La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Nous accueillons M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, pour une discussion sur l'exécution budgétaire de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural.
Je vous remercie de m'inviter à m'exprimer devant votre commission, pour un exercice toujours utile. Celui-ci s'inscrit cette année dans un contexte particulier pour ce qui concerne l'agriculture, laquelle doit à la fois contribuer à notre souveraineté alimentaire et faire face aux grands défis de la période actuelle, à commencer par ceux de la transition.
J'évoquerai ici le budget pour 2022 de mon ministère, que je n'avais pas présenté puisque je n'occupais pas, alors, ces fonctions. L'exercice 2022 se trouve par ailleurs à cheval sur deux périodes budgétaires du point de vue de la politique agricole commune (PAC) et nous savons à quel point celle-ci constitue un cadre structurant.
La loi de finances pour 2022 avait doté les différentes missions relevant du ministère chargé de l'agriculture de 5,1 milliards d'euros, ce qui représentait une augmentation de 25 millions d'euros, en crédits de paiement, par rapport à 2021. Ces crédits étaient complétés par ceux de la mission Plan de relance, qui ont permis d'apporter un soutien supplémentaire à l'agriculture et à l'agroalimentaire, sur deux exercices, 2021 et 2022, avec un montant de 1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement. À ces crédits budgétaires nationaux s'ajoutent les financements européens et les dispositifs sociaux et fiscaux. Au total, les soutiens publics à l'agriculture ouverts en 2022 représentaient plus de 24 milliards d'euros en début d'année. Ils ont été complétés par des crédits supplémentaires en cours d'année afin de permettre à la « ferme France » de faire face aux nombreuses crises rencontrées (sécheresse, grêle, influenza aviaire, etc.).
Ces crédits ont permis de financer nos priorités, présentées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
Le premier axe portait sur le soutien à l'agriculture et à la transition agroécologique, constitué notamment par le second pilier de la PAC, qui repose sur un principe de cofinancement entre des crédits européens et des contreparties nationales. Son exécution en 2022, en crédits nationaux, s'est élevée à 436 millions d'euros au titre des contreparties nationales pour les indemnités compensatrices de handicap naturel (ICHN), les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), les aides à la conversion vers le mode de production biologique, les investissements dans les exploitations et les parcelles forestières, pour ne citer que ces exemples. D'autres dispositifs, relevant des crédits nationaux, viennent compléter les politiques de la PAC, à l'image du fonds « avenir bio » : représentant près de 13 millions d'euros, il vient compléter les aides à la conversion bio. 130 millions d'euros ont été consommés en 2022 au titre du dispositif d'exonération de cotisations sociales pour les travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE) – dispositif déterminant pour les activités fortement utilisatrices de main-d'œuvre saisonnière, pour lesquelles le coût du travail constitue un enjeu important de compétitivité au sein de l'espace intra-européen. Comme vous le savez, nous avons prolongé ce dispositif pour trois ans dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, conformément aux engagements pris par le Président de la République.
L'exécution se monte à 208 millions d'euros au titre de la provision pour aléas. Ceux-ci ont été nombreux en 2022. Cette enveloppe a également permis de financer les refus d'apurement prononcés par la Commission européenne. Les crédits destinés à la politique forestière, qui constitue un aspect essentiel de la mission Agriculture, ont été consommés à hauteur de 261 millions d'euros en crédits de paiement. Il s'agit notamment du soutien apporté par l'État à l'Office national des forêts (ONF) dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de performance, avec une subvention exceptionnelle de 20 millions d'euros. Nous avons également renforcé les autres moyens d'intervention de l'État, notamment les actions de protection des forêts, dans un contexte d'intensification du feu et d'extension géographique des zones à risque.
Le deuxième axe de nos priorités portait sur notre capacité à prévenir et à réagir face aux risques sanitaires. Pour préserver la santé de nos élevages et la sécurité sanitaire de notre alimentation face à divers aléas, il nous faut toujours mieux prévenir afin d'avoir moins à guérir. Il s'agit d'une mission essentielle pour le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire que de se prémunir contre la mise sur le marché de denrées à risque pour le consommateur. Il s'agit aussi de prévenir la diffusion de maladies animales potentiellement transmissibles à l'homme, qui grève l'économie de nos filiales et fait peser sur elles d'autres risques. La loi de finances pour 2022 prévoyait une augmentation des moyens en matière sanitaire, pour atteindre 611 millions d'euros. Ces crédits ont permis de renforcer nos contrôles et la surveillance des dangers sanitaires. Je pense à l' influenza aviaire, à la peste porcine africaine, aux salmonelles ou à la brucellose porcine, même s'il reste beaucoup de travail à effectuer dans ces domaines. Ce combat n'est jamais terminé.
Ces crédits ont également financé des actions ciblées de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et la promotion de méthodes alternatives, ainsi que le soutien aux démarches de territorialisation de notre alimentation.
Le troisième axe de nos priorités portait sur la formation des jeunes et l'innovation. Il s'agit de préparer l'avenir à travers ces crédits et ceux du programme Enseignement technique agricole de la mission Enseignement scolaire. L'enseignement technique agricole a d'excellents taux d'insertion professionnelle. La dynamique engagée dans l'accueil de nouveaux élèves, au sein des établissements publics, a porté la consommation de ces crédits s'élever à 547 millions d'euros, hors dépenses de personnel, ce qui a notamment permis de financer le renforcement et l'accueil des élèves en situation de handicap. C'est un sujet sur lequel nous avions besoin d'accélérer. Nous le faisons aussi à travers le budget pour 2023. Nous avons également agi à travers la rénovation du système d'information et la revalorisation des conseillers principaux d'éducation.
L'enseignement supérieur agricole, qui accueille les futurs ingénieurs agronomes, vétérinaires et paysagistes, a exécuté ses crédits à hauteur de 139 millions d'euros en crédits de paiement, pour financer notamment l'accueil des étudiants et l'accompagnement des établissements dans le développement de leurs capacités d'accueil, la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et le renforcement de l'équipe pédagogique des écoles nationales vétérinaires. Nous savons à quel point la démographie vétérinaire constitue un sujet central. Nous pourrions presque établir un parallèle avec la démographie médicale. L'objectif est que les enseignants puissent encadrer davantage d'élèves – objectif assigné dès le budget pour 2022.
Les crédits destinés aux bourses d'étude sur critères sociaux et aux autres aides sociales à destination des élèves et des étudiants des brevets de technicien supérieur (BTS) agricoles ont été consommés à hauteur de 68 millions d'euros.
Le plafond du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural, le bien connu CAS-DAR, a été maintenu à hauteur de 126 millions d'euros au titre de la loi de finances initiale. Des excédents de recettes ont été constatés de 18 millions d'euros en fin d'année, puis ouverts et reportés sur l'exercice en cours, ce qui permettra de renforcer la recherche appliquée et le développement en vue de favoriser l'adoption d'innovations et de changements de pratique soutenant en particulier la transition agroécologique.
S'agissant des moyens de supports du ministère, 40 millions d'euros ont été exécutés pour le lancement et la poursuite de chantiers immobiliers et informatiques structurants, qui permettent d'améliorer les services rendus aux citoyens et aux agriculteurs, mais aussi de rationaliser l'implantation immobilière du ministère et de ses établissements publics.
Face à l'ampleur des crises survenues en 2022, le budget du ministère a bénéficié de l'ouverture de crédits significatifs, pour plus de 1,5 milliard d'euros. 580 millions d'euros ont été ouverts par le décret d'avance du 7 avril 2022 dans le cadre du financement des mesures du plan de résilience adopté en réponse aux conséquences de la guerre en Ukraine, notamment pour faire face aux surcoûts liés à la hausse du coût de l'énergie et de l'alimentation animale. 944 millions d'euros ont également été ouverts par les deux lois de finances rectificatives pour 2022, destinées principalement à l'indemnisation des agriculteurs affectés par la crise de l' influenza aviaire, l'épisode exceptionnel de gel du printemps 2022, la sécheresse ou la grêle. Le Gouvernement a donc été présent aux côtés des agriculteurs afin de faire face à ces crises et de les accompagner, en préservant l'essentiel, c'est-à-dire le tissu d'agriculteurs et la capacité à produire.
Je voudrais conclure par un sujet essentiel pour notre souveraineté alimentaire, ce qui me conduira à déborder un peu sur l'année 2023 : il s'agit du renouvellement des générations. Le 9 septembre dernier, le Président de la République a annoncé les trois axes de la future loi d'orientation et d'avenir agricoles : l'orientation et la formation, la transmission et l'installation, la transition et l'adaptation face au changement climatique, notamment par l'innovation.
