La séance est ouverte à seize heures quarante.
Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de membres du collectif « Cause Majeur ! » : Mme Sophie Diehl, responsable du pôle « Justice des enfants et des adolescents » de l'association Citoyens et Justice, M. Thomas Larrieu, chargé du plaidoyer et de l'animation du réseau du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso), Mme Lise-Marie Schaffhauser, animatrice du pôle « Innovation, recherche et valorisation » de l'Union nationale des acteurs de parrainage de proximité (Unapp), et Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants
Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition du collectif « Cause Majeur ! », représenté par Mme Sophie Diehl, responsable du pôle « Justice des enfants et des adolescents » de l'association Citoyens et Justice, M. Thomas Larrieu, chargé du plaidoyer et de l'animation du réseau du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso), Mme Lise-Marie Schaffhauser, animatrice du pôle « Innovation, recherche et valorisation » de l'Union nationale des acteurs de parrainage de proximité (Unapp), et Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants. Merci à chacun d'entre vous d'avoir répondu favorablement à notre invitation.
L'âge d'accès à l'autonomie des jeunes recule en France, avec un départ du foyer familial autour de 24 ans. Cependant, les jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) doivent, pour la plupart, devenir autonomes dès l'âge de 18 ans. Autrement dit, il est demandé aux jeunes les plus en difficulté, à ceux qui disposent d'un niveau de ressources moindre, de vivre seuls et d'être autonomes plus tôt que les autres. Face à cette situation paradoxale, votre collectif soutient la cause des jeunes majeurs sortant de l'ASE afin de leur permettre de bénéficier des dispositifs d'accompagnement nécessaires à leur insertion dans la société. Vous précisez dans vos récentes prises de position, notamment en février dernier, que la loi Taquet du 7 février 2022 avait permis certaines améliorations. En effet, les jeunes bénéficiant d'un contrat jeune majeur sont majoritairement accompagnés par un éducateur référent, dans le cadre d'un soutien pluriel. Toutefois, vous estimez que cette loi n'est pas totalement appliquée, en vous appuyant notamment sur l'augmentation du nombre de contrats jeune majeur délivrés et sur le fait que ces contrats ne s'étendent pas jusqu'à l'âge de 18 ans, comme la loi le prévoit. Vous serez donc invités à nous exposer comment votre enquête sur ce sujet a été élaborée et quels enseignements vous en tirez. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'environ quinze minutes. Nous poursuivrons ensuite nos échanges sous la forme de questions-réponses.
Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et que l'enregistrement vidéo sera disponible à la demande.
Conformément à l'article 6 de l'ordonnance numéro 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
(Mme Sophie Diehl, M. Thomas Larrieu, Mme Lise-Marie Schaffhauser et Mme Florine Pruchon prêtent serment.)
Nous remercions sincèrement la commission d'enquête d'avoir identifié le collectif « Cause Majeur ! » comme acteur à auditionner. Nous saluons la mise en place de cette commission et souhaitons partager les constats et recommandations de notre collectif, particulièrement pour améliorer la situation des jeunes. Cette intervention liminaire sera réalisée à quatre voix, choix collectif qui illustre notre démarche commune depuis 2019, portée par une pluralité d'acteurs accompagnant des jeunes au quotidien. Je tiens à préciser que, lors de la phase de questions et réponses, notre collectif se positionnera uniquement sur les sujets débattus en amont. En dehors de ces éléments, notre position n'est pas considérée comme étant collective.
Savez-vous que 84 % des Français placent l'avenir de leurs enfants comme leur principale préoccupation ? Pourtant, trop peu de décideurs publics et politiques se préoccupent des enfants et des jeunes accueillis ou ayant été accueillis en protection de l'enfance, qui se trouvent en situation de vulnérabilité lors de la transition à l'âge adulte et qui représentent les citoyens d'aujourd'hui. Il est essentiel de rappeler qu'ils font face à de nombreuses difficultés au moment du passage à l'âge adulte. Actuellement, environ 400 000 enfants et jeunes bénéficient d'une mesure d'accompagnement en protection de l'enfance, qu'elle soit administrative ou judiciaire. À 18 ans, il leur est possible, sous certaines conditions, de bénéficier d'un accompagnement provisoire « jeune majeur » jusqu'à 21 ans au plus tard. Cependant, celui-ci est souvent insuffisant et les conditions d'octroi sont trop complexes pour garantir une inclusion complète et sécurisée dans la société. Il est ainsi demandé à ces jeunes d'être autonomes bien avant leurs pairs du même âge, alors même qu'ils disposent de moins de ressources, qu'il s'agisse de réseaux familiaux et sociaux ou de ressources financières.
Ces jeunes sont confrontés à de nombreuses difficultés : accès au logement, aux études choisies, aux droits et aux ressources, aux soins, etc. Pour répondre à ces enjeux, nous avons décidé de créer en 2019 le collectif « Cause Majeur ! » à l'initiative de l'association SOS Villages d'Enfants. Nous rassemblons aujourd'hui plus d'une trentaine d'acteurs, incluant des associations nationales et des collectifs engagés dans la protection de l'enfance et le champ de la jeunesse de manière plus globale. Il est en effet essentiel pour nous de ne pas enfermer ces jeunes dans la case de la protection de l'enfance, mais de les considérer comme des acteurs à part entière de la société. Nous avons également choisi d'intégrer des personnalités qualifiées aux profils divers, en dehors des professionnels habituels, tels que des sociologues ou encore des jeunes anciennement accueillis.
