La réunion commence à quatorze heures trente.
La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde avec les représentants de cultes, Me Carol Saba, responsable de la commission médias de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, vice-président de la Conférence des évêques de France, Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes, M. le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, le Dr Jean-Gustave Hentz, président de la commission Éthique et société de ladite Fédération, le Pr Sadek Beloucif, référent pour les questions de fin de vie auprès de la Grande mosquée de Paris et chef du service d'anesthésie-réanimation à l'hôpital Avicenne (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), et M. Antony Boussemart, co-président de l'Union bouddhiste de France
Chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant les représentants des cultes. Je dois préciser que le grand-rabbin de France a été empêché : nous tenterons de recueillir ultérieurement son sentiment sur le projet de loi.
La communauté bouddhiste exprime ses préoccupations quant au projet de loi sur la fin de vie. Avec mes homologues des autres cultes, nous avons eu l'opportunité de contribuer au débat à travers l'ouvrage collectif Religions et fin de vie, qui offre une perspective éclairante sur les enjeux éthiques et spirituels entourant ce sujet délicat. Les bouddhistes considèrent la vie précieuse et sacrée ; nous valorisons la compassion envers tous les êtres vivants, y compris nous-mêmes. C'est pourquoi nous sommes à tout le moins réticents à soutenir toute légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Notre tradition enseigne que chaque moment de la vie constitue une opportunité d'apprentissage et de croissance spirituelle, même dans les moments de souffrance et de difficulté.
La perspective bouddhiste encourage à trouver la paix et le sens dans toutes les expériences, y compris la fin de vie, plutôt que d'opter pour une mort médicalisée prématurée. Selon nous, vouloir remédier à la souffrance en mettant fin à la vie revient à se tromper de combat et à semer de nouvelles causes de souffrance. Plutôt que de contribuer à regarder la mort en face, à l'apprivoiser, cette démarche nous détourne de l'essentiel : intégrer pleinement la mort dans la vie.
À nos yeux, la loi du 2 février 2016 est satisfaisante et bien adaptée. Encore faudrait-il qu'elle soit vraiment appliquée partout car elle demeure méconnue ! Dans un pays sécularisé comme le nôtre, nous comprenons que les croyances religieuses n'ont pas à s'immiscer dans la législation. Cependant, nous souhaitons souligner que de nombreux citoyens, même ceux qui ne sont pas religieux, sont troublés par ce projet de loi.
Aussi recommandons-nous un renforcement des soins palliatifs accessibles à tous afin d'offrir une alternative véritablement humaine à la mort médicalisée, en investissant dans la formation des professionnels de la santé et en améliorant les ressources disponibles pour accompagner les patients en fin de vie. Nous craignons les conséquences d'une législation qui pourrait fragiliser les liens familiaux et communautaires, en encourageant une vision individualiste de la fin de vie. L'absence de garde-fous adéquats pourrait potentiellement conduire à des abus, à des pressions indues sur les personnes vulnérables et à une détérioration du tissu social.
En conclusion, nous vous exhortons à considérer attentivement les implications morales et éthiques de ce projet de loi. Puissions-nous trouver des solutions qui respectent la dignité humaine, préserver la vie dans toute sa fragilité et offrir un soutien compassionnel aux personnes en fin de vie comme à leurs proches. Le Conseil d'État a souligné l'importance de légiférer avec prudence et réflexion dans ce domaine délicat. Dans la droite ligne des propos du doyen Jean Carbonnier, nous estimons préférable de favoriser des solutions qui laissent plus de place aux mœurs et à l'éthique, – j'oserais dire : au bon sens ! – plutôt que d'imposer des règles rigides et légales. Il en va, selon nous, de la vitalité de notre société.
Le projet de loi sur la fin de vie, orienté vers le suicide assisté et l'euthanasie, nous trouble. Notre devoir de citoyen nous impose d'exprimer le péril que ferait courir à la cohésion nationale une telle évolution.
