Nos sociétés vivent aujourd'hui une forme de rupture de civilisation, qui conduit à une éthique sans transcendance. Ce projet de loi est ambigu sur les principes et sur les objectifs. Notre démarche est une démarche de foi et de croyants, mais aussi une démarche citoyenne et républicaine respectant les règles de la cité et le processus d'élaboration de la loi dans notre pays.
Les évêques orthodoxes de France n'ont eu de cesse de faire part depuis 2022 de leurs inquiétudes quant à la perspective d'introduction en droit français d'un dispositif permettant de donner la mort, changement de paradigme légalisant le suicide assisté et l'euthanasie en France. Dans leur déclaration de janvier 2023, ils affirment leur conviction déterminante que le Seigneur est le maître de la vie, ainsi que leur attachement à la distinction fondamentale entre « laisser mourir » et « faire mourir ».
Dans leur déclaration du 4 avril 2024, ils rappellent que les cas d'avortement ou de fin de vie constituent de terribles épreuves humaines qui affectent des personnes en souffrance comme leur entourage familial et amical. Les chrétiens ne peuvent être indifférents à ces souffrances, qui doivent susciter une profonde compassion et les engager dans une écoute pastorale, un accompagnement par la prière, un soutien moral et spirituel marqué par l'impératif évangélique du soin. Or, les réformes dites sociétales, de la constitutionnalisation l'interruption volontaire de grossesse à l'ambiguïté normative de l'aide à mourir, érigent en norme supérieure des situations d'exception au détriment des valeurs intrinsèques de la vie, aboutissant à une véritable entreprise de régression humaine.
Dans son ouvrage La Fin de la chrétienté, Chantal Delsol souligne l'inversion normative d'aujourd'hui qui abolit seize siècles de valeurs au socle de nos sociétés. Les valeurs fondamentales du christianisme considèrent que toute vie est l'œuvre de Dieu et que, dès lors, ni la mort ni la vie ne nous appartiennent. Au-delà des discours idéologiques conjoncturels, la vie demeure un véritable mystère, celui d'un don non dénué de transcendance, dont les contours demeurent indéfinis et les limites non mesurables par la science, quels que soient les progrès incontestables qu'elle nous apporte. Pour nous chrétiens, cette loi constitue un changement de paradigme problématique, une rupture de civilisation ouvrant vers des dérives éthiques à venir. Une des questions consiste à savoir si elle poursuit une visée électoraliste pour satisfaire une partie de l'opinion.
Je rappelle en outre que M. Jean Leonetti souligne le déficit des soins palliatifs qui auraient dû être mis en place et qu'il évoque les risques de dérapage dans l'application de cette loi, qu'il s'agisse de son impact sur le code de déontologie des médecins et du personnel soignant ou du caractère artificiel de ces deux dispositifs. Au final, il parle en fait de la nécessité de soulager la souffrance, ce qui n'implique pas de donner la mort.
Tant que notre société, croyants et non-croyants confondus, n'a pas réfléchi sur la valeur intrinsèque et anthropologique de la vie, elle n'a pas le droit de légiférer de cette manière-là sur la mort.