Ensemble, nous avons défini une charte d'engagement qui nous permet de présenter nos propositions de manière concertée. Notre objectif commun est de plaider pour une inclusion pleine et entière de chaque jeune majeur dans la société et de replacer les jeunes sortant de la protection de l'enfance ou ayant été pris en charge au cœur des politiques publiques. Notre collectif s'inscrit dans une logique de co-construction avec les pouvoirs publics. Nous veillons à la cohérence, à l'harmonisation et à l'efficacité des politiques publiques concernant tous les jeunes. Par ailleurs, nous organisons des échanges de pratiques afin de faire évoluer nos méthodes et d'améliorer notre accompagnement de ces jeunes.
Depuis 2019, notre collectif s'engage activement pour mettre en lumière la situation des jeunes en élaborant divers documents de positionnement et en participant à des moments politiques importants. Par exemple, nous nous sommes mobilisés en 2019 autour de la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon, ainsi que durant la crise du covid en 2020 et en 2021, pour éviter toute sortie sèche pendant cette période. Nous avons également été actifs lors des échéances électorales et dans le cadre de l'examen de la loi Taquet du 7 février 2022, ainsi que lors de l'examen de différents projets de loi de finances. Je tiens à mentionner un amendement que vous aviez soutenu, Mme la rapporteure, visant à créer un fonds départemental de 1,5 milliard d'euros pour les jeunes majeurs et qui, malheureusement, n'a pas été retenu.
Le périmètre du plaidoyer porté par le collectif « Cause Majeur ! » concerne les jeunes accueillis ou ayant été accueillis par la protection de l'enfance, que ce soit l'ASE ou la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il englobe plus généralement tous les jeunes susceptibles de se retrouver en situation de vulnérabilité lors de la transition vers l'âge adulte.
Le collectif « Cause Majeur ! » s'est fortement mobilisé avant l'adoption de la loi Taquet pour faire de la question des jeunes majeurs un élément central des discussions parlementaires. Nous tenons à souligner à nouveau notre satisfaction d'avoir réussi à introduire ce sujet dans le débat public.
Cette loi a permis des avancées significatives pour les jeunes majeurs. Il est essentiel de noter qu'elle oblige aujourd'hui les conseils départementaux à proposer une solution à un jeune de 18 ans ayant été accueilli durant sa minorité par l'ASE, en prolongeant cet accompagnement en l'absence de ressources financières suffisantes ou de soutien familial. L'instauration d'un droit au retour est également très importante pour nous, en permettant à ces jeunes, même majeurs, de bénéficier à nouveau de l'ASE en cas de difficultés. De plus, ils doivent être prioritaires dans l'accès au logement social. De nombreux autres points pourront être développés ultérieurement sur ce sujet.
Cependant, le bilan de cette loi reste mitigé à nos yeux. De nombreux éléments, confirmés par la réalité des faits, suscitent notre vigilance. On peut tout d'abord citer l'absence de financement dédié au niveau national, ce qui interroge les capacités financières des départements à soutenir les jeunes. De plus, l'absence d'un droit garanti à l'accompagnement de tous les jeunes majeurs de 18 à 21 ans représente un point crucial, dont l'impact sur le terrain est très concret.
Le collectif s'est également interrogé sur l'effectivité de la loi Taquet par le biais d'une enquête renouvelée chaque année. Bien que n'ayant pas de vocation scientifique, ces travaux sont essentiels car ils mettent en lumière des tendances et des dynamiques. Ils permettent surtout de constater que le volet de la loi Taquet relatif à l'accompagnement des jeunes majeurs n'est pas entièrement sur l'ensemble du territoire national. On observe toutefois des progrès sur ce plan, comme le souligne la dernière enquête, avec une proportion de 90 % des jeunes majeurs désormais accompagnés par un éducateur référent, ce qui assure une certaine stabilité et une cohérence dans le suivi. Cependant, pour la majorité des autres mesures instaurées par la loi, de nombreuses défaillances persistent. Ainsi, deux tiers des répondants à notre enquête indiquent que les contrats jeune majeur ne s'étendent pas jusqu'à 21 ans. En réalité, leur durée moyenne est d'environ 11 mois, avec une médiane de 9 mois. Si l'on prend en compte les renouvellements, la durée moyenne atteint 20 mois, ce qui est bien loin des 36 mois prévus par l'esprit du texte de loi.
Par ailleurs, 44 % des personnes interrogées signalent que les jeunes majeurs ne sont pas prioritaires dans l'accès au logement social, contrairement à ce qui était expressément prévu dans le texte. Pourtant, l'accès au logement constitue le passeport vers une véritable autonomie. En l'absence de logement, de nombreux obstacles se dressent sur le chemin des jeunes vers l'inclusion professionnelle, sociale et affective. Par ailleurs, nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que de nombreux conseils départementaux justifient le refus d'accompagner des jeunes majeurs par des raisons non conformes à la loi. Je n'en citerai qu'une parmi d'autres, à savoir l'absence de projet scolaire ou professionnel. Cela n'était absolument pas prévu par la loi. Cette situation confirme les craintes initialement exprimées en 2022 par le collectif concernant le caractère arbitraire des évaluations et des situations d'accompagnement des jeunes majeurs. Enfin, la loi Taquet n'a pas réduit les inégalités d'accompagnement sur le territoire, contrairement à son objectif. Au contraire, nous constatons actuellement une persistance, voire une aggravation des inégalités territoriales. Il est donc impératif de rappeler l'absolue nécessité de rendre cette loi plus effective. Ses dispositions doivent ainsi être applicables à tous les jeunes majeurs, partout sur le territoire.