L'islam s'intègre dans la croyance en la sacralité de la vie, rejoignant ainsi le corpus théologique des autres religions. L'un des hadiths du Prophète souligne que les actes s'évaluent par l'intention, et je note que cette notion d'intention est reprise dans les commentaires du Conseil d'État. Elle oblige à clarifier la terminologie de « l'aide active à mourir ». Pour ma part, je préfère un terme plus clair : « donner la mort ». Selon moi, suicide assisté et euthanasie se rejoignent sur le plan moral dans la décision de faire mourir la personne. Décider de faire mourir, même exceptionnellement pour quelques-uns, représenterait un risque de réelle profanation de l'acte de soins au sein de la société.
Sur le plan religieux, l'interdit fondateur du meurtre est clairement énoncé dans le Coran. L'humanisme de l'islam se lit dans un verset qui indique : « Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Dieu, en vérité, est miséricordieux envers vous. » La notion de miséricorde est essentielle ; il faut apaiser les souffrances du mieux possible. Il faut reconnaître l'importance d'une culture palliative enseignée dans tous les champs de la médecine. Or, en l'espèce, les dispositions législatives, voire réglementaires, sont insuffisantes pour combler notre retard, comme le souligne le Conseil d'État.
En tant que médecin, je juge ce projet de loi différent d'une loi de liberté qui donnerait des nouveaux droits à ceux qui le souhaiteraient, sans dommage pour les autres. Nous sommes tous liés. Je constate à mon tour qu'une très grande majorité des Français ne connaissent pas la loi actuelle et ignorent les directives anticipées, qui peuvent inclure le droit de demander une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès. En elle-même, cette sédation est d'essence transgressive pour certains. Mais elle diffère du mal absolu qu'est l'euthanasie.
L'argument supposé massue du Comité consultatif national d'éthique sur les situations où le pronostic vital est engagé à moyen terme est un concept peu pertinent du point de vue médical, arbitraire dans sa définition et obscur dans la réalité des pratiques. Il est sujet à de perpétuelles modifications. Les propositions, censées répondre à de potentielles situations singulières, mettront en réalité à mal l'ensemble de l'édifice de soins pour tous les patients.
L'impact sur les autres patients d'une culture du laisser-faire serait absolument majeur. Que sera la loi si elle est votée pour autoriser l'aide active à mourir ? Je le redis : sur le plan médical mais aussi religieux, l'intention prime. Pour un médecin, le clivage est total entre, d'un côté, vouloir soulager – la sédation – et, de l'autre côté, vouloir tuer pour soulager – l'euthanasie et le suicide assisté. L'opposition entre traitements curatif et palliatif est illusoire parce qu'il existe un continuum entre les deux. Avec la sédation, le médecin a l'intention de soulager, même s'il prévoit que la vie du patient peut être écourtée de quelques jours. L'euthanasie ou le suicide assisté, dont l'intention directe est de tuer, constitue une rupture absolue de l'éthique médicale. Il existe une universalité de la médecine : le médecin est là pour donner de l'espérance, pour soigner. J'exprime une crainte sur la confusion de cette nouvelle action qui serait demandée aux médecins. En tant qu'enseignant, je n'imagine pas délivrer un cours aux étudiants pour leur enseigner comment administrer un poison.
Cette loi est inopportune à mes yeux. Elle transmet un message troublant pour les plus pauvres, les plus fragiles ou pour des vies qui ne mériteraient plus d'être vécues, avec un impact social délétère pour nous tous.
À la suite des travaux de la Convention citoyenne, la commission éthique et société de la Fédération protestante de France a produit un texte sur l'aide à mourir et la fin de vie, qui vous a été remis le 4 avril dernier. Sa première recommandation, qui fait l'unanimité, est un plaidoyer pour les soins palliatifs. La deuxième affirme la nécessité d'humaniser la fin de vie. Troisièmement, nous considérons inopportun de changer le cadre législatif actuel ; il convient de donner les moyens nécessaires à l'application effective de la loi de 2016, qui demeure insuffisamment connue. Enfin, nous plaidons pour une loi programmatique d'accompagnement du grand âge et de la fin de vie.
Aucune loi ne pourra jamais répondre à la multiplicité des situations de fin de vie, leur complexité, les vécus très différents et les attentes spécifiques des personnes. Nous sommes relativement inquiets des effets collatéraux d'une telle loi. Finalement, ce qui est revendiqué comme un droit pour les uns ne devient-il pas un devoir de partir pour d'autres, ne serait-ce que moralement ?
Nous demandons une loi de programmation décennale pour le développement d'une culture de soins palliatifs en France. Ensuite, le projet de loi en discussion propose de modifier le code de la santé publique : la formulation « toute personne malade dont l'état le requiert a droit à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement » serait remplacée par une rédaction qui évacue la dimension spirituelle de l'accompagnement, laquelle doit à notre sens apparaître dans la loi. Troisièmement, l'aide active à mourir peut se matérialiser par l'assistance au suicide ou par l'euthanasie, qui consiste en l'administration par un tiers d'un produit létal. C'est transgresser le serment d'Hippocrate qui indique explicitement « Je ne provoquerai pas la mort de mon patient ». Il existe certes une clause de conscience mais, dans le cadre de la loi, elle risque de déchirer les équipes soignantes et les établissements.
Je souhaite conclure en soulevant une série de questions qui pourraient donner lieu à des amendements. Tout d'abord, la notion de maison d'accompagnement mérite d'être précisée. Ensuite, s'agissant des critères d'éligibilité à l'aide à mourir, nous considérons très flou le concept de pronostic vital engagé à court ou moyen terme figurant à l'article 6. Ce même flou entoure le caractère réfractaire d'une souffrance physique et psychologique, qui mérite là aussi d'être précisé. Par ailleurs, dans le cas où une personne choisit de ne plus recevoir les traitements et où les souffrances sont insupportables, la loi Claeys-Leonetti permet déjà d'accéder à une sédation profonde, continue et irréversible.
Nous estimons que le projet de loi s'abstient à tort d'exiger le caractère constant de la demande du patient. Celle-ci devrait être accompagnée avant d'être instruite. Nous sommes surpris que la procédure puisse intervenir sans que les proches et la personne de confiance ne soient informés et nous regrettons que la collégialité de la décision médicale ait été éliminée du projet de loi. Je m'interroge sur la disposition prévoyant que le médecin, au bout de trois mois, évalue à nouveau le caractère libre et éclairé de la volonté du patient. Enfin, le docteur Hentz m'a suggéré de recommander la présence obligatoire d'un médecin en cas d'ingestion d'un produit létal, afin de faire face à toute complication.
Nous sommes conscients de la complexité de ce sujet qui nécessite d'être abordé avec modestie. Au fait des difficultés de mise en œuvre de la loi Claeys-Leonetti, nous déplorons cependant qu'elle ne soit pas encore pleinement appliquée.
Nous regrettons que le projet de loi n'évoque pas clairement les possibilités qu'il ouvre, c'est-à-dire l'euthanasie et le suicide assisté. Nous déplorons aussi qu'un Français sur deux soit à ce jour exclu des soins palliatifs. L'annonce d'un plan décennal est positive. Mais nous nous interrogeons sur son financement, compte tenu de l'état des finances publiques.
De plus, les précédents étrangers de législations similaires attestent que les conditions d'accès disparaîtront ou glisseront progressivement, comme le souligne un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat l'an dernier : l'offre crée la demande, avec un risque de banalisation qui favorise même la poursuite de l'euthanasie clandestine comme c'est le cas en Belgique. Comment éviter cette banalisation et, surtout, une pression sociale qui pousserait les personnes fragiles et précaires à se penser de trop et à envisager l'aide active à mourir ?
Comment enfin prévenir une dérive économique libérale où la fin de vie devient une variable d'ajustement des comptes ? En un mot, nous sommes inquiets des effets sociaux d'un tel projet de loi.
Il me semble que la France a considérablement avancé sur le chemin des soins palliatifs, dont tous reconnaissent le bien-fondé et la qualité, mais aussi les axes de progrès vis-à-vis de situations délicates, grâce aux équipes soignantes et à la recherche. Pourquoi ne pas largement favoriser, comme le souligne le Conseil d'État, la sagesse pratique, plutôt que de rendre légal par le droit l'acte létal ?
Alors que nous attendions une compétence en soins palliatifs dans chaque établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), on propose une aide à mourir – en réalité un suicide assisté ou une euthanasie. De plus, la clause de conscience est doublée d'une obligation d'orienter un médecin ou un infirmier qui pratiquera le geste létal. Cet acte brise l'accompagnement et stoppe le soin, alors que la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès est habitée par une intention : apaiser la souffrance en laissant venir la mort qui se produit en raison de la pathologie.
Il est dit que les critères d'accès à l'euthanasie ou au suicide assisté sont stricts. Mais les possibilités sont ouvertes en employant les deux formules qui me semblent devoir être réfléchies : la souffrance insupportable et l'altération grave du discernement. Par ailleurs, le projet ne permet pas de garantir qu'il n'y aura aucune incitation à l'aide à mourir, au suicide assisté et à l'euthanasie.
Faudra-t-il écarter le serment d'Hippocrate pour tous les étudiants qui s'apprêtent à exercer la médecine ? Si tel était le cas, cela serait le signe d'un basculement anthropologique. Si ce n'est pas le cas, une hypocrisie légale est instaurée. Enfin, mettre en avant l'autonomie du patient, sans parler de la relation entre le soignant et le soigné, cette fraternité, conduit la personne malade à l'isolement dans la décision qu'elle prend vis-à-vis d'elle-même.
Nos sociétés vivent aujourd'hui une forme de rupture de civilisation, qui conduit à une éthique sans transcendance. Ce projet de loi est ambigu sur les principes et sur les objectifs. Notre démarche est une démarche de foi et de croyants, mais aussi une démarche citoyenne et républicaine respectant les règles de la cité et le processus d'élaboration de la loi dans notre pays.
Les évêques orthodoxes de France n'ont eu de cesse de faire part depuis 2022 de leurs inquiétudes quant à la perspective d'introduction en droit français d'un dispositif permettant de donner la mort, changement de paradigme légalisant le suicide assisté et l'euthanasie en France. Dans leur déclaration de janvier 2023, ils affirment leur conviction déterminante que le Seigneur est le maître de la vie, ainsi que leur attachement à la distinction fondamentale entre « laisser mourir » et « faire mourir ».
Dans leur déclaration du 4 avril 2024, ils rappellent que les cas d'avortement ou de fin de vie constituent de terribles épreuves humaines qui affectent des personnes en souffrance comme leur entourage familial et amical. Les chrétiens ne peuvent être indifférents à ces souffrances, qui doivent susciter une profonde compassion et les engager dans une écoute pastorale, un accompagnement par la prière, un soutien moral et spirituel marqué par l'impératif évangélique du soin. Or, les réformes dites sociétales, de la constitutionnalisation l'interruption volontaire de grossesse à l'ambiguïté normative de l'aide à mourir, érigent en norme supérieure des situations d'exception au détriment des valeurs intrinsèques de la vie, aboutissant à une véritable entreprise de régression humaine.
Dans son ouvrage La Fin de la chrétienté, Chantal Delsol souligne l'inversion normative d'aujourd'hui qui abolit seize siècles de valeurs au socle de nos sociétés. Les valeurs fondamentales du christianisme considèrent que toute vie est l'œuvre de Dieu et que, dès lors, ni la mort ni la vie ne nous appartiennent. Au-delà des discours idéologiques conjoncturels, la vie demeure un véritable mystère, celui d'un don non dénué de transcendance, dont les contours demeurent indéfinis et les limites non mesurables par la science, quels que soient les progrès incontestables qu'elle nous apporte. Pour nous chrétiens, cette loi constitue un changement de paradigme problématique, une rupture de civilisation ouvrant vers des dérives éthiques à venir. Une des questions consiste à savoir si elle poursuit une visée électoraliste pour satisfaire une partie de l'opinion.
Je rappelle en outre que M. Jean Leonetti souligne le déficit des soins palliatifs qui auraient dû être mis en place et qu'il évoque les risques de dérapage dans l'application de cette loi, qu'il s'agisse de son impact sur le code de déontologie des médecins et du personnel soignant ou du caractère artificiel de ces deux dispositifs. Au final, il parle en fait de la nécessité de soulager la souffrance, ce qui n'implique pas de donner la mort.
Tant que notre société, croyants et non-croyants confondus, n'a pas réfléchi sur la valeur intrinsèque et anthropologique de la vie, elle n'a pas le droit de légiférer de cette manière-là sur la mort.
Cette table ronde incarne ce qui fait la beauté et la force de la République laïque, dans laquelle la loi protège la foi mais aussi l'absence de foi ; où la foi ne fait pas la loi. Les lois concernant la fin de vie votées durant ce premier quart de siècle ont été marquées par des conquêtes successives obtenues de haute lutte. Elles comprennent le droit de ne pas souffrir et le droit de ne pas subir l'obstination déraisonnable, l'acharnement thérapeutique. Aujourd'hui, à titre personnel, je pense qu'il faut ouvrir le champ des possibles.
N'y a-t-il pour vous aucune circonstance, aucune situation humaine qui permette de répondre favorablement à des malades condamnés par la maladie qui ne veulent pas être voués à une agonie insupportable et qui l'expriment volontairement de façon libre, éclairée et réitérée ?
Nous sommes effectivement en République laïque où tous, croyants et non-croyants, ont leur place. Monsieur le pasteur Krieger, j'ai pris note des sujets d'aménagement et des demandes de clarification sur les notions de soins d'accompagnement et de maison d'accompagnement. Monseigneur d'Ornellas, madame la ministre du travail, de la santé et des solidarités a publiquement déclaré que nous mettrons en œuvre la stratégie décennale de soins palliatifs avant même le vote de la loi.
Messieurs, dans le cas où la loi serait votée, comment accueilleriez-vous la demande de ceux de vos fidèles qui feraient ce choix et vous demanderaient, en conscience et en foi, de recevoir un sacrement, un rituel, une prière après leur mort ? Quelle serait votre réaction de fraternité et d'humanité face à cette demande ?
Pourquoi considérez-vous qu'une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès ne constitue pas une aide à mourir ? Que pensez-vous des propos de représentants de l'Académie de médecine qui ont indiqué lors d'une audition que « l'existence compassionnelle peut conduire, par humanité, à abréger le supplice non soulagé d'une vie sans espoir » ?
Monsieur Krieger, la procédure prévoit une réitération de la volonté à trois reprises et éventuellement une quatrième fois. Je partage en outre la question qui vous a été posée par ma collègue Maillart-Méhaignerie.
Quel est votre avis sur les 60 % de Français, dont je fais partie, qui se déclarent sans religion ? Devons-nous leur interdire l'accès à l'aide à mourir sous prétexte des convictions cultuelles s'y opposent ?
Monsieur le rapporteur général, contre qui les conquêtes de haute lutte dont vous parliez ont-elles été obtenues ?
La question de la souffrance est éminemment pastorale. Elle n'est pas seulement physique, mais aussi psychologique et spirituelle. Monsieur Martin, vous inversez en quelque sorte la question : ce que feront les religions ne concerne pas forcément le dispositif de la loi. L'orthodoxie condamne le péché, non le pécheur. Ensuite, il existe une différence entre la sédation profonde, dispositif qui a pour effet la mort et celui prévu par le projet, qui a pour objet de donner la mort de manière active.
Madame Fiat, la foi catholique exige une réflexion de raison comme le soulignait Jean-Paul II dans son texte Foi et raison. J'ai donc les convictions de ma raison. Je réfléchis en raison.
Si je rencontre un catholique qui a pratiqué l'euthanasie, je mettrai en œuvre la fraternité dans le dialogue, sans juger, comme la Bible invite à le faire. L'intention est fondamentale : l'intention d'apaiser en laissant venir la mort, au cœur du dispositif de la sédation continue et profonde maintenue jusqu'au décès, n'a rien à voir avec celle de donner la mort.
L'expression « aide à mourir » prévue par le texte me pose problème en raison de son ambiguïté. Les législations des autres pays ont le mérite de présenter les choses par leur nom.
Enfin, le texte établit une urgence à l'envers selon moi : la compétence palliative dans les Ehpad aurait lieu en 2031, quand la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté interviendrait dès la fin 2024.
Je rejoins monseigneur d'Ornellas sur l'intention. Ensuite, accompagner n'est pas cautionner. Nous accompagnons déjà des personnes qui demandent l'aide à mourir ou le suicide assisté en Suisse. Dans un texte de 2019, nous avons déjà recommandé à nos pasteurs d'aller en ce sens.
Monsieur Falorni, je considère que la loi n'a pas à répondre à toutes les situations. Elle doit poser un cadre. Actuellement, le cadre posé n'est pas exploité ou expérimenté dans ses pleines potentialités.
Madame Fiat, nous ne sommes pas venus énoncer un interdit, mais contribuer au débat d'une société. Nous nous interrogeons sur l'aspect de cette loi qui concerne, selon nous, la psychologie des bien-portants. Les médecins et infirmiers interrogés indiquent que les demandes persistantes qui leur ont été soumises n'étaient qu'au nombre de trois ou quatre en vingt ans. Cela montre bien que, lorsque le malade confronté à la perspective de la mort est pris en charge avec une écoute active, la question change totalement de nature. La demande sociétale très forte doit être mise en corrélation avec ce que pourraient produire des soins palliatifs, qui pourraient « démocratiser » un certain rapport à la mort.
La psychologie de la personne en bonne santé diffère de celle de la personne malade. En tant que réanimateur, je n'ai jamais reçu aucune demande du type de celles qu'aborde le projet de loi.
La question de la sédation est l'une des plus difficiles qui soient en médecine. L'intention de la sédation porte sur le soulagement ; la mort est possible, mais elle n'est pas voulue à la différence de l'euthanasie et du suicide assisté.
Enfin, ne pas croire en une religion n'exclut pas la transcendance. Les anthropologues datent justement l'apparition de la psyché et de la conscience humaines à l'attention que l'on porte aux morts et au fait de donner des sépultures. Si nous sommes des mammifères, nous ne sommes pas des animaux.
Il serait extrêmement dommageable de cantonner les religions au domaine de la croyance. Je partage avec monseigneur d'Ornellas l'idée que la raison nous guide. Le bouddhisme n'est pas un dogme, mais le partage d'une expérience. Ensuite, face aux 60 % de Français qui se déclarent « sans religion », j'observe que, lors de la pandémie, de nombreuses personnes se sont tournées vers les religions pour chercher à expliquer l'incompréhensible.
Au-delà de nos fonctions de responsables de culte, nous sommes également des citoyens. À ce titre, nous craignons énormément qu'une légalisation de l'aide à mourir, telle qu'énoncée dans le projet de loi, fasse de cas particuliers une règle applicable à tous. Il est de notre devoir d'accompagner la personne en grande souffrance. Plutôt que d'ajouter une couche au millefeuille législatif déjà particulièrement conséquent, nous serions beaucoup plus favorables à une éducation des citoyens pour affronter la mort, plutôt que de toujours la repousser à la périphérie.
Je souhaite réitérer ma question, à laquelle vous n'avez pas tous répondu : n'y a-t-il aucune circonstance, aucune situation humaine qui permette de répondre favorablement à une demande d'aide à mourir ?
Monsieur le professeur, vous ne pouvez pas ne pas acquiescer au fait que la dose qui soulage peut également être celle qui tue. Ne considérez-vous pas que nous, médecins, dans le cadre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès prévue par la loi Claeys-Leonetti, sommes conscients de procurer une aide à mourir ?
Monsieur Falorni, je ne vais pas répondre à votre question, n'étant ni médecin ni infirmier. En revanche, plusieurs personnes qui ont à mes yeux compétence en raison de leur pratique médicale depuis plusieurs années m'indiquent que la loi actuelle est suffisante, à la seule condition que sa mise en œuvre soit réellement promue.
Docteur Cristol, il existe une très grande différence entre la dose suffisante pour soulager et la dose nécessaire pour tuer.
Il n'est pas possible d'ériger des situations d'exception en modèles normatifs. Il existe des médecins non croyants qui s'insurgent contre cette loi. Par ailleurs, l'étendue des personnes concernées par la clause de conscience pose également question : doit-elle être simplement limitée aux médecins ?
Jean Leonetti remarque que 60 % des Français qui meurent relèveraient des soins palliatifs. Mais ils n'y ont pas accès, faute d'action des pouvoirs publics. Aujourd'hui, le déplacement du curseur vers une aide à mourir ne vise-t-il pas à nous donner bonne conscience ? Loin de régler la question, cela créera encore davantage d'ambiguïtés et de problèmes sur le sujet clef de l'intention.
Actuellement, le suicide assisté ou l'euthanasie sont interdits pénalement et par le serment d'Hippocrate ; on peut donc parler de feu rouge. Quand la loi sera votée, le feu passera au vert sur le plan juridique et à l'orange sur le plan déontologique. Quelle est la couleur de votre propre feu tricolore ?
Pouvez-vous nous donner les raisons profondes selon lesquelles il ne sera effectivement pas légitime de légaliser l'euthanasie, en sachant que le développement des soins palliatifs est insuffisant en France ?
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la primauté de l'intention sur la matérialité de l'acte lui-même. En tant que législateurs, nous parlons de l'intention en conscience, en tant qu'aide à sa propre finitude et acte compassionnel. Elle s'inscrit bien dans un continuum avec la sédation et ne peut donc être assimilée à un acte criminel.
L'interdit de donner la mort, l'interdit de tuer, est commun à toutes vos confessions et je comprends dès lors la logique de votre opposition. Si la foi ne dicte pas la loi, la loi protège le droit de croire et de ne pas croire. Quelle forme peut prendre la participation des religions dans ce débat ?
Je suis choqué quand je vous entends dire que certaines personnes considéreront, avec cette loi, qu'elles seront de trop et qu'elles seront supprimées. Nombre d'entre vous se sont opposés à la loi Claeys-Leonetti à l'époque. La combattez-vous toujours ? Faut-il aller plus loin ?
Maître Saba, vous avez indiqué que tant qu'une société n'a pas réfléchi à la valeur essentielle, anthropologique de la vie, elle n'a pas le droit de légiférer sur la mort. Je tiens à affirmer que la société a le droit de légiférer sur tous les sujets dont ses gouvernants et ses élus ont décidé de légiférer. Le jour qui suivra son adoption, que direz-vous de cette loi, là où vous aurez l'occasion d'en parler ? Je rappelle que, lors des débats publics sur l'abolition de la peine de mort, les différents cultes n'avaient pas manifesté, à certaines étapes, la même intensité de préservation de la vie.
Mon parcours personnel et mes réflexions sur la foi me conduisent à penser que le doute fait avancer. Or, je n'ai entendu que des certitudes dans vos propos. Vous avez par ailleurs signifié que le projet de loi pourrait s'appliquer à des personnes vulnérables, ce qui n'est pas du tout son objet. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?
En quoi la législation sur le suicide assisté peut-elle répondre au « mal mourir » et à l'isolement social de nombre de personnes en fin de vie ? Professeur Beloucif, quelle différence établissez-vous entre l'euthanasie et le suicide assisté ?
Vos interventions ont le mérite d'inviter dans ce débat la nécessaire spiritualité qui permet à chacun de donner un sens à sa vie, à sa mort et à la souffrance. Quel est votre point de vue sur les directives anticipées ?
En tant que législateurs d'un pays laïc, nos débats doivent être libres et éclairés uniquement par la raison, quelles que soient nos orientations spirituelles. Le projet porte pour chacun des droits et des libertés de disposer de soi-même, de choisir quand mourir, sans rien retirer aux autres. Je rappelle que 76 % des catholiques, dont 61 % des pratiquants, sont favorables à l'aide active à mourir.
Il existe une différence fondamentale entre la sédation profonde et l'ingestion d'un mélange létal. Dans l'Oregon, cinquante-deux minutes après l'ingestion, la moitié des patients ne sont toujours pas morts. Certains mettent deux jours à mourir. Or, le projet de loi prévoit qu'une fois que le patient aura avalé la substance létale, s'il survient une difficulté, un médecin pourra agir. Professeur, que devrait faire le médecin dans ce cas-là ?
Selon le professeur Fabrice Gzil, que nous avons auditionné, l'aide à mourir ne consiste pas à provoquer la mort, mais à la hâter chez une personne qui va mourir à court ou moyen terme d'une maladie incurable et qui connaît des douleurs insupportables. Qu'en pensez-vous ? Pouvons-nous entendre dans vos propos que le droit à la vie implique de supporter toute vie ?
Le projet de loi concerne des personnes qui vont mourir dans un proche avenir. La question ne porte pas tant sur le rapport à la mort que sur le rapport à la souffrance dans cette mort. Qui sommes-nous pour juger de la souffrance d'autrui ? Je regrette que cette dimension soit absente de vos propos.
Je précise à l'attention des députés Falorni et Guedj mes propos, qui n'étaient peut-être pas suffisamment clairs : tant que notre société ne réfléchit pas sur la valeur intrinsèque de la vie, elle n'a pas le droit de légiférer sur la mort, c'est-à-dire le droit de donner la mort.
Nous vivons naturellement en démocratie et l'Assemblée nationale est souveraine pour voter la loi. Les opinions, comme les majorités, peuvent changer. Mais certaines valeurs essentielles demeurent. L'avis du Conseil d'État est très instructif à la fois sur les motifs, les considérations, les questions de déontologie et le risque pénal, qui demeure selon lui en raison des ambiguïtés du dispositif. Les religions représentées aujourd'hui ne veulent pas imposer ; simplement, dans une démarche participative, elles exposent leurs convictions religieuses et anthropologiques. Elles représentent aussi des millions de Français. La loi Claeys-Leonetti a nécessité beaucoup de travaux ; toutefois, elle a su établir un équilibre.
Je me réfère aux propos du professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d'éthique, qui souligne les dangers de l'émotion dans la prise de décision, notamment législative. Selon nous, la question ne se pose pas en termes de feu tricolore. Nous sommes éclairés à la fois par une lumière extérieure, la Révélation, et par la Raison ainsi que notre conscience personnelle. À ce titre, nous réfléchissons à ce projet de loi dans le temps, sans nécessairement avoir de certitude, mais en ouvrant des interrogations qui nous semblent essentielles.
La question de la souffrance ne cesse de nous habiter. Hier encore, j'étais dans un Ehpad, tenant la main de différentes personnes dans les chambres. J'y ai vu la souffrance, les larmes. Si la loi dit que le médecin ou le personnel soignant doit accompagner le patient et les proches, ils manquent souvent de moyens et de temps. Encore une fois, l'accompagnement est essentiel. J'ai moi-même participé à de nombreux points éthiques. La transdisciplinarité permet de s'écouter les uns les autres et de trouver le meilleur moyen de garder un équilibre, de ne pas céder à cette émotion compassionnelle qui fait agir de façon inconsidérée.
Sachez que les différentes familles protestantes sont en débat sur cette question et que la position que je présente est celle d'un équilibre entre elles. Les religions peuvent vous sembler un front uni parce qu'elles redoutent que cette loi soit un premier domino qui tombe avant d'en entraîner d'autres dans sa chute. Ce mouvement ne nous semble pas opportun tant que le cadre actuel n'est pas complètement exploité.
Si le croyant choisit de se conformer à la loi de Dieu, il doit naturellement respecter la loi républicaine. Parallèlement, le législateur doit s'interroger pour savoir si le nouveau droit qu'il ouvre sera un droit-liberté ou un droit-créance. En matière de sémantique, je préfère employer le terme « donner la mort » en non « aider à mourir » pour être beaucoup plus clair.
Enfin, je vous remercie pour la qualité de ces débats. Ils montrent que l'objectif consiste à faire face ensemble à l'inéluctable pour trouver les meilleures solutions de soulagement de la souffrance physique et psychique.
Je partage la majorité des propos tenus. Vous y avez vu des certitudes mais j'ai, pour ma part, entendu des inquiétudes. La foi ne doit pas dicter la loi. Mais elle peut apporter des éclairages. Le temps politique est souvent très court quand celui de la religion est beaucoup plus long – particulièrement chez les bouddhistes puisque nous croyons en la réincarnation.
La réunion s'achève à seize heures quarante-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Excusé. – Mme Lise Magnier
Assistaient également à la réunion. – Mme Claire Colomb-Pitollat, Mme Maud Gatel, Mme Sandrine Rousseau