La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La commission auditionne Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Madame la directrice des sports, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendue disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons l'honneur d'entamer avec vous les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.
Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :
- l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;
- l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;
- l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.
Dans ce contexte, il nous a paru essentiel de vous auditionner, en tant que directrice des sports et déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement un panorama de la gouvernance dans le monde du sport et le rôle de la direction des sports par rapport à l'Agence nationale du sport, vis-à-vis des fédérations sportives et des autres organismes de gouvernance du monde sportif. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons des questions relatives à la lutte contre les violences et les discriminations dans le sport, ainsi qu'à l'éthique et la sécurité des sportifs amateurs et professionnels.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.
(Mme Fabienne Bourdais prête serment).
Je vais vous présenter l'organisation du sport en France, sous le prisme de la relation qu'entretient l'État avec les fédérations sportives, en me concentrant notamment sur les fédérations délégataires. Le code du sport prévoit que le développement des activités physiques et sportives incombe à l'État et au mouvement sportif, avec le concours de l'ensemble des acteurs, puisqu'il s'agit d'un champ de compétences partagé avec les collectivités locales et les acteurs économiques.
L'organisation du sport en France repose encore beaucoup aujourd'hui sur le modèle associatif. Les fédérations sportives sont avant tout des associations et relèvent donc du principe de libre association, à valeur constitutionnelle. La question de la relation de l'État avec des fédérations s'inscrit dans ce contexte. Le sujet de l'autonomie des fédérations nous est souvent rappelé, notamment sur le plan international. Cependant, le cadre législatif et réglementaire crée une relation singulière avec ces associations particulières, par la procédure de l'agrément et de la délégation.
Le monde de la gouvernance du sport a été marqué par des évolutions législatives assez sensibles ces dernières années. Ainsi, la loi du 1er mars 2017 visait à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a, quant à elle, introduit le contrat d'engagement républicain, mais aussi le contrat de délégation, ce dernier étant une première dans l'édifice juridique applicable au monde du sport. Enfin, la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a introduit des dispositions qui sont en cours de mise en œuvre aujourd'hui, puisque les fédérations sont tenues de mettre à jour leurs statuts au regard de ces dispositions.
Les fédérations sportives peuvent être agréées par l'État, même si toutes ne le sont pas, lorsqu'elles remplissent un certain nombre de conditions :
- le caractère démocratique de leur élection ;
- la transparence de leur gestion ;
- l'égal accès des hommes et des femmes aux instances dirigeantes.
À ce titre, leurs statuts doivent comporter des dispositions qui renvoient à leur pouvoir réglementaire, notamment à l'aune de leur règlement disciplinaire. Elles doivent également s'engager dans le contrat d'engagement républicain, justifier d'une existence d'au moins trois ans et montrer qu'elles sont en mesure de participer à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives. Il y a là une exigence de rayonnement national et elles doivent aussi montrer qu'elles présentent des garanties en matière de sécurité des pratiquants, et en particulier des mineurs. La loi du 2 mars 2022 précise que la délivrance ou le renouvellement de l'agrément renvoie à la capacité des fédérations à participer à la mise en œuvre des politiques publiques du sport, qui est appréciée discrétionnairement par le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Le cadre législatif et réglementaire a renforcé les exigences attendues de la part des fédérations sportives. Les travaux préparatoires de la loi du 24 août 2021 indiquent bien que la tutelle de l'État sur les fédérations sportives a été remplacée par un contrôle renforcé de l'État et des obligations qui pèsent sur les fédérations sportives. Le dispositif d'agrément n'est donc plus délivré ad vitam aeternam, mais pour une durée maximale de huit ans. Tout agrément accordé à une fédération sportive avant la publication de la même loi cesse de produire ses effets le 31 décembre 2024. Ainsi, toutes les fédérations vont devoir solliciter un nouvel agrément à l'aune des dispositions que je viens d'exposer.
