La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de M. Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation des Apprentis d'Auteuil, M. Thomas Brichard, directeur de la maison d'enfants à caractère social Providence-Miséricorde à Rouen, et Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois.

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Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition de la fondation des Apprentis d'Auteuil. Sont présents M. Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation, M. Thomas Brichard, directeur de la maison d'enfants à caractère social (Mecs) Providence-Miséricorde à Rouen, et Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous proposez, à la demande des départements, des solutions aux difficultés rencontrées par les jeunes et leurs familles, allant du placement en Mecs à des modes d'intervention plus souples, tels que l'action éducative au domicile de la famille. Vous jouez également un rôle important dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. Je vous laisse la parole pour une intervention liminaire de 15 minutes.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale. En outre, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».

(M. Baptiste Cohen, M. Thomas Brichard et Mme Pauline Spinas-Beydon prêtent serment.)

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Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation des Apprentis d'Auteuil

Nous souhaitons répondre à votre invitation en vous proposant deux approches complémentaires. La première, plus institutionnelle, abordera les problématiques majeures liées à votre questionnement. La seconde mettra en lumière, à travers des exemples et des témoignages de responsables d'établissements, comment notre activité est directement concernée par les questions que vous nous avez adressées.

Je commencerai par deux thématiques d'ordre général. La première concerne trois points aveugles de la protection de l'enfance. La seconde porte sur le manque de collégialité et de coordination entre les décideurs et les acteurs. Avant d'entrer dans le détail de cette analyse, je tiens à préciser qu'elle complète, sans jamais s'y opposer, les propos tenus devant vous par les représentants des enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ces enfants connaissent ou ont connu les services de la protection de l'enfance en raison des carences, défaillances, négligences ou violences de leurs parents, qui auraient dû être leurs premiers protecteurs. Nous cherchons néanmoins à apporter une contribution grâce à des éclairages complémentaires sur les politiques publiques. Il nous semble nécessaire d'évoquer trois points aveugles ou fils à relier pour comprendre ce qui se dessine autour des parents, de la prévention et de la pauvreté.

Il est indispensable de mieux connaître les parents pour mieux aider les enfants, tant par le repérage des situations de maltraitance que par la prévention et l'accompagnement précoce des familles. Cela peut parfois éviter la détérioration ou l'aggravation de situations éducatives susceptibles de mettre les enfants en danger. Notre analyse et nos propositions concernant les parents reposent sur trois piliers essentiels pour la politique publique : compter, distinguer, associer.

Compter, tout d'abord. En France, nous ne savons pas combien de parents sont concernés par des mesures de l'ASE, combien entrent dans ce dispositif chaque année, combien en sortent. Nous ne connaissons pas non plus les durées d'accompagnement, qui peuvent aller de six mois à trente ans. La population des parents n'est pas connue, alors qu'il est évident que la politique de protection de l'enfance les concerne directement. Cette population n'est pas homogène et ne peut être amalgamée en considérant qu'ils ont en commun de maltraiter leurs enfants. Nous renvoyons ici au récent séminaire de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) sur les négligences.

Distinguer, ensuite. Il est essentiel de souligner que la majorité des parents concernés par des mesures de l'ASE conservent leur autorité parentale. Cependant, il est impératif d'écouter les enfants concernés qui témoignent des souffrances subies lorsque la mise à distance entre eux et leurs parents n'est pas garantie, bien qu'elle soit indispensable. Actuellement, le système ne parvient pas à distinguer clairement et de manière consensuelle les situations des enfants, selon que le projet vise à aider et accompagner les parents ou à gérer une mise à distance plus radicale pour certains enfants. Il existe toujours une population intermédiaire dont on ne sait pas, au moment où on la voit, dans quelle catégorie elle se situe. Néanmoins, cette distinction est importante. Nous connaissons tous des situations où l'équipe éducative ne comprend pas comment des droits de visite et d'hébergement peuvent être maintenus alors que l'enfant souffre. À l'inverse, nous connaissons aussi des cas où le placement aurait pu être évité ou interrompu si la famille et les parents avaient été mieux accompagnés et soutenus, y compris socialement et financièrement.

Associer, enfin. Cela ne signifie pas rendre la politique de protection de l'enfance plus familialiste, mais reconnaître que tous les parents doivent contribuer aux mesures d'aide sociale et d'assistance qui les concernent. Ils peuvent nous apporter des éléments essentiels pour mieux comprendre les difficultés que vivent leurs enfants, ainsi que celles qu'ils connaissent ou ont connues.

Les parents violents ont quelque chose à nous apprendre sur leur propre comportement. Il nous faut apprendre à détecter, repérer, prévenir et accompagner, lorsque c'est encore possible. Les parents responsables de négligence doivent également être entendus et écoutés. Pour aider leurs enfants à surmonter ces difficultés et leurs conséquences, il est nécessaire de comprendre comment, lorsque c'est possible, nous pouvons aider ensemble parents et enfants à retrouver la voie de relations familiales.

Le deuxième point aveugle de la politique de protection de l'enfance concerne la prévention. Il est essentiel de souligner que cette politique ne se limite pas à éloigner les enfants maltraités de leurs parents. La prévention ne doit pas être réduite au seul évitement des situations les plus dramatiques. À l'instar des addictions ou de la santé publique, la prévention nécessite des orientations de politique publique à long terme, une grande diversité d'actions auprès des personnes, des plus précoces aux plus tardives, des stratégies de repérage des situations à risque et des campagnes régulières de sensibilisation. Chaque année, des dizaines de milliers de personnes deviennent parents et risquent de connaître les difficultés de la responsabilité éducative. S'intéresser aux parents ne signifie pas les excuser ou les dédouaner de leurs responsabilités, mais chercher à mieux comprendre les difficultés et dysfonctionnements rencontrés dans les familles. Les différences entre difficultés, défaillances, négligences, violences et maltraitances sont subtiles mais nombreuses, et ce n'est pas qu'une question de mots. En matière d'éducation, les risques à affronter sont difficiles à prévoir et impossibles à prédire. Il faut donc inventer, déployer et évaluer de multiples référentiels pour mieux accompagner les familles, parents et enfants, face à la diversité des situations.

Le troisième point aveugle concerne la pauvreté. Nous devons relier ce point aux deux précédents, en tenant compte du contexte social et socio-économique des familles, de la pauvreté, voire de la grande pauvreté. Comme décrit dans le numéro de la Revue française des affaires sociales, sous la direction de Mmes Flore Capelier et Isabelle Frechon, nos équipes soulignent souvent qu'une grande partie des familles et des enfants que nous accueillons connaît la précarité. La pauvreté, parfois extrême, ne génère pas directement la maltraitance, mais elle fragilise les familles jusque dans leurs convictions et leurs attachements les plus profonds.

Nous ne connaissons malheureusement pas la proportion de la population touchée par la précarité car ce type de mesure n'existe pas, contrairement à l'éducation nationale qui utilise l'indice de position sociale (IPS). Bien que cet indice ait ses limites, il fournit des informations utiles sur la durée. Ce que nous savons, c'est que les personnes les plus précaires doivent être prises en compte et accompagnées selon des modalités spécifiques, comme le montrent les travaux d'ATD-Quart Monde. Notre société exerce une grande violence envers les plus pauvres, qui souffrent non seulement de leur précarité, mais aussi du discrédit et du mépris social. Il est inacceptable que les plus fragiles craignent l'ASE, alors que cette aide devrait les soutenir face aux difficultés éducatives et dans la reconnaissance de leurs besoins.