Une large concertation a été engagée pour aboutir à un pacte et une loi d'orientation, qui seront présentés, comme vous le savez, à l'automne. Cette concertation, qui s'appuie à la fois sur une démarche nationale et une démarche au niveau territorial, livrera ses propositions fin mai. Je sais que le Parlement y prendra une part active, avec un objectif que nous partageons, je crois, largement : garantir à tous nos agriculteurs un système viable et durable au service de notre souveraineté agricole et alimentaire.
J'ai le plaisir, ce soir, de vous présenter mes constats et mes interrogations concernant le budget de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural en 2022.
Au titre de la mission dans son ensemble, ont été consommés 4,66 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 4,67 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit respectivement 153,9 % et 155,4 % des sommes ouvertes par la loi de finances initiale (LFI). La LFI pour 2022 avait en effet ouvert 3 milliards d'euros et les sommes disponibles ont atteint 5,1 milliards d'euros en comptant les reports, le décret d'avance pris en avril 2022 face au choc de l'agression russe en Ukraine et les deux lois de finances rectificatives, adoptées en août et en décembre. Bref, pour la deuxième année consécutive, l'exécution, tout en étant conforme à l'autorisation parlementaire, une fois les crises mises de côté, s'écarte considérablement de la prévision. Est dépassé le record de 2017, avec une consommation de 4,64 milliards d'euros à l'époque. Nous devons réfléchir à une programmation plus agile d'ici au budget pour 2024.
S'agissant du programme 149, la consommation s'élève à 3,3 milliards d'euros, soit 186,1 % de l'enveloppe initiale.
Trois éléments me paraissent devoir être relevés.
Avec 339 millions d'euros, les aides les plus directement consacrées à la structuration des filières et à la modernisation des entreprises sont conformes à l'autorisation. Vous connaissez, monsieur le ministre, mon intérêt pour le renouvellement des générations et la diversification des profils.
L'effort pour la gestion équilibrée et durable des territoires est demeuré soutenu, avec une dépense de 419 millions d'euros. Ce satisfecit ne doit pas masquer le ralentissement dans la demande des consommateurs et la part des surfaces cultivées en bio : l'indicateur de performance relatif à ce dernier paramètre affiche une cible de 12 %, à la fois en baisse par rapport à la première estimation pour 2022, qui était de 15 %, et bien supérieure au résultat pour 2021, soit 10,3 %. En revanche, le ratio entre les aides publiques et l'excédent brut d'exploitation (EBE) atteint 19,6 % en 2022, contre 25,5 % l'année précédente. Même si l'inflation n'est pas sans avoir joué un rôle, j'y vois surtout la conséquence d'une hausse de la production de 17,4 % en valeur et de 8 % en volume, ainsi que celle de 14,2 % de la rentabilité des entreprises agricoles.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, envisagez-vous de rectifier votre stratégie sur le bio pour répondre à cette difficulté et, en sens inverse, fort de la bonne santé de nos exploitations, prévoyez-vous une cible plus ambitieuse encore pour 2024 quant à la part des aides dans l'EBE ?
Naturellement, la principale clef de lecture du budget en 2022, pour ce beau ministère qu'est celui de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, ce sont les aléas géopolitiques et naturels. En dehors des reliquats concernant l'épidémie de covid-19, la Cour des comptes chiffre à 1,4 milliard d'euros les soutiens de crise assumés par le programme 149. Je ne citerai que les 541 millions d'euros du plan de résilience face à la hausse du coût des intrants, les 378 millions d'euros liés au volet économique des deux vagues d' influenza aviaire hautement pathogène et les 184 millions d'euros de réponse aux deux épisodes de gel tardif, mais en profite pour saluer la réactivité des opérateurs et de la Mutualité sociale agricole (MSA).
Tous ces chiffres montrent à la fois la nécessité et les limites de ce levier de sincérité qu'avaient mis en place la majorité et le Gouvernement sous la précédente législature avec la provision pour aléas : clairement, que sa dotation soit de 190, 250 ou 300 millions d'euros, elle ne suffit plus.
Je fonde beaucoup d'espoirs sur la réforme de l'assurance récolte, à propos de laquelle, avec l'accord du président Coquerel, notre commission a reçu les principales compagnies, Groupama et Pacifica. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner le pourcentage de couverture par filière à la date limite de souscription des primes d'assurance, qui était le 31 mars dernier ?
J'en viens, plus brièvement, au programme 206. Finançant les contrôles en matière de santé animale et végétale, ainsi que les actions de l'État pour la qualité de l'offre alimentaire, il a consommé 792 millions d'euros, soit 29,5 % de plus qu'envisagé au début de l'année.
Bien entendu, la direction générale de l'alimentation (DGAL) a été fortement sollicitée par l' influenza aviaire. Pour ce qui concerne donc les abattages de volailles, la désinfection des foyers et l'indemnisation des propriétaires, ont été décaissés 227,5 millions d'euros.
L'autre dossier, dont vous pourriez, monsieur le ministre, nous indiquer l'avancement sur le terrain, est celui des transferts d'effectifs devant intervenir en provenance de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Pour le programme 215, chargé des moyens humains et de fonctionnement du ministère, ont été dépensés 596 millions d'euros, dont 87 % correspondent à du titre 2 (rémunérations, cotisations, etc.).
En ce qui concerne le CAS-DAR, mon commentaire sera nécessairement ambivalent : certains problèmes persistent, mais le profil de l'exécution en 2022 pourrait amorcer une tendance plus favorable. Avec 144,7 millions d'euros de recettes, contre une prévision prudente de 126 millions d'euros, et 141,5 millions d'euros de dépenses, au lieu du même montant, il enregistre un solde positif de 3,2 millions d'euros et un solde cumulé de 121,1 millions d'euros.
Ce neuvième exercice consécutif excédentaire aura tout de même permis un rattrapage des avenants de prolongation signés au début de la crise du covid-19. Pour les nouveaux projets, l'on peut croire que la réduction des thématiques et l'allègement des procédures d'évaluation permettront des décaissements plus fluides.
Quelles perspectives tracez-vous pour ce CAS-DAR, monsieur le ministre ?
Je donne la parole à M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, à qui je souhaite la bienvenue.
Merci monsieur le président. Monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, l'évaluation de cette exécution budgétaire permet de faire le lien avec la thématique que j'avais développée dans mon avis présenté lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, consacré aux services de remplacement, qui œuvrent utilement, comme vous le savez, pour venir en appui des exploitants à différents moments de leur carrière professionnelle (congés, maladie, accidents, formation, engagements syndicaux ou engagements consulaires, etc.). Ce dispositif essentiel incarne les principes de solidarité qui sont particulièrement ancrés au sein du monde agricole. C'est un outil stratégique pour répondre aux besoins de nos agriculteurs. Malgré tout son intérêt, moins d'un agriculteur sur cinq est adhérent à un service de remplacement.
Le développement de ces services est encore trop freiné par des difficultés structurelles. Le reste à charge demeure important, malgré les nombreux soutiens existants. Je pense que les services de remplacement font partie des outils majeurs qui peuvent, demain, participer plus avant à la formation et à l'attractivité des métiers de l'agriculture, au soutien des politiques d'installation et favoriser le renouvellement des générations au sein des exploitations, autant de préalables à la construction de notre souveraineté alimentaire.
Plusieurs leviers peuvent être étudiés, comme je l'avais proposé, en vue de leur mise en œuvre dans le cadre de la prochaine loi d'orientation et d'avenir : la revalorisation du crédit d'impôt et la prise en charge par l'État des frais, en cas d'urgence, en prenant en compte l'expérimentation qui se poursuit actuellement dans le département de l'Orne ; la gratuité de la prise en charge du remplacement en cas de suicide de l'exploitant agricole ; l'amélioration et la valorisation des compétences des agents de remplacement par la mise en œuvre d'une carte professionnelle, couplée à un certificat de qualification professionnelle modulaire ; la définition d'une politique publique portée par le ministère et la construction d'une stratégie plus affirmée autour de ces enjeux de formation et d'aide aux exploitants, afin d'accroître le vivier des agents de remplacement dans les départements.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous éclairer quant aux orientations que vous souhaitez reprendre et mettre en œuvre au cours des prochains mois.