Aujourd'hui, l'organisation prévoit que l'affiliation d'un club à une fédération sportive vaut agrément. De facto, cela fait peser sur la fédération une responsabilité quant aux exigences en matière d'agrément. Cependant, le préfet conserve la compétence pour retirer cet agrément si les conditions requises ne sont plus remplies. Historiquement, trois situations ont justifié le retrait de l'agrément à une fédération sportive par l'État. En 1998, la ministre a retiré son agrément à la fédération d'haltérophilie en raison de dysfonctionnements liés à une mauvaise application de ses propres statuts, du manquement au fonctionnement démocratique et d'une situation financière très dégradée. Dans le contrôle opéré par l'État sur les fédérations, il s'assure en effet que la fédération respecte les propres règlements dont elle s'est dotée.
En 2005, la fédération d'équitation s'est vue retirer son agrément en raison de la non-conformité de ses statuts et de son règlement en matière de lutte contre le dopage. En 2014, l'agrément de la fédération française de full-contact a été retiré en raison de la méconnaissance de règles de sécurité lors des manifestations publiques. Le ministre a ainsi considéré que les faits reprochés nuisaient à l'intérêt général qui s'attache au développement et à la promotion des activités pugilistiques dans le respect de la sécurité des pratiquants.
Les évolutions statutaires requises en application de la loi du 2 mars 2022 concernent différents éléments. Les dispositions doivent désormais être inscrites dans les statuts des fédérations s'agissant des indemnités du président, des obligations de parité dans les instances dirigeantes, du renforcement du vote direct des clubs aux élections fédérales. En effet, certains reprochaient au mouvement sportif de privilégier le scrutin indirect, donnant insuffisamment la parole aux clubs « de base ». Il convient également de mentionner la limitation à trois du nombre de mandats des présidents des fédérations et une représentation plus affirmée des organismes affiliés ou agréés.
Selon les statuts des fédérations, les clubs peuvent être affiliés ou agréés, mais également des organismes sous statut commercial participant au développement des pratiques sportives. Il s'agit par exemple des centres équestres au sein de la fédération d'équitation. Parmi les dispositions introduites dans les statuts figure également une représentation désormais systématique des sportifs de haut niveau, des entraîneurs et des arbitres. Enfin, des éléments relèvent de la transparence et de l'éthique, avec l'extension aux vice-présidents, trésoriers et secrétaires généraux des fédérations des obligations de déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et un renforcement du rôle du comité d'éthique des fédérations sportives s'agissant des personnes soumises aux obligations de déclaration.
Il s'agit ainsi de s'assurer que toutes les fédérations sportives intègrent dans leur statut ces modifications législatives. La direction des sports effectue un travail d'accompagnement des fédérations sportives, mais elle ne peut pas être prescriptive quant à la déclinaison des principes posés dans la loi. Aujourd'hui, plus de la moitié des fédérations ont fait valider leurs statuts par les instances dirigeantes ou sont en contact avec nous. L'objectif consiste à faire en sorte qu'à la fin 2024, toutes les fédérations aient modifié leurs statuts. En effet, les élections post Jeux olympiques se dérouleront selon les nouvelles modalités.
Le deuxième acte juridique important concerne la délégation. Toutes les fédérations agréées ne sont pas délégataires mais toutes les fédérations délégataires sont agréées. La délégation est l'acte par lequel l'État confie à des fédérations l'organisation des compétitions sportives et des sélections menant à des compétitions conduisant à la délivrance des titres nationaux et internationaux. C'est aussi une compétence des fédérations sportives en matière de définition des règles techniques liées à chacune des disciplines déléguées : une même fédération peut être délégataire pour plusieurs disciplines. Il arrive en effet qu'une même discipline soit revendiquée par plusieurs fédérations.