La deuxième thématique que je souhaite aborder concerne le manque de coordination. Je fais ici référence aux travaux de notre analyse prospective, menée avec un groupe d'associations et présentée dans ces murs en novembre dernier. Cette démarche, particulièrement originale dans sa forme, est unique dans notre domaine d'activité, alors que nous en aurions grandement besoin. Les documents sont disponibles, et nous avons la particularité d'être présents dans soixante départements, ce qui nous permet d'avoir une perspective à la fois distanciée et spécifique, avec une vision à long terme. Cette démarche a été accompagnée par un cabinet spécialisé, Futuribles. Si la protection de l'enfance est en pleine ébullition, nous devons éviter le syndrome de la grenouille qui meurt en se laissant cuire. Plongée dans une casserole d'eau froide mise à chauffer, elle ne cherche pas à s'échapper, alors que celle qui est soudainement plongée dans de l'eau trop chaude s'en échappe immédiatement.

Aujourd'hui, en matière de protection de l'enfance, quels leviers devons-nous actionner pour sortir d'une crise qui semble systémique, où le chacun pour soi des acteurs semble être la seule règle commune appliquée par tous ? Une démarche prospective s'intéresse au futur en essayant de décrire, à partir de faits et de données, les évolutions en cours qui ne sont pas forcément compatibles, afin de repérer parmi ces tendances celles qui sembleraient souhaitables. Dès lors, peuvent se dégager les éléments d'une vision non limitée au court terme. La prospective ne cherche pas d'abord à régler les problèmes du présent, mais à engager une réflexion de fond qui associe tous les acteurs, parties prenantes et personnes concernées. Elle suppose du temps et un espace dédié, autrement dit une instance qui ne soit pas soumise aux questions les plus urgentes, qu'elles soient sociales, politiques, médiatiques ou économiques. La prospective est donc contre-intuitive car, en période de crise, chacun est tenté de chercher d'abord les responsabilités et des solutions. C'est sûrement indispensable, mais cela ne devrait pas empêcher d'exprimer et peut-être de réécrire l'ambition de notre société pour protéger ses enfants. Enfin, la prospective apparaît comme une invitation à l'un des exercices politiques les plus difficiles, celui des compromis. Dans un contexte de tension et d'impasse, que nous avons citées à plusieurs reprises dans nos travaux, il est probable que tous les efforts de coordination, mentionnés déjà dans de nombreux textes législatifs ou réglementaires, ne puissent faire l'économie de nouveaux compromis, voire de ruptures, notamment dans la répartition des rôles et la coordination des acteurs. À titre d'exemple, nous avons évoqué plusieurs pistes dans nos travaux concernant aussi bien les institutions que les professionnels et même les usagers. Nous restons à votre disposition pour vous les présenter et pour vous faire connaître les scénarios sur lesquels nous avons réfléchi dans le cadre de cette démarche, la protection de l'enfance à horizon 2030-2035, qui rejoint probablement certaines de vos préoccupations.

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

Les parents des enfants placés sont souvent les grands oubliés des politiques de protection de l'enfance. Bien que certaines situations individuelles soient catastrophiques, et que des liens toxiques puissent exister entre parents et enfants, il est important de souligner que la majorité de ces parents ne sont ni des criminels, ni des délinquants sexuels. Pourtant, nous avons tendance à les percevoir ainsi, les excluant de nos établissements et services de protection de l'enfance, et considérant comme impossible de les accompagner en même temps que leurs enfants. Comme l'a souligné M. Cohen, nous accompagnons souvent des enfants dont le projet est de permettre à leurs parents de retrouver leur capacité à exercer leurs responsabilités éducatives. Bien que peu de recherches ou de statistiques existent sur les parents en protection de l'enfance, l'expérience empirique nous enseigne beaucoup. Accueillir un enfant revient souvent à accueillir son parent, découvrant que celui-ci a souvent lui-même été pris en charge par les services de l'ASE. Ces parents se trouvent fréquemment dans une situation de cumul de difficultés financières, sociales, culturelles et professionnelles, et pour une immense majorité d'entre eux, en situation de monoparentalité. Les carences éducatives vécues et le manque de liens avec leurs propres parents durant leur enfance se reproduisent avec leurs enfants. En fin de compte, le modèle dans lequel ils ont grandi ne leur a pas appris à être parents. Nous sommes convaincus qu'en prenant soin des parents, nous prenons soin des enfants. Nous le constatons et les enfants eux-mêmes en témoignent. Ils souhaitent voir leurs parents, mais surtout ils désirent vivre avec eux. Si ce souhait naturel doit parfois être nuancé par une réalité qu'ils méconnaissent, nous devons néanmoins l'entendre. Certains départements ont mis en place une délégation globale de prise en charge, déléguant aux établissements l'accompagnement des familles, initialement compétence de leurs services.

Nous devons désigner un interlocuteur unique pour les parents, celui qui accompagne leurs enfants au quotidien, les aide à s'endormir le soir en leur racontant des histoires. Il est essentiel d'associer les parents au projet individuel de leurs enfants, de sa création à son évaluation. Ce n'est pas en les excluant qu'ils comprendront. Autant que l'ordonnance de placement le permet, nous devons intégrer les parents à la vie quotidienne de leurs enfants, par exemple, pour les achats de vêtements, les devoirs ou les rendez-vous médicaux. Il est primordial de les laisser accomplir ce qu'ils savent faire et de les soutenir dans leurs difficultés. Ce n'est pas en agissant à leur place qu'ils apprendront. Nous devons également les impliquer dans la vie de l'établissement, les décisions prises lors du conseil de vie sociale, ainsi que dans l'organisation et l'animation des festivités, pour renforcer les liens. Ce n'est pas en les excluant qu'ils adhéreront. Deux conditions sont nécessaires : la proximité géographique des parents et le regroupement d'une fratrie d'enfants placés sur un même site. Les résultats observés convergent vers un même constat, à savoir le mieux-être de l'enfant. On note une diminution du conflit de loyauté pour l'enfant, qui n'a plus à choisir entre l'institution et ses parents, une réduction des passages à l'acte (fugues, mises en danger, scarifications) et in fine une diminution des durées de placement. Il existe deux interprétations du nombre très élevé de placements non exécutés : le manque de places disponibles, d'une part, et le faible taux de sorties des dispositifs de l'ASE, d'autre part. Les parents témoignent de la difficulté de sortir du système de protection de l'enfance, malgré tous les efforts fournis, une fois qu'ils y sont entrés.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Je suis directrice depuis quatorze ans d'une Mecs initialement réservée aux garçons, qui accueille désormais également des jeunes filles. Depuis la rentrée, nous prenons en charge des enfants dès l'âge de cinq ans, afin de réunir les fratries et de pallier la pénurie, particulièrement marquée dans notre département, de familles d'accueil qui partent à la retraite sans être remplacées. Contrairement à mes collègues, j'ai choisi de me concentrer sur les préoccupations de terrain et du quotidien. Il m'est difficile de parler des manquements de la politique de protection de l'enfance de manière globale car, au quotidien, je suis fière de ce que nous accomplissons. Environ 80 % de mes pensées sont tournées vers les beaux parcours et les réussites, et je suis fière de vivre dans un pays qui se soucie de ses enfants. Lors de la préparation de cette audition, nous avons discuté avec mon collègue de l'importance de se pencher sur ce qui fonctionne bien pour résoudre les problèmes. J'ai le sentiment que notre département fait de son mieux, et il est essentiel d'identifier les facteurs qui contribuent à ce succès. Depuis que je suis directrice, j'ai constaté un soutien politique et administratif constant en faveur de la protection de l'enfance. Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE), comme celui du Val-d'Oise, rassemblent environ cinquante acteurs autour de la table, incluant la police, la justice, l'école et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Dans le réseau d'acteurs, tout le monde se parle et se connaît, ce qui permet de partager et de s'unir face aux nouvelles problématiques. La stabilité est essentielle : dans les départements, de l'éducateur proche du terrain jusqu'aux grands décideurs, plus il y a de mouvements, plus on risque de perdre le fil. Maintenir la stabilité, que ce soit au niveau des juges des enfants, des médecins ou des éducateurs sur le terrain, permet aux acteurs de mieux se connaître et d'établir des liens de confiance. La facilité d'accès et de prise de contact entre les acteurs est primordiale pour répondre à l'enjeu de décloisonnement. Je résume souvent mes préoccupations en disant que les enfants de la protection de l'enfance reflètent les maux de notre société. Gérer la vie d'un enfant revient à faire face à tous les dysfonctionnements des politiques publiques.