Nous savons que l'augmentation des prix de l'agroalimentaire a eu des répercussions extrêmement importantes sur la filière bio. Nous l'avons constaté notamment lors du dernier salon international de l'agriculture. Or je constate que les MAEC et les aides à la conversion vers l'agriculture biologique ont fait l'objet d'une moindre consommation en 2022, à hauteur de 32,8 millions d'euros en crédits de paiement. Les éléments fournis par le rapporteur spécial indiquent que la différence a été assumée par des fonds européens de relance, plutôt que par l'État. Ne croyez-vous pas que le bilan de l'exercice 2022, en ce qui concerne ces aides à la conversion, témoigne du fait que celles-ci sont insuffisantes ? Comment voyez-vous la suite de ce point de vue ?
Les crédits d'impôt en faveur de la substitution du glyphosate et l'engagement dans une certification de haute valeur environnementale (HVE) ont eu, pour la première fois, une incidence de respectivement 45 millions d'euros et 30 millions d'euros. Jugez-vous ce bilan satisfaisant ? Ces montants me paraissent, en première analyse, assez faibles au regard des objectifs affichés.
S'agissant des schémas d'équivalents temps plein, pour l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et l'ONF, je note que la diminution des effectifs a représenté 44 équivalents temps plein (ETP), au lieu de – 135 ETP prévus dans le schéma initial. Je m'en félicite, car je ne suis pas en faveur de la diminution des ETP, notamment au sein de l'ONF. Comment voyez-vous la suite en la matière ?
Enfin, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, des budgets supplémentaires importants ont été mobilisés, en raison notamment de la sécheresse. Je crois que chaque été, du fait du changement climatique, des phénomènes ayant des effets très importants sur l'agriculture vont se produire de plus en plus fréquemment. La sécheresse n'en constitue qu'un exemple. Quelle analyse en tirez-vous pour les budgets à venir de votre ministère ? Ne faut-il pas mettre en place un « quoi qu'il en coûte » pour prendre en charge les réparations immédiates ? Quelle anticipation faites-vous des impacts du changement climatique pour les budgets du ministère de l'agriculture ?
L'année 2022 a été marquée par des aléas géographiques et naturels particulièrement forts. On pense évidemment aux épisodes de gel tardif et, en particulier pour mon territoire, à l' influenza aviaire. Plus de 600 millions d'euros ont été mobilisés en 2022, dont 378 millions d'euros au titre du programme 149 et 227,5 millions d'euros au titre du programme 206. Des mesures importantes ont-elles été prises, dans l'exécution de ces budgets, afin de sortir de cette crise qui devient récurrente ? Nous assistons actuellement dans le Gers à une recrudescence de l' influenza aviaire, de façon absolument atypique au regard de la saisonnalité de cette maladie.
En ce qui concerne la filière bio, vous me demandez s'il faut changer la stratégie et s'il faut faire évoluer la trajectoire. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Les chiffres montrent que la baisse de consommation, dans le bio, est un peu antérieure à la crise ukrainienne. L'inflexion de la courbe de croissance, qui était assez continue sur une dizaine d'années, avec un coefficient alors plutôt à deux chiffres, date de la sortie de la crise de l'épisode du covid-19. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette réorientation de la consommation. En premier lieu, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et une croissance à deux chiffres doit inviter à s'interroger sur la pérennité d'une telle tendance. En deuxième lieu, la crise du covid-19 a fait évoluer les modes de consommation de nos concitoyens au bénéfice des circuits courts et des produits locaux, sans toujours distinguer le bio de l'agriculture conventionnelle. L'inflexion de la courbe me semble en partie liée à ces changements de comportement. L'inflation s'est aussi traduite par une baisse en gamme dans les comportements de consommation d'un grand nombre de nos concitoyens, en raison d'une capacité financière qui s'est trouvée réduite.
Je pense qu'il faut maintenir la stratégie et la trajectoire que nous avons voulu développer, dans une logique de conversion vers le bio. Entre 2015 et 2022, les surfaces cultivées en bio ont doublé en France. Celles-ci représentent aujourd'hui 15 % des surfaces, ce qui fait de cette politique de conversion plutôt une réussite.
Nous sommes dans une phase de stabilisation du marché. Nous savons qu'à une période de forte croissance peuvent succéder de telles phases de stabilisation. J'évoquais l'autre jour au Sénat la filière des noix, qui traverse actuellement une crise d'offre, après avoir connu une forte croissance. Dans le bio, une crise d'offre s'est produite au démarrage et nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise de la demande.
Nous devons donc agir dans plusieurs domaines. Il faut d'abord réaffirmer la place du bio dans la trajectoire globale qui a été définie pour l'agriculture. Un objectif de 18 % a été défini dans la PAC et nous devons l'atteindre. Dans le moment de crise que nous traversons, nous devons aussi consolider l'ancrage de ceux qui ont déjà converti leur exploitation vers le bio, car rien ne serait pire que le retour en arrière d'un agriculteur qui aurait converti son exploitation. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises et d'autres sont en préparation.
Nous agissons sur le plan de la communication à travers le groupement d'intérêt public pour la promotion et le développement de l'agriculture biologique, qui constitue un élément très important. Des crédits supplémentaires ont été mobilisés afin de réaliser une étude qui permette d'objectiver la situation, en termes de consommation. Nous avons besoin de mieux documenter les tendances d'évolution actuelles, au-delà de la crise liée à l'inflation ukrainienne. Les campagnes de communication (campagne « bio réflexe ») visent aussi à inciter nos concitoyens à se tourner vers le bio.
Je pense que la grande distribution a aussi un rôle à jouer. Les surfaces dévolues aux produits bio étaient très importantes, ces dernières années, tant que la croissance était à deux chiffres. Elles tendent à se réduire au moment où la consommation de bio recule. Nous savons à quel point l'exposition du produit peut influer sur la consommation, en particulier dans les grandes surfaces.
En outre, a été votée en 2018 la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM). Je parle devant M. Stéphane Travert, qui, comme ministre, en était l'auteur et le préfigurateur. Elle visait à intégrer des produits bio et issus de circuits courts dans la commande publique. Nous sommes en train de faire en sorte que la question des produits bio et des circuits courts soit mieux prise en compte dans la commande publique. Nous examinons aussi la façon dont des incitations peuvent être mises en place vis-à-vis des collectivités territoriales. Certaines s'engagent résolument en ce sens, d'autres le font moins. Nous devons analyser ces pratiques afin d'avancer sur ce plan également. Cela pourrait contribuer à structurer le marché.
Des éléments ont par ailleurs été annoncés par la Première ministre lors du salon international de l'agriculture, en particulier une première aide d'urgence de 10 millions d'euros, qui n'avait pas vocation à constituer un solde de tout compte. Il s'agissait de couvrir des besoins immédiats et d'urgence. Je pense à un certain nombre de filières telles que celles de l'élevage (par exemple celle du porc), qui rencontrent de grandes difficultés et qu'il faut aider pour éviter la « déconversion ».
Des crédits supplémentaires font aussi l'objet d'un redéploiement, à partir de l'enveloppe de la mission Investir pour la France de 2030, afin d'abonder la communication sur les produits bio.
Enfin, nous examinons avec les filières la mise en place, dans le cadre du budget pour 2023, d'un plan d'urgence complémentaire en vue de répondre aux exigences de la filière bio compte tenu des difficultés qu'elle traverse.
Nous devons donc travailler à la fois sur les plans conjoncturel (par les mesures d'urgence que je viens d'évoquer) et structurel (en travaillant sur la réponse à la demande du marché). Il faut que le bio soit aussi un produit local afin qu'il n'y ait pas de concurrence entre ces deux qualités. Cela me paraît un élément très important. Je ne reviens pas sur les dispositifs qui existent dans la PAC (pour la conversion) et au travers de dispositifs fiscaux, en termes d'aide au maintien.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur spécial, le critère de l'excédent brut d'exploitation. Si la tendance de 2022 se confirmait en 2023, il conviendra sans doute de revoir la cible de manière plus ambitieuse pour les prochaines années. Dans l'immédiat, nous avons besoin de prendre un peu de recul, tant le choc de 2022 a été particulier. Reconnaissons que les productions agricoles, dans bien des secteurs, sont malheureusement coutumières de variations importantes de valeur et dépendent souvent d'éléments exogènes eux-mêmes très fluctuants. Fixer des objectifs, dans un environnement lui-même mouvant, constitue toujours un exercice difficile. Je suis néanmoins ouvert à la possibilité d'étudier ces éléments, dès lors que nous aurions passé deux exercices consécutifs.