La délégation est délivrée pour quatre ans et remise en question à la même échéance, par arrêté du ministre chargé des sports. Cette délégation est désormais soumise à la signature d'un contrat de délégation entre l'État et la fédération. Les critères historiques de la délégation sont les suivantes :
- la capacité de la fédération de nous présenter sa stratégie nationale de mise en œuvre du contrat d'engagement républicain, à la fois dans la relation avec les organes déconcentrés (comités régionaux, départementaux, ligues, clubs) mais aussi avec les ligues professionnelles ;
- la production du calendrier officiel des compétitions ;
- les modalités d'organisation de la surveillance médicale des pratiquants, a fortiori pour les sportifs de haut niveau.
Le nouveau cadre législatif posé par la loi du 24 août 2021 et le décret du 24 février 2022 établit des engagements nouveaux pour les fédérations dans le cadre du contrat de délégation. Alors que le champ de la délégation renvoyait strictement au sujet sportif, les obligations de la fédération délégataire sont élargies sur les plans de l'éthique, de la vie démocratique et de la protection de l'intégrité des pratiquants, dans un cadre contractuel.
Ce contrat est ensuite validé par arrêté ministériel. Il engage les fédérations à déployer des stratégies sur cinq items :
- la protection de l'intégrité physique et morale des pratiquants et en particulier des mineurs ;
- la préservation de l'éthique et de l'intégrité des compétitions sportives ;
- les concertations engagées avec les acteurs représentatifs, dont les sportifs et les entraîneurs ;
- le développement durable ;
- la bonne gouvernance de la fédération.
Pouvez-vous revenir sur l'organisation et les perspectives de la direction des sports depuis son repositionnement sur les missions régaliennes, intervenu dans le contexte de la création de l'Agence nationale du sport (ANS) ?
En particulier, comment avez-vous accueilli et pris en compte les réserves de la Cour des comptes sur l'articulation des missions de la direction des sports et de l'Agence nationale du sport, ainsi que sa recommandation relative à la réaffirmation de la tutelle stratégique du ministère sur l'Agence ? Comment qualifieriez-vous aujourd'hui les relations de travail entre l'ANS et la direction des sports ?
La création de l'ANS en 2019 a eu un impact sensible sur les missions de la direction des sports et ses relations avec le mouvement sportif et notamment les fédérations sportives. L'ANS détient désormais la compétence de la mise en œuvre de la politique sportive de la performance et le développement des pratiques sportives, activité qui relevait antérieurement de la compétence de la direction des sports.
L'État consacre des moyens humains au mouvement sportif, puisque la direction des sports mobilise un peu plus de 1 450 de ses agents qui exercent leur mission auprès des fédérations sportives, comme les directeurs techniques nationaux, les conseillers techniques régionaux mais aussi des entraîneurs. La relation au mouvement sportif est donc aujourd'hui essentiellement régalienne, dans le cadre de l'agrément et de la délégation via le contrat de la délégation.
Le rapport de la Cour des comptes met en lumière la difficulté à apprécier le rôle des uns et des autres dans ce nouvel écosystème. Le 18 juillet 2022, la ministre a réuni l'ensemble des acteurs du sport pour repréciser le rôle attendu de chacun, et en particulier de la direction des sports. À cette occasion, la ministre a indiqué que la direction d'administration centrale devait être une « direction d'état-major » et qu'il lui revenait de s'assurer que l'ensemble des opérateurs contribuant à la politique sportive respectent leurs obligations. Elle a également indiqué que l'ANS devait aussi faire l'objet d'un suivi dans le cadre d'une convention d'objectifs et de moyens, et donc d'un contrôle de la mise en œuvre des orientations politiques déclinées au sein du conseil d'administration de ladite Agence.
Le 18 juillet 2022, la ministre a également demandé que le dispositif législatif et réglementaire qui préside à cette organisation soit complété par des actes qui ont été depuis finalisés. Ainsi, une convention et un protocole précisant le rôle de la direction des sports, de l'ANS et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) ont été signés. Les différents acteurs sont aujourd'hui positionnés et le sujet a été clarifié.