Parmi mes inquiétudes, je constate que les enfants sont surexposés à plusieurs grands sujets. Par exemple, la question des écrans et du risque numérique est préoccupante. Dans le département du Val-d'Oise, les jeunes filles ont rattrapé, voire doublé les garçons à l'adolescence en matière de mesures de placement. Nous nous interrogeons sur les raisons de cette situation, mais des indices indiquent qu'elles sont des victimes majeures de mises en danger à travers les écrans. C'est ce que je constate de manière très empirique lorsque je reçois aujourd'hui des demandes de placement pour des jeunes filles adolescentes. Cela peut-être parce qu'elles ont posté des photos intimes qui ont circulé, les empêchant de retourner à l'école, ou parce qu'elles recherchent de l'affection et tombent amoureuses de quelqu'un à l'autre bout de la France, se laissant piéger par les réseaux sociaux. Ces problématiques touchent tous les enfants de France, mais nos jeunes filles, dépourvues de protections affectives familiales et souvent exposées à un premier traumatisme sexuel, sont particulièrement vulnérables. Actuellement, elles représentent 40 % des effectifs. Cette vulnérabilité les expose également à des phénomènes de prostitution, rendant parfois très complexe leur maintien dans des structures collectives en raison de phénomènes de contagion. Aujourd'hui, avec le placement à domicile et les alternatives au placement, nous avons tendance à les laisser dans leurs familles, ce qui engendre des souffrances collatérales pour ces familles. De nombreuses initiatives, notamment dans le Val-d'Oise, visent à s'attaquer à cette problématique. Cependant, il existe peu de lieux pour des mises en sécurité immédiates. Mes équipes éducatives doivent souvent intervenir en urgence à la sortie de l'école pour protéger ces jeunes filles, mais ces solutions sont temporaires. Trouver des lieux pour les mettre à l'abri s'avère à la fois compliqué et urgent. Des drames peuvent survenir en vingt-quatre heures.

Un autre phénomène préoccupant est la dégradation psychique et psychiatrique des enfants que nous accueillons, et ce, de plus en plus tôt. Il est indéniable que des prises en charge adaptées sont nécessaires. J'observe plusieurs aspects préoccupants. De plus en plus d'enfants rencontrent des difficultés dans la vie collective, soit parce qu'ils nuisent aux autres, soit parce qu'ils se font du mal à eux-mêmes. Ces enfants requièrent une réactivité et des dispositifs adaptés, parfois coûteux. Le sur-mesure est indispensable, surtout avec la difficulté d'accès aux soins en pédopsychiatrie ou autres spécialités. Pour faire le lien avec les propos de la professeure Céline Gréco, il en va de même pour les soins paramédicaux. J'ai entendu parler de son forfait soins. En pratique, lorsque nous avons une demande de soins paramédicaux, nous devons solliciter des financements ad hoc auprès du département. Ces financements sont souvent accordés, mais cela prend du temps. Ensuite, il faut trouver les professionnels, ce qui constitue un défi, surtout en matière d'orthophonie. Les familles lambda rencontrent déjà des difficultés pour trouver des orthophonistes, avec des délais d'attente pouvant aller jusqu'à deux ans. Nos enfants, qui ont encore plus besoin de ces soins, sont particulièrement affectés. J'avais réalisé une petite statistique parmi les premiers enfants accueillis. Je comptais deux enfants avec des notifications pour un institut médico-éducatif (IME) ou un institut médico-professionnel (Impro) sans place disponible, trois notifications pour des unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), un pour un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), trois pour des établissements régionaux d'enseignement adapté (Erea), deux nécessitant des ateliers en établissement ou service d'aide par le travail (Esat), un pour un institut d'éducation motrice (IEM). Pour très peu d'entre eux, j'ai pu mettre en œuvre ce à quoi ils avaient droit, selon la notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il faut également mentionner la pénurie d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Finalement, nous nous retrouvons dans les établissements à essayer de pallier ces manques, mais il y a des domaines, notamment les soins psychiatriques, pour lesquels je ne peux pas demander à un éducateur d'intervenir.

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Vous nous avez éclairés sur les manquements des politiques publiques, et c'est précisément ce dont nous avons besoin. À travers vos propos, en mettant en lumière la situation sur le terrain, il est évident que tout ne va pas bien. En détaillant les manquements des politiques publiques, nous cherchons à identifier les dysfonctionnements, non pas pour désigner des responsables, mais pour comprendre comment améliorer la gouvernance à l'échelle des territoires et avec les acteurs concernés. Vous intervenez dans soixante départements, ce qui fait de vous un acteur majeur de la protection de l'enfance. Il est essentiel que vous nous indiquiez quelles sont les meilleures pratiques pour répondre à l'urgence, car il s'agit du développement et des besoins fondamentaux des enfants. Cette commission d'enquête doit prendre en compte tous ces éléments. Ma première question est la suivante : sur les soixante départements dans lesquels vous intervenez, proposez-vous une prise en charge uniforme à l'échelle de tous les territoires ? Nous cherchons à garantir une égalité de prise en charge. Je vous poserai une deuxième question par la suite. Je rappelle que nous sommes sous serment et que je compte sur la sincérité de vos réponses.

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Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation des Apprentis d'Auteuil

Les soixante départements mentionnés correspondent au nombre de départements suivis par le groupe des six associations évoquées précédemment. Les Apprentis d'Auteuil, en revanche, sont présents dans quarante-sept départements. Cela ne change pas la nature des choses, mais il est important d'être précis. Il n'existe pas d'égalité de prise en charge, car il n'y a pas d'égalité de diagnostic. Il est très complexe de déterminer ce qui pose problème une fois que l'information préoccupante est arrivée, que les services sociaux se sont mobilisés et que le juge a pu intervenir, bien que ce ne soit pas systématique, surtout dans le cas du placement, qui n'est pas notre seule activité. À la fondation des Apprentis d'Auteuil, nous accompagnons environ 11 000 mesures par an pour 7 000 places à un moment donné. Parmi ces 7 000 places, 5 000 sont dédiées à l'accueil. Nous proposons également un accompagnement pour les jeunes majeurs, avec des dispositifs spécifiques d'accueil comme la Touline. De plus, nous avons développé un grand nombre de places pour l'accompagnement en milieu ouvert ou en accueil de jour. Il n'existe pas de critères de mesure des risques et des dangers pour l'enfant partagés entre tous les acteurs, que ce soit au sein d'un seul département ou à l'échelle nationale. Contrairement au covid-19, où l'on peut mesurer le degré de contamination de manière uniforme sur tous les territoires, il est impossible de faire de même en matière de risques éducatifs. Cela répond en partie à la question posée : nous ne savons pas comparer et dire si les départements assurent ou non une même qualité de prise en charge.

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Ma deuxième question porte sur l'existence d'une charte de prise en charge au sein de votre réseau. Disposez-vous d'une telle charte dans les Mecs et les divers dispositifs que vous avez mentionnés ?