Avant d'aborder l'impact du projet d'accompagnement vers l'âge adulte, je tiens à préciser que la loi Taquet a introduit un article discriminant pour les enfants qui n'ont pas été repérés avant leur majorité. Depuis le 7 février 2022, les jeunes suivis ou anciennement suivis par l'ASE bénéficient de cette aide. Cependant, d'autres jeunes de moins de 21 ans et ne bénéficiant pas d'un soutien familial ou de ressources financières suffisantes ne sont pas accompagnés de manière systématique ; ils peuvent seulement bénéficier d'une prise en charge temporaire. La loi crée donc elle-même une discrimination notable, qui s'est aggravée en février dernier avec l'exclusion des jeunes sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) de l'obligation de prise en charge par le département. Par ailleurs, le contrat d'engagement jeune (CEJ) fait également une différence notable entre les jeunes relevant de l'ASE et ceux relevant de la PJJ. Pour les premiers, il est explicitement mentionné que le CEJ vient en complément de l'accompagnement départemental. En revanche, les jeunes placés sous la PJJ ne peuvent bénéficier du CEJ que s'ils ne bénéficient plus de suivi éducatif, alors que ce contrat vise l'insertion et non l'éducation. Il est donc évident que la loi comporte des incohérences qui ne garantissent pas les mêmes droits à des jeunes ayant pourtant des besoins similaires.
Le collectif « Cause Majeur ! » souhaite garantir à l'ensemble des enfants ayant les mêmes besoins le droit à un projet d'accompagnement vers l'âge adulte, fondé sur un socle socio-éducatif. L'objectif est de permettre aux jeunes de développer une « sécurité intérieure » et une autonomie en leur offrant un soutien tant éducatif qu'affectif, à travers le développement de réseaux de pairs aidants, de marrainage, de parrainage et de mentorat. Ce projet d'accompagnement vers l'âge adulte est construit en partenariat avec le jeune au lieu de lui être imposé. Il ne s'agit pas d'un contrat, mais bien d'un projet qui repose sur ses envies, ses besoins, ses appétences et ses rêves, comme le souligne le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ). Le suivi par des référents et l'accompagnement socio-éducatif lui permettent de développer une confiance en lui et de se saisir des différents leviers d'insertion tels que le logement, la gestion des ressources financières, la santé, les loisirs et la culture. Nous avons également formulé plusieurs propositions pour permettre aux professionnels de revoir leurs méthodes d'accompagnement, afin de favoriser davantage l'autonomie des jeunes, tout en respectant leur cheminement personnel.
Nous nous sommes interrogés sur le coût de cet accompagnement. Nous ne pouvions pas nous contenter de recenser le nombre de jeunes actuellement pris en charge et d'en estimer le coût, dans la mesure où une trop large proportion d'entre eux échappe au système. Nous avons retenu le nombre de jeunes de 17 ans au 31 décembre 2020, partant du principe qu'il n'existait aucune raison pour que leur suivi cesse au lendemain de leur majorité. Nous avons également consulté les chiffres de l'Insee pour déterminer l'âge de sortie du système scolaire universitaire de chacun de ces jeunes de 17 ans. On compte ainsi 84 000 jeunes, contre 30 000 effectivement accompagnés, soit un écart notable. Pour être en mesure de soutenir ces 84 000 jeunes, il serait nécessaire de débourser 2 milliards d'euros. Cette somme permettrait d'assurer un accompagnement complet et permettre aux jeunes de devenir un atout pour notre société, plutôt que de les abandonner du jour au lendemain, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui.
Il est essentiel de distinguer autonomie et indépendance financière. L'indépendance financière concerne les moyens, la capacité à travailler et les ressources disponibles. En revanche, l'autonomie est subjective et s'entend sur un plan relationnel. Ces deux notions, bien que souvent associées, ne sont pas interchangeables. S'il est indéniablement plus facile d'être autonome lorsque l'indépendance financière est assurée et inversement, il est frappant de constater que ces termes sont souvent confondus. Il convient de mettre un terme à cette confusion pour faire évoluer les choses.
Je souhaite également mentionner la question des droits opposables à l'accompagnement, visant à mettre fin aux sorties sèches, comme le prévoit la loi du 7 février 2022. Nous avons vraiment le sentiment que la compréhension et la mise en œuvre de ces droits restent floues. Le processus de sortie et d'accompagnement repose sur l'idée que les jeunes pris en charge par la protection de l'enfance doivent bénéficier des mêmes chances. Le secrétaire d'État Adrien Taquet affirmait que ces enfants doivent être traités comme les autres, ce qui a guidé notre analyse et par conséquent notre volonté de les accompagner jusqu'à l'âge de 25 ans. Nous sommes certes satisfaits de la manière dont la loi Taquet et le décret d'application ont permis de traiter la question jusqu'à 21 ans, mais nous sommes très déçus par la manière dont cette loi est comprise et mise en œuvre.
Pour en revenir à la question de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, nous constatons déjà que certains départements mettent fin à l'accompagnement des jeunes lorsqu'une OQTF a été prononcée, les laissant à la rue, ce qui crée une discrimination absolument incompréhensible.
Le soutien financier de l'État aux collectivités territoriales est essentiel, d'autant plus que cette politique est décentralisée. Il est primordial d'harmoniser les efforts et de faire travailler tous les acteurs en réseau, à tous les niveaux, y compris au niveau le plus local grâce à des réseaux relationnels sécurisants. Bien que le parrainage ne constitue pas une solution miracle, il peut représenter un complément précieux aux autres politiques. Il offre aux jeunes une sécurité qui favorise leur autonomie et leur indépendance.
Il est essentiel que vous puissiez présenter vos plaidoyers. Vous y travaillez depuis longtemps et cette commission d'enquête, la première du genre, a pour objectif l'obtention de progrès drastiques en matière de protection de l'enfance. Nous avons souhaité mettre en lumière les manquements des politiques publiques en nous inscrivant dans la réalité factuelle des acteurs, sans cibler l'un d'eux en particulier ni alimenter une guerre entre les départements et l'État. Nous visons à établir des constats souvent déjà connus et étayés par de nombreux rapports, tout en valorisant vos propositions.