Entrons dans la question des aléas. Le sujet est global et présente, reconnaissons-le, des difficultés. Comme l'ont souligné monsieur le président et monsieur le rapporteur spécial, nous traversons une période au cours de laquelle les aléas géopolitiques, politiques et climatiques sont importants. Je ne crois pas que vous ayez estimé, ni l'un ni l'autre, que ce soit une question de sincérité budgétaire. Lorsque le budget pour 2022 a été voté, nul ne pouvait savoir ce qu'il adviendrait concernant l' influenza aviaire. Nous étions alors en novembre et décembre 2021. Nul n'avait imaginé la crise ukrainienne. Nous avons besoin d'assumer cet aléa, qui demeure très présent. L'agriculture est une activité beaucoup plus exposée, de ce point de vue, que d'autres secteurs. Le budget de la PAC comporte d'ailleurs lui-même une provision pour les crises, dotée d'environ 500 millions d'euros, ce qui est assez rare, dans l'ensemble des politiques européennes.
Il existe deux pistes pour tenter de contrecarrer ces aléas. La première a consisté à mettre en œuvre, pour la première année, la réforme de l'assurance récolte, qui vise à mieux couvrir les risques d'aléa (sécheresse, grêle, etc.). Son équilibre me paraît satisfaisant. Il s'agit de disposer d'un instrument d'assurance qui permette de mieux couvrir le risque, avec une modulation. Je rappelle que l'arboriculture et les systèmes de prairies ont été couverts de 2 % à 4 %, ce qui est assez faible. Le système de subventionnement par l'État et par l'Union européenne, à travers la politique agricole commune, doit permettre de mieux couvrir le risque et les aléas.
Il faut aussi mieux assumer la capacité de résilience de l'agriculture, c'est-à-dire faire en sorte que celle-ci puisse mieux se couvrir, par exemple du risque de sécheresse, ce qui peut passer par la diversification d'un certain nombre d'assolements ou par l'agroécologie. Cet effort prend nécessairement du temps et c'est dans la durée que l'on jugera de l'efficacité de ces politiques. Dans le cas de la grêle, on sait que certains systèmes sont plus efficaces que d'autres. L'accès à l'eau constitue aussi un vecteur de protection contre les aléas. Là où nous pouvons agir, nous le faisons, de façon à prévenir d'éventuels défauts dans ces systèmes dans cinq, dix ou quinze ans. Le changement des pratiques constitue aussi un axe important. Les agriculteurs s'efforcent eux-mêmes d'évoluer en permanence face au changement climatique, celui-ci faisant peser sur eux la principale contrainte.
Quant au chiffrage que vous me demandez sur le taux de progression de l'assurance récolte, nous ne connaîtrons en réalité cette grandeur qu'à la fin de l'année, lorsque les agriculteurs demanderont la subvention. J'ai demandé aux deux principaux assureurs, que vous connaissez, qu'ils me transmettent en juin un premier bilan d'étape des contrats souscrits, selon la nature des filières. Notre cible était plutôt constituée des agriculteurs les moins assurés. Les premières données qui nous parviennent font état de taux de progression très importants dans un certain nombre de filières, même si nous partions de chiffres très bas.
Le CAS-DAR me paraît un outil puissant. Il permet d'avancer dans l'innovation, la recherche et la massification vers la transition agroécologique. L'enjeu est que les agriculteurs eux-mêmes soient convaincus. Vous avez noté que nous avions pu lisser les crédits de 2022 vers 2023. Je crois qu'il faudra réfléchir, dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), à cet outil, en plus de l'utilisation des crédits de la mission Investir pour la France de 2030, qui peut aussi constituer un vecteur de recherche et développement, afin de capitaliser sur la diffusion du résultat des programmes de recherche de manière encore plus importante au travers du CAS-DAR, dont je rappelle qu'il est financé essentiellement par les agriculteurs. Le rapport d'une mission conjointe conduite par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l'Inspection générale des finances (IGF) contient des termes plutôt positifs sur la gestion actuelle du CAS-DAR et l'intérêt de ce dispositif.
Nous avons prolongé en 2023 le crédit d'impôt dédié à la substitution au glyphosate, car il s'agissait d'un élément assez nouveau. Il est difficile de vous apporter une réponse complète car ce dispositif doit faire l'objet d'une évaluation. Vous me demandez si les moyens mobilisés correspondent à notre ambition en la matière. Je constate que plus de 30 % ou 40 % des agriculteurs sont en train d'abandonner l'utilisation du glyphosate. Font-ils pour autant appel au crédit d'impôt ? Ce n'est pas nécessairement le cas. Peut-être font-ils simplement évoluer leurs pratiques. Cela n'empêche pas que nous ayons des débats quant à l'utilisation du glyphosate, sous certaines contraintes. Nous devons continuer d'y travailler afin d'avancer sur ce point. Cela mériterait une évaluation afin d'identifier des pistes qui servent nos objectifs.
M. Stéphane Travert soulève à juste titre la question des services de remplacement. Ce dispositif me paraît très efficace au moins pour deux motifs. Il sert le bien-être des agriculteurs et leur apporte des périodes de répit, ce qui en fait un outil précieux. Nous devons aussi travailler à approfondir les services de remplacement dans le cadre de la réflexion que nous devons mener afin que les agriculteurs soient soumis à des contraintes horaires et calendaires qui se rapprochent de celles du reste de leurs concitoyens, en particulier en élevage. Le sujet a émergé de la concertation sur le PLOA avec un objectif partagé de renforcement de ce service, qui contribue à la fois au bien-être des agriculteurs et à la « vivabilité » des exploitations agricoles. Je me trouvais il y a quelques semaines en Bretagne, dans un élevage laitier et les enfants des chefs d'exploitation disaient devant moi : « on a vécu au rythme des traites, le matin et le soir, 365 jours par an, week-end compris ; nous ne voulons pas connaître ce rythme-là ». Il existe le salariat, qui devra être versé au débat sur le PLOA. Les services de remplacement doivent aussi permettre de répondre à ce questionnement important.
C'est en fin d'année 2022 que nous nous sommes demandé comment nous appuyer sur des dispositifs encore plus efficients, sachant que l' influenza aviaire a évolué : alors que ces épisodes revenaient classiquement tous les trois ou quatre ans, avec plus ou moins de vigueur, nous avons assisté de façon nouvelle, en 2022, à la présence endémique, en faune sauvage, de cette pathologie sans que celle-ci ne quitte notre territoire. Le sujet demeure manifestement d'actualité en 2023.
En premier lieu, nous recherchons une dé-densification d'un certain nombre d'élevages, comme cela a été fait, monsieur Cazeneuve, dans votre département, même si nous sommes malheureusement confrontés à des épisodes d' influenza aviaire qui se produisent en fin de saison. L'objectif était de faire en sorte qu'il y ait moins d'animaux dans les élevages au moment où le risque est le plus élevé. En deuxième lieu, il ne faut jamais en rabattre sur les questions sanitaires. En troisième lieu, il existe un facteur d'espoir d'une amélioration de la situation à travers la vaccination, qui ne peut certes constituer une réponse suffisante à elle seule. La vaccination pose des questions d'acceptabilité et de capacité à exporter un certain nombre de produits. La conjugaison de ces trois réponses (dé-densification, mesures de vigilance sanitaire, vaccination) doit nous permettre de mieux passer le cap. Nous dénombrons quatre fois moins de cas cette année qu'en 2022. Il est certes bien difficile de faire la part des différents facteurs potentiellement en cause dans ce constat. Dans votre région, qui a été moins touchée et où les mesures de dé-densification ont été les plus fortes, les décisions prises ont sans doute contribué à cette diminution du nombre de cas par rapport à l'année précédente.
Je voudrais d'abord saluer le rapport qui nous est présenté, qui est riche et très circonstancié. Vous avez cité les lois EGALIM 1 et EGALIM 2, les mesures prises sur la grippe aviaire ou encore la réforme de l'assurance récolte. Ce sont des éléments très positifs, de même que les mesures prises pour les lycées agricoles. Il n'en demeure pas moins que l'exécution budgétaire s'écarte très significativement de la prévision. Même si des éléments de conjoncture ont pu y contribuer, envisagez-vous d'intégrer et anticiper tout ou partie de ces dépenses, qui font suite à des épisodes climatiques que la Cour des comptes nous invite à considérer désormais comme des évènements récurrents ?
Réfléchissez-vous à l'intégration, dans le budget du ministère de l'agriculture, une forme de comptabilité écologique ? Je fais référence aux excellents travaux de MM. Alexandre Rambaud et Hervé Gbego, du Conseil national de l'ordre des experts-comptables, sur l'adaptation et la lutte contre le changement climatique.