Oui, bien sûr.
Le choix de Paris comme ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a bouleversé la gouvernance du sport français. L'organisation du sport en France est considérée par beaucoup comme un mille-feuille institutionnel, avec des prérogatives éparpillées et des compétences parfois doublonnées. Elle a été complétée par deux nouveaux acteurs : le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP) et l'ANS.
Le modèle français repose beaucoup sur les associations à but non lucratif, y compris les fédérations sportives et les bénévoles. Depuis plusieurs années, le monde sportif est entaché de manière régulière par des affaires (violences sexuelles, racisme, homophobie, détournements financiers, abus de confiance, management brutal), dans un climat où l'omerta semble régner dans des fédérations et des clubs. De l'extérieur, la visibilité sur ce qui se passe à l'intérieur des fédérations est donc faible.
Vous êtes directrice des sports depuis un an et vous exercez deux fonctions difficilement cumulables selon moi : celle de directrice des sports et de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport. Compte tenu des enjeux auxquels le monde sportif français fait face, comment assurez-vous ces deux missions ? À quel moment peut-il y avoir confusion entre elles ?
Avant d'être directrice des sports, j'exerçais la fonction de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences, placée auprès de la ministre des sports à partir de juin 2020. À cette époque, la question de la création d'une délégation ministérielle, c'est-à-dire une équipe autour de la déléguée, avait été envisagée avant d'être abandonnée. Le sujet de la lutte contre les violences renvoie à la responsabilité de l'État et donc de la direction des sports. C'est la raison pour laquelle, dans ma responsabilité de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences, le traitement du sujet des violences s'est effectué dans l'objectif de renforcer la direction des sports sur cette fonction. Il m'aurait paru dangereux de créer une organisation parallèle à la direction des sports, alors même que le sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles croise d'autres sujets et d'autres dérives, qu'il s'agisse de la discrimination ou des violences psychologiques, notamment.
J'ai acquis la conviction que s'il fallait traiter de manière explicite le sujet des violence sexistes et sexuelles dans le sport, il fallait se garder de trop segmenter les différents sujets et adopter une approche globale sur la question de l'intégrité et du respect de l'intégrité des pratiquants, a fortiori quand ils sont mineurs.
Quand j'ai été nommée directrice des sports, j'ai considéré que l'organisation qui avait été mise en place était suffisamment mûre au sein de la direction des sports pour pouvoir poursuivre la même activité, alors que l'organisation structurelle de la gestion de la lutte contre les violences était déjà établie. En effet, au sein de la direction des sports, le traitement des signalements, à travers la création d'une cellule dédiée aux signalements de violences, et la démarche de prévention, qui trouve sa place dans les contrats de délégation, avaient été établis.
Dans mon quotidien de directrice des sports, il n'y a pas une journée sans que le sujet de la lutte contre les violences ne soit porté à ma connaissance, soit par un signalement transmis à la direction des sports, soit dans la relation avec les fédérations, notamment en matière de prévention et « d'irrigation » vers le niveau de proximité qu'est le club.
Les violences sexistes et sexuelles sont le plus souvent susceptibles de constituer une infraction, voire un crime et donc de relever d'une procédure judiciaire. Le code du sport prévoit que lorsqu'une personne a commis des faits susceptibles d'avoir mis en cause la sécurité des pratiquants, au-delà des procédures judiciaires, l'administration du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques a compétence pour mener des enquêtes administratives. Celles-ci ont pour objectif de protéger le public, notamment à travers des mesures d'éloignement.
Cette compétence en matière administrative est juridiquement assurée par nos services départementaux, sous l'autorité des préfets de département, puisqu'il s'agit de mesures de police administrative. Dans le champ du sport, les fédérations sportives ont aussi une compétence en matière disciplinaire. Lorsqu'une personne licenciée d'une fédération est mise en cause pour des faits de violