COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Lundi 18 juillet 2022
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission
La séance est ouverte à 17 heures 05.
Madame la secrétaire d'État chargée de l'Europe, soyez la bienvenue devant notre commission, et d'ailleurs à l'Assemblée nationale puisqu'il s'agit de votre toute première audition. Je vous remercie très chaleureusement d'avoir accepté de venir échanger avec nous si vite après votre prise de fonctions, et je salue votre disponibilité car vous serez dans deux jours devant la commission des affaires étrangères de notre assemblée. Merci donc du temps que vous consacrez au Parlement.
Le premier thème de nos échanges sera évidemment la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), qui s'est achevée voilà maintenant trois semaines. Nous aurons un débat à ce propos en séance publique le 28 juillet mais il me semble important que notre commission puisse connaître le bilan, les perspectives et surtout les grands dossiers qui ont été entamés sous la présidence française et qui pourront se poursuivre dans les semaines et les mois à venir.
Je tiens d'abord à saluer le bilan de cette présidence, qui est considéré d'une façon quasi-unanime par nos partenaires européens comme réussie. La semaine dernière, à Prague, où je me trouvais dans le cadre de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires des parlements de l´Union européenne, mes homologues européens ont largement souligné cet esprit de consensus et de compromis qui a animé la présidence française et qui a permis des avancées très importantes pour ce qui concerne le numérique – je pense en particulier au DMA (Digital Markets Act) et au DSA (Digital Services Act), deux règlements fondamentaux sur la régulation des grandes entreprises du numérique et, de façon générale, de l'espace numérique –, le salaire minimum en Europe, la fin des moteurs thermiques d'ici à 2035 et la mise en œuvre de la taxe carbone aux frontières, pour protéger tant le climat que nos emplois. C'est aussi par le consensus et le compromis que nous avons obtenu des avancées majeures en matière d'égalité femmes-hommes dans les entreprises et finalisé la conférence sur l'avenir de l'Europe.
Cette réussite française doit être d'autant plus soulignée dans le contexte du retour de la guerre en Europe. Le conflit en Ukraine a mobilisé les énergies des Européens autour de deux questions majeures : quelles sanctions adopter afin que la poursuite de la guerre ait un coût insupportable pour l'économie de la Russie, et comment créer les conditions d'une nouvelle souveraineté de l'Europe dans les domaines énergétiques, alimentaire et militaire ? Ces questions restent plus que jamais d'actualité ; aujourd'hui se tient à Bruxelles un Conseil des affaires étrangères dont l'ordre du jour sera largement consacré à la poursuite des sanctions contre la Russie et au soutien à l'Ukraine. Sur cette question, ma conviction est très claire : après cinq mois d'agression russe, il est très important de montrer à l'Ukraine que le soutien des Européens perdure. Peut-être pourrez-vous nous parler d'éventuelles nouvelles sanctions et mesures de soutien économique et financier en faveur du peuple ukrainien.
L'autre question d'actualité porte évidemment sur la souveraineté énergétique des Européens. Nous devons dès maintenant nous organiser pour faire face à la rareté de l'énergie. Une coordination européenne est évidemment essentielle en la matière, car nos économies sont profondément interdépendantes. Alors que l'Assemblée nationale examine aujourd'hui le projet de loi sur la protection du pouvoir d'achat, qui comporte un important volet énergétique, notamment s'agissant du stockage du gaz pour l'automne et l'hiver prochain, l'Allemagne a déjà activé son niveau d'alerte. Il y a donc urgence à agir. La Commission européenne doit proposer dans deux jours un plan coordonné et solidaire de réduction de la consommation d'énergie. Quelles sont les priorités de la France pour donner corps à l'objectif de renforcement de la souveraineté européenne dans le domaine énergétique ?
Je voudrais soulever un dernier point d'actualité, face aux feux de forêt qui mettent notre pays au défi depuis plusieurs jours. S'agissant du changement climatique, beaucoup a été accompli sous la présidence française. Le mécanisme de protection civile a été déclenché ces derniers jours pour obtenir l'aide de nos partenaires européens. La Grèce et l'Italie ont déjà répondu. Pourrons-nous mobiliser un autre soutien européen dans les heures ou les jours à venir si cela se révélait nécessaire ?
Monsieur le président, permettez-moi de vous féliciter pour votre élection à la tête de la commission des affaires européennes. Mesdames et messieurs les députés, je vous félicite vous aussi pour votre élection, avec le souhait que nos relations de travail soient des plus fructueuses, à l'aune de cette nouvelle législature. Je suis très heureuse d'être aujourd'hui parmi vous pour revenir sur le bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, présenter les grands enjeux de la présidence tchèque et m'efforcer de répondre à toutes vos questions.
Je commencerai cependant par la guerre en Ukraine, qui a fait irruption le 24 février et a imposé à l'Union européenne de réagir à la hauteur de l'extrême gravité de cette agression. C'est vraiment l'honneur de la France que d'avoir tout fait pour tenter d'empêcher ce drame et d'avoir su se mobiliser pour y répondre. Nous l'avons fait au titre national, en prenant toutes nos responsabilités pour soutenir l'Ukraine dans cette guerre qui lui a été imposée et qu'elle doit gagner, car il y va de son avenir, mais aussi du nôtre. Nous l'avons fait également dans notre rôle de président du Conseil de l'Union européenne. L'Europe aurait pu ne pas être au rendez-vous, mais elle l'a été et nous y avons contribué.
D'abord, nous avons pris à l'encontre de la Russie une série de sanctions sans précédent par leur ampleur et par la rapidité de leur adoption. Il est essentiel que nous conservions à cet égard, dans les semaines et les mois à venir, le même esprit d'unité.
Ensuite, l'Union européenne a brisé un tabou majeur pour elle en contribuant de manière très significative au financement des armements nécessaires à l'Ukraine pour se défendre. Il faudra, bien sûr, maintenir cet effort sur le long terme.
L'Europe a aussi été au rendez-vous pour les millions d'Ukrainiens et d'Ukrainiennes chassés par le conflit, leur donnant le bénéfice de la protection temporaire et mettant en place un vaste pont logistique pour leur apporter l'aide humanitaire nécessaire, ainsi qu'à la Moldavie, l'autre pays directement touché par les conséquences du conflit.
Enfin, nous avons doté l'Union européenne des moyens de collecter des preuves des exactions et des crimes commis par l'armée russe en Ukraine, car il ne saurait y avoir d'impunité pour les crimes de guerre. Ce travail indispensable est venu en complément de l'engagement des États qui, comme la France, soutiennent le travail des autorités judiciaires ukrainiennes et de la Cour pénale internationale.
L'Union européenne met également en place des voies de solidarité pour évacuer autant de céréales que possible en passant par les territoires de ses États membres et éviter une crise alimentaire mondiale. À cet égard, la présidence tchèque aura besoin des États membres pour contrer le narratif russe. Il faut en effet être très clair : c'est la Russie qui, par son acte d'agression, est la responsable de l'envolée des cours des matières premières et de la crise alimentaire actuelle, et non pas nos sanctions, qui ne touchent pas les matières premières alimentaires.
Nous avons aussi agi pour que l'Union européenne tire les conséquences de cette guerre dans ses propres politiques. Au sommet de Versailles, qui s'est tenu au mois de mars, les chefs d'État et de gouvernement sont convenus de travailler à sortir d'urgence de notre dépendance au charbon, au pétrole et au gaz russes, et la Commission européenne a proposé plusieurs initiatives pour diversifier nos approvisionnements et renforcer notre sécurité énergétique. Il s'agira évidemment, en premier lieu, de l'accélération du déploiement des renouvelables, ainsi que de la plateforme volontaire d'achat conjoint de gaz et du règlement sur le stockage de gaz. La présidence française a trouvé en un temps record un accord en trilogue sur ce texte, ce qui permettra de s'assurer que tous les États membres reconstituent leurs stocks de gaz avant l'hiver prochain.
Tout ce nouvel agenda, que la Commission européenne appelle REPowerEU, met fin à une certaine naïveté de l'Union européenne face à son fournisseur énergétique russe et structurera les discussions européennes pour les années à venir.
À Versailles, il a également été décidé de remédier d'urgence au sous-investissement des Européens dans leur défense. Depuis le début de la guerre, tous les gouvernements ont entrepris de relever le niveau de cet effort. L'Union européenne peut y contribuer par des financements, par un soutien aux projets industriels et par des achats en commun.
Enfin, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé à l'unanimité, lors du Conseil européen de juin, de donner à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'Union européenne. C'est un résultat majeur, et qui était loin d'être acquis. Nous avons en effet vu, au sommet de Versailles, combien cette question divisait.
La perspective de l'accession à l'Union européenne ne résout pas le défi consistant à arrimer dès maintenant ces pays à nous. C'est impératif, et c'est la raison pour laquelle le Président de République a proposé de créer la Communauté politique européenne (CPE), forum dans lequel nous pourrons renforcer considérablement l'appui aux réformes et les coopérations avec les pays candidats, mais aussi les discussions sur les questions stratégiques entre tous les pays européens qui partagent les mêmes valeurs et sont confrontés aux mêmes défis. Le Conseil européen a endossé cette idée et la présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne a déjà annoncé une première réunion en octobre prochain à Prague.
J'en viens maintenant aux principaux résultats de la PFUE. Pendant que nous faisions tout ce que je viens d'évoquer pour que l'Europe réagisse à l'agression russe, l'agenda de la présidence n'a pas été mis de côté. Il a même, au contraire, révélé et mis en évidence la nécessité pour l'Europe de devenir souveraine, de défendre ses intérêts et d'éviter qu'ils ne soient arbitrés par d'autres. Tout notre agenda de présidence a été guidé par cet agenda de souveraineté, qui a été non pas réduit mais accéléré à partir du 24 février.
D'abord, comme vous l'évoquiez, Monsieur le président, la transition écologique, qui est un impératif pour la survie de notre planète – nous souffrons tous aujourd'hui des phénomènes climatiques – en est un aussi pour la préservation de notre indépendance. L'Europe neutre sur le plan climatique que nous devons soutenir d'ici à 2050 sera donc une Europe plus souveraine. C'est une immense avancée que d'avoir obtenu le 29 juin, après dix-sept heures de négociation et des mois de travail, un accord entre les États membres sur le paquet intitulé « Fit for 55 », qui doit assurer une réduction de 55 % de nos émissions de CO2 dans l'Union européenne en 2030 par rapport au niveau de 1990. C'est un record de vitesse, alors même que ce paquet est le plus ambitieux jamais adopté par l'Union européenne. Il renforce le marché carbone européen, crée, ce qui est très important, un fonds d'accompagnement des ménages et des petites entreprises, doté de 59 milliards d'euros, et instaure la taxe carbone aux frontières dès 2026.
Deux pas de géant ont ensuite été accomplis pour mieux réguler le numérique, avec le DSA et le DMA. Le règlement sur les services numériques et le règlement sur les marchés numériques auront un impact majeur sur nos vies et sur celles de nos enfants. Il s'agit, d'abord, d'empêcher les comportements monopolistiques des grandes plateformes et les abus de position dominante. Il s'agit aussi de contraindre ces acteurs à la responsabilité et à la transparence en matière de prévention et de suppression des contenus illicites sur les réseaux sociaux.
Enfin, l'Europe souveraine, nous l'avons faite en sortant définitivement l'Europe commerciale de sa naïveté. Trop longtemps en effet, elle a été prête à accepter des règles du jeu asymétriques. Le choix de l'ouverture fait depuis toujours par l'Europe devenait de plus en plus synonyme de naïveté aux yeux de nos concitoyens. Ce n'est plus le cas. Par exemple, l'Europe a développé un instrument permettant une meilleure réciprocité en matière d'accès aux marchés publics : si un pays n'ouvre pas ses marchés publics, ses entreprises ne peuvent plus gagner de marchés publics en Europe. Elle a aussi adopté un instrument de lutte contre les subventions étrangères, et renforcé les règles protectrices pour la santé des consommateurs au moyen de mesures miroirs : lorsqu'un produit pesticide est interdit en Europe, on ne doit pas en trouver trace dans les produits que nous importons.
De manière générale, l'Union européenne a pris conscience de la nécessité de réfléchir d'une manière stratégique à ses dépendances vis-à-vis de l'extérieur. Cela l'a conduite à réhabiliter la politique industrielle, avec des programmes paneuropéens visant à affirmer notre souveraineté dans les domaines de la santé, de l'hydrogène ou des semi-conducteurs.
Affirmer notre souveraineté, cela a également été fait en renforçant l'espace Schengen et en débloquant les discussions relatives au pacte sur la migration et l'asile. L'espace Schengen est désormais piloté politiquement, avec la création d'un conseil des ministres de Schengen qui se réunit régulièrement. Ces règles ont été amendées avec la révision du code frontières Schengen.
Pour ce qui concerne, enfin, les migrations au sein de l'Union européenne, la seule réponse efficace est celle de la responsabilité renforcée des pays de première entrée, qui doit aller de pair avec la solidarité des autres États membres. Nous avons enfin débloqué les discussions sur ce thème, qui étaient à l'arrêt depuis de nombreuses années, avec une approche pragmatique promouvant une solidarité concrète au moyen d'une plateforme pour les pays de première entrée.
Pour décisive qu'elle soit, cette avancée ne constitue cependant qu'une première étape et nous appuierons les efforts de nos collègues tchèques, puis suédois, pour poursuivre ces travaux.
La souveraineté européenne s'est aussi affirmée dans le domaine social. L'Europe sociale, dont on a beaucoup parlé, est désormais en train de prendre corps. Chose importante, elle le fait en pleine cohérence avec notre modèle social. Chaque travailleur européen disposera ainsi, avec la directive sur le salaire minimum, d'un revenu minimal adéquat. C'est là une avancée majeure, une véritable conquête sociale à l'échelle européenne.
En tant que femme et citoyenne française, je suis également fière que notre pays ait fait adopter, après dix ans de blocage, une directive fixant un objectif clair aux entreprises : au moins 40 % de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises en Europe d'ici 2026. C'est là une avancée considérable pour l'égalité entre les femmes et les hommes, dont le Président de la République a fait, pour son second mandat comme pour le premier, une priorité.
Enfin, et l'actualité en souligne l'importance, le Président de la République a aussi défendu devant le Parlement européen, le 19 janvier, l'objectif d'une inscription du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le Parlement européen a repris cette proposition à son compte. À l'heure où ce droit fondamental est remis en cause dans une démocratie aussi importante que les États-Unis, l'Europe doit porter d'autant plus ce combat, pour elle-même et au-delà de ses frontières.
Voilà tout ce que nous avons construit dans le cadre de la PFUE pour que l'Union européenne puisse devenir un acteur à part entière de la vie internationale, au moment où celle-ci devient de plus en plus chaotique et dangereuse. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons renouvelé nos partenariats avec les grandes régions du monde dont dépend notre avenir.
Je mettrai l'accent sur les Balkans occidentaux, région stratégique que nous ne devons pas laisser dériver loin de la famille européenne, a fortiori sachant que des puissances tierces n'hésiteront pas à occuper le vide politique et stratégique que nous aurions créé. Il est de notre intérêt d'accompagner les pays de la région qui se trouvent sur le chemin exigeant et difficile de l'adhésion à l'Union. C'est pourquoi nous avons organisé, en marge du Conseil européen de juin, une réunion avec les chefs d'État et de gouvernement des Balkans occidentaux ; le Président de la République s'est personnellement impliqué pour débloquer la situation entre la république de Macédoine du Nord et la Bulgarie.
Quelques mots maintenant sur le futur et sur la continuité de notre action. Tout ce que fait la présidence française se conçoit dans la perspective du trio de présidence, avec la République tchèque et la Suède. Cette continuité s'impose d'autant plus que la guerre nous oblige à renforcer notre collaboration et notre solidarité. La présidence tchèque a mis l'accent, pour les six prochains mois, sur le renforcement des libertés et des valeurs européennes, sur l'indépendance des médias et sur le dialogue avec les citoyens. Pour ce qui concerne la défense de nos valeurs, la présidence française avait suscité des attentes fortes en matière d'État de droit. Plusieurs États sont désireux de poursuivre la réflexion stratégique que nous avons engagée, et nous prendrons donc une part active à ces discussions.
Il s'agit en particulier de l'amélioration des instruments existants, notamment du régime général de conditionnalité des fonds européens ou de ceux assurant la protection et la sécurité des journalistes.
Pendant la présidence française, nous avons accompagné les travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe, exercice inédit de participation des citoyens pour écrire le futur de notre Union. Le rapport et les propositions ont été présentés le 9 mai et doivent maintenant trouver une traduction concrète au bénéfice des citoyens, avec en ligne de mire l'événement de restitution prévu à l'automne.
Le 9 mai, dans le discours qu'il a tenu à Strasbourg, le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une révision des traités. Le moment venu, nous devrons nous poser la question d'une modification de ces textes qui ne sont ni un totem ni un tabou. Nous devrons prendre le temps, collectivement, d'en peser toutes les implications, notamment pour ce qui concerne le vote à la majorité qualifiée. La guerre en Ukraine demanderait, bien sûr, que nous affichons une unité sans faille, mais les blocages, par exemple à propos de la taxation minimale internationale des grandes entreprises, nous montrent que nous devons impérativement trouver le moyen de surmonter le veto – voire le chantage – d'un État membre si tous les autres sont d'accord.
Il ne faut évidemment pas résumer un an de travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe au sujet, important mais non pas exclusif, de la révision des traités. De nombreuses propositions – en fait, la majorité – ne nécessitent pas de révision des traités pour être mises en œuvre rapidement et c'est sur celles-là que nous nous concentrerons en premier, pour répondre plus vite aux attentes des citoyens. Ainsi, concernant l'Europe de la santé, la présidence tchèque a fait de l'adoption d'un cadre commun pour l'usage des données de santé une de ses priorités. Cette réglementation sera déterminante pour le développement du secteur et il importe que l'Union européenne impose un cadre conforme à ses valeurs.
Nous aurons beaucoup de défis à relever dans les mois à venir. Nous soutiendrons bien sûr les efforts de la présidence tchèque. Je ne mentionnerai que deux points. D'abord, pour ce qui concerne l'autonomie industrielle et énergétique, la présidence tchèque a fait de l'agenda de réduction de la dépendance énergétique à la Russie l'une de ses principales priorités. Elle devra aussi s'assurer de la sécurité des approvisionnements de l'Union européenne, car la Russie manipule ses livraisons d'énergie pour nous affaiblir et nous diviser. En réponse à l'une de vos questions, je précise que, le 20 juillet, la Commission présentera un plan de préparation à l'hiver et que la présidence tchèque réunira les ministres de l'énergie dès le 26 juillet pour que l'Union européenne soit prête pour l'hiver.
La présidence tchèque devra également mener les discussions et les trilogues avec le Parlement européen sur le paquet « Fit for 55 ». Ces négociations seront complexes. La France doit évidemment jouer un rôle constructif et aider la présidence tchèque à trouver des compromis avec le Parlement tout en préservant son ambition climatique, qui a été le fil rouge de ce semestre de négociations.
Voilà ce à quoi nous allons travailler désormais, aux côtés des présidences tchèque, puis suédoise, espagnole et belge, qui nous conduiront jusqu'aux élections au Parlement européen. Nous n'avons ni tout inventé ni tout achevé, mais j'espère que nous avons su répondre à l'irruption de l'histoire dans la vie de l'Union et que nous saurons faire passer le projet d'Europe puissance, qui est un projet collectif européen.
Madame la secrétaire d'État, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, au nom des députés du groupe Renaissance, dans notre commission des affaires européennes. À mon tour, je dirai l'appréciation très positive que nous portons sur la présidence française de l'Union européenne, assurée dans un contexte très difficile. De nombreux défis nouveaux se présentent, dont le retour de la guerre sur le continent européen après l'agression russe envers un État libre et souverain, l'Ukraine, dont l'un des « torts » était, pour le régime de Vladimir Poutine, de vouloir rejoindre la famille européenne et de vivre son destin européen.
Sur tous ces défis et ces grandes questions que l'Union européenne a affrontés au cours de ces six mois, des avancées importantes ont été accomplies. On peut penser à la riposte commune européenne face à l'agression russe et à notre capacité à résister au chantage russe portant sur les énergies fossiles et sur le blé ; ou encore au renforcement de nos capacités de défense, à la base industrielle de défense et à la boussole stratégique. L'indépendance européenne se concrétisera avant tout par notre capacité à assurer nous-mêmes notre sécurité.
Il faut citer également la maîtrise des frontières, que vous avez évoquée, avec le pilotage politique de la zone Schengen, dont nous attendons beaucoup ; une Europe plus verte, avec l'adoption du paquet climat et l'instauration de mesures miroirs pour les produits importés de pays tiers ; une Europe plus souveraine aussi sur le plan numérique, avec le DSA et le DMA, questions sur lesquelles, durant la législature précédente, notre commission des affaires européennes s'était penchée ; ou encore des avancées dans le domaine social, avec la directive « Women on Boards » qui fixe des quotas dans les conseils d'administration des grandes entreprises européennes et le salaire minimum adéquat. Ce sont là autant d'avancées majeures dont, je le répète, nous devons saluer la concrétisation et qui sont fécondes pour la suite des travaux et du projet européen.
Pouvez-vous nous faire un point précis sur l'état d'avancement des perspectives d'élargissement et d'adhésion à l'Union ? Des dynamiques s'enclenchent dans certains pays, comme la Macédoine du Nord. Pouvez-vous également nous en dire plus sur l'état des réactions de nos partenaires à la proposition du président Macron sur la Communauté politique européenne, dont vous nous avez dit que la présidence tchèque avait déjà programmé une réunion en novembre ? Quelles sont les réticences ou les espoirs des uns et des autres ? Enfin, que pense la France du déplacement qu'a fait aujourd'hui la présidente von der Leyen en Azerbaïdjan ? Nous savons qu'il faut diversifier nos sources d'énergie, mais l'Azerbaïdjan… quand même !
Madame la secrétaire d'État, j'ai bien entendu le tableau que vous avez dressé des conséquences, exclusivement positives semble-t-il, de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Il est cependant un fait marquant que vous avez réussi à occulter : la démission de Fabrice Leggeri, l'un des rares directeurs généraux de nationalité française d'un organe européen – en l'espèce, Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. D'après l'Office européen de lutte antifraude – et l'on se demande ce que vient faire un organisme antifraude dans cette affaire – il se serait rendu coupable de pushback, c'est-à-dire qu'il aurait refoulé, ou du moins reconduit à la frontière des migrants violents qui essayaient de traverser les frontières extérieures de l'Union européenne.
Frontex n'étant pas une agence d'accueil, il ne me semble pas délirant que son directeur exécutif repousse des migrants violents à nos frontières extérieures. Cela semble même plutôt logique. Quelles ont été les raisons de l'abandon, par la présidence française et Emmanuel Macron, de l'un des seuls directeurs généraux français de l'Union européenne, limogé et remplacé ad interim par un ressortissant allemand ?
Je souhaiterais également quelques éclairages sur votre vision du refoulement aux frontières et sur la vision française du rôle de Frontex.
En mai 2022, lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron promettait de réviser les traités européens. Vous le savez, c'est un aspect essentiel de notre programme : nous avons donc été très vigilants, et le compte n'y est pas. Le Parlement européen et les citoyens ont été consultés dans le cadre de la conférence sur l'avenir de l'Europe et leurs attentes sont claires : ils plaident pour un changement radical des fondements de l'Union européenne. Dans ses conclusions, le Conseil dit prendre note des demandes des citoyens.
Dans votre propos introductif, vous évoquez des avancées. Certes, Emmanuel Macron a débloqué une directive sur la place des femmes dans les conseils d'administration. C'est un progrès, mais qui ne change rien en France, et qui a surtout été permis par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle coalition en Allemagne.
M. Macron a contribué à l'adoption de la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, mais aucun contrôle ni aucune sanction ne sont prévus pour les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations de publication.
En réalité, non seulement la réforme des traités est remise à plus tard – on ne sait pas quand – mais l'Union européenne s'entête dans sa politique libérale. L'accord de libre-échange conclu avec la Nouvelle-Zélande est un symbole du dumping écologique : il met en danger les agriculteurs européens, pour des produits qui viendront de l'autre côté du globe.
Depuis 2019, Emmanuel Macron parle de réformer les règles austéritaires de l'Union européenne – les fameux 3 % de déficit et 60 % de dette publique. Qu'en est-il ?
Sur le salaire minimum, il nous avait promis la fin du dumping social, mais le seuil de référence retenu au niveau européen – 60 % du salaire médian brut – est non contraignant. En outre, ce seuil est inférieur au SMIC. C'est donc loin d'être la fin de la concurrence déloyale, qui empêche au passage toute augmentation du SMIC.
Les crises que nous traversons illustrent pourtant la nécessité de modifier en profondeur les règles européennes. Madame la secrétaire d'État, qu'entendez-vous par la révision des traités européens ? Que compte faire le Gouvernement ? Nous sommes disponibles pour y réfléchir avec vous car nous travaillons sur le sujet depuis plusieurs années. Par exemple, nous nous demandons comment établir un véritable statut des travailleurs, notamment des travailleurs Uber, ou comment changer nos modes de production afin d'agir concrètement sur le réchauffement climatique – car, vous l'aurez remarqué, il fait chaud en ce moment !
Madame la secrétaire d'État, le groupe démocrate vous félicite pour votre nomination. C'est une très bonne nouvelle dans le cadre de la future réforme du pacte de stabilité et de croissance, et aussi pour l'avenir de la zone euro dans le contexte de normalisation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne – votre expérience sera des plus utiles sur ce sujet.
L'invasion russe de l'Ukraine a grandement renforcé l'urgence d'une Europe de la défense – principe que défend ma famille politique depuis plus d'un demi-siècle. Quel est le bilan de la PFUE en la matière ? Quelles avancées pouvons-nous raisonnablement espérer à moyen terme ? Quelle est votre approche, votre philosophie sur le sujet ?
Pour revenir sur la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, j'avais rappelé en décembre 2021, lors du débat suivant la déclaration du Gouvernement sur le programme de la PFUE, que les processus de décision sont lents au sein de l'Union et que la plupart des dossiers doivent faire l'objet d'un accord entre la Commission, le Conseil et le Parlement. C'est pourquoi une présidence de six mois n'a pas l'importance que certains lui prêtent. D'ailleurs, le traité de Lisbonne, signé en 2007, a institué le principe d'un trio de présidence : celle d'avant, celle d'après et celle du moment.
Les trois thèmes de la PFUE – puissance, relance, appartenance – ne peuvent plus servir de guide alors que la guerre, aux portes de l'Union européenne, a rebattu les cartes. Malgré tout, je m'interroge sur le bilan de cette présidence. L'issue de la conférence sur l'avenir de l'Europe, vaste consultation des citoyens, est peu lisible car très décalée par rapport aux enjeux actuels de défense, de fiscalité ou de transformation écologique. Malgré tout, et même si c'est en ordre un peu dispersé, certains sujets ont fait l'objet d'avancées concrètes : meilleure régulation des plateformes, objectif de réduction de 55 % des émissions carbone. Nous resterons attentifs aux modalités de mise en œuvre des accords, car le diable se niche dans les détails !
Quelle sera la stratégie française pour aboutir à une nouvelle avancée concernant le pacte sur la migration et l'asile, le contrôle aux frontières et la répartition des migrants ? À plusieurs reprises, notre commission a fait des propositions. Peut-être serait-il bon qu'on nous écoute.
La transposition de l'accord international sur l'imposition minimale des multinationales se heurte à l'opposition de la Hongrie. Les États-Unis ont d'ailleurs dénoncé cette situation en mettant fin à la convention fiscale qui les lie à la Hongrie. Quelle est la position de la France ? Comment allez-vous contribuer au succès de cet accord, premier pas européen et international pour faire cesser le dumping fiscal ?
Enfin, le Président de la République a tenu à continuer à discuter et négocier avec la présidence russe. Nos partenaires européens l'ont diversement apprécié, certains nous reprochant notre unilatéralisme. Parfois, l'influence d'un pays se mesure à sa capacité à entraîner les autres pays et à créer un sentiment d'appartenance à l'Union. Madame la secrétaire d'État, est-il envisagé de relancer des politiques publiques qui embarquent le plus grand nombre de citoyens en Europe, par exemple sur le thème de l'égalité ?
Le programme de la présidence française du Conseil de l'Union européenne était ambitieux, malgré la crise du covid. Il a été bouleversé par la guerre en Ukraine, qui a ralenti certains travaux législatifs mais accéléré les chantiers relatifs à la souveraineté européenne, tant en matière énergétique que de sécurité et de défense.
La République tchèque est très engagée dans l'Europe de la défense. L'agression de l'Ukraine par la Russie a eu d'importantes conséquences sur son territoire – elle a accueilli 500 000 Ukrainiens. La sécurité énergétique de l'Union et la résilience stratégique de notre économie et de nos institutions seront également au cœur des enjeux de la présidence tchèque.
Parallèlement, en 2050, l'Europe sera le premier continent à atteindre la neutralité carbone. Enfin, les nouvelles routes de la soie constituent un point de vigilance brûlant et un défi majeur pour l'Europe, auquel la stratégie Global Gateway, présentée le 1er décembre dernier, tentera de répondre.
Alors que les démocraties représentatives semblent marquer des signes d'essoufflement institutionnel, des pays jusqu'ici attentistes face à la construction européenne témoignent d'une volonté d'une plus forte intégration.
Face à ces défis, l'Europe saura-t-elle, sinon se réinventer, du moins faire montre d'un second souffle pour parachever sa construction ? Quelle place sera laissée aux 325 propositions issues de la conférence sur l'avenir de l'Europe dans la révision des traités ? Enfin, quelle pourrait être notre stratégie d'influence face à la Russie et à la Chine ?
Vous avez dressé un bilan très positif de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, mais la Commission européenne a un regard un peu moins tendre vis-à-vis des politiques publiques de la France. Le 31 mars, elle a demandé à la France de revoir son plan stratégique national, déclinaison française de la politique agricole commune pour la période 2023-2027. La raison en était que, comme toutes les décisions gouvernementales des cinq dernières années, il manquait d'ambition environnementale – c'est ce que les écologistes vous répètent depuis cinq ans.
Ce n'est pas tout. Le 15 juillet dernier, il y a à peine une semaine, la France a été rappelée à l'ordre à trois reprises par la Commission européenne. Le premier rappel concerne une infraction à la législation environnementale dans le cadre de la politique de gestion française des émissions du secteur industriel. Ce n'est pas rien, en pleine canicule… La Commission savait-elle que certaines dispositions du projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat autorisent l'importation de gaz de schiste, dont nous pensions nous être débarrassés il y a dix ans, ainsi que la réouverture des centrales à charbon, dont Édouard Philippe nous avait promis qu'elles seraient définitivement fermées ?
La France a également été condamnée pour son incapacité à œuvrer pour la conservation des espèces marines protégées, le premier avertissement datant de 2020, sans évolution notable depuis.
Enfin, la France a été condamnée pour le flou dangereux de ses modalités d'évaluation des incidences environnementales, qui permettent à certains projets climaticides de se développer en toute quiétude, en Guyane par exemple.
Bref : protection de la biodiversité insuffisante en pleine sixième extinction de masse des espèces, absence d'objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur de l'élevage, label haute valeur environnementale jugé trompeur, absence de traduction nationale des objectifs de la stratégie européenne « De la ferme à la table »... Cela fait tache ! Interrogé par les services de la Commission, l'ancien ministre de l'agriculture avait expliqué que la troisième révolution agricole reposait sur le numérique, la recherche variétale, l'agro-robotique et le bio-contrôle. Difficile de ne pas rire... Les fans de Don't look up sont servis mais les paysans, victimes du premier plan social de France avec 5 millions d'emplois perdus, attendent encore la révolution annoncée.
Dans son discours, le Gouvernement se targue de mettre l'écologie au cœur de son action : persistera-t-il dans son soutien à la chimie ? Par ailleurs, la France continuera-t-elle à ne pas appliquer la législation européenne ? Finirez-vous par la respecter ou reconnaîtrez-vous enfin que vous vous contentez d'une application à la carte ? Le sujet a été longuement débattu lors de ma campagne électorale…
Après le président Anglade, je tiens à mon tour à saluer le mécanisme de protection civile de l'Union européenne (MPCU), qui regroupe les États membres ainsi que six autres pays. Il faut valoriser cette politique européenne, qui permet l'intervention du Centre de coordination de la réaction d'urgence, en particulier en cas d'incendie, et le déploiement d'une assistance solidaire entre les États afin d'apporter un soutien stratégique aux membres du mécanisme. C'est le rôle de la réserve européenne de ressources, dite réserve rescEU, notamment par la mise à disposition de moyens aériens mutualisés.
Le rôle de la France en la matière est important, mais avons-nous fait appel au MPCU pour les incendies que nous vivons actuellement ? Comme l'Allemagne, la France y est parfois réticente.
Durant la PFUE, la France a-t-elle valorisé le MPCU, en particulier en mettant en lumière l'importance du volontariat dans la protection civile ? La question se pose alors que l'arrêt Matzak de la Cour de Justice de l'Union européenne du 21 février 2018, imposant l'application de la directive sur le temps de travail aux volontaires, remet en cause le volontariat dans notre pays.
Il est désormais temps de répondre à deux des propositions que j'avais émises avec Jean-Marie Fiévet en février 2022 dans un rapport d'information au nom de la commission des affaires européennes sur la protection civile européenne : l'implantation du centre d'expertise interétatique NEMAUSUS, car la recherche est importante en matière de feux de forêt ; et la création d'une force européenne de protection civile pour faire face aux incendies.
Dernière question, moins consensuelle, sur la compétence communautaire concernant les accords de libre-échange. Durant la présidence française, un accord a été finalisé avec la Nouvelle-Zélande. Résultat des courses : 38 000 tonnes par an viennent s'ajouter aux 114 000 tonnes de viande que l'Union européenne importait déjà. Les agneaux – ou plus précisément les gigots – arrivent à 9,80 euros le kilogramme, contre 23 pour la production française. Mesurez les conséquences pour nos éleveurs, alors que règne la plus grande opacité concernant les clauses miroirs et la saisonnalité ! Les professionnels n'ont même pas obtenu de réponse de la commission de l'agriculture et du développement rural et se sentent méprisés. Nous sollicitons bien sûr un vote de l'Assemblée.
Madame la secrétaire d'État, notre groupe vous félicite pour votre nomination et vous souhaite pleine réussite. Quelle est votre position concernant les territoires ultramarins de l'Europe ? Quels sont les enjeux et les mesures à prendre pour les aider ?
En tant que représentante de la première circonscription de Mayotte, je souhaite vous interroger sur la suspension, ou plutôt l'interruption des paiements européens dans notre département. Mayotte est la région ultrapériphérique européenne la plus pauvre, et l'unique région française où l'État est, seul, autorité de gestion.
Fin 2020, suite à un audit sur les programmes du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) 2014-2020, les services de la Commission européenne ont trouvé des irrégularités et des déficiences graves concernant la vérification des marchés publics, celle des aides d'État et celle de l'éligibilité des participants aux formations. La Commission a donc interrompu le remboursement des demandes de paiement intermédiaires et a déclenché une procédure de suspension des paiements intermédiaires du FEDER et du FSE pour Mayotte.
Elle a invité les autorités françaises à l'informer de la mise en œuvre de mesures correctrices. Nous attendons le rapport de la mission de la commission interministérielle de coordination des contrôles venue début juillet 2022 pour analyser le travail du groupement d'intérêt public (GIP) qui rassemble depuis l'an dernier les services de la préfecture et du conseil départemental de Mayotte pour la gestion des fonds européens.
Les conséquences de cette interruption des paiements sont désastreuses pour l'île et les porteurs de projets, même si l'État a activé un système de prêt relais avec le Trésor. Le GIP avait demandé 100 millions d'euros, mais n'en a obtenu que 49 et nous constatons que le décaissement des fonds européens pour les projets en cours a marqué le pas à Mayotte – il n'atteint en moyenne que 30 %.
Vous conviendrez, Madame la secrétaire d'État, que cette situation n'est que la conséquence d'une mauvaise anticipation par l'État des exigences de ce premier programme européen pour Mayotte. La situation est dramatique et c'est la population qui en paie le prix. Les Mahorais ont un besoin vital de ces fonds afin de financer les projets structurants pour leur île. Le doute est permis quant au devenir des fonds, qui semble hypothéqué. Qu'allez-vous faire pour que les versements ne soient plus interrompus, et qu'ils soient reconduits pour les prochaines années ?
Merci pour ces questions. Si je ne réponds pas à toutes, je serai ravie de vous rencontrer ou de vous envoyer des éléments de réponses complémentaires.
Mme Le Grip demande un point sur l'élargissement et les procédures d'adhésion, alors que des conférences intergouvernementales se tiendront demain à Bruxelles.
Trois pays ont démarré les négociations d'adhésion : la Turquie, le Monténégro et la Serbie. Deux ont obtenu le statut de candidat, l'Albanie en 2014 et la Macédoine du Nord en 2005, et les négociations vont s'ouvrir. Deux pays sont considérés comme des candidats potentiels : la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.
Il faut distinguer les différentes étapes : les discussions pour avoir accès au statut de candidat ; celles pour passer du statut de candidat à l'adhésion ; l'adhésion effective. Les démarches sont assez longues.
Quelles sont les réactions et réflexions de nos partenaires concernant la Communauté politique européenne ? Une réunion sera organisée par la présidence tchèque les 6 et 7 octobre prochains. Lors de la réunion informelle des ministres de la justice et des affaires intérieures à Prague, la semaine dernière, chacun a pu s'exprimer. Ce chemin de discussion et de dialogue avec différents pays qui ont, ou n'ont pas, vocation à rejoindre l'Union européenne me semble bienvenu car même pour ceux qui ont vocation à la rejoindre, le processus d'adhésion est très long – dix à vingt ans. En conséquence, nous risquons de perdre certains d'entre eux, que d'autres pays seront très contents de récupérer. En outre, pour ceux qui n'ont pas nécessairement vocation à rejoindre l'Union européenne, le dialogue et des partenariats éventuels sont importants dans différents domaines : sécurité, climat, énergie, transports… Il faut compléter ces discussions, de façon inclusive, en écoutant les citoyens mais aussi les pays aux portes de l'Europe, dont nous avons intérêt à ce qu'ils soient plus attachés à elle qu'à la Russie ou à la Chine.
Je comprends que vous m'interpelliez sur l'Azerbaïdjan, mais dans le contexte de la guerre en Ukraine, le dialogue avec ce pays est important pour deux raisons. La première est notre stabilité régionale, l'Azerbaïdjan étant un pays important du Partenariat oriental, tout comme l'Arménie, avec laquelle l'Union européenne a aussi fait beaucoup d'efforts de normalisation. La seconde est la diversification de nos sources d'approvisionnement. Comme pour tous les pays frontaliers de l'Union européenne, dans le cadre de ses discussions pour un nouvel accord avec l'Azerbaïdjan, l'Union est bien entendu attentive au respect de l'État de droit et des droits de l'homme.
M. François m'a interrogée sur Frontex, et je l'en remercie. C'est vrai, la mission de Frontex est difficile, et l'a été rendue plus encore par la crise en Ukraine. Depuis plusieurs années, l'Agence est confrontée à des critiques, liées au retard dans la mise en œuvre de son nouveau mandat, mais surtout à des allégations de mauvaise administration qui ont fait l'objet d'une enquête menée par l'Office européen de lutte antifraude. C'est dans ce contexte que, le 28 avril dernier, le directeur exécutif français, Fabrice Leggeri, a dû présenter sa démission. Ce n'est absolument pas dû au fait qu'il soit français, mais à des dysfonctionnements liés à des agissements personnels. Cela ne constitue pas une perte pour la France : penser le contraire serait se méprendre sur le fonctionnement et l'indépendance des agences européennes. En outre, beaucoup de directeurs généraux, dans de nombreuses institutions européennes, sont français.
Madame Oziol, vous m'interrogez sur la révision des traités. C'est la première fois depuis de nombreuses années que l'on évoque une telle révision. Mais tous les pays n'ont pas la même position, et celle du Parlement européen n'est pas forcément celle des parlements nationaux, ni celle des États du Conseil de l'Union européenne… Bref la question doit faire l'objet, vous vous en doutez, d'un dialogue avec tous nos partenaires européens.
Les règles budgétaires ont montré leur flexibilité pendant la crise, puisqu'elles ont été suspendues plusieurs années. La Commission présentera un projet de révision à l'automne, qui sera à nouveau discuté par les Vingt-Sept. Il nous faudra trouver un équilibre sur trois points : un équilibre entre la soutenabilité et la croissance ; des règles budgétaires qui permettent les investissements dans la transition énergétique, le numérique et la défense – domaine dans lequel l'Allemagne va investir 100 milliards supplémentaires ; l'appropriation de ces règles par les citoyens, des règles trop complexes n'étant pas compréhensibles et pouvant apparaître comme arbitraires.
Vous avez également parlé d'Europe sociale. Il convient de saluer les travaux de la présidence française certes, mais aussi du commissaire à l'emploi et aux droits sociaux Nicolas Schmit. En effet, l'organisation sociale est très différente d'un pays à l'autre de l'Union. Ainsi, les pays nordiques – qu'on ne peut pas accuser de ne pas être sociaux ! – ne voulaient pas d'un salaire minimum : ils traitent la question par un système de négociations entre employeurs et salariés qui fonctionne très bien et ne souhaitaient pas se faire imposer ce salaire minimum et des règles qui ne correspondent pas à leur modèle social. Au final, le texte réalise un bon équilibre, adapté aux pays dotés de salaires minimaux par la loi mais aussi à ceux qui ont un modèle différent.
S'agissant des travailleurs numériques, il va également falloir clarifier les positions nationales, qui divergent. Le 9 décembre 2021, la Commission européenne a proposé un ensemble de mesures, dont une directive, visant à améliorer les conditions de travail sur les plateformes numériques. Les propositions sont structurées autour de trois axes : clarifier le statut de l'emploi des travailleurs des plateformes ; aider les travailleurs à mieux comprendre la gestion du travail par les algorithmes – attribution des tâches, fixation des prix ; enfin, garantir le droit au recours des travailleurs.
Il s'agit d'une approche par le statut, qui pose le principe d'une présomption de salariat fondée sur plusieurs critères, alors que le modèle français repose sur une approche par les droits, notamment en matière de négociation collective. Les discussions sont toujours en cours. La présidence tchèque va les poursuivre et souhaite obtenir un accord d'ici à la fin de l'année.
Monsieur Alfandari a évoqué de nombreux sujets, dont la révision des traités. Sur ce dernier point, il n'y a ni totem, ni tabou. La seule question qui vaille, avant celle des moyens, est celle des objectifs : qu'attendons-nous d'une révision des traités ? Il est effectivement assez incroyable qu'un seul pays puisse bloquer tout un accord européen sur la taxation des géants du numérique. Ce peut être une piste de réflexion.
La conférence sur l'avenir de l'Europe procède véritablement d'une envie de renouveler la démocratie et de faire participer plus de citoyens, sans remettre en cause le rôle du Parlement. Elle a rencontré un vif succès et nombre d'États membres de l'Union européenne attendent désormais des résultats. Je distinguerai trois types de mesures : celles qui ont déjà été prises et sur lesquelles il importe de faire un travail de communication ; celles qui peuvent être prises sans changer les traités, et doivent l'être vite, pour montrer qu'on écoute les citoyens ; et enfin celles qui nécessiteront une révision des traités.
S'agissant de la Communauté politique européenne, il importe de mener un travail interministériel et d'entendre tous les pays qui sont susceptibles d'y participer, en les traitant sur un pied d'égalité. C'est un projet de fond.
Face à la Russie et à la Chine, il faut renforcer notre autonomie stratégique et notre souveraineté, à la fois dans le domaine de la défense – c'est l'objet de la boussole stratégique, à laquelle la guerre en Ukraine donne beaucoup plus d'acuité – de l'énergie – la souveraineté énergétique passe par la transition énergétique – du numérique – avec des règlements qui protègent les citoyens européens et qui permettent aux entreprises européennes de se développer – et sur le plan social.
Madame Regol, notre objectif, en matière de transition écologique, est de trouver un équilibre entre les besoins de production, l'avenir des agriculteurs, l'avenir des pêcheurs et la protection de la biodiversité. Les transformations touchant l'agriculture et la pêche doivent être progressives, si nous voulons que chacun puisse s'y adapter et que tous les Français les acceptent.
L'accord de commerce avec la Nouvelle-Zélande, qui n'est encore que de principe, est une bonne nouvelle car c'est le pays dont les règles environnementales sont les plus proches des nôtres. Il est la preuve qu'un accord commercial peut être respectueux de l'environnement et du développement durable. Il intègre l'accord de Paris, prévoit des protections pour nos filières agricoles sensibles et soutient nos exportations agricoles et agroalimentaires en protégeant plus de 200 indications géographiques, comme le comté ou le jambon de Bayonne. S'agissant des agneaux, comme vous le savez, Monsieur Chassaigne, les quotas n'ont jamais été atteints par le passé.
Le paquet « Fit for 55 » est la traduction européenne des accords de Paris. Ces derniers ont défini une ambition extraordinaire au plan mondial et laissé à chaque nation le soin de définir sa méthode. Pour moi, il y a une parfaite cohérence entre les accords de Paris et nos politiques en matière de transition énergétique.
On ne peut pas dire que la France applique le droit européen à la carte. Il peut arriver que l'on soit rappelé à l'ordre, comme cela arrive aussi à d'autres pays : cela n'a rien d'anormal. Notre volonté de faire de l'Europe la championne de l'État de droit ne fait aucun doute. En témoignent la réforme de l'élargissement et les mesures prises envers la Pologne et la Hongrie : il a été acté que les pays qui ne respectent pas l'État de droit ne peuvent bénéficier de fonds européens. Le plan national de relance et de résilience hongrois est suspendu et, bien que celui de la Pologne ait été accepté, les versements n'ont pas eu lieu parce que le gouvernement polonais refuse d'appliquer les mesures qui lui ont été indiquées.
Monsieur Chassaigne, la France a effectivement activé le mécanisme de protection civile de l'Union européenne le 14 juillet pour bénéficier du soutien d'avions bombardiers d'eau. En réponse à cette requête, la Grèce a déployé deux Canadair en Gironde, qui prêtent main-forte à nos équipes. Le Gouvernement a remercié nos amis et partenaires grecs pour cette démonstration de solidarité. Je rappelle que nous avions aidé la Grèce en août 2021, lorsque c'est elle qui devait faire face à de terribles incendies : le mécanisme fonctionne donc bien. Le système européen d'observation Copernicus a également été mobilisé pour réaliser une cartographie de l'incendie. L'Espagne, le Portugal, la Slovénie et l'Albanie, qui font également face à de graves incendies, ont aussi bénéficié d'aides européennes.
La France s'est activement mobilisée, en 2019 et 2020, pour renforcer ce mécanisme de protection civile, notamment la réserve de capacités d'urgence européenne, RescEU, qui est mobilisable en soutien de celles des États. Ce que je peux vous dire au sujet du volontariat, c'est qu'un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne prévoit d'appliquer la directive « temps de travail » aux volontaires, ce qui perturbe un peu le modèle français du volontariat. Nous avons porté votre proposition au niveau européen afin d'élaborer un texte relatif au volontariat. Pour l'heure, nous n'avons pas assez de soutiens mais nous allons poursuivre nos efforts.
Madame Youssouffa, le versement des fonds européens à Mayotte a effectivement été suspendu en 2022. L'État a pris ses responsabilités et créé un GIP, « l'Europe à Mayotte », qui travaille avec la collectivité. L'Agence France Trésor a fait une avance pour compenser l'interruption des versements des fonds européens. Nous avons bon espoir que ces versements reprennent en 2023.
Alors même que le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne indique clairement que le Parlement européen a son siège à Strasbourg, cet état de fait est régulièrement remis en cause, depuis vingt ans, par de nombreux groupes politiques, voire des États européens. C'est assez fâcheux, au regard à la fois de l'histoire de l'Europe et de la place qu'a eue Strasbourg dans la construction d'une Europe démocratique. Il est particulièrement important de défendre ce symbole, à l'heure où la démocratie est attaquée à l'extérieur et à l'intérieur de nos frontières.
Au cours du précédent quinquennat, le Président de la République a eu une action salutaire pour défendre le siège du Parlement à Strasbourg et reprendre l'offensive. Votre prédécesseur, Clément Beaune, a lui aussi beaucoup agi, comme conseiller puis comme ministre. Nous attendons du nouveau gouvernement français qu'il poursuive cette politique proactive dans la défense de Strasbourg.
Les collectivités locales alsaciennes se sont elles aussi mobilisées, en finançant la construction du bâtiment Osmose, à proximité du Parlement, pour améliorer le confort de travail des députés européens et de leurs collaborateurs – l'idée étant que le Parlement acquière rapidement ce bâtiment. Alors que des annonces en ce sens avaient été faites au début de l'année, Les Dernières Nouvelles d'Alsace indiquaient, il y a dix jours, que le dossier patinait et qu'un groupe de travail constitué au niveau du Parlement européen s'était réuni à trois reprises sans que l'enthousiasme l'emporte. Ma question est donc simple : quand le Parlement européen fera-t-il l'acquisition du bâtiment Osmose ?
Nous sortons de six mois de présidence française de l'Union européenne, dont seuls deux petits mois n'ont pas été obérés par la guerre en Ukraine. Depuis fin février, nous connaissons un grand dysfonctionnement social et économique, dont il faut bien dire qu'il a commencé dès le deuxième trimestre de 2021, marqué par une hausse des prix de l'énergie d'emblée inquiétante et notable. En cause, une spéculation mondiale opportuniste après vingt-quatre mois de pandémie de covid, mais aussi – et c'est le comble du paradoxe – un alignement du prix de toutes les énergies sur celui du gaz, en vertu des règles du marché unique européen. Ces règles sont donc en train de provoquer une rupture d'alimentation en énergie à différents niveaux.
La présidence française aurait pu proposer un moratoire temporaire sur ce marché, comme cela a été fait sur le pacte de stabilité, afin de soulager le pouvoir d'achat de Français. Ne serait-il pas temps de le faire ?
Il ne vous a sans doute pas échappé que les lobbys français ont été particulièrement présents dans la préparation et l'organisation de la présidence française de l'Union européenne. On a dénombré pas moins de trente-huit réunions de lobbying, dont deux seulement concernaient des organisations de la société civile, ce qui signifie que toutes les autres concernaient des entreprises ou des lobbys industriels. Selon le registre de transparence de l'Union, EDF et TotalEnergies ont dépensé 2 millions d'euros pour du lobbying en amont de la présidence française. Or, durant cette présidence, la France a obtenu de haute lutte, par un vote cocasse où elle s'est retrouvée au côté de la Hongrie et de la Pologne, que l'énergie nucléaire et le gaz soient considérés comme des énergies durables et bénéficient du label vert européen. Quel a été le rôle d'EDF et de TotalEnergies dans cette prise de position française ?
De même, les entreprises du secteur automobile Renault et Stellantis ont été des sponsors de la présidence française, prêtant des véhicules électriques et hybrides. Elles ont dépensé, à elles deux, près de 1 million d'euros en 2021. Or certains enjeux de la présidence française les intéressaient de près : je pense notamment à l'ambitieux projet de révision du marché carbone, que les eurodéputés libéraux sont parvenus à saper. Le Gouvernement et ces entreprises ont-ils joué un rôle pour réduire les ambitions climatiques au niveau européen ?
Depuis le vote du Brexit en 2016, et à la suite du retrait officiel du Royaume-Uni de l'Union européenne en janvier 2020, l'Irlande du Nord a connu un regain de tensions sans précédent depuis plus de vingt ans. En cause, la frontière terrestre séparant l'Irlande du Nord de la République d'Irlande. Alors que l'Irlande est très marquée par une guerre civile qui a opposé, pendant trente ans, catholiques nationalistes et protestants loyalistes, la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne a ravivé la discorde entre les deux camps, notamment autour du protocole nord-irlandais.
Quelques semaines après la victoire des républicains du Sinn Féin, partisans d'une Irlande réunifiée, lors des élections locales d'Irlande du Nord, aucune accalmie ne semble poindre à l'horizon et l'étau se resserre autour d'unionistes ne souhaitant sortir ni du Royaume-Uni, ni d'une Irlande unie. D'un côté, estimant qu'il est impératif de revoir les clauses prévues par l'accord du Brexit, et après avoir menacé d'outrepasser purement et simplement ce traité, le gouvernement britannique tente un passage en force légal en engageant une révision unilatérale du statut douanier post-Brexit nord-irlandais. De l'autre, la Commission européenne dit être prête à concéder des aménagements, mais refuse toute modification du traité sur le fond, menace la Grande-Bretagne de représailles judiciaires et regrette une atteinte à la confiance mutuelle par l'intermédiaire du vice-président de la Commission, Maroš Šefčovič.
Que comptez-vous faire pour limiter les conséquences de ce conflit sur notre territoire et les îles anglo-normandes et pour renforcer les liens de la France avec l'Irlande, laquelle est susceptible de devenir une nouvelle porte d'entrée en Europe ? Quel rôle pourraient jouer les collectivités territoriales et comment pourrait-on les accompagner ?
Il y a une dizaine d'années, la zone euro affrontait la crise grecque. Face à la guerre en Ukraine, qui est d'une brutalité inouïe, la présidence française a réaffirmé hautement la valeur de la paix, autour de laquelle l'Union européenne s'est construite. L'Italie, la troisième économie du continent, après avoir été très fragilisée par la crise du covid, risque elle aussi de subir une crise majeure, si l'on en croit les journaux de ce matin. Du fait de son poids, elle pourrait entraîner dans sa chute d'autres acteurs de la zone européenne. Comment pouvons-nous soutenir nos voisins tout en protégeant notre modèle ?
L'Union européenne a annoncé un volet de sanctions contre la Russie, à la suite de l'invasion de l'Ukraine par le président Poutine. Il fallait « mettre la Russie à genoux ». Un embargo sur le gaz russe a notamment été décidé, qui crée une pénurie et une envolée des prix en Europe. En Allemagne, on rouvre les centrales à charbon ; en France, nous pourrions manquer de gaz l'hiver prochain et certains Français risquent de ne plus pouvoir se chauffer.
Face à l'invasion injustifiée d'un pays souverain, l'Union européenne doit peser de tout son poids pour stopper Poutine. Toutefois, les sanctions décidées contre la Russie au niveau européen ne vous semblent-elles pas contreproductives, dans la mesure où elles réduisent encore le pouvoir d'achat des Français et des Européens ?
La relance économique et la guerre en Ukraine ont entraîné une augmentation du coût de l'énergie. Pour assurer notre souveraineté énergétique, nous devons miser sur une sobriété qui préservera également le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Alors que le projet de loi « pouvoir d'achat » prévoit la prolongation du bouclier énergie, il serait nécessaire que d'autres acteurs prennent leur part de responsabilité. Il conviendrait par exemple de taxer les fournisseurs d'énergie, dont les bénéfices sont en forte hausse, ou de faire respecter les réglementations qui imposent d'éteindre les enseignes lumineuses la nuit. Nos sociétés étant interconnectées, une coordination au niveau européen semble indispensable. La sobriété ne devrait-elle pas avoir davantage de poids dans les politiques européennes ?
Madame la secrétaire d'État, vous dites vouloir écouter la société civile. Or celle-ci s'est fortement mobilisée à partir de 2012, en France et à travers le monde, contre l'utilisation du gaz de schiste, tant qu'il sera produit par fracturation hydraulique. Je crois d'ailleurs que le Conseil constitutionnel avait approuvé le moratoire sur les gaz de schiste.
D'où viendrait le gaz de schiste que nous utiliserions en France ? Serait-il obtenu par fracturation hydraulique ? Si tel est le cas – et ce sera le cas, puisque c'est la seule technique connue – la France et l'Europe prévoient-elles de s'appliquer le principe pollueur-payeur et de dédommager les populations qui ont dû être déplacées, aux États-Unis ou au Canada, pour produire du gaz de schiste, ce qui a donné lieu à d'importants mouvements sociaux ?
Je partage l'ambition écologique et environnementale que vous avez affirmée, à laquelle j'ajoute la protection de la biodiversité. Je suis soucieux aussi des questions de pouvoir d'achat. Cette énergie n'est pas bon marché, si l'on y inclut le coût des réparations nécessaires à sa production. En outre, il n'est pas souhaitable que nous soyons dépendants des États-Unis, d'autant que ce pays nous a imposé des barrières douanières qui nous ont coûté cher. La France et l'Europe seraient-elles prêtes à se procurer de l'énergie aux dépens d'autres peuples, d'autres pays, d'autres sociétés et d'autres gouvernements à l'autre bout de la planète ?
Le 22 janvier 2019, à l'occasion du cinquante-sixième anniversaire du traité de l'Élysée, le Président de la République et la chancelière allemande ont signé à Aix-la-Chapelle un nouveau traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes. Depuis janvier 2020, la France et l'Allemagne mettent en œuvre conjointement ce traité et quinze projets prioritaires ont été identifiés pour intensifier la coopération et approfondir la relation entre nos deux pays, parmi lesquels la mise en place d'un comité de coopération transfrontalière, la reconversion du territoire de Fessenheim, l'amélioration des liaisons ferroviaires transfrontalières ou la création d'un réseau franco-allemand de recherche et d'innovation.
Ces projets sont le quotidien des Alsaciennes et des Alsaciens qui se rendent chaque jour outre-Rhin pour travailler. Ils sont le quotidien de nos entreprises, qui échangent chaque jour avec leurs partenaires badois. Ils sont, enfin, le quotidien de nos institutions et des agents qui y travaillent : la collectivité européenne d'Alsace et le Landtag de Bade-Wurtemberg travaillent ensemble depuis de nombreuses années pour faire aboutir des projets communs. Ce sont ces liens et ces projets qui font l'Europe aux yeux de nos concitoyens. Pouvez-vous faire un point d'étape sur les avancées concrètes en cours et à venir de la mise en œuvre du traité d'Aix-la-Chapelle ?
Je commencerai par répondre à quelques points que j'avais oubliés.
La boussole stratégique est un élément clé de l'Europe de la défense : il faudra commencer à l'appliquer, pour renforcer notre capacité à agir et intervenir en cas de crise.
Protéger les citoyens face aux cybermenaces et à la désinformation est également capital : un exercice a été mené pendant la présidence française de l'Union européenne, avec des résultats satisfaisants.
Il faut aussi développer nos capacités industrielles ainsi que la base industrielle et technologique de défense de la France. En Europe, les politiques industrielles sont fragmentées : les pays qui le souhaitent doivent travailler à des programmes d'armement communs et à des achats groupés, ce qui est loin d'être simple.
Enfin, il conviendra d'étendre nos partenariats à l'Afrique et à l'Indo-Pacifique.
La guerre nous a conduits à repenser nos façons d'agir collectivement ; nos valeurs économiques et financières ; nos valeurs démocratiques et en matière d'État de droit, d'information, de justice ; et notre capacité à faire en sorte que l'Europe garde son destin en main. Aucun d'entre nous, hormis à l'est de l'Europe, n'était préparé à une remise en cause aussi brutale de l'ordre que nous connaissions.
La vitesse et la force avec lesquelles nous avons réussi à répondre sont remarquables. Il faut maintenant assumer un discours de puissance politique, car nous sommes menacés. La boussole stratégique nous permettra de construire la défense stratégique de l'Europe, avec des éléments concrets, comme la manière d'accompagner d'autres pays, de déployer une force militaire, de la financer – pour la première fois, des financements communs ont été engagés – et d'articuler cela avec l'OTAN. C'est une des raisons pour lesquelles nous devons absolument maintenir le dialogue avec les pays qui ne sont pas dans l'Union européenne et n'ont pas le statut de candidat à l'adhésion.
Concernant le second pilier de la taxe sur les services numériques, le blocage par un seul pays a été résolu, sans marchandage. Le cas de la Hongrie invite désormais à s'interroger sur les raisons pour lesquelles un pays bloque une mesure qui est dans l'intérêt de tous et peut éviter la concurrence fiscale.
Des politiques publiques qui embarquent les citoyens sont toujours plus nécessaires. La Convention citoyenne pour le climat ou la conférence sur l'avenir de l'Europe en sont les symboles. Pour accomplir la transition énergétique, instaurer une taxe carbone ne suffit pas : il faut proposer des offres de mobilité alternatives aux personnes qui en ont besoin. Celles qui n'ont pas d'autre choix que de prendre leur voiture ou qui n'ont pas les moyens de rénover leur maison doivent être aidées – c'est l'objet du dispositif MaPrimeRénov'. Au niveau européen comme national, la volonté est forte de soutenir les populations les plus vulnérables mais aussi les classes moyennes, parfois oubliées, pour les aider à effectuer la transition énergétique sans en souffrir. D'où la nécessité de politiques publiques qui s'adressent à tous les citoyens, dans un souci d'égalité.