Je voudrais enfin évoquer l'action 24 du programme 149, qui fait l'objet d'une sous-exécution. Elle porte sur un sujet qui préoccupe de nombreux députés, à savoir les prédations et la protection des troupeaux. Les préfets et vos services déconcentrés font un travail remarquable, sur le terrain, pour accompagner et aider les éleveurs, en leur apportant du matériel de protection. Dans le cas du loup, nous sommes nombreux à considérer qu'il faudrait même définir des zones d'exclusion. Ces crédits sont en tout cas nécessaires et je vous encourage à déconcentrer leur gestion.
Le rapport sur l'exécution budgétaire constitue un document extrêmement intéressant mais il nous place au cœur du « en même temps ». Nous voyons qu'il existe une volonté politique mais il apparaît aussi que c'est au plan européen que se trouvent les crédits et que se prennent la plupart des décisions. Nous voyons que des actions positives sont conduites (aides aux filières, mesures de soutien face aux crises importantes, dispositifs fiscaux, assurance récolte) mais, simultanément, on a l'impression qu'on ne parvient pas à répondre aux facteurs profonds des crises de l'agriculture. Je vais en citer quelques exemples, à commencer par la remise en cause assez systématique du modèle agricole. Certes, tout n'est pas parfait mais nous constatons parfois une sur-transposition des normes, qu'illustre bien le problème de la betterave.
Qu'en est-il de notre souveraineté alimentaire ? Celle-ci peut constituer un objectif mais force est de constater que nous importons de plus en plus : plus de 50 % de nos fruits et légumes sont importés. Notre place, dans le classement des exportateurs mondiaux, recule sensiblement. Vous avez évoqué du localisme et des circuits courts, ce qui constitue effectivement une tendance à encourager. Qu'allons-nous faire concrètement en ce sens ? Tant que nous subissons une concurrence déloyale de productions de fruits et légumes venant de l'étranger, et alors que cette concurrence s'étend, cela peut donner l'impression que l'on traite les conséquences d'une situation que nous créons nous-mêmes.
S'y ajoute la dimension humaine. La qualité de la formation est au rendez-vous mais l'agri- bashing nuit à l'attractivité de la profession agricole. S'y ajoute le problème des transmissions, dont vous avez indiqué qu'il ferait l'objet de dispositions particulières dans la future loi d'orientation. Cela me paraît nécessaire. Je le constate dans ma circonscription, à propos des exploitations viticoles. Il est de plus en plus difficile de préserver de petites exploitations familiales du fait de cette problématique des transmissions. Vous avez également rappelé le problème de l'inflation. Je discute avec des commerçants sur les marchés. Auparavant, les gens achetaient du poulet bénéficiant du Label rouge. Aujourd'hui, ils ont moins d'argent et ils se tournent vers le poulet bas de gamme.
Monsieur le ministre, pouvez-vous expliquer pourquoi des structures qui agissent au quotidien pour l'installation agricole sont laissées en difficulté financière ? Vous faites de l'installation une priorité dans le PLOA qui doit être examiné à la rentrée. Ces difficultés viennent notamment de la répartition du CAS-DAR, dont les bénéficiaires sont, pour un tiers, les chambres d'agriculture et, pour un autre tiers, les instituts techniques agricoles (ITA), le dernier tiers étant réparti entre des appels à projets et les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). Cette répartition ne correspond pas à la réalité du terrain : dix-neuf ONVAR ne bénéficient que de 7,5 millions d'euros, sur les 126 millions d'euros alloués au CAS-DAR. C'est bien peu, au vu de la participation de ces structures à l'atteinte des objectifs de transition agroécologique et de renouvellement des générations. À titre d'exemple, la Fédération associative pour le développement et l'emploi agricole et rural (FADEAR) a été reconnue comme ONVAR en 2015. Elle perçoit 130 000 euros, soit 0,11 % des fonds du CAS-DAR, alors qu'elle accompagne un tiers des porteurs de projet à l'installation et 60 % des installations de candidats non issus du milieu agricole. Comment peut-elle être si peu soutenue, alors que vous avez fait de l'installation-transmission une priorité ? Comptez-vous corriger ces déséquilibres et inégalités de traitement ? J'ajoute que 117,8 millions d'euros étaient non utilisés, à la fin de 2021, ce montant ayant peu à peu grossi au fil des années. Les fonds du CAS-DAR se trouvent donc sous-utilisés alors qu'ils pourraient bénéficier à des structures qui agissent au quotidien pour l'avenir de notre agriculture et de nos territoires. Pouvez-vous aussi nous expliquer de quelle façon est utilisé et réparti cet excédent ?
Les préoccupations sanitaires ont été déterminantes et essentielles ces derniers mois. Je voudrais souligner, pour l'avoir vécue ces derniers mois, la capacité de réaction de vos services, qui a été démontrée avec une grande célérité. Les exploitants me font part d'une difficulté qui a trait au nettoyage des bâtiments après la maladie. Ce coût semble disproportionné et son indemnisation faible.
En ce qui concerne le bio, j'ai noté que les mesures assez décevantes qui avaient été annoncées ne constituaient qu'une première série de décisions et que d'autres allaient suivre. Peut-être le confirmerez-vous. J'en veux en tout cas aux pouvoirs publics d'avoir orienté un nombre bien trop grand d'agriculteurs vers le bio, ce qui a provoqué un décalage entre l'offre et la demande. Nos compatriotes sont des ménages modestes qui n'ont pas tous la capacité d'acheter régulièrement des produits bio. Nous sommes aujourd'hui confrontés à cette crise et celle-ci est loin d'être derrière nous.
Nous allons vers des réformes en matière de lycées professionnels agricoles. J'espère que ceux-ci conserveront leur singularité, qui me paraît extrêmement précieuse. J'ai la chance de siéger, en tant que conseiller régional, au conseil d'administration d'un de ces établissements, à Merdrignac. Ceux-ci jouissent d'une certaine autonomie et constituent une véritable richesse.
L'assurance récolte ne prend absolument pas dans le monde de l'élevage. Les éleveurs ont le sentiment que ce dispositif a été bâti pour le monde du végétal – ce qui est objectivement vrai. Je ne demande qu'à être convaincu du fait que l'élevage est au nombre de vos préoccupations. En tout cas, les agriculteurs ne le sont pas.
S'agissant de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), les médias se sont fait l'écho, après vos propos, de divergences d'appréciation à propos de la betterave. Le sujet est classique : il a trait aux rapports entre l'expert et le décideur politique. In fine, auquel des deux la décision revient-elle ? Le monde agricole attend que le ministre prenne un certain nombre de responsabilités sans se dissimuler derrière les experts.
Le sujet de fond demeure la balance commerciale agricole, qui cesse d'être excédentaire et va devenir déficitaire. Il faut que nous retrouvions des ambitions agricoles.
La lecture des chiffres de cette exécution budgétaire montre finalement que ce budget pour 2022 a été marqué par l'augmentation des crises. La part accordée au soutien économique des crises, au titre du programme 149, a dépassé le milliard d'euros, ce qui traduit un changement de nature, comme le souligne la Cour des comptes. Vingt-cinq dispositifs de soutien d'urgence ont été mis en œuvre en réaction à ces crises. Le programme 206 montre également que la réponse aux crises a représenté 61 % de ses dépenses, contre 37 % en 2021 et 24 % en 2020. La gestion sanitaire de la grippe aviaire a mobilisé près de 240 millions d'euros et les dispositifs de soutien économique 378 millions, contre respectivement 47 et 52 millions d'euros en 2021. La lecture comptable de ces deux programmes témoigne en fait de l'accélération du changement climatique, qui aura pour conséquence la multiplication des crises à affronter dans le domaine agricole.
Du point de vue budgétaire, ce changement de nature qui transparaît dans l'ensemble des interventions qui ont précédé la mienne n'implique-t-il pas une nouvelle prise en compte, dans le prochain projet de loi de finances, des risques liés au changement climatique afin d'éviter ce phénomène ?
Ce changement de nature budgétaire témoigne de la nécessité d'une nouvelle approche en matière de politique agricole : accélération de la transition agroécologique, adaptation des types de cultures, réduction de la taille des cheptels, en particulier pour les élevages porcins, pour des raisons sanitaires autant qu'écologiques, programme de plantation de haies bocagères (y compris dans ma région en Normandie), afin de minimiser les effets négatifs de la sécheresse et protéger les parcelles de pâturage des vents froids, en favorisant la biodiversité et la richesse des sols.
