alimenter un fonds de financement de la rénovation énergétique, au nom de la solidarité nationale. Il faudra se résoudre à aller chercher cette épargne qui est massive, ce dont profitera l'ensemble du pays : c'est ainsi que nous réussirons à réindustrialiser.

S'agissant des zones commerciales, l'État a consenti un investissement conséquent de 400 millions d'euros pour les entrées de ville, qui bénéficient déjà de nombreuses infrastructures. Cependant, l'achat de bâtiments dans ces zones coûte cher. Il est donc important de pouvoir mobiliser des investissements privés afin de créer dans ces zones des logements destinés à être loués à ceux qui ont moins de moyens, notamment grâce au statut du bailleur privé. Les ressources financières existent, il s'agit de les utiliser judicieusement.

En ce qui concerne le foncier, le bail réel solidaire (BRS) est une excellente idée. Bien que le nombre de ces baux augmente, il en existe encore trop peu en France. Pour relancer cette dynamique, il n'existe pas de solution miracle et il faut imaginer plusieurs initiatives qui se complètent : le prêt à taux zéro « toutes zones » est une avancée, tout comme le statut du bailleur privé ou encore le ZAN bien utilisé et aux bons endroits. Seule une série de mesures favorables de ce type nous aidera à atteindre les objectifs, alors que, je le rappelle, notre secteur se trouve aujourd'hui en situation de récession.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

S'agissant de l'emploi, nous continuons de travailler dur pour intégrer et former nos jeunes, comme en témoignent les chiffres de l'apprentissage. Mais nous avons besoin, avant tout, d'une communication plus positive autour de nos métiers, nous devons œuvrer pour en donner une image différente. Nous faisons déjà beaucoup pour attirer des jeunes et des personnes issues d'autres secteurs vers nos métiers, qui sont des métiers d'avenir. Nous avons également besoin de votre soutien pour faire évoluer les mentalités au sein de la société.

Pour attirer les investisseurs, la confiance est essentielle : les Français n'investissent pas, parce qu'ils manquent de confiance. Je ne donnerai pas des solutions précises, mais je tiens à souligner l'importance de cette confiance.

Quant à la question du réaménagement des zones commerciales en entrée de ville, j'ai plaidé pendant des années, en tant qu'élu à la chambre des métiers puis à la Capeb, pour que l'on cesse de construire ces « boîtes à chaussures » en périphérie des villes, qui vident les centres-villes. Aujourd'hui, on souhaite ramener des activités dans ces centres-villes et personne ne voudrait habiter dans une niche près d'une boîte à chaussures.

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L'idée serait de repenser la façon dont sont organisées ces zones.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

Il faut peut-être découper ces boîtes à chaussures et les replacer dans le centre des agglomérations ! En tout cas, il faut mettre fin à la reproduction des mêmes schémas absurdes au niveau des zones périphériques commerciales.

Une question me préoccupe depuis le début de cette audition et que j'ai déjà relevée dans d'autres lieux : celle des données. À l'ère numérique, il est inacceptable que les décideurs politiques ne disposent pas de données fiables. Vous demandez à mes collègues de la Fédération française du bâtiment de vous fournir leurs données : mais quand l'État mettra-t-il en place les outils numériques nécessaires pour recueillir ces données ? Ces chiffres sont indispensables pour prendre des décisions éclairées. S'agissant de MaPrimeRénov', par exemple, nous savons que des abus et des fraudes de la part d'éco-délinquants ont été constatés : que représentent ces abus ? Ces éco-délinquants sont-ils nombreux ? Les services qui gèrent MaPrimeRénov' n'ont pas communiqué sur le sujet. Pourquoi certains artisans ont-ils mis des mois à être payés de ce qui leur était dû ? Il est impératif d'accroître la transparence des données pour parvenir à une vision claire de la situation et mettre un terme aux spéculations. L'accès à des données précises est essentiel pour guider nos actions et tout économiste sait que les chiffres sont au cœur de l'analyse.

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J'avais entendu le débat autour des entreprises réalisant les diagnostics de performance énergétique (DPE), mais je n'étais pas informé de l'existence d'une éco-délinquance autour de MaPrimeRénov'.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

Ces délinquants s'immiscent dans les systèmes existants pour récupérer les aides de l'État. Il y a un an, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a fortement ralenti son activité : il semble que certains individus avaient réussi à infiltrer son système informatique en usurpant des noms d'entreprises et de clients, causant des retards et détournant des fonds publics. De tels actes nécessitent une réponse adaptée, mais, pour cela, nous devons disposer de chiffres précis pour comprendre l'ampleur du phénomène : les données manquent dans bien des domaines.

De même et avec l'abondance des informations fiscales collectées, il est inconcevable que nous ne puissions pas croiser les données afin de déterminer avec précision le nombre de logements inoccupés et prendre des décisions appropriées quant au nombre de constructions nécessaires. Le ministre chargé du numérique n'est-il pas en mesure de mettre en place des solutions adaptées ? C'est à n'y rien comprendre !

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Le niveau de croissance démographique de notre pays est connu : il est donc possible d'établir le seuil en deçà duquel le nombre de logements produits ne répond pas aux besoins de la démographie et le déficit s'accroît. En prenant en compte l'allongement de la durée de la vie, l'évolution des cellules familiales et la croissance démographique, il est possible d'estimer un « point mort » : aujourd'hui, nous ne l'atteignons pas et la pénurie s'amplifie. Les chiffres projetés sont effectivement préoccupants, avec d'importantes disparités régionales, notamment en Île-de-France, où la situation est particulièrement critique.

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

L'estimation du nombre de logements nécessaires est essentielle. Lors de la première réunion du volet « Logement » du Conseil national de la refondation, la représentante du ministère des finances nous a indiqué qu'un nombre d'environ 150 000 logements par an suffirait… à la grande surprise de tous les participants présents ! Il se trouve qu'elle intégrait dans son raisonnement les quatre millions de logements vacants estimés, alors que, compte tenu des données dont nous disposons, les besoins en logements oscillent plutôt entre 400 000 et 450 000 par an.

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David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques

Cette même personne nous avait affirmé, ce jour-là, que le problème provenait du manque de productivité des entreprises du bâtiment…

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Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment

Les deux questions qui étaient posées étaient effectivement : serez-vous assez nombreux et serez-vous suffisamment compétents ? Nous avons insisté sur notre capacité à former et souligné l'intelligence et le savoir-faire des acteurs de notre filière pour s'adapter aux enjeux de la rénovation énergétique. Les centres de formation sont extrêmement efficaces pour former nos futurs salariés : il faut cesser de tenir des discours aussi négatifs aux yeux du public ! Si j'ai pu faire preuve d'un certain pessimisme aujourd'hui, c'est parce que je me trouve devant vous ; dans d'autres enceintes, notamment devant les jeunes futurs candidats, je sais faire preuve d'un optimisme réaliste : nous avons devant nous des dizaines d'années de construction et de rénovation effectuées à l'aide d'outils formidables.

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Par ailleurs, la technicité et la productivité du bâtiment en France en font un des fleurons de notre économie. Nos « majors » du bâtiment s'exportent partout dans le monde et n'existent d'ailleurs que grâce à la présence, sur notre territoire, d'un tissu dense de petites entreprises et d'un réseau de formation professionnelle de qualité.

Nous avons connu deux crises majeures en 1991 et en 2008, qui étaient des crises financières et immobilières. Dans un pays comme la France, le secteur du logement se caractérise par la présence d'une économie mixte, qui possède une fonction contracyclique : quand tout va bien, c'est le secteur privé qui mène la danse ; quand les choses vont plus mal, le secteur socialisé prend le relais. La grande préoccupation qui est la nôtre aujourd'hui est celle de l'absence de relais : les deux piliers de cette économie mixte sont en berne en raison d'une crise de l'offre. La nature de la crise actuelle est donc quelque peu différente de celle des deux précédentes.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 10 octobre 2023 à 17 h 30

Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Stéphane Peu.