Des doutes ont été émis quant à notre capacité à faire l'unité en Europe. Or le paquet « Fit for 55 » a été voté à une très large majorité ; le ministre Gérald Darmanin est parvenu à un accord sur le pacte migratoire. Il y a aussi unité concernant les sanctions et une très forte majorité s'agissant de Schengen, des règlements DMA et DSA ainsi que des salaires minimaux.
Nous travaillons à défendre le siège du Parlement européen à Strasbourg car nous avons conscience de son importance. Comme le veut la procédure, le projet Osmose a été examiné par le groupe de travail sur les bâtiments, les transports et le Parlement vert du bureau du Parlement européen. Il a été discuté et validé lors de la réunion du Parlement européen du 6 juillet. L'ordonnateur délégué chargé de prospecter le marché, y compris pour adjoindre le bâtiment Osmose aux locaux du Parlement, devra revenir devant le bureau pour une décision finale. Il est très important d'avoir des députés européens à Strasbourg, comme il y a des banquiers centraux à Francfort ou des représentants d'autres entités européennes dans les capitales ou les grandes villes d'autres pays de l'Union. Il s'agit d'un symbole, acté dans les traités, auquel nous tenons.
La question énergétique nous préoccupe. Ce n'est pas la guerre qui provoque la rupture de l'approvisionnement : ce sont les Russes qui coupent notre accès à leur énergie – la récente décision de Gazprom l'a encore montré. Plutôt qu'un moratoire sur le marché de l'électricité, nous proposons une réforme. Pendant longtemps, le marché intérieur de l'énergie a été un facteur de sécurité énergétique. Nous risquons d'en avoir besoin : des pays nous fournissent de l'électricité grâce aux interconnexions de ce marché.
S'agissant des prix, ils doivent mieux refléter le bouquet énergétique disponible. L'électricité étant largement décarbonée en France, il est contrariant de voir son prix indexé sur le gaz. Nous sommes très mobilisés à cet égard : au mois de mars, les chefs d'État et de gouvernement ont demandé à la Commission de faire des propositions. Nous les suivrons avec beaucoup de vigilance.
Les questions de M. Amard, prises dans leur ensemble, soulèvent la question de l'équilibre entre la gestion de la crise énergétique et la transition énergétique. Nous devons expliquer à tous que notre objectif de décarbonation de l'économie – la France est bien placée pour l'atteindre – va de pair avec une tension sur l'approvisionnement en énergie pour cet hiver et le suivant.
Le Gouvernement répond à ces enjeux en prenant des mesures dans trois domaines. Le premier vise les approvisionnements : il s'agit de s'assurer que les stocks sont suffisants pour ces deux périodes. Dans cette optique, il est prévu de recourir un peu aux centrales à charbon, afin de ne pas priver des Français de chauffage ou d'électricité cet hiver. Cela doit évidemment être le plus temporaire possible.
Le deuxième volet réside dans la sobriété : les Français devront réduire leur consommation. Il est important que l'État, les administrations et les agents publics montrent l'exemple – Agnès Pannier-Runacher a récemment évoqué la nécessité de ne pas déclencher la climatisation en dessous de 26 degrés ou de ne pas chauffer au-delà de 19 degrés. Certains gestes quotidiens sont faciles à adopter. D'autres pays, comme l'Allemagne, se mobilisent.
Enfin, la solidarité européenne est capitale, pour éviter qu'une récession dans un pays voisin qui manquerait d'énergie entraîne une contraction économique en France.
Monsieur Amard, le paquet adopté sous la PFUE prévoit la fin de la vente de véhicules thermiques à partir de 2035, lobbying ou pas. Cela étant, il faut porter attention aux personnes vulnérables qui n'ont pas les moyens de changer de voiture comme à celles qui travaillent pour les entreprises que vous avez citées.
S'agissant de l'Irlande du Nord, la situation politique au Royaume-Uni ne facilite pas les discussions autour du protocole nord-irlandais – la question est d'ailleurs peu évoquée outre-Manche. Le principe est simple : lorsqu'on a signé un traité ou un protocole, on doit le respecter. Une certaine flexibilité est possible et nous avons toujours été constructifs, mais dans le respect des textes.
Le traité protège nos intérêts : il assure que les biens et les services vendus en France respectent les règles européennes et ne font pas une concurrence déloyale à nos productions, tant en matière de normes que parce qu'ils sembleraient provenir d'Irlande du Sud alors qu'ils seraient produits dans le territoire britannique. Nous restons donc constructifs et vigilants, et attendons le nouveau gouvernement britannique pour en discuter.
Madame Le Peih, soutenir nos voisins tout en protégeant notre propre modèle est l'objectif de la Communauté politique européenne, qui pourra intervenir en matière de défense, de sécurité, d'énergie. Nous devons maintenir un dialogue constructif, pour nous assurer de garder des pays amis autour des frontières européennes tout en respectant les exigences demandées pour une adhésion.
Vous expliquez que la sobriété sera nécessaire. Certains Français n'en sont plus aux économies : ils ne peuvent déjà plus se chauffer. Que vont-ils faire ?
Un bouclier tarifaire significatif a été instauré pour les personnes qui peinent à acquitter leurs factures d'électricité et d'alimentation. Le Gouvernement cherche à éviter la pauvreté énergétique et alimentaire, et à s'assurer que tout le monde passe l'hiver dans des conditions satisfaisantes. Certaines personnes connaîtront en effet des difficultés en raison du prix de l'énergie, du manque d'isolation de leur logement ou de leur dépendance à leur véhicule. Tout l'objectif du paquet de mesures est de les aider.
Le gaz de schiste n'est pas exploité dans notre territoire. À ma connaissance, il n'y a aucun projet en ce sens. Il s'agit maintenant de déterminer si la France peut être aussi exigeante envers des pays avec lesquels elle a des échanges commerciaux et dont elle importe l'énergie, et ce qu'il convient de faire en temps de crise.
La crise qui menace cet hiver, et peut-être le suivant, conduit à acheter et à importer du gaz de schiste dont l'origine est difficile à tracer précisément.
Plus généralement, le mécanisme de taxe carbone aux frontières et le mécanisme miroir visent précisément à s'assurer que l'on ne s'inflige pas un désavantage compétitif et que l'on incite les pays à produire de l'énergie aussi propre que la nôtre, car la taxation de l'énergie découragera les pays concernés. Certes, le mix énergétique dépend des situations initiales de chaque pays mais le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières les incitera tous à avancer plus rapidement.
Huit cents projets ont été lancés depuis la signature du traité d'Aix-la-Chapelle en 2019 et la création du Fonds citoyen franco-allemand en 2020. En 2022, la dotation du Fonds a été doublée, à 5 millions, en raison de son succès. Après les quinze projets prioritaires définis dès janvier 2019, treize ont été identifiés le 31 mai 2022 par le conseil des ministres franco-allemands. Freiné par la crise du covid, qui a restreint la mobilité des jeunes, le programme a repris depuis.
Nous travaillons également sur les secteurs d'avenir pour la souveraineté économique européenne – les batteries, l'intelligence artificielle, la promotion d'un cloud souverain européen.
Enfin, la création d'un comité de coopération transfrontalière franco-allemand en 2020, la réponse à la crise sanitaire et la loi 3DS (loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale) commencent à porter leurs fruits, qu'il s'agisse du plurilinguisme ou de la pérennisation de l'apprentissage transfrontalier.
Le 13 juillet 2022, la Commission européenne a estimé que la France pouvait mieux faire en matière de législation encadrant l'activité des lobbys. Pourrions-nous ouvrir un chantier pour améliorer notre réglementation en la matière ?
S'agissant des groupes d'intérêts, le cadre législatif et réglementaire n'est pas en cause. Nous veillerons à l'appliquer de manière cohérente.
Je vous remercie de vos réponses, Madame la secrétaire d'État. Nous serons amenés à vous entendre régulièrement, lors des sommets européens et à chaque fois que l'actualité européenne l'exigera.
La séance est levée à 18 heures 58.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Henri Alfandari, M. Franck Allisio, M. Gabriel Amard, M. Pieyre‑Alexandre Anglade, M. Rodrigo Arenas, M. Pierrick Berteloot, Mme Pascale Boyer, M. André Chassaigne, Mme Sophia Chikirou, Mme Annick Cousin, M. Thibaut François, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Julie Laernoes, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, M. Denis Masséglia, Mme Joëlle Mélin, Mme Yaël Menache, M. Thomas Ménagé, Mme Lysiane Métayer, Mme Louise Morel, Mme Nathalie Oziol, Mme Anna Pic, M. Christophe Plassard, Mme Sandra Regol, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. – M. Philippe Juvin, M. Éric Martineau, M. Richard Ramos
Assistaient également à la réunion. – M. Frédéric Petit, Mme Sabine Thillaye, Mme Sylvie Guillaume, membre du Parlement européen.