Comment comptez-vous, dans le cadre du prochain budget, soutenir et favoriser ces leviers de transformation ?
Pour soutenir nos agriculteurs et faire face aux enjeux de compétitivité et de durabilité de notre système agricole, le budget pour 2023 alloué au ministère de l'agriculture a connu une hausse inédite. Le défi est grand. À l'heure où il nous faut changer nos modes de production pour assurer la transition écologique, nous devons bien évidemment accompagner nos agriculteurs et développer des politiques publiques adaptées. C'est par exemple ce qui a été fait à travers les mesures agroenvironnementales et climatiques. Elles permettent d'accompagner les exploitations agricoles qui s'engagent dans des pratiques combinant performance économique et performance environnementale. Elles permettent de répondre aux enjeux environnementaux tels que la préservation de la qualité de l'eau, de la biodiversité, des sols ou la lutte contre le changement climatique. Les niveaux d'aide sont définis à partir d'estimations des surcoûts ou des pertes de revenus engendrés par les pratiques agroenvironnementales. Monsieur le ministre, face à l'accélération de la nécessité de relever le défi climatique, comment évaluez-vous l'efficacité de ce type de mesure ?
De nouvelles réglementations telles que la directive relative à la restauration de la nature sont attendues dans les mois à venir et nécessiteront d'accompagner encore davantage nos agriculteurs dans ces transitions. Les dispositifs de soutien seront-ils renforcés ou modulés selon les besoins de nos agriculteurs ?
La mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales est composée des trois programmes 149, 206 et 215. Même additionnée à celle du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural, cette enveloppe ne constitue qu'une part minoritaire des concours publics à l'agriculture au plan budgétaire. S'y ajoutent ceux de l'Union européenne, pour près de 10 milliards d'euros. Je lis votre excellent rapport, monsieur le rapporteur spécial. C'est donc bien au niveau européen qu'il convient d'agir pour améliorer la protection de l'environnement et du climat et soutenir le monde paysan dans sa nécessaire transition écologique et sociale indispensable à l'agriculture de demain.
Or la programmation de la PAC pour les années 2023 à 2027 n'obéit à aucun de ces impératifs, ce qui explique le profond désaccord des écologistes à ce projet (approuvé par le Gouvernement et les députés européens du groupe Renaissance) et leur vote contre ce projet, qui continue d'accompagner une agriculture productiviste, aux antipodes de ce que nous voudrions faire avec le pacte vert, alors même que c'est, au niveau européen, le budget le plus important (40 % du budget total).
Il faut souligner, dans le prolongement de ce constat, l'insuffisance de caractérisation de l'impact des dépenses de la mission sur l'environnement. Le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État, annexé au projet de loi de finances pour 2022, donne la cotation environnementale de la plupart des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales et des dépenses fiscales qui lui sont rattachées . Selon ce budget vert, les actions 24 et 26 du programme 149 contribuent positivement à la biodiversité à hauteur de 690 millions d'euros en 2021, alors que le rapport de l'IGF et de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), de novembre 2022, portant sur le financement de la stratégie nationale pour la biodiversité pour 2030, n'estimait qu'à 106 millions d'euros les dépenses favorables des actions agricoles du programme en 2021. Ces incohérences témoignent encore une fois, comme pour d'autres missions, de la nécessité d'une meilleure caractérisation de l'impact environnemental des crédits et des dépenses. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour remédier à cette triple difficulté ?
Monsieur le ministre, je commencerai par une question traditionnelle sur les difficultés d'apurement des comptes dans le cadre des financements européens, qui vous ont coûté 141,9 millions d'euros en 2022. Où en êtes-vous et avez-vous provisionné de nouveaux apurements éventuels connus fin 2022 pour 2023 ?
S'agissant des indemnisations liées aux sécheresses de l'été 2022 et de l'impact des feux sur la régénération des forêts, avez-vous provisionné les montants requis pour faire face à ces deux phénomènes ?
Quelles suites souhaitez-vous donner à la recommandation de la Cour des comptes, visant à solder l'apurement de vos dettes envers la Caisse centrale de mutualité sociale agricole ? La Cour des comptes estime cet apurement à environ 100 millions d'euros.
Êtes-vous favorable à la proposition de la Cour des comptes, visant à l'intégration du CAS-DAR dans le budget général ?
Enfin, où en sommes-nous de la création du consortium qu'il est prévu de constituer autour des différentes sociétés d'assurance devant participer au dispositif d'assurance récolte ?
Nous avons eu un échange, il y a peu, à propos des aléas climatiques. L'assurance bénéficiant aux agriculteurs étant appelée à faire prochainement l'objet d'évolutions importantes, la prise en compte des sécheresses, je souhaiterais m'assurer de la prise en compte des principes tels que celui que nous connaissons, relatif à la moyenne des cinq dernières années. Certains départements subissent depuis plus de quatre ou cinq ans des épisodes de sécheresse et ont été exclus des dispositifs, de manière assez injuste, car ils ont beaucoup souffert de la sécurité, peut-être plus encore que d'autres départements qui ont été pris en compte dans l'application de ces mesures. Dans la période actuelle, avec les décapitalisations et la perte d'un certain nombre d'éleveurs, d'éventuelles exclusions de cette nature pourraient être de nature à décourager certains exploitants.
Vous avez évoqué, monsieur Mournet, la comptabilité écologique en des termes qui font écho, d'une certaine façon, aux recommandations de la Cour des comptes. Il y a la part de ce qui est connu et celle, concernant les aléas climatiques, de ce qu'on ne sait pas. Le dispositif assurantiel est une façon d'éviter d'éventuelles mauvaises surprises qui viendraient s'ajouter à l'impact de ces aléas. L'année 2022 a été marquée par la guerre en Ukraine et la grippe aviaire. Seule la sécheresse pourrait permettre d'agir au titre des aléas climatiques. Ses impacts sont estimés à environ 160 millions d'euros pour l'année 2022, même s'il est encore difficile d'évaluer la totalité de ses conséquences. Il est difficile d'estimer l'impact de la crise en Ukraine. L'année 2022 présentant un profil atypique du fait de l'addition de la guerre en Ukraine et de la grippe aviaire, nous pouvons espérer des jours meilleurs, même si, dans le cas de la grippe aviaire, ce n'est pas aussi simple qu'on le dit.
Concernant les aléas climatiques au sens strict du terme, les réponses résident plutôt dans le changement de pratiques et l'assurance. Il me paraît hasardeux d'affirmer que l'on peut savoir des choses à l'avance en la matière.
S'agissant de la protection des troupeaux, il faut distinguer, comme vous le savez, l'indemnisation et la protection. Je ne rouvre pas cette discussion. Essayons d'avoir un débat apaisé, tel que celui qui nous réunit ce soir, sur les questions de prédation. Ce n'est en aucun cas une insulte à quiconque que d'affirmer que les activités d'élevage sont soumises à une forte pression lorsqu'elles sont exposées à des phénomènes de prédation. C'est un fait. Nous devons donc rechercher un équilibre qu'il est manifestement difficile de trouver, désormais, compte tenu de la dynamique de la population. Nous y travaillons avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires mais l'identification de ces équilibres n'est pas un exercice facile. Je pense que les agriculteurs sont prêts à entendre la présence du loup. Encore faut-il rendre celle-ci aussi compatible que possible avec la présence d'exploitations. Ce n'est jamais totalement le cas. Lorsque vous avez entendu un éleveur décrire l'attaque subie par son exploitation du fait d'un loup – ou plus rarement d'un ours –, vous comprenez la détresse humaine dans laquelle il se trouve. Rien ne répondra à cette détresse, surtout pas les indemnisations. Les éleveurs sont beaucoup plus attachés qu'on ne le croit et qu'on ne le dit à leurs animaux. Ils ont investi énormément d'énergie dans leur élevage, dans la durée. Celui-ci ne se construit pas en un jour. C'est le résultat d'un travail de sélection qui prend parfois des dizaines d'années.
Nous nous efforçons de simplifier les mécanismes en matière d'indemnisation et d'élargir ces dispositifs. Nous recherchons également la simplification des dispositifs en matière de protection des troupeaux, sachant que nous dépendons des crédits européens, ce qui crée un peu d'inertie. Nous essayons aussi de travailler sur le statut des chiens de protection et à la simplification des tirs, lorsque des attaques très puissantes ont lieu. L'administration territoriale de mon ministère et l'Office français pour la biodiversité (OFB) s'efforcent de répondre aux agriculteurs dans les meilleurs délais. Sans doute y a-t-il des marges de progrès mais il faut rendre hommage à leurs efforts. J'entends votre demande afin que les choses soient traitées dans l'ordre le plus pertinent qui soit, au-delà des contingences que j'évoquais.
