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Intervention de Pauline Spinas-Beydon

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Mecs Saint-Jean à Sannois :

Je suis directrice depuis quatorze ans d'une Mecs initialement réservée aux garçons, qui accueille désormais également des jeunes filles. Depuis la rentrée, nous prenons en charge des enfants dès l'âge de cinq ans, afin de réunir les fratries et de pallier la pénurie, particulièrement marquée dans notre département, de familles d'accueil qui partent à la retraite sans être remplacées. Contrairement à mes collègues, j'ai choisi de me concentrer sur les préoccupations de terrain et du quotidien. Il m'est difficile de parler des manquements de la politique de protection de l'enfance de manière globale car, au quotidien, je suis fière de ce que nous accomplissons. Environ 80 % de mes pensées sont tournées vers les beaux parcours et les réussites, et je suis fière de vivre dans un pays qui se soucie de ses enfants. Lors de la préparation de cette audition, nous avons discuté avec mon collègue de l'importance de se pencher sur ce qui fonctionne bien pour résoudre les problèmes. J'ai le sentiment que notre département fait de son mieux, et il est essentiel d'identifier les facteurs qui contribuent à ce succès. Depuis que je suis directrice, j'ai constaté un soutien politique et administratif constant en faveur de la protection de l'enfance. Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE), comme celui du Val-d'Oise, rassemblent environ cinquante acteurs autour de la table, incluant la police, la justice, l'école et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Dans le réseau d'acteurs, tout le monde se parle et se connaît, ce qui permet de partager et de s'unir face aux nouvelles problématiques. La stabilité est essentielle : dans les départements, de l'éducateur proche du terrain jusqu'aux grands décideurs, plus il y a de mouvements, plus on risque de perdre le fil. Maintenir la stabilité, que ce soit au niveau des juges des enfants, des médecins ou des éducateurs sur le terrain, permet aux acteurs de mieux se connaître et d'établir des liens de confiance. La facilité d'accès et de prise de contact entre les acteurs est primordiale pour répondre à l'enjeu de décloisonnement. Je résume souvent mes préoccupations en disant que les enfants de la protection de l'enfance reflètent les maux de notre société. Gérer la vie d'un enfant revient à faire face à tous les dysfonctionnements des politiques publiques.

Parmi mes inquiétudes, je constate que les enfants sont surexposés à plusieurs grands sujets. Par exemple, la question des écrans et du risque numérique est préoccupante. Dans le département du Val-d'Oise, les jeunes filles ont rattrapé, voire doublé les garçons à l'adolescence en matière de mesures de placement. Nous nous interrogeons sur les raisons de cette situation, mais des indices indiquent qu'elles sont des victimes majeures de mises en danger à travers les écrans. C'est ce que je constate de manière très empirique lorsque je reçois aujourd'hui des demandes de placement pour des jeunes filles adolescentes. Cela peut-être parce qu'elles ont posté des photos intimes qui ont circulé, les empêchant de retourner à l'école, ou parce qu'elles recherchent de l'affection et tombent amoureuses de quelqu'un à l'autre bout de la France, se laissant piéger par les réseaux sociaux. Ces problématiques touchent tous les enfants de France, mais nos jeunes filles, dépourvues de protections affectives familiales et souvent exposées à un premier traumatisme sexuel, sont particulièrement vulnérables. Actuellement, elles représentent 40 % des effectifs. Cette vulnérabilité les expose également à des phénomènes de prostitution, rendant parfois très complexe leur maintien dans des structures collectives en raison de phénomènes de contagion. Aujourd'hui, avec le placement à domicile et les alternatives au placement, nous avons tendance à les laisser dans leurs familles, ce qui engendre des souffrances collatérales pour ces familles. De nombreuses initiatives, notamment dans le Val-d'Oise, visent à s'attaquer à cette problématique. Cependant, il existe peu de lieux pour des mises en sécurité immédiates. Mes équipes éducatives doivent souvent intervenir en urgence à la sortie de l'école pour protéger ces jeunes filles, mais ces solutions sont temporaires. Trouver des lieux pour les mettre à l'abri s'avère à la fois compliqué et urgent. Des drames peuvent survenir en vingt-quatre heures.

Un autre phénomène préoccupant est la dégradation psychique et psychiatrique des enfants que nous accueillons, et ce, de plus en plus tôt. Il est indéniable que des prises en charge adaptées sont nécessaires. J'observe plusieurs aspects préoccupants. De plus en plus d'enfants rencontrent des difficultés dans la vie collective, soit parce qu'ils nuisent aux autres, soit parce qu'ils se font du mal à eux-mêmes. Ces enfants requièrent une réactivité et des dispositifs adaptés, parfois coûteux. Le sur-mesure est indispensable, surtout avec la difficulté d'accès aux soins en pédopsychiatrie ou autres spécialités. Pour faire le lien avec les propos de la professeure Céline Gréco, il en va de même pour les soins paramédicaux. J'ai entendu parler de son forfait soins. En pratique, lorsque nous avons une demande de soins paramédicaux, nous devons solliciter des financements ad hoc auprès du département. Ces financements sont souvent accordés, mais cela prend du temps. Ensuite, il faut trouver les professionnels, ce qui constitue un défi, surtout en matière d'orthophonie. Les familles lambda rencontrent déjà des difficultés pour trouver des orthophonistes, avec des délais d'attente pouvant aller jusqu'à deux ans. Nos enfants, qui ont encore plus besoin de ces soins, sont particulièrement affectés. J'avais réalisé une petite statistique parmi les premiers enfants accueillis. Je comptais deux enfants avec des notifications pour un institut médico-éducatif (IME) ou un institut médico-professionnel (Impro) sans place disponible, trois notifications pour des unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), un pour un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), trois pour des établissements régionaux d'enseignement adapté (Erea), deux nécessitant des ateliers en établissement ou service d'aide par le travail (Esat), un pour un institut d'éducation motrice (IEM). Pour très peu d'entre eux, j'ai pu mettre en œuvre ce à quoi ils avaient droit, selon la notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il faut également mentionner la pénurie d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Finalement, nous nous retrouvons dans les établissements à essayer de pallier ces manques, mais il y a des domaines, notamment les soins psychiatriques, pour lesquels je ne peux pas demander à un éducateur d'intervenir.

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