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Nous disposons d'un projet éducatif, de programmes de formation, de référentiels et de parcours personnalisés pour les jeunes. Nous disposons également de logiciels nationaux, tels que l'observatoire des incidents, accidents et infractions graves . Faire face aux dysfonctionnements de l'ASE implique avant tout de comprendre ce qui se passe dans nos établissements, afin de pouvoir analyser et corriger les problèmes. Cet observatoire est extrêmement utile pour obtenir une vision claire de la situation et pour garantir une réponse adéquate. En tant que directrice, lorsque je déclare un événement grave dans l'établissement, une chaîne d'informations se met en place, allant du niveau local au niveau national. Une cellule pluridisciplinaire, composée de juristes, de médecins et de spécialistes en communication, se réunit dans les vingt-quatre heures pour examiner la situation et rappeler le directeur de l'établissement afin de vérifier que les mesures appropriées ont été prises. Cette procédure vise à sécuriser la réponse apportée à l'enfant et à offrir un soutien adéquat.

Concernant votre question sur l'homogénéité des pratiques, il est important de noter que nous restons dépendants de certains facteurs. Le socle commun de la fondation des Apprentis d'Auteuil reste une base essentielle. Cependant, lors de nos réunions régulières entre directeurs, il arrive souvent que certains hésitent à s'exprimer librement sur leur département. Par exemple, nous évaluons actuellement la situation des jeunes à dix-huit ans. Jusqu'à récemment, avant les évolutions législatives, certains directeurs affirmaient : « À 18 ans, c'est joyeux anniversaire, tes affaires sont sur le trottoir. » Dans mon département, nous pouvions accompagner les jeunes jusqu'à 22 ans, leur offrir des bourses, etc. Il est surprenant de constater que parfois le département voisin adopte une approche totalement différente. Ces divergences soulèvent des questions importantes, notamment en matière de taux d'encadrement et de ressources allouées pour s'occuper des jeunes au quotidien. Les négociations sur les prix de journée, malgré le socle commun de la fondation des Apprentis d'Auteuil, créent des disparités significatives. Ces différences posent également des questions éthiques, influencées par les moyens et les politiques des départements. Que devons-nous faire ? Devons-nous accepter de fonctionner en mode dégradé ?

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Honnêtement, je ne saurais pas cibler un département en particulier. Je fais partie de ceux qui n'osent pas trop dire qu'ils sont chanceux…

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

La situation dépend grandement des départements, des budgets alloués, des choix politiques, mais aussi du bassin de recrutement. Les candidatures et le nombre d'éducateurs diplômés varient d'un département à l'autre. En fin de compte, la qualité de l'accompagnement des enfants en dépend. Actuellement, je me trouve dans un département où les difficultés de recrutement sont minimes. En revanche, j'entends certains collègues d'autres départements se plaindre de l'absence quasi totale d'éducateurs diplômés dans les maisons d'enfants.

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Depuis une quinzaine d'années, et plus particulièrement depuis une dizaine d'années en France, les neurosciences ont influencé de manière significative les travaux scientifiques. Nous disposons désormais des travaux de Boris Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours, ainsi que des contributions de nombreux acteurs éminents. Comment ces avancées se traduisent-elles dans les pratiques professionnelles ? Observez-vous des difficultés pour les professionnels, notamment en raison d'une formation initiale souvent généraliste et peu spécialisée ? Nous souhaitons concentrer nos efforts sur la protection de l'enfance et les besoins fondamentaux de l'enfant.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

La question de la prise en charge du traumatisme et de l'adaptation des pratiques professionnelles aux enfants traumatisés, voire multi-traumatisés, est absolument essentielle. Nous avons expérimenté des initiatives intéressantes, mais tout dépend des budgets de formation alloués. La formation initiale reçue en école d'éducateur est trop généraliste pour répondre à ces besoins spécifiques. Il est donc impératif de former les professionnels tout au long de leur carrière. Les Apprentis d'Auteuil ont développé des programmes de formation en collaboration avec des psycho-éducateurs canadiens. Cependant, ces développements ont été possibles grâce à des fonds privés et à la sollicitation de mécènes. Un partenariat a été établi avec le centre Eido, spécialisé dans la prise en charge des traumatismes et des violences. Nous envoyions les enfants se faire soigner là-bas, mais nous avons constaté qu'il était également crucial de travailler en complémentarité. Ainsi, un coaching régulier de nos équipes est nécessaire pour détecter les traumatismes complexes, y répondre et structurer nos lieux d'accueil de manière qu'ils soient les plus soignants possible. Certaines thérapies intéressantes, comme l'EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing) et l'intégration du cycle de vie, peuvent apporter des bénéfices significatifs. Toutefois, ces thérapies sont souvent coûteuses, ce qui soulève la question de leur prise en charge et de leur financement.

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Je vous remercie pour vos témoignages et vos informations. Il est vrai que l'on évoque souvent les manquements des politiques de protection de l'enfance, mais il est également important de mettre en lumière ce qui fonctionne. Lorsque l'on est précurseur ou que l'on prend des initiatives comportant de bonnes pratiques, il est naturel de vouloir les partager. En tant que membre du réseau des missions locales, je peux en témoigner.

J'ai deux questions. Premièrement, vous avez mentionné des problèmes liés à une pénurie de familles d'accueil. Est-ce uniquement dû aux départs à la retraite, ou existe-t-il d'autres raisons qui expliquent la difficulté à intégrer de nouvelles familles dans ce réseau ? Deuxièmement, concernant les jeunes majeurs, nous avons préconisé et inscrit dans la loi la proposition de contrats d'engagement jeune (CEJ) afin d'éviter les sorties sèches de l'ASE. Est-ce que cette pratique est mise en œuvre ? Dans certains départements, elle pose des difficultés, notamment en raison d'un manque de coordination entre les réseaux et d'un partage insuffisant des pratiques. Avez-vous observé des résultats positifs ou des bonnes pratiques spécifiques concernant l'accompagnement des jeunes vers d'autres réseaux pour éviter ces sorties sèches ?

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Sur les familles d'accueil, deux points méritent notre attention : les départs à la retraite et la crise des vocations. En effet, ce métier est souvent perçu comme une vocation. Bien que des progrès aient été réalisés, notamment en matière de rémunération, la situation reste préoccupante. J'ai eu l'occasion de travailler avec de nombreux jeunes, notamment des adolescents, qui avaient déjà été placés en familles d'accueil. Nous avons constaté des situations difficiles, alors que nous pensions que les cas les plus complexes se trouvaient en maison d'enfants. En décloisonnant les services et en créant une équipe mobile de soutien pour les familles d'accueil du département, nous avons compris qu'il était parfois nécessaire de s'entraider. Les familles d'accueil se retrouvent souvent seules face à des enfants présentant des situations très complexes. Par exemple, des assistantes familiales âgées de 60 à 65 ans se voient confier des enfants qui ne dorment pas la nuit et souffrent de terreurs nocturnes. Ces situations peuvent devenir extrêmement éprouvantes, au point de les faire craquer. Lorsqu'ils arrivent chez nous, nous avons parfois du mal à gérer ces cas, même avec six éducateurs, et devons les intégrer dans des dispositifs encore plus spécialisés. Il est donc essentiel d'améliorer l'accompagnement des familles d'accueil, souvent seules au quotidien avec les enfants. Ce travail, associé à une dynamique de soutien, peut faciliter le recrutement et la formation de nouvelles familles. Le problème ne se limite pas aux départs à la retraite. Dans certains bassins et départements plus ruraux, où les familles d'accueil sont plus nombreuses, la situation varie en fonction des territoires. Toutefois, il semble que ce phénomène soit national.

Sur le soutien aux jeunes majeurs, la fondation des Apprentis d'Auteuil a été précurseure sur le sujet dès le XIXe siècle. Nos statuts insistent sur la fidélité à vie aux anciens et les liens de confiance et d'amitié. Cependant, nous avons renforcé nos actions lorsque les statistiques ont révélé que de nombreux SDF avaient bénéficié de la protection de l'enfance. Nous avons alors professionnalisé nos services auprès des anciens, initialement axés sur le lien fraternel, en créant ce que le dispositif de la Touline, un service après-vente de l'ASE. Il ne suffit pas de signer des contrats jeunes majeurs pour continuer à aider jusqu'à 21 ans. Bien que les départements signent ces contrats et offrent un accompagnement, la rupture brutale à 21 ans pose problème. Un enfant qui quitte le domicile familial revient souvent pour des tâches comme laver son linge ou faire sa déclaration d'impôts. Le système de la Touline vise à offrir un soutien humain et à maintenir un lien affectif après 21 ans ou après la prise en charge en enfance. Ce dispositif aide également les jeunes à accéder à leurs droits en tissant des liens avec les missions locales. Il ne s'agit pas de se substituer à ces missions, mais de faciliter l'accès aux services qu'elles offrent.

Aujourd'hui, la Fondation en est à sa deuxième mesure d'impact social via le dispositif de la Touline. À l'origine, ces mesures ont été principalement financées par des fonds sociaux européens et par du mécénat. L'objectif était de démontrer leur efficacité afin de convaincre les pouvoirs publics de l'intérêt d'y investir. Nous avons réussi à montrer que chaque euro investi dans une Touline permettait d'économiser de l'argent public. Nous avons pour cela mené des études avant et après l'intervention du dispositif de la Touline, analysant les situations médicales, l'emploi, le logement, etc. Avec plus de dix ans de recul, nous savons désormais que ces dispositifs fonctionnent. J'ai la chance d'avoir une Touline dans mon périmètre d'action et je peux affirmer que je trouverais difficile d'exercer mes fonctions de directrice de la protection de l'enfance sans ce soutien. J'ai observé des parcours où la situation restait fragile à la fin, mais aussi des réussites éclatantes. L'absence de filet de sécurité familial rend les jeunes vulnérables, et certains seraient tombés sans l'intervention de ce dispositif.

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L'ASE constitue un véritable investissement. Chaque euro dépensé garantit un retour sur investissement à long terme. En effet, ces jeunes aspirent à s'insérer et à réussir leur vie. J'ai été sensible à votre observatoire des incidents, accidents et infractions graves : cette capacité à accompagner ces événements lorsqu'ils se produisent, en soutenant les professionnels, me semble essentielle. Ne pensez-vous pas qu'un tel dispositif devrait être déployé à l'échelle départementale ? Il s'agirait de veiller à ce que ce dispositif soit organisé de manière adéquate et appropriée, afin d'éviter une simple hotline avec des options automatisées. Il faudrait une personne physique, compétente et expérimentée, capable d'apprécier chaque situation et de fournir des réponses adaptées. Ce soutien psychologique de première ligne, en lien avec l'éducateur confronté à la difficulté, a déjà montré son efficacité dans le domaine du handicap. Je pense notamment aux communautés 360, développées département par département pendant la période du covid-19. Ne serait-ce pas une évolution à envisager, à la lumière de nos travaux, afin de garantir une réponse appropriée lorsque ces incidents indésirables surviennent ?

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

Dans certains départements, des cellules de gestion des événements indésirables graves sont déjà mises en place. C'est le cas du département où je travaille. Parallèlement à la saisie des observatoires internes à la fondation des Apprentis d'Auteuil, où nous déclarons les incidents avec l'appui d'une équipe de ressources, nous déclarons également les incidents auprès du département. Il existe des formulaires à remplir, comprenant plusieurs parties : Les parents ont-ils été informés ? Le jeune a-t-il consulté un psychologue ? Une trame précise doit être respectée, avec plusieurs incidents à signaler, incluant les incidents indésirables (EI) et les incidents indésirables graves (EIG). Ce dispositif fonctionne déjà et s'avère efficace, du moins dans le département où je travaille. Il apporte un soutien significatif aux établissements.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Pour compléter ce que dit Thomas Brichard, il est pertinent d'exploiter les remontées statistiques sur la nature des incidents. Cela permettrait d'organiser des temps de relecture communs, notamment lors des réunions de l'observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) ou d'autres instances similaires. Ces dynamiques sont déjà en place. En outre, ces remontées permettent de réagir rapidement face à des événements ayant des impacts financiers. Informer le département des conséquences financières d'une situation permet parfois de déclencher des soutiens et d'éviter d'aggraver la situation. Cela contribue également à ne pas décourager les professionnels engagés, qui pourraient vivre des situations très difficiles.

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

Au sein des départements, nous disposons de différents outils. À la fondation, nous utilisons un logiciel bien conçu et simple à compléter. Cependant, dans le département, nous utilisons une fiche que nous complétons, que nous convertissons en PDF, que nous renvoyons, que nous recevons en retour sous format Word, que nous devons à nouveau convertir en PDF, puis compléter à nouveau. Ce processus entraîne une perte d'information et manque d'efficacité.

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Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation des Apprentis d'Auteuil

Votre question illustre bien les engagements que nous prenons au sein de notre organisation. Cependant, il est important de préciser que nous ne cherchons pas à donner des leçons en tant qu'institution. Nous ne nous engageons pas sur tous les sujets, même si notre fonctionnement est efficace. Cela serait inconvenant et irrespectueux du travail de chacun. Toutefois, votre question soulève des points intéressants. Nous sommes capables de rendre compte de nos actions grâce à notre observatoire. Cet outil est un instrument de travail, mais il repose sur une condition essentielle : la confiance entre les interlocuteurs. Cette confiance est un préalable indispensable, que nous rappelons lors de chaque formation. À travers cela, on peut établir un lien avec notre projet éducatif. Lorsque nous parlons de projet éducatif commun, l'un des éléments fondamentaux est la notion de communauté éducative. Ce terme, dans le domaine de l'éducation, signifie que nous sommes responsables non seulement des jeunes que nous accompagnons, mais aussi de nos collègues. Cette responsabilité, ce savoir-faire, ces échanges de pratiques sont absolument essentiels. Nous ne savons pas fonctionner autrement. Nous avons la chance d'avoir développé une communauté forte, avec un sentiment d'appartenance prononcé au sein des Apprentis d'Auteuil. Cette appartenance à institution solide et engagée est une réponse aux besoins des professionnels et, à travers eux, aux besoins des jeunes et des familles.

L'éducation est une institution, tout comme la famille. La famille, pour surmonter les difficultés, a besoin de la confiance des autres, et ces réseaux de confiance passent par des services spécialisés comme les nôtres, par le travail des équipes, mais aussi par la société. J'ai évoqué la pauvreté ; il est terrible de constater à quel point notre société méprise les personnes simplement parce qu'elles sont pauvres. C'est incroyable. Notre travail sur l'accompagnement et l'observatoire ne se réduit pas à une simple mécanique ou à un logiciel. Nous ne cherchons pas à attribuer des bons ou des mauvais points aux départements. De même que le rôle d'un enseignant n'est pas de juger le travail du rectorat, de l'éducation nationale ou du ministre, mais de s'occuper de l'enfant. C'est pareil pour nos équipes et nos activités.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

En tant que directrice, je suis très satisfaite de disposer de cette cellule. Toutefois, si nous envisageons de la déployer ailleurs, il est essentiel de revenir sur la notion de confiance et de lien entre les acteurs. Si je déclare de nombreux événements, vais-je être perçue comme une mauvaise directrice en interne ? Si je remonte beaucoup d'incidents au département, cela déclenchera-t-il une inspection ? D'où l'importance de la confiance. Pour aborder les dysfonctionnements de l'ASE en France, il est primordial qu'un éducateur sur le terrain, un chef de service ou un directeur ose signaler les problèmes. La manière dont ces dysfonctionnements sont accueillis doit être constructive. Au-delà de la remontée d'informations, il faut se demander qui va traiter ces données et qu'elles seront les suites. Nous avons eu des échanges à ce sujet, car tous les départements sont en train de mettre en place des cellules d'audit et d'inspection. Plusieurs types d'inspections sont possibles, certaines sont prévues à l'avance, d'autres peuvent survenir à l'improviste, parfois tôt le matin. Je suis favorable à cette méthode de travail. J'apprécie la possibilité d'une inspection à tout moment, car elle me soutient en tant que manager. J'ai confiance dans le processus qui ne se traduira pas par des reproches de mauvaise gestion. Au contraire, cela permettra un dialogue constructif et, parfois, l'inspection offre des moyens nouveaux. L'outil est important, mais ce qui compte vraiment, c'est la manière dont nous l'utilisons, comment nous traitons les informations et comment nous permettons aux acteurs de s'exprimer librement. C'est ainsi que nous pourrons identifier les dysfonctionnements. Sinon, tout sera dissimulé et les problèmes finiront par nous exploser au visage.

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Dans ma philosophie, il s'agit bien d'un outil d'accompagnement et non de sanction. Lorsque l'on est en première ligne face à un incident préoccupant, on peut se sentir désemparé et avoir besoin de soutien pour à la fois résoudre cet incident et s'en remettre.

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Je souhaite aborder trois points principaux avec vous. Concernant tout d'abord votre travail prospectif et la question de l'accompagnement des familles et des parents, il m'a semblé – peut-être à tort – que vous mettiez sur un pied d'égalité l'intérêt des familles, des parents et des enfants. Pourriez-vous préciser où vous placez le curseur entre l'intérêt supérieur de l'enfant et le maintien des liens familiaux ? À quel prix ces liens sont-ils maintenus ? Ce point me paraît essentiel.

Deuxièmement, comme tous les lieux accueillant des enfants placés, la fondation des Apprentis d'Auteuil n'a pas échappé à certaines situations dramatiques, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles, les agressions sexuelles et les violences éducatives. Au-delà de l'observatoire dont vous parliez, j'aimerais savoir quelles mesures vous avez mises en place pour répondre à ces situations et pour éviter qu'elles se reproduisent. Êtes-vous encore confrontés à ces difficultés aujourd'hui ? Peut-être pourriez-vous lier cela à ce que vous décriviez tout à l'heure concernant la qualification des éducateurs et la qualité des équipes d'encadrement.

Enfin, un troisième point auquel je tiens particulièrement dans le cadre de cette commission d'enquête concerne le parcours scolaire des enfants placés. 13 % d'entre eux obtiennent le brevet, contre 80 % dans la population générale ; ils sont 13 % à préparer un bac général, contre quatre fois plus dans la population générale ; seulement 4 % de ces jeunes poursuivent des études supérieures. Tous les anciens enfants placés que nous avons auditionnés ont évoqué cette difficulté supplémentaire. J'aimerais savoir quels sont vos liens avec l'éducation nationale et comment vous accompagnez les parcours scolaires des enfants que vous accueillez.

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

Concernant la place des parents, je tiens à préciser que l'intérêt supérieur de l'enfant prime toujours. Nous ne maintiendrons jamais un lien toxique entre un parent et un enfant, lorsque l'enfant ne le souhaite pas ou si des violences majeures ont été commises à son encontre. Mon discours visait à rappeler que de nombreux parents ne savent tout simplement pas comment agir et qu'il est nécessaire de les accompagner. Cependant, il existe également des parents véritablement malveillants et, dans ces cas-là, nous ne maintiendrons jamais un lien à tout prix. Nous chercherons à trouver une place aux parents en fonction des droits ordonnés par le magistrat. Notre priorité est toujours le bien-être des enfants.

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Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l'enfance » de la fondation des Apprentis d'Auteuil

Ces questions sont essentielles. Pour l'anecdote, nous avons passé toute la matinée avec l'un des groupes de travail que nous co-animons avec l'association ATD-Quart Monde, portant sur la place des parents en protection de l'enfance. Il nous a fallu deux ans et demi pour créer ce groupe de travail. La question de la place des parents en protection de l'enfance est d'une importance capitale. Premièrement, il est nécessaire de compter. Comme vous l'avez constaté, nous ne savons pas combien de parents sont concernés. Sans cette donnée, il est impossible de mettre en place une politique publique efficace. C'est un véritable problème d'ordre public. Deuxièmement, il faut distinguer. La question que vous posez est légitime. Rien ne nous autorise à privilégier un aspect au détriment d'un autre. La loi et la convention internationale des droits de l'enfant prévoient que l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer. Cependant, cette même convention précise que cet intérêt inclut le maintien de l'enfant auprès de ses parents, sauf lorsque ces derniers sont nocifs. Toute la difficulté réside dans cette nuance. Nous ne sommes pas les seuls à le constater. Nous suivons de près les recherches sur ce sujet dans le cadre de nos travaux menés avec l'ONPE. Le problème est immense. Il se double d'un manque de connaissance entraînant des débats aux allures parfois idéologiques. Comme nous l'avons vu lors des débats législatifs des années passées, les références au familialisme, les positions pour ou contre, etc., n'ont pas lieu d'être. Il existe des éléments de droit importants. Nous vivons dans un État de droit qui précise les droits des parents en tant qu'éducateurs et protecteurs, mais également le droit de la société à protéger les enfants lorsque les parents ne remplissent plus leur rôle.

Nous savons tous, et cela est régulièrement affirmé dans les congrès consacrés à la protection de l'enfance, que l'identification et la clarification des situations posent de grandes difficultés. Les enjeux ne sont pas seulement réglementaires, mais sociaux et éducatifs. En examinant de plus près la situation des parents, notamment en ce qui concerne la pauvreté, il apparaît que cette question est d'une importance capitale. Ce matin encore, au conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), il a été unanimement reconnu que huit parents sur dix sont touchés par la pauvreté et la précarité. Or, la littérature, tant nationale qu'internationale, est très claire sur ce point : la pauvreté et la précarité compliquent considérablement la capacité à réagir adéquatement face à des situations éducatives difficiles. En tissant les liens entre ces différents éléments, il devient évident qu'il est nécessaire d'agir davantage en amont. Contrairement à certaines affirmations, il existe bien une politique de prévention en matière de protection de l'enfance. Ce n'est pas nous qui le disons, mais l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Inspection générale de l'éducation nationale (Igen) et l'Inspection générale de l'administration, de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Leur rapport de 2019 est très explicite à ce sujet. Nous ne nous concentrons pas suffisamment sur les actions en amont, préférant intervenir en aval, une fois que l'enfant fait l'objet d'une mesure de placement. Il s'agit de comprendre comment nous pouvons anticiper et examiner ensemble les situations, en tenant compte des travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) qui mettent en lumière la gravité des agressions sexuelles intrafamiliales, souvent non détectées, non prises en compte et non prévenues. Il est impératif de porter notre attention sur l'amont. Cela ne signifie pas que nous devons prendre parti, mais qu'il est nécessaire de prendre le temps d'analyser ces situations.

Ce matin, lors de notre discussion avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), nous avons abordé la mise à jour du guide concernant les actes usuels et non-usuels, c'est-à-dire les décisions courantes que les éducateurs, les équipes, les services sociaux et les départements peuvent prendre, ainsi que celles relevant de l'autorité parentale. La loi est très claire à ce sujet, même si la pratique l'est beaucoup moins. Il a été clairement établi que ce guide, qui sera mis à jour en 2024 et qui traite de la répartition des actes relevant de l'autorité parentale ou de l'autorité éducative déléguée, n'aurait pas besoin d'être relu par des parents. Il n'est plus possible de travailler sans intégrer les usagers. Pour repérer les situations dramatiques, il est indispensable d'accepter de dialoguer avec ceux qui ont vécu ces situations ou qui en ont été responsables. Nous devons comprendre ces expériences pour ne pas continuer à ignorer la réalité vécue par les parents. Cela ne signifie pas que nous cherchons à les dédouaner de leurs responsabilités.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Ces dernières années, de nombreux départements ont développé des alternatives aux placements, comme les placements à domicile ou les services d'accueil modulables. Il est important de souligner que cela constitue une avancée significative dans la gestion des problématiques familiales. Lorsque je suis arrivée dans le secteur de la protection de l'enfance il y a quatorze ans, les options étaient limitées entre, d'une part, une mesure d'aide éducative à domicile, souvent peu intensive, et d'autre part un placement de l'enfant. En tant que directrice, j'ai souvent été confrontée à des familles dont les situations avaient évolué, où les éléments de danger avaient été levés, mais où les placements persistaient, avec la crainte de remettre les enfants avec leurs parents après plusieurs années de séparation. Les effets collatéraux des placements étaient souvent délétères pour l'enfant, même lorsque la situation de danger initiale était résolue. Pour répondre à ces défis, nous avons mis en place des systèmes permettant de maintenir l'enfant dans son milieu naturel, avec des interventions fréquentes, parfois quotidiennes, en connexion étroite avec la maison d'enfants en cas de crise. Cette approche exige une grande réactivité et une coordination étroite entre les équipes de protection de l'enfance, avec des astreintes 24 heures sur 24. Ces dispositifs ont enrichi notre capacité d'accompagnement et amélioré notre intervention dans des situations où le danger pour l'enfant était présent, mais sans malveillance parentale. Souvent, il s'agissait plutôt d'un besoin de guidance parentale intensive, en raison de différences culturelles ou de maladies mentales enracinées chez les parents. Lorsque des ressources et des éléments positifs sont identifiés, nous pouvons éviter la séparation.

Nous sommes confrontés aux événements indésirables. La manière dont nous abordons ces situations est essentielle. Nos documents de référence, notamment la charte du management, jouent un rôle crucial pour déterminer comment la parole d'un éducateur sera reçue. Sera-t-il réprimandé ou écouté ? Il est également important de rappeler à chacun ses obligations lorsqu'il est témoin de certains faits. Tous les établissements doivent élaborer des plans de prévention de la maltraitance. Il est donc impératif de vérifier, notamment à travers les programmes d'évaluation externes et les référentiels de la Haute Autorité de santé (HAS), si l'établissement a bien pris en compte cette exigence. Parfois, nous doublons ces vérifications par des audits internes, où nous interrogeons directement les enfants pour savoir s'ils connaissent les procédures à suivre en cas de problème. Je suis convaincue que la manière d'incarner le métier de directeur est primordiale. On peut disposer de tous les logiciels et outils possibles, il est indispensable que les responsables d'établissements, les responsables de l'ASE en France et les magistrats se rendent dans les établissements et rencontrent les jeunes sur le terrain. Cette présence permet de constater de nombreuses choses. Une culture de la transparence s'est développée. Le fait que les paroles soient écoutées encourage la libération de la parole et permet de mieux appréhender les situations. Un autre aspect important est le pilotage par le directeur, en lien avec les services de l'ASE, des profils des enfants accueillis. Parfois, lorsque les places sont limitées, le département peut imposer l'accueil d'un enfant en disant : « Vous avez une place de libre, vous le prenez. »

La question du pilotage est essentielle. Il ne s'agit pas de placer l'enfant abuseur à côté de l'enfant abusé. Le directeur doit pouvoir dire : « Non, ce n'est pas pertinent, ce n'est pas possible. » Il est crucial de préserver cette capacité de décision, sinon, on pourra toujours se lamenter. Parfois, c'est la chronique d'un drame annoncé. Il faut assumer qu'une place reste vacante si nécessaire, pour le bien du groupe. Il est impératif d'établir un lien de confiance entre les acteurs qui doivent pouvoir communiquer et savoir que, lorsque les moyens d'aider existent, ils sont utilisés. Cela soulève la question des marges de manœuvre, du nombre de places disponibles et de la pression exercée, qui peut parfois entraîner des dysfonctionnements potentiels. Il est crucial que les responsables des admissions puissent gérer cette situation. La question des lieux de répit en bout de chaîne est également posée. Lorsqu'il y a des événements ou des signes avant-coureurs, comment les prévenir ? Entre collègues, il est essentiel de se concerter, parfois de mettre fin à des prises en charge, et de travailler sur des orientations rapides pour éviter des drames.

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Thomas Brichard, directeur de la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen

Il devient de plus en plus difficile pour nous, directeurs d'établissement, de refuser l'accueil d'enfants. Or cet accueil pourrait devenir explosif face à des jeunes dont l'accompagnement est de plus en plus complexe. Dans la Mecs que je dirige et qui accueille cinquante enfants sur site, seulement deux jeunes avaient une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) il y a dix ans. Aujourd'hui, ce nombre est passé à vingt-huit. Il y a dix ans, trois jeunes étaient suivis en centre médico-psychologique (CMP) et en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). Aujourd'hui, ils sont quarante-cinq. Il y a dix ans, aucun jeune n'était en scolarité adaptée ; aujourd'hui, vingt-cinq jeunes suivent une scolarité adaptée à temps partiel. Pour piloter les établissements et gérer les incidents, nous avons besoin d'anticiper les problèmes. Nous avons une connaissance assez fine des dynamiques de groupe et des jeunes, ainsi que des dynamiques d'équipe, qui connaissent des hauts et des bas. Il est impératif de garder la maîtrise de notre activité, or nous sommes toujours en suractivité et en sureffectif.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Concernant la scolarité, les fondateurs des Apprentis d'Auteuil avaient pour ambition de permettre aux enfants de trouver sur place tout ce dont ils avaient besoin, y compris en matière d'éducation et de formation. Aujourd'hui, le sur-mesure permet à chaque enfant de construire un parcours personnalisé, que ce soit sur les sites historiques ou ailleurs. Le maintien du lieu de scolarité lorsque le placement survient en cours d'année représente un véritable enjeu. Prenons l'exemple du département du Val-d'Oise : bien que j'accueille principalement des valdoisiens, j'ai récemment accueilli trois sœurs scolarisées à l'autre bout du département. Cela peut sembler anodin, mais si le département ne me fournit pas de ressources supplémentaires pour les accompagnements, je ne peux pas détacher un éducateur pour les accompagner à l'école chaque matin, à deux heures de trajet. Il est donc impératif de prévoir, dans le coût journalier, la possibilité de mettre en place un accompagnement jusqu'à la fin de l'année scolaire. Le droit de maintenir une scolarité dans un environnement où l'enfant se sent bien, où il a confiance en l'assistante sociale, est fondamental. Bien sûr, dans certains cas, il est nécessaire de changer d'établissement, notamment lorsque le problème y est enraciné. Nous menons actuellement une expérimentation intéressante, bien que cela puisse sembler désuet. Face à l'impossibilité pour les éducateurs de se démultiplier, nous testons la réintroduction de chauffeurs accompagnateurs. Ces derniers, qui connaissent les enfants et ne sont pas des taxis onéreux, font partie intégrante de l'équipe éducative et facilitent les divers déplacements. Comme l'a mentionné mon collègue, au-delà de l'école, les besoins accrus de soins impliquent d'effectuer tous les accompagnements quotidiens nécessaires pour les enfants.