Monsieur Lottiaux, vous plaisantiez à propos du « en même temps ». En réalité, nous avons besoin, sur ces sujets agricoles, d'assurer notre capacité de production et de souveraineté tout en veillant à ce que cette capacité ne soit pas obérée par l'absence de trajectoire en termes de transition, y compris du point de vue agroécologique. À mes yeux, la souveraineté ne s'oppose pas à cette transition. Nous sommes, pour un certain nombre de systèmes, dans une situation d'impasse liée au dérèglement climatique. Rien ne serait pire, pour un ministre de l'agriculture, que d'annoncer aux agriculteurs que rien ne va changer. Nous devons assumer le fait que le dérèglement climatique, les dérèglements géopolitiques, les mutations en cours, nécessitent des évolutions.
La question de la souveraineté se pose en des termes multiples. Y répondre suppose, en premier lieu, la capacité à nourrir sa propre évolution. Nous devons, de ce point de vue, reconquérir notre souveraineté, ce qui est long. Nous lançons un plan concernant les fruits et légumes. Il faut convaincre des agriculteurs afin qu'ils s'engagent dans des filières. Il faut reconstruire les appareils de production mais aussi de transformation. Lorsqu'une production disparaît, l'outil de production l'accompagne. Il est ensuite très long à reconstituer.
Pour autant, la souveraineté ne suppose pas, à mes yeux, l'autarcie et le repli sur soi. La France était puissamment exportatrice il y a trente ou quarante ans. Elle faisait alors déjà partie de l'Union européenne et du marché commun. Les raisons de nos difficultés ne sont donc pas à rechercher chez nos voisins. Elles sont à rechercher chez nous : pourquoi avons-nous construit un modèle qui nous a laissé penser que nous habitions une île, sans voir que nos concurrents n'étaient pas nécessairement soumis aux mêmes règles ni aux mêmes contingences, bien que nous fassions partie du marché commun ? Plutôt que de chercher des griefs à nos compétiteurs, nous devrions nous demander pourquoi nous ne sommes plus concurrentiels, alors que nous étions largement autosuffisants et exportateurs nets de fruits et légumes il y a quarante ans ? Aujourd'hui, seuls le lait, les céréales et les vins et spiritueux sont en position d'exportation nette. La France, qui est un grand pays agricole, ne peut renoncer à sa vocation sur les marchés extérieurs, y compris du point de vue de la stabilisation à laquelle elle peut contribuer, dans un monde fortement déréglé du point de vue climatique. Nous ferions une erreur si nous y renoncions.
Les circuits courts constituent une réponse mais je suis un partisan de la diversité des modèles (circuits courts, bio, conventionnel, etc.). Nous avons besoin de faire coexister l'ensemble des systèmes sans les opposer les uns aux autres, car chacun d'eux a son utilité. Nous avons besoin de répondre à l'ensemble des demandes des consommateurs. Il ne s'agit pas seulement de produire : il faut aussi produire ce que l'on consomme. Dans la volaille, 50 % de notre consommation est importée, car la volaille de qualité est consommée en France, tandis que la volaille d'entrée de gamme est majoritairement importée d'autres pays européens. Nous devons bien sûr travailler à l'inflation également.
La question de la sur-transposition des normes européennes et internationales constitue un enjeu important. C'est un sujet franco-français auquel nous devons nous atteler.
Je vous remercie, monsieur Le Fur, de m'inviter à prendre mes responsabilités – ce que je fais généralement. Prendre ses responsabilités n'implique pas d'entrer dans un mode conflictuel inutile. L'ANSES a des prérogatives. Je n'étais pas député, encore moins ministre, lorsque le vote qui a permis sa création a eu lieu. Chacun considérait alors qu'il fallait que cette agence dispose de ses propres prérogatives. À aucun moment je n'ai remis en cause son analyse scientifique. Concernant l' influenza aviaire ou l'exportation de céréales, j'ai dit ce qui me semblait juste au regard de notre intérêt collectif. Ne remettons pas en cause les valeurs scientifiques, car ce serait entrer dans un mode de raisonnement dont la sortie paraît hasardeuse. Je prends mes responsabilités et j'essaie de tenir, sur ces sujets, un discours assez pacifié qui invite les acteurs en présence à examiner la façon dont le calendrier français se coordonne avec le calendrier européen. Nous ne sommes pas sur une île déserte. Si nous interdisons en France des choses qui ne sont pas interdites au niveau européen, cela crée une distorsion et les produits européens viendront en France, car nous faisons partie d'un marché unique. Toute avancée, dans la réduction de l'usage de produits phytopharmaceutiques, me paraît intéressante dès lors qu'on pense le problème à l'échelle européenne. Cela permettra d'ailleurs d'établir plus facilement des clauses miroirs aux frontières, en interdisant l'entrée sur le territoire de produits extra-européens qui ne respecteraient pas ces conditions. La France ne peut cependant agir seule.
Vous avez évoqué la question des préoccupations sanitaires, ce qui recouvre deux sujets. Nous devons, d'une part, conserver l'idée d'une préoccupation sanitaire, car nous voyons bien que les aléas sanitaires vont constituer un sujet récurrent. La peste porcine et la grippe aviaire montrent que les aléas climatiques peuvent favoriser des aléas sanitaires. Je sens une fatigue, que je comprends, au sein du monde agricole sur ces questions mais nous ne devons pas en rabattre sur ce sujet, qui représente un enjeu de crédibilité.
En ce qui concerne le nettoyage des élevages, trois opérations sont requises. Deux d'entre elles sont prises en charge. Un nettoyage est de toute façon obligatoire lorsque vous videz un élevage. Je veux bien que vous me transmettiez les éléments qui vous parviennent du terrain, plutôt en provenance de Bretagne semble-t-il.
Nous avons évoqué le bio. Ce marché subit un choc et peine à se stabiliser, ce qui est normal. Lorsqu'un marché subit un tel choc, l'objectif est de stabiliser la situation afin que nous ne perdions pas d'agriculteurs convertis. N'affirmons pas qu'il ne faut pas faire de bio. Ce ne serait pas rendre service à la trajectoire que nous avons définie sur ces sujets et c'est un élément trop important.
Quant aux lycées, vous savez à quel point je défends la qualité de l'enseignement agricole, qui est très inclusif et a des taux de réussite qui font figure d'exceptions. J'entends plutôt dire qu'il faut s'inspirer de ce qui a été fait dans le modèle agricole et nous y travaillons. Ceci n'empêche pas de s'inscrire dans le cadre de la réforme.
Monsieur Brun, je vous remercie pour votre question. Nous sommes confrontés à une augmentation des crises et devons en tenir compte, dans la limite de ce qui est entre nos mains, ce qui est complexe car nous ne savons pas tout. Nul ne sait ce que vont produire les aléas climatiques. L'assurance récolte constitue l'une des réponses. Je partage votre point de vue quant aux changements de pratiques. Vous avez évoqué les haies. Je réunis dès demain un groupe de travail à ce sujet, qui fait partie de mes préoccupations. Nous ne pouvons perdre autant de haies sans agir. Au delà de ce propos, le défi consiste à dépasser l'obstacle sur lequel nous avons buté depuis quarante ans sur ce sujet. Il est plus facile de maintenir des haies lorsque l'élevage est présent. Nous devons effectivement penser un système global qui permette d'être plus résilient. Les pratiques agroécologiques (fixation du carbone, matières organiques, etc.) peuvent y contribuer.
Madame Gérard, s'agissant de la directive relative à la restauration de la nature, nous ne sommes pas encore tout à fait au bout de la discussion du texte. L'enjeu de restauration des écosystèmes dans leur fonction rejoint la question des haies et de l'agroécologie. Si nous parlons d'un retour à l'état de la nature, il s'agit d'un sujet distinct, qui sort du cadre de la PAC : cela voudrait dire qu'on exclut les activités agricoles et la capacité de production agricole. Cela soulèverait aussi, de mon point de vue, un problème philosophique. Nous avons, en France, des systèmes anthropisés. Tous les paysages qui sont sous nos yeux ont été façonnés par la main des hommes et des femmes qui y ont œuvré durant des siècles et des millénaires. Acceptons-le. Nous ne sommes pas dans la grande steppe. Nous avons besoin, dans certains cas, de restaurer des fonctions écosystémiques ou écologiques, non d'exclure l'agriculture de ces systèmes, car nous ferions alors défaut aux objectifs de souveraineté et de production que nous poursuivons.
Madame Arrighi, vous évoquez la PAC pour les années 2023 à 2027, en estimant que celle-ci n'est pas en adéquation avec les objectifs que nous devrions nous assigner. Je ne partage pas cette analyse, ce qui ne vous étonnera guère. Nous devrions assumer, en France, la nécessité de transitions sur le plan agricole. Dans l'aéronautique, l'automobile ou le logement, des objectifs sont définis à l'horizon de 2030, 2040, 2050 ou 2060. Dans l'agriculture, il faudrait faire tout, tout de suite, au risque d'un effondrement du système. Je suis d'accord quant à la nécessité de transitions. La PAC constitue une première étape, y compris du point de vue de la diversification des cultures, de la prise en compte des haies et de l'augmentation de la sole en oléoprotéagineux. Ce sont des éléments nouveaux dans la PAC, qui vont dans le bon sens. Faire muter le système serait, à mon avis, une erreur assez tragique.
Le budget en faveur de l'agriculture est le budget le plus important de l'Union européenne. C'est dire si celle-ci s'intéresse à la question de la souveraineté alimentaire. La PAC a d'abord été construite pour s'assurer que l'on nourrit la population. C'était il y a soixante ans mais il ne faut pas l'oublier. La crise ukrainienne nous rappelle d'ailleurs à quel point ces enjeux demeurent d'actualité.
Le dispositif assurantiel a été évoqué par plusieurs d'entre vous. Nous sommes dans une première année de déploiement. Monsieur Di Filippo soulève une interrogation dans des termes qui me semblent justes. Nous avons essayé d'avancer un peu sur le sujet précis dont vous m'aviez saisi. Nous allons développer un système de fermes de référence qui permettra de crédibiliser les données satellitaires. C'est notamment le cas pour les prairies. Le dispositif assurantiel, en tant que tel, me semble en tout cas pertinent.
Un autre aspect plus complexe, dont nous avions conscience lorsque la réforme a été lancée, a trait à la moyenne olympique. Si l'on calcule votre rendement par la moyenne des cinq dernières années et si, lors de ces cinq dernières années, vous avez été victime de la sécheresse, de la grêle et d'autres aléas climatiques, votre rendement sera diminué. Ce débat a lieu au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et j'irai prochainement à Genève pour le poser, aux côtés de collègues européens. Nous arguerons qu'on ne peut, dans un contexte de changement climatique, calculer la moyenne sur les cinq dernières années, parmi lesquelles peuvent se trouver quatre mauvaises années du fait des aléas. Les difficultés de cette nature se multiplient sur le territoire, ce qui nous impose de redoubler d'efforts sur ce sujet.
Je n'ai pas répondu à madame Hignet à propos de ceux qui travaillent auprès des agriculteurs qui s'installent. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vos chiffres. Je retiens surtout l'alerte que vous exprimez, afin que tous ceux qui souhaitent s'installer puissent trouver un conseil, dans la diversité des modes de conseil. Celui-ci ne sera pas principalement délivré dans le cadre du CAS-DAR, qui englobe des programmes pluriannuels dédiés avant tout à la recherche et l'innovation. Il n'est pas illogique que les chambres d'agriculture, qui constituent des interlocuteurs privilégiés et crédibles auprès des agriculteurs, soient particulièrement impliquées. Nous devons aussi, dans le PLOA, penser un système de telle manière que ceux qui souhaitent s'orienter vers tel ou tel dispositif puissent le faire en bénéficiant d'un accompagnement, sans que les acteurs délivrant cet accompagnement ne défendent leur système. Nous avons aussi besoin de structures dont les démarches puissent être crédibilisées. Vous avez évoqué une structure qui n'a été reconnue comme ONVAR qu'en 2015 ou 2016. Si certaines structures ont soixante ans d'expérience, il n'est pas anormal que certains exploitants se tournent de manière privilégiée vers tel ou tel acteur. Dès lors que cela ne devient pas une bataille de modèles, je suis favorable à ce que chacun puisse trouver des interlocuteurs correspondant à leurs attentes. Chacun doit trouver un accompagnement afin que toutes les agricultures puissent réussir. Le pire serait de briser des volontés ou de ne pas empêcher des échecs, faute d'accompagnement.
Vous évoquiez, monsieur de Courson, la question des refus d'apurement prononcés par la Commission européenne. Ceux-ci ont tendance à diminuer, même si leur montant avoisine 142 millions d'euros, contre près de 300 millions d'euros ces dernières années. Je n'affirme pas que cette situation est satisfaisante. De toute façon, il s'agit d'une dépense obligatoire. Nous peinons cependant à l'anticiper car, dans la mécanique européenne, nous ne connaîtrons sans doute l'apurement au titre de 2022 qu'en fin d'année 2023. Ces chiffres passent donc dans les lois de finances rectificatives, à moins d'être inférieurs aux sommes disponibles au sein de la provision pour aléas.
La dette à l'égard de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole constitue en effet un sujet qui est devant nous. Des éléments s'accumulent et nous travaillons encore à leur chiffrage avec le ministère chargé des comptes sociaux. Si une dotation exceptionnelle doit être décidée, nous le ferons. Nous sommes encore dans une phase d'évaluation des besoins.
Le consortium à bâtir autour de l'assurance récolte fait partie des éléments sur lesquels nous continuons de travailler. Nous ne pouvions retarder la mise en œuvre de l'assurance récolte au motif du refus, par le consortium, de la prise en charge de la première partie. Une réunion est prévue dans trois semaines ou un mois afin que nous avancions sur la question du consortium. J'ai indiqué aux assureurs qu'ils avaient la responsabilité de veiller à ce que ce consortium permette d'élargir la palette des compagnies d'assurance auxquelles les agriculteurs pourraient s'adresser. Cela n'obère pas la capacité à souscrire un contrat d'assurance récolte. Je pense que si nous faisons le point au mois de juin, la situation aura progressé.
Je trouve une vertu au mécanisme dans lequel le CAS-DAR est prélevé sur les agriculteurs et fléché en faveur des transitions que vous avez évoquées, les uns et les autres. Ce schéma me paraît préférable à son éventuel versement dans un budget général, ce qui le noierait dans une masse beaucoup plus grande. Distinguer des crédits de recherche, d'innovation et de transition me semble vertueux.
Je termine par l'ONF, dont chacun connaît le rôle. Nous avons décidé d'un gel de ses effectifs en 2023 et avons besoin de retravailler avec l'ONF sur ses besoins complémentaires, en particulier pour les missions liées à la lutte contre les incendies et la préparation de la forêt au dérèglement climatique, ce qui appelle une mutation profonde du modèle forestier que notre pays avait construit. Je réaffirme que nous avons décidé d'un gel des moyens humains de l'ONF, ce qui n'avait pas été fait depuis quinze ou vingt ans. Je n'élude pas la question des crédits mais le sujet ne se réduit évidemment pas à cette dimension. Il serait bien que, dans ce pays, nous ne répondions pas uniquement à un problème par la question des crédits, même si j'ai conscience que tel n'était pas votre propos. Je rappelle que les forêts qui ont été incendiées durant l'été 2022 étaient, pour l'essentiel, des forêts privées. Les forêts publiques n'en représentent que moins de 5 % des surfaces forestières ayant subi des incendies. Nous devons travailler sur la forêt privée, sur le renouvellement forestier et sur l'accompagnement et la formation. Le problème doit donc être embrassé globalement. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) joue un rôle important. C'est également le cas de l'ONF pour les forêts publiques, que celles-ci relèvent de l'État ou des collectivités territoriales. Nous devons repenser un système plus résilient d'accompagnement de la transition de la forêt.
Monsieur le ministre, je vois, sur la note qui est devant vous, qu'il est indiqué « vous pouvez compter sur moi pour préserver les moyens ».
Voulez-vous que je le redise ? C'est ce que j'ai fait en 2023. Je n'ai donc pas l'impression de manquer de crédibilité en la matière.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 9 mai 2023 à 21 heures 45
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Philippe Brun, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Fabien Di Filippo, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, M. Victor Habert-Dassault, M. Mohamed Laqhila, M. Marc Le Fur, Mme Charlotte Leduc, Mme Patricia Lemoine, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, M. Benoit Mournet, M. Alexandre Sabatou
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Jean-René Cazeneuve, Mme Marina Ferrari, M. Joël Giraud, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei
Assistaient également à la réunion. - Mme Mathilde Hignet, M. Stéphane Travert