En tant qu'acteurs engagés à travers vos plaidoyers et représentant de nombreuses associations, il est important de clarifier certains points. Aussi, pourriez-vous nous éclairer sur la mise en œuvre concrète du droit au retour instauré par la loi Taquet ? Cette mesure a-t-elle réellement commencé à être appliquée ? J'aimerais recueillir vos retours et vos préconisations sur ce sujet. On sait qu'environ 80 % des jeunes sont pris en charge par le secteur associatif habilité. Les pratiques professionnelles des grandes associations sont-elles en phase avec la loi du 7 février 2022 ? Les jeunes reviennent-ils vers le département, l'association ou la famille d'accueil ?
Par ailleurs, le décret du 5 août 2022 a créé des commissions départementales d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs. Pourriez-vous nous fournir des détails sur la mise en œuvre de ce décret et son impact sur le terrain ?
Nous avions beaucoup soutenu l'article 19 de la loi Rossignol du 14 mars 2016 portant sur l'allocation de rentrée scolaire ou l'allocation différentielle pour un enfant confié à l'ASE, versée à la Caisse des dépôts. Il semble que celle-ci dispose à ce jour de près de 40 millions d'euros, qui doivent être reversés depuis 2016, conformément à la volonté du législateur, aux jeunes atteignant la majorité. On peut en déduire que les sommes allouées n'ont pas été correctement versées aux jeunes. Avez-vous été en mesure d'observer de bonnes pratiques au niveau des territoires à travers vos retours du terrain ? Quelles sont les améliorations possibles ? La réponse proposée par la secrétaire d'État Charlotte Caubel n'était pas satisfaisante car elle tendait à réduire l'ensemble du pécule destiné à ces jeunes, alors que la loi Rossignol avait pour objectif de les accompagner de la meilleure manière possible.
En outre, sachant que vous pratiquez le droit comparé et êtes en lien avec de nombreuses associations et réseaux, pourriez-vous nous éclairer sur les politiques publiques en vigueur dans d'autres pays ? Par exemple au Québec, en Australie, ainsi qu'en Nouvelle-Zélande, il me semble que les politiques publiques prônent plutôt un accompagnement vers l'autonomie jusqu'à l'âge de 25 ans. Nous observons à notre niveau quelques exemples de bonnes pratiques en cours de déploiement, mais l'objectif est d'aller plus loin, ce qui n'est pas uniquement du ressort des collectivités, mais bien de l'État. Une des difficultés réside dans la répartition des responsabilités entre l'État et les départements concernant l'accompagnement des jeunes qui atteignent la majorité. Je souhaiterais recueillir vos retours et préconisations à ce sujet.
Enfin, certains jeunes majeurs bénéficient d'un bon accompagnement, d'autres moins. Parfois, certains jeunes sont laissés pour compte en cours de route. Ceux qui présentent des fragilités d'insertion particulièrement graves, notamment en raison de handicaps, se retrouvent dans une situation de double, voire de triple vulnérabilité. Ils sont en effet démunis, mais également non pris en charge d'un point de vue médical. Ils nécessitent souvent un accompagnement très spécifique, notamment à travers le placement dans des foyers adaptés à la question du handicap. Je souhaiterais savoir si vous avez observé de telles situations dans les territoires ou si cette problématique est négligée. La commission d'enquête pourrait formuler des préconisations à ce sujet. En effet, si la jeunesse est plurielle, ses fragilités le sont également.
En préparant cette audition, nous avons réfléchi aux points que vous venez de soulever. Je propose que nous les reprenions un par un, en fonction de leur importance, afin de pouvoir les aborder de manière exhaustive. Nous commencerons par la question du droit au retour.
Selon les éléments dont nous disposons, il apparaît que le droit au retour n'est effectif que dans une minorité de cas. Notre enquête révèle que seulement 25 % des jeunes majeurs en bénéficient. Par ailleurs, 66 % des répondants déclarent ignorer si ce droit est effectif ou non, ce qui souligne un manque de clarté sur le sujet. De plus, les motifs de refus ne sont souvent pas prévus par la loi. En effet, les refus sont principalement justifiés par un comportement du jeune juge inadapté, mais les critères d'inadaptation ne sont pas clairement définis. Un autre motif fréquent de refus, souvent avancé par les départements, est le manque de places disponibles. Cette situation reflète une crise plus générale de la protection de l'enfance.
Vous nous avez demandé si, au sein de nos associations membres du collectif « Cause majeur ! », des politiques de bonnes pratiques étaient mises en place. La réponse est positive. Plusieurs associations instaurent des politiques et des programmes d'accompagnement. Toutefois, il est important de souligner que ce n'est pas nécessairement le rôle des associations de financer, sur leurs propres fonds, l'accompagnement de ces jeunes jusqu'à 21 ans et au-delà. Nous avons le devoir d'accompagner nos jeunes, de ne pas les abandonner, de leur proposer des solutions d'aide, de leur permettre de se reposer, de reprendre confiance en eux et d'esquisser un projet professionnel. Cependant, il est essentiel de plaider auprès des pouvoirs publics pour que les responsabilités soient partagées et que nous puissions proposer un accompagnement au moins jusqu'à 25 ans.
La véritable problématique réside dans l'absence de financement de la protection judiciaire des jeunes majeurs. Bien que les juges puissent encore prononcer de telles mesures, elles ne sont plus effectives, car les associations ne peuvent financer des équivalents temps plein (ETP) sans ressources financières. Il est important de rappeler que nous représentons une association à but non lucratif, ce qui complique parfois notre capacité à agir. On demande trop souvent aux associations, notamment dans le cadre de l'injonction à l'autonomie, de prendre en charge des jeunes qui doivent passer très rapidement d'une famille d'accueil à un foyer, puis à leur propre logement. Cette transition se fait souvent de manière précipitée, avec une exigence d'autonomie excessive, ce qui met en difficulté non seulement les jeunes, mais aussi les responsables des associations, malgré leurs efforts pour que tout fonctionne au mieux.
Nous observons un certain nombre de succès, ce qui prouve que les initiatives des associations fonctionnent. Lorsque l'on accorde aux jeunes le temps nécessaire pour construire leur projet, on constate qu'ils peuvent être pleinement intégrés dans la société. C'est pourquoi il est essentiel de plaider pour un renforcement de cet accompagnement. Il est impératif de mettre en œuvre la loi du 7 février 2022 de manière effective et d'aller au-delà en soutenant ces jeunes jusqu'à l'âge de 25 ans.
Peut-être devrions-nous revoir l'appellation de droit au retour. Il serait pertinent de trouver une expression plus encourageante car, après avoir vécu des situations difficiles, revenir à l'état antérieur n'est pas vraiment ce que l'on souhaite. Il serait judicieux de réfléchir à une autre formulation, en concertation avec les jeunes. Cette notion de droit au retour est peut-être l'une des raisons pour lesquelles sa mise en œuvre est si compliquée.
On parle de droit au retour, mais le droit d'entrée n'existe pas réellement à ce jour. J'ai examiné la manière dont le contrat jeune majeur était présenté par les départements sur internet et le constat est édifiant. Pour bénéficier d'un tel contrat – qui ne constitue pas un droit automatique – il faut être confié à l'ASE, ou y avoir été confié, ce qui n'est pas explicité, être domicilié dans le département depuis au moins un an, ce qui ne correspond pas à une exigence légale, être âgé d'au moins 18 ans et de moins de 21 ans. Le contrat jeune majeur peut être accordé sur demande du jeune, alors que la loi mentionne une inscription de ce contrat dans la continuité de son parcours vers l'autonomie. Pourquoi exiger d'un jeune qu'il sollicite un accompagnement qui lui est dû ? De même, sur le site internet d'un autre département, il est indiqué qu'avant l'attribution du contrat, une évaluation sociale de la situation sera effectuée, prenant en compte l'âge, les besoins et la régularité administrative du jeune en cas de renouvellement. Le jeune doit présenter son projet de vie, notamment son projet professionnel, sa formation, ses études ou son emploi, ce qui est complètement illégal. Si le droit d'entrée n'existe pas, le droit au retour est forcément encore plus difficile à atteindre.
Aujourd'hui, la très grande majorité des refus de contrat jeune majeur sont juridiquement infondés. Selon notre enquête, plus des deux tiers des répondants affirment que la principale raison de non-acceptation d'un contrat jeune majeur réside dans l'absence de projet scolaire ou professionnel. Or cela n'est prévu nulle part dans la législation. On crée des dispositifs sans garantir de droits effectifs, laissant l'étude des dossiers à l'appréciation des départements qui parfois manquent de moyens pour gérer les enfants déjà pris en charge ou qui adoptent des politiques publiques différentes. Certains jeunes majeurs se voient refuser un contrat faute de place disponible ou pour comportement jugé inadapté. On constate que le dispositif, censé sécuriser, d'un point de vue légal et juridique, l'accompagnement jusqu'à 21 ans, n'est majoritairement pas mis en place jusqu'à cet âge. En général, même avec des contrats jeune majeur cumulés, la durée moyenne d'accompagnement atteint seulement 20 mois. Or la loi prévoyait un accompagnement jusqu'à 36 mois, durée que nous estimions déjà insuffisante.
L'écart est donc manifeste entre les dispositions légales et la réalité du terrain. Cela a des conséquences directes pour les jeunes à qui l'on impose, pour certains d'entre eux, des sorties contraintes. Ceux-ci peuvent alors développer des difficultés professionnelles et sociales, voire des troubles psychiques. Les impacts sont très concrets et aucun parent ne trouverait acceptable d'exiger de son enfant une indépendance soudaine et absolue le jour même de sa majorité.
Selon la loi, c'est bien l'absence de ressources financières ou de soutien familial qui constitue un critère déterminant, et pas nécessairement les deux. Nous avions d'ailleurs été particulièrement vigilants sur ce point lors de l'examen du projet de loi au Parlement. Or nous constatons encore que certains départements exigent des jeunes qu'ils fournissent leurs relevés bancaires. Un autre motif de refus de contrat jeune majeur, souvent négligé, concerne les choix de profils de jeunes. Il existe une distinction entre le « bon jeune », qui continue à être soutenu, et l'autre, à qui l'on enjoint de se débrouiller seul.
Il est important de souligner que nous continuons à utiliser le terme de contrat jeune majeur, qui sous-entend l'engagement de la part du jeune dans une logique de contrat. Or ce n'est pas le cas ; cette dénomination devrait être abandonnée.
Il n'était pas prévu, initialement, que nous assistions aux commissions départementales d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs. Cependant, nous avons suivi ce sujet de près et avons proposé à nos structures de formuler une demande explicite auprès des conseils départementaux pour faire partie de ces commissions. À ce jour aucune commission départementale d'accès à l'autonomie n'a été constituée, à ma connaissance. Mes collègues me signalent toutefois qu'il en existe quelques-unes, mais cela reste à vérifier.
Trois initiatives en ce sens se seraient mises en place. La dynamique consistant à rassembler les différents acteurs autour de la table pour étudier le projet du jeune et l'accompagner dans sa transition vers l'autonomie est, à mon sens, très intéressante. Il ne faut pas oublier que le décret date d'à peine deux ans ; nous savons que cela prend du temps. Nous souhaitons vraiment la généralisation de ces initiatives.
Je vais aborder les questions d'évaluation et de coordination des acteurs locaux. Il me semble en effet que le problème réside principalement à ce niveau. On observe que la commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés a mis du temps à se mettre en place et n'est pas encore pleinement opérationnelle. L'intégration de l'accès à l'autonomie dans le projet pour l'enfant fait partie intégrante du processus. Cette question ne peut évidemment pas être envisagée si le projet pour l'enfant n'est pas clairement défini dès le départ. Si nous réunissons tous les acteurs concernés, y compris les jeunes, autour de la table, les résultats n'en seront que meilleurs.
La situation perdure depuis deux ans et les départements font face à de très nombreuses difficultés. Il est important de préciser que nous ne cherchons pas à incriminer qui que ce soit. De nombreux départements font de leur mieux, poussant parfois leurs efforts au-delà des attentes légales. Il convient de souligner que la situation est dégradée pour les jeunes majeurs comme pour les enfants de la protection de l'enfance en général. Il est donc nécessaire que les départements soient soutenus.
Ensuite, de nombreux jeunes majeurs ne bénéficient pas du pécule mentionné en amont, bien que le dispositif soit prévu par la loi depuis un certain temps. La précédente ministre avait exprimé la volonté de résoudre cette difficulté, mais la solution proposée nous était alors apparue comme davantage problématique que bénéfique et nous avions clairement exprimé notre opposition. Il faut savoir qu'un jeune ayant suivi un parcours à l'ASE tout au long de sa vie devrait accéder à un pécule d'environ 4 500 euros. Or on nous proposait trois fois moins, soit un plafond maximum de 1 500 euros. Nous sommes heureux de voir qu'il existe aujourd'hui une nouvelle dynamique et nous avons la volonté de retravailler différemment ce sujet du pécule. Il est à noter qu'actuellement la demande de pécule doit majoritairement émaner des départements. Or nous souhaitons inciter les jeunes à en faire eux-mêmes la demande avant leur passage à la majorité. En effet, les difficultés de la protection de l'enfance étant légion, ce sujet précis n'est parfois pas traité directement par les départements, ni même porté à la connaissance des jeunes, d'où les sommes importantes accumulées à la Caisse des dépôts. Des solutions sont envisagées et des pistes sont à l'étude. La Caisse des dépôts dispose d'un organe décentralisé, la Banque des territoires. Plutôt que d'attendre que les départements ou les jeunes concernés se manifestent, celle-ci pourrait adopter une démarche proactive en s'enquérant des droits au pécule des jeunes concernés. Par ailleurs, à l'inverse de ce qui a été proposé, nous serions plutôt favorables à un montant minimum, et non à un montant maximum.
Il existe des enjeux de communication autour de la question du pécule. Il s'agit en effet de déterminer comment transmettre efficacement l'information, notamment auprès des jeunes, afin qu'ils puissent accéder facilement à la somme qui leur est due. Lors de nos échanges avec les jeunes de nos réseaux, ce sujet revient systématiquement sur le devant de la scène et révèle qu'il s'agit d'une préoccupation quotidienne majeure.
Pour revenir à la question de l'accompagnement jusqu'à 25 ans, il ne s'agit pas tant d'une question d'âge que d'œuvrer vers un objectif d'accompagnement complet du jeune. Il est contre-productif de sécuriser progressivement les jeunes pour ensuite les abandonner soudainement. Pour concevoir le projet d'accompagnement vers l'âge adulte, nous avons envisagé trois types d'autonomisation. De 18 à 21 ans, nous parlons d'une autonomisation standard. Nous avons imaginé un système permettant à chaque jeune de déterminer s'il a encore besoin, à 18 ans, de rester en famille d'accueil ou s'il doit s'orienter vers des logements diffus. Nous avons établi des proportions pour chaque tranche d'âge en nous basant sur des projections réalistes et sur les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Plus le jeune avance en âge, moins le caractère intensif de l'accompagnement s'avère nécessaire, sauf en cas de vulnérabilités particulières. Ensuite, pour les jeunes de 21 à 23 ans, l'accompagnement est destiné à ceux qui poursuivent des études plus longues ou qui se trouvent dans des situations de vulnérabilité importante. Nous avons également intégré le droit au retour, le droit à l'expérimentation et le droit à l'erreur, qui sont essentiels pour l'accompagnement des jeunes de cette tranche d'âge. Au-delà de 23 ans, l'accompagnement concerne principalement ceux qui poursuivent des études très longues ou qui rencontrent de réelles difficultés.
Lorsqu'on examine le budget envisagé, il est important à 18 ans puis décroît ensuite progressivement jusqu'à 25 ans. Il me faudra retrouver les chiffres exacts. En analysant nos propositions, nous avons alloué 2 milliards d'euros pour l'accompagnement des 84 000 jeunes mentionnés. Pour les jeunes jusqu'à 21 ans inclus, nous avons prévu environ 1,6 milliard d'euros. Ensuite, de 21 à 25 ans, bien que la somme de 400 millions d'euros puisse paraître significative, elle mérite d'être investie pour permettre à ces jeunes d'exploiter leur potentiel et de devenir une richesse pour notre société. Il est essentiel qu'ils puissent, à terme, participer activement à la vie sociale. Nous avons ainsi conçu ce projet comme un investissement d'avenir et une croyance en la jeunesse, perçue comme une force plutôt que comme une vulnérabilité. L'accompagnement des jeunes, tant sur le plan éducatif que moral, ne constitue pas une dette qu'ils auraient envers nous, mais plutôt un droit qu'ils possèdent. Ils n'ont pas choisi de venir au monde et lorsque nous assumons un rôle de suppléance parentale, nous devons les accompagner sans attendre de contrepartie.
La prise en charge des jeunes qui en ont besoin représente une forme de promesse d'accompagnement de la part de la société. Or on est en droit de se demander si celle-ci est bien tenue. Cette promesse n'engage pas seulement les professionnels, mais inclut également les autres acteurs de la solidarité. Les jeunes, face à la manière dont les accompagnements se déroulent aujourd'hui, peuvent ressentir une profonde colère ou, au contraire, disparaître dans la nature. Nous constatons que de nombreux jeunes sont sevrés de dispositifs contraignants, comme l'affirment de nombreux spécialistes.
Deux chiffres importants doivent être rappelés. Tout d'abord, l'âge moyen de décohabitation en France est actuellement de 24,7 ans. Par ailleurs, l'âge moyen d'accès à un premier emploi stable est passé de 20 ans en 1975 à 27 ans aujourd'hui, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Ces deux données nous incitent à réfléchir sur la limite d'âge fixée à 21 ans.
S'agissant de la mise en œuvre de la loi du 7 février 2022, nous avions interrogé les répondants sur l'occurrence des prolongations au-delà de 21 ans. Certaines réponses positives ont été exceptionnelles rapportées ; elles sont liées à des situations de maladie, de handicap ou de poursuite de formation. De plus, certaines initiatives intéressantes ont été développées par des conseils départementaux. Cependant, beaucoup d'entre eux reviennent en arrière, principalement pour des raisons budgétaires.
Un dispositif intéressant était destiné aux jeunes majeurs jusqu'à 25 ans. Financé par diverses fondations et institutions, il permettait la mise en œuvre d'un socle socio-éducatif et proposait des services de santé, d'accès au logement et une aide à la gestion budgétaire. Le dispositif fonctionnait très bien grâce à la collaboration de plusieurs associations. Cependant, l'un des financeurs a cessé de payer. Même si nous devons envisager une diversité des sources de financement, il est impératif de garantir leur pérennité pour assurer une prise en charge continue et sans rupture.
La question de la mise en réseau des acteurs est essentielle. Or ni les financements, ni les appels à projets ne sont pensés en ce sens. De nombreux exemples de travail en réseau existent, mais ils ne représentent pas des solutions pérennes dans la mesure où les financements ne le sont pas.
Nous avons évoqué les vulnérabilités multiples, notamment celles des jeunes majeurs présentant des troubles qui se sont parfois développés ou aggravés en raison d'un manque de prise en charge. Il est essentiel d'être cohérent à ce niveau. De nombreuses politiques publiques ne sont pas gérées par les départements mais relèvent des agences régionales de santé qui ne considèrent pas ces jeunes comme nécessitant deux fois plus de prise en charge, mais comme des jeunes déjà pris en charge. Cette décharge de responsabilité de l'État correspond à une absence de réponse qui, tout en aggravant les conditions de prise en charge dans les établissements concernés, engendre d'énormes surcoûts pour la société. Raisonner en terme d'investissement comme nous le faisons s'avèrerait pourtant très rentable, puisque certaines études montrent que pour chaque euro investi, on en gagne 4 en surcoûts évités. Au-delà des considérations financières, il est crucial de se rappeler que ces jeunes, comme tous les autres, méritent un accompagnement adéquat. Ils possèdent un potentiel qui doit être soutenu, tout comme chaque parent le ferait pour son enfant. Nous sommes convaincus que ces jeunes constituent une véritable opportunité et ont beaucoup à offrir.
Nous devons aborder le sujet de l'accès aux minima sociaux. Chaque pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à l'exception de la France et du Luxembourg, ouvre l'accès aux minima sociaux dès l'âge de 18 ans. Il s'agit vraisemblablement d'un point à revoir dans notre pays.
Il s'agit d'un point que nous n'avons cessé de souligner.
Le chiffre de 84 000 jeunes évoqué plus tôt m'a interpellée. J'aimerais comprendre précisément comment ce chiffre a été calculé dans la mesure où il me semble éloigné des données que nous possédons sur les jeunes majeurs pris en charge dans le cadre de la protection de l'enfance. Il est essentiel de clarifier ce point afin d'éviter toute confusion au sein de la commission d'enquête sur l'un des enjeux cruciaux des politiques de protection de l'enfance.
Comme je vous l'indiquais précédemment, nous nous sommes basés sur le nombre de jeunes pris en charge et confiés à l'ASE au 31 décembre d'une année, à partir des chiffres de 2020 transmis par la Drees. Nous avons estimé que ces jeunes devaient bénéficier des mêmes opportunités que tous les autres jeunes de France et qu'ils devaient par conséquent être accompagnés jusqu'à ce qu'ils n'en aient plus besoin. Pour garantir la fiabilité de nos chiffres, nous avons décidé de nous fier à une source statistique sûre. Nous avons ainsi utilisé les données de l'Insee et le taux de scolarisation comme référence. À 18 ans, 79,5 % des jeunes sont scolarisés. Ce taux est de 67,7 % à 19 ans, de 56,6 % à 20 ans et de 12,9 % à 25 ans. Cela signifie que notre cohorte de jeunes de 17 ans doit être suivie jusqu'à ce qu'ils ne soient plus scolarisés. Pour atteindre cet objectif et accompagner ces jeunes jusqu'à leur sortie effective du système éducatif, nous devons prendre en charge plus de 84 000 jeunes par an. Ce calcul reposant sur les taux de scolarisation des jeunes majeurs, qui sont très bas en ce qui nous concerne, il est possible que le chiffre de 84 000 soit surestimé. Toutefois, ces jeunes accusant bien souvent un certain retard et ayant le droit de redoubler et d'être accompagnés pour trouver leur voie et exercer leur droit au retour, nous avons considéré pouvoir continuer à nous appuyer sur ce chiffre de 84 000, pour progressivement parvenir à nous rapprocher des chiffres moyens de l'Insee. Nous sommes conscients que, durant les premières années, nous n'atteindrons pas cet objectif d'accompagnement, car beaucoup auront déjà quitté le dispositif. Cependant, nous espérons y parvenir d'ici sept ans.
Nous nous sommes engagés dans cette démarche car aucune donnée n'existait. Ainsi la question ne s'était simplement jamais posée de cette façon. Notre approche, qui peut sembler improvisée, répond à une impérieuse nécessité d'action.
Nous avons néanmoins présenté ce travail à la Drees, à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) ainsi qu'au ministre. À chaque fois, notre sérieux a été salué, ces institutions aboutissant elles-mêmes à un résultat similaire au nôtre malgré l'emploi de méthodes moins rigoureuses. Tout est sourcé et les calculs sont peuvent être transmis, notre but étant de trouver des réponses tangibles. Nous avons vraiment eu à cœur de présenter ce travail pour solliciter des contradictions et ainsi l'améliorer. Actuellement, nous travaillons sur le coût évité. Nous comparons ainsi le coût et les bénéfices de la vie d'un jeune accompagné et de celle d'un jeune qui ne l'est pas ou pas suffisamment. Nous saurons ainsi combien coûte ou rapporte chacun. Nous ne pouvons cependant pas encore vous présenter les résultats, qui doivent d'abord être vérifiés comme nous l'avons fait pour le chiffre précédent.
En matière de protection de l'enfance, il est à noter que ce sont souvent les acteurs et les associations eux-mêmes qui se voient contraints de produire leurs propres données chiffrées. Cette problématique ne concerne d'ailleurs pas uniquement les jeunes majeurs.
S'agissant de l'accompagnement des jeunes présentant des vulnérabilités multiples, un chiffre mérite notre attention. Actuellement, seulement 24 % des professionnels ayant répondu à notre enquête estiment que l'accompagnement thérapeutique après le passage à la majorité est suffisant. Cela démontre clairement que le suivi dans les soins de santé reste insuffisant en termes de quantité et de qualité. Ces jeunes voient alors parfois leurs difficultés s'aggraver faute d'un accompagnement adéquat. En conséquence, certains professionnels ne sont pas pleinement aptes à prendre en charge des publics particulièrement vulnérables, ce qui aggrave encore la situation. Il est à noter qu'aujourd'hui, un jeune sur trois en protection de l'enfance bénéficie d'une reconnaissance de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il s'agit d'une proportion considérable, sachant que certains jeunes, bien que potentiellement concernés, ne bénéficient pas de cette reconnaissance.
Il convient de souligner l'importance de la temporalité, à savoir la capacité à fournir une réponse adéquate au moment opportun, pour peu que la question soit posée de manière précise. En examinant certains récits de vie, on constate que si l'on avait évalué les besoins et les ressources de l'environnement de manière globale, en prenant en compte non seulement le jeune tel qu'il est, mais aussi toutes ses ressources potentielles, et si l'on avait répondu de manière appropriée aux questionnements au bon moment, on aurait pu éviter de nombreuses aggravations de situation ainsi que des dépenses supplémentaires. Cette question de la temporalité n'est malheureusement pas explicitement mentionnée dans la loi.
Notons, en outre, que les jeunes majeurs que l'on suit ne bénéficient pas, après l'âge de 18 ans, d'un cursus scolaire similaire à celui du reste de la population. Cette différence n'est-elle pas due au fait que ces jeunes n'ont pas bénéficié, avant leur majorité, d'un accompagnement adéquat pour suivre un cursus scolaire adapté et serein ?
Lors d'un petit-déjeuner organisé au Sénat en février dernier, nous avions invité des jeunes à venir témoigner de leurs expériences et de leurs perspectives d'avenir. Deux d'entre eux, en particulier, ont souhaité participer aux échanges. Le premier, malgré certains handicaps, exprimait une véritable confiance en l'avenir et se réjouissait de la qualité de l'accompagnement dont il bénéficiait. Le second, en revanche, rencontrait davantage de difficultés en raison d'un handicap plus complexe et moins connu, et ne trouvait pas les réponses adéquates au sein de l'institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) où il était accueilli. Il souhaitait que son handicap soit mieux compris et pris en charge par des spécialistes. Il exprimait également des besoins plus simples, comme un accompagnement personnalisé jusqu'à ce qu'il n'en ressente plus la nécessité. Il a évoqué son expérience en Itep, où une personne dédiée, bien que non spécialisée dans son syndrome, l'a considérablement aidé. Cependant, cet accompagnement a été interrompu sous prétexte qu'il allait mieux. Il a souligné l'impact négatif de cette interruption sur son avenir, insistant sur l'importance d'un soutien continu jusqu'à l'autonomie complète. Il est essentiel de comprendre que cesser d'aider ces jeunes sous prétexte qu'ils progressent les replonge dans des situations difficiles. Il est par conséquent impératif de leur permettre de bénéficier d'un accompagnement jusqu'au bout.
Le témoignage de vous venez de partager me permet de mettre un visage et un nom sur ce jeune, qui avait évoqué une rupture de prise en charge à partir de juillet. Je voudrais vérifier si, à l'époque, nous avions exprimé notre souhait de prolonger cet accompagnement, compte tenu de sa double vulnérabilité, qu'il a su exposer aux parlementaires. Il est essentiel que ce jeune continue à être accompagné au-delà du mois de juillet. Si ce n'était pas le cas, la commission d'enquête pourrait intervenir.
Merci beaucoup. Je vous transmettrai une réponse dans les plus brefs délais.
La séance s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Aude Luquet, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago, Mme Sarah Tanzilli
Excusées. – Mme Béatrice Descamps, Mme Astrid Panosyan-Bouvet