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Je souhaite aborder la question des placements éducatifs à domicile (PEAD), qui ont suscité de nombreux débats. Sur le fond, le terme placement à domicile a été remis en question, y compris par le CNPE. Par ailleurs, le but de ce dispositif a également été discuté, car beaucoup y voient une réponse à une situation de sureffectif et de difficulté à trouver des places dans certains départements. Vous avez mentionné que le PEAD semble être une action éducative en milieu ouvert (AEMO) renforcée. Quelles différences faites-vous entre ces deux dispositifs ? Quels sont les coûts journaliers associés à chacun ? Il a été dit que les départements optaient pour le PEAD car, en fin de compte, cela coûtait un peu moins cher pour la collectivité en matière de prix de journée. Pouvez-vous préciser la différence entre le coût journalier du PEAD et celui de l'AEMO renforcée ? L'AEMO classique implique une intervention une fois par mois, ce qui ne correspond pas à ce que vous avez décrit concernant le PEAD.

Par ailleurs, vous gérez plusieurs Mecs intégrées dans des dispositifs scolaires. J'ai toujours trouvé que la protection de l'enfance est trop refermée sur elle-même. Pouvez-vous nous fournir des exemples de bonnes pratiques, marquées par l'ouverture sur le territoire, y compris dans le cadre de la formation professionnelle ? Certains collèges se montrent particulièrement innovants, en proposant des pratiques très spécifiques aux problématiques des enfants, notamment en classe réduite. Pourriez-vous nous éclairer sur ces questions ?

De plus, nous recevons actuellement de nombreuses remontées concernant des problèmes de permis de construire. Ces difficultés sont souvent liées aux normes, mais pas uniquement. Certaines municipalités peuvent parfois résister à l'octroi de permis de construire, notamment pour des structures de protection de l'enfance comme les Mecs. Je souhaiterais savoir si, dans vos structures et dans les projets que vous portez, vous avez rencontré ce type d'obstacles liés à des problématiques administratives.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois

Concernant les permis de construire, j'ai obtenu rapidement l'autorisation pour construire et ouvrir une maison destinée à quatre jeunes en difficultés multiples, sans rencontrer de problèmes. Cependant, il faut expliquer le projet au voisinage. À mon niveau, je n'avais donc pas connaissance de cette difficulté. Il est souvent plus compliqué de trouver des bâtiments adaptés pour ouvrir de nouveaux dispositifs, notamment parce que, au-delà d'un certain nombre d'enfants, il faut respecter les normes d'accessibilité. Les délais et les coûts des travaux d'accessibilité peuvent être importants, car les bâtiments disponibles ne sont pas toujours conformes.

Concernant l'éducation et la formation au sein de nos structures, lorsque je suis arrivée, environ 50 % des jeunes étaient scolarisés en interne. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 30 %. Pourtant, les internats jouent un rôle important en matière de prévention ; ils accueillent les parents et permettent aux enfants de bénéficier d'une scolarité adaptée. Les internats de prévention, dont les parents payent en fonction de leurs moyens, offrent des classes réduites et un encadrement éducatif renforcé, grâce aux dons dont bénéficient les Apprentis d'Auteuil. Ils proposent également des projets de raccrochage scolaire. Par exemple, le collège avec lequel je partage le site utilise le sport pour favoriser le raccrochage scolaire. Les lycées professionnels internes offrent des formations avec des métiers à vocation, permettant aux enfants de poursuivre leurs études jusqu'au niveau du CAP et au-delà. Nous proposons aujourd'hui des solutions sur mesure. Je peux me permettre de dire, comme une grande chaîne de restauration rapide : « venez comme vous êtes ». Certains jeunes prennent le menu complet, d'autres choisissent des options spécifiques. Nous avons permis aux jeunes de l'ASE d'être scolarisés à l'extérieur, ce qui a nécessité des moyens d'accompagnement. De même, les élèves externes bénéficient du savoir-faire des Apprentis d'Auteuil à travers des dispositifs spécifiques.

La mixité des publics est essentielle. Ce que vous mentionnez concernant les manquements dans la protection des enfants est de moins en moins vrai, même s'il subsiste cette idée qu'un enfant doit être protégé en étant coupé de tout. Dans les projets d'établissement, chaque enfant doit avoir le droit à une activité extérieure et être intégré dans la vie locale. Les inscriptions pendant les vacances dans des organismes de vacances sont favorisées. C'est primordial. Les institutions, parfois perçues comme fermées, doivent se rapprocher des acteurs locaux pour se faire connaître et affirmer que nos enfants sont avant tout des enfants comme les autres.

Pour répondre à la question sur la réussite scolaire, qui fait partie de l'ADN des Apprentis d'Auteuil, la place des bénévoles dans la protection de l'enfance est fondamentale. Les lois ont évolué concernant le parrainage et le mentorat est aujourd'hui une réalité. Il m'est impossible d'assurer une qualité d'accompagnement scolaire optimale, même avec trois ou quatre éducateurs pour un groupe de dix enfants. Les devoirs, c'est une responsabilité partagée entre l'enfant et l'adulte. Il est essentiel de bénéficier de regards extérieurs, notamment par le biais du bénévolat. Mon projet, en particulier pour les plus jeunes, repose sur l'idée d'un enfant accompagné par un bénévole pour les devoirs. Il est fondamental d'apprendre à faire cohabiter bénévoles et professionnels de manière complémentaire. Pour les plus grands, le mentorat joue un rôle central. Il est primordial que ces enfants soient perçus comme les enfants de la Nation et que chacun, dans la mesure de ses capacités, puisse apporter son aide.

En ce qui concerne le PEAD, je ne le conçois pas de la même manière. Nous l'avons développé dans le département, où il y avait très peu d'AEMO renforcées. La formule actuelle, décidée par le magistrat, peut à tout moment basculer vers un placement classique. Elle n'a jamais été perçue chez nous comme une alternative moins coûteuse au placement, et les magistrats restent vigilants. Notre prix de journée a été récemment fixé à environ 90 euros. Cela nous permet d'anticiper des temps de repli en situation de crise, mais aussi des besoins de respiration pour l'enfant, comme l'envoi en colonie ou d'autres activités. Nous prévoyons également des enveloppes sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques de l'enfant. Nous devons rester vigilants face à un glissement. Nous devons être attentifs aux situations renvoyées en PEAD, car elles sont parfois impossibles à gérer. Bien que le maintien à domicile puisse être pertinent pour l'enfant, des effets collatéraux sur les frères et sœurs peuvent exister. Nous avons alerté sur ce point, soulignant l'importance du dialogue avec les magistrats. Pour l'enfant, le PEAD peut être crucial, mais pour le petit frère ou la petite sœur de trois ans, exposés aux crises, scarifications, prostitution, et autres comportements perturbateurs, le développement du langage peut être compromis. Il est donc impératif de faire preuve de la plus grande vigilance.

La question de la régularité de nos rencontres avec les magistrats sur ces mesures un peu cousues de fil blanc est intéressante. En bonne pratique, ces réunions regroupant magistrats, services de l'ASE et acteurs du PEAD, sont essentielles pour s'ajuster et se comprendre mutuellement, afin d'éviter toute idée erronée de part et d'autre. Par exemple, il est parfois souhaitable de ne pas séparer les très jeunes enfants de leur mère. Cependant, il a été nécessaire d'expliquer nos interventions en précisant : « Attention, mesdames et messieurs les magistrats, soyez conscients qu'à un moment donné, nous fermons la porte du domicile et n'assurons pas une présence continue au domicile ». Il faut tenir compte de l'évaluation des risques et de la prise de décision appropriée au bon moment.

Je ne réponds pas de manière exhaustive sur l'AEMO renforcée, car elle varie autant que le nombre de départements existants. Certains PEAD peuvent ressembler à des AEMO renforcés, comme l'a d'ailleurs précisé la Cour de cassation.

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Il nous reste à vous remercier très vivement pour vos interventions et pour les réponses à nos questions.

La séance s'achève à seize heures vingt-cinq

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Paul Christophe, M. David Guiraud, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago, M. Léo Walter

Excusées. – Mme Béatrice Descamps, Mme Astrid Panosyan-Bouvet