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Intervention de Olivier Salleron

Réunion du mardi 10 octobre 2023 à 17h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment :

La Fédération française du bâtiment (FFB) représente 52 000 entreprises et les deux tiers des salariés du secteur travaillent dans nos entreprises adhérentes.

Neuf ou ancien, le logement rencontre aujourd'hui de grandes difficultés. Chacun sait que la France est en croissance démographique et que nous constatons d'importantes migrations internes. Dans la mesure où le lien emploi-logement est crucial, il faut absolument que le parcours résidentiel soit facilité et se débloque : la mobilité est nécessaire à la réindustrialisation de la France comme elle l'est à la création d'emplois, essentiellement non délocalisables dans le bâtiment comme dans d'autres secteurs. La politique qui consiste à rétablir une industrie solide en France, après un long épisode de désindustrialisation, doit transcender les clivages politiques. Il faut que nos concitoyens puissent se loger de façon abordable économiquement, d'abord, mais surtout confortable. Quelle que soit notre appartenance politique, je pense que nous sommes tous unanimes à reconnaître qu'il n'est plus possible d'opposer logement confortable et logement abordable.

Vous ne trouverez plus de climatosceptiques au sein de la filière construction, bâtiment, logement. Nous sommes pleinement conscients des enjeux environnementaux qui se dressent devant nous et, en réalité, ils sont source de motivation et d'attractivité. Ces défis poussent en outre les acteurs du secteur à se former avec enthousiasme pour devenir plus performants et exploiter des matériaux ou techniques nouveaux, que ce soit dans la construction neuve ou dans le cadre de la rénovation énergétique.

La France est championne du monde en matière de réglementation, comme l'illustre la norme environnementale RE2020. C'est un aspect dont nous sommes fiers. La FFB prône depuis des années l'innovation, y compris dans des domaines autres que le numérique, et encourage la recherche en collaboration avec l'industrie, notamment dans le domaine des matériaux biosourcés. La RE2020 est une norme qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Elle ne représente pas une contrainte, mais constitue un défi pour nos entreprises ; elle attire vers nous de nombreux talents, jeunes et moins jeunes, séduits par notre approche plus respectueuse de l'environnement. Désormais, la dimension environnementale et écologique est au cœur de toutes les préoccupations. C'est une vision que nous partageons tous.

Les belles intentions de sobriété foncière annoncées par ce gouvernement, après qu'elles l'ont été par celui d'Édouard Philippe, et la préparation de la RE2020, qui devait radicalement changer la donne après la réglementation thermique RT2012, se sont fracassées sur des événements pandémiques, dans un premier temps, puis géopolitiques, dans un second temps. Ces perturbations ont modifié la trajectoire que nous anticipions, portée par des taux d'intérêt bas et stables et une reprise économique déjà en cours depuis 2016-2017. Dans notre secteur, nous constations une reprise non seulement de notre chiffre d'affaires, mais aussi en termes d'emploi et de formation des jeunes. La belle trajectoire que nous connaissions en 2019 a ainsi été brusquement interrompue au cours de l'année 2020. Malgré cela, cette dynamique positive a pu se poursuivre, il faut le souligner, grâce aux aides gouvernementales. Cela a permis à toutes nos entreprises, des artisans aux PME en passant par les très petites entreprises (TPE), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes du secteur, de maintenir une activité soutenue, caractérisée par un carnet de commandes substantiel à l'époque, bien au-dessus de la moyenne. Cette situation nous a offert une perspective d'avenir un peu plus solide que ce que nous connaissons aujourd'hui.

Malheureusement, la pandémie a rapidement entraîné une désorganisation totale de la chaîne d'approvisionnement mondiale en matériaux. La première crise majeure que nous avons dû affronter en France, à savoir la crise des matériaux, s'est caractérisée par une augmentation exponentielle des prix des matériaux depuis janvier 2021, bien avant la crise liée au conflit en Ukraine. Entre janvier et juin 2021, nous avons vécu une flambée des prix des matériaux, en particulier le bois, l'acier, le cuivre ou encore le PVC. Dès 2021, nous avons connu un renchérissement du prix des logements neufs, mais celui de la rénovation. La hausse du coût des matériaux s'est répercutée sur le prix des produits finis dans les deux cas.

L'automne qui a suivi a été marqué par la première crise énergétique. Elle a engendré une nouvelle augmentation des coûts des produits finis, impactant de nouveau les prix dans les secteurs du logement et de la rénovation énergétique. Ainsi, début 2022, les prix des logements avaient connu une hausse significative, de l'ordre de 10 à 15 %. Les prix des maisons individuelles avaient déjà connu une augmentation de 7 à 8 % avec la mise en application de la RE2020. Cette situation concernait à la fois le secteur privé et le logement social.

Par la suite, les prix ont malheureusement connu un nouveau renchérissement en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a entraîné une escalade des coûts, en particulier dans le domaine de l'énergie. Finalement, l'inflation s'est généralisée et a également affecté le prix des matériaux, puis les taux d'intérêt ont augmenté. Ces deux effets conjugués ont conduit à exclure du crédit 60 % de nos concitoyens, qui voient aujourd'hui leurs demandes d'emprunt refusées par les banques. Si cette situation a principalement concerné le logement privé, collectif ou individuel, le logement social n'a pas été épargné : l'inflation a conduit à l'augmentation du taux du livret A, privant le secteur de l'habitat social d'une partie de ses ressources ; par ailleurs, le foncier est devenu beaucoup plus rare, notamment en raison des dispositions de la loi « Climat et résilience » promulguée en 2021. Que ce soit pour le logement social ou pour le logement privé, la disponibilité et le prix du foncier n'ont fait qu'ajouter une complexité supplémentaire pour le secteur du bâtiment.

Nous avons désormais atteint un point de blocage dans le parcours résidentiel. Les plus modestes d'entre nous, qui sont logés dans des logements ultra-sociaux, ont plus de mal à accéder à des logements sociaux ou intermédiaires en raison d'une diminution de leur pouvoir d'achat, certainement due à l'inflation. Les locataires en secteurs intermédiaire et social ne parviennent plus à acquérir un logement, en raison d'un accès au crédit devenu plus difficile et de l'augmentation des prix immobiliers. Le Haut-Conseil de stabilité financière (HCSF) a institué des règles limitant la durée maximale de remboursement à 25 ans et imposant un taux d'endettement maximal de 35 % du revenu du ménage. C'est le cumul de près d'une dizaine de facteurs de ce type qui nous conduit aujourd'hui à une période de blocage.

Nous avons travaillé activement dans le cadre de différents comités, de la commission pour la relance durable de la construction, dite « commission Rebsamen », de colloques et aux assises du BTP. Nos efforts n'ont pas été vains, car nous avons obtenu des avancées significatives dans le domaine de la rénovation, notamment énergétique, qui représente 54 % de notre chiffre d'affaires. Je pense à MaPrimeRénov', aux initiatives pour les écoles, sans oublier le décret « tertiaire » et les aides à la rénovation énergétique des entreprises (25 % de crédit d'impôt) : nous sommes plutôt satisfaits des mesures obtenues sur la partie « Rénovation énergétique ». D'ailleurs, depuis deux ans, nous progressons à un rythme de 2 % par an ; néanmoins, nous pourrions faire beaucoup mieux. Nous avons obtenu une augmentation de 66 % du budget annuel consacré à MaPrimeRénov', ce qui est tout à fait significatif et permettra un fort effet de levier.

En ce qui concerne les transactions immobilières classiques dans l'ancien, le constat est clair : avec des taux de crédit moins favorables, des aides plus limitées et un pouvoir d'achat des acquéreurs réduit et alors que les transactions se sont maintenues à un niveau élevé en 2021 et 2022, elles connaissent désormais un effondrement total.

J'en terminerai par la situation du logement neuf, qui connaît à la fois des crises de l'offre et de la demande et est marquée par une baisse des permis de construire et des commandes. Cette situation constitue une réelle épreuve pour le secteur du bâtiment. L'effondrement généralisé des commandes de logements neufs, qui représentent 30 % de notre activité, est une source d'inquiétude majeure. Une chute de 30 % signifie une perte pour le secteur comprise entre 16 et 20 milliards d'euros et ce, dès la fin de l'année prochaine et le début de 2025.

Les efforts consacrés à la rénovation énergétique ne seront pas suffisants pour relancer les parcours résidentiels ou pour combler le déficit attendu dans le secteur du bâtiment. Cette année, notre activité devrait connaître une stagnation, voire une très légère baisse selon les acteurs. En revanche, dès l'année prochaine, nous risquons de connaître une perte d'activité de l'ordre de 5 %, ce qui signifie que nous serons alors en récession – un terme que nous n'aimons pas prononcer dans le secteur du bâtiment. Tout cela est d'autant plus regrettable que nous avons fait preuve d'une grande résilience pendant deux à trois ans après la covid-19, en dépit de la guerre en Ukraine et de bien d'autres événements. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation critique, nous ignorons tout de ce que l'avenir nous réserve et nos prévisions sont inquiétantes.

Dans ces conditions, l'arrêt des aides est préoccupant, notamment pour les primo-accédants, avec la restriction du prêt à taux zéro sur 93 % du territoire. Malgré l'annonce de la Première ministre concernant l'accès de six millions de Français au prêt à taux zéro, le compte n'y est pas.

En dépit de cette situation catastrophique, des mesures pénalisantes sont annoncées. Le prêt à taux zéro est arrêté, et surtout, il est mis fin au dispositif de soutien à l'investissement locatif privé, dit dispositif « Pinel ». Nous avons proposé de le renommer différemment et de revoir ses modalités de calcul en lien avec un véritable statut du bailleur privé. L'ensemble de la filière, depuis les notaires jusqu'à nous, de l'aval à l'amont, est d'accord sur le fait qu'il est essentiel de mobiliser l'épargne des Français. Cependant, cette mobilisation ne peut être obtenue que si nos concitoyens ont la perspective de récupérer un petit pécule in fine : une société civile de placement immobilier (SCPI) ou d'autres placements qui ne rapportent que 2 % n'offrent pas de perspectives de rendement suffisantes et c'est la raison pour laquelle les investisseurs institutionnels ne s'y intéressent pas non plus. Les Français ont besoin de pouvoir récupérer leur bien après un certain nombre d'années, même si cela implique des avantages fiscaux un peu moins favorables qu'auparavant. C'est précisément ce que nous demandons avec le statut du bailleur privé.

Nous avons examiné attentivement les études et les explications, relativement succinctes, que nous avons reçues concernant le calcul du coût du statut du bailleur privé : nous ne sommes pas d'accord avec elles. Il nous paraît essentiel de nous réunir pour négocier un dispositif qui permette à nos concitoyens qui en ont les moyens d'acheter un bien qu'ils pourront louer à ceux dont les moyens sont insuffisants : c'est ainsi que fonctionne la société française depuis des décennies et nous étions parvenus à un certain équilibre.

Aujourd'hui, face aux difficultés multiples que nous rencontrons, une seule mesure ne suffira pas : il faudra du prêt à taux zéro et un statut du bailleur privé. Il faudra aussi que le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) soit appliqué tel qu'il doit l'être et pas d'une façon maximaliste par des maires qui refusent de construire. Le ZAN consiste à construire deux fois moins sur les terres agricoles ces dix prochaines années qu'au cours des dix dernières. Il existe donc une marge d'action, d'autant que l'on peut compter sur la réhabilitation des friches, le « construire intelligent » ou la densification urbaine – même si certains maires la refusent. Il existe également des axes de développement intéressants au niveau des zones commerciales ou des entrées de ville à restructurer.

Ce discours peut sembler grave, mais il est teinté d'optimisme. La France a besoin de certaines évolutions pour désamorcer la bombe sociale dont il est devenu courant de parler. Nous le ressentons aujourd'hui sur le terrain. Pourquoi ? Parce que la filière du bâtiment et des travaux publics emploie deux millions de personnes. Parmi ces deux millions d'actifs, 1,7 million travaille sur les chantiers. Ce sont nos ouvriers, nos techniciens, et aujourd'hui, ce sont eux qui souffrent et se retrouvent dans une impasse en termes de parcours résidentiel. Je rappelle que 80 % de nos concitoyens aspirent à avoir leur petit « chez soi » : s'ils n'y parviennent pas en raison des blocages que nous avons évoqués, le mécontentement social peut grandir, avec les graves conséquences qu'on peut imaginer. C'est pourquoi dans le secteur du bâtiment, acteur de l'intégration sociale, nous nous battons, nous défendons nos convictions autour de tout ce qui doit être accompli dans les décennies à venir. Je pense aux nombreuses rénovations énergétiques, mais je n'oublie pas la nécessité de continuer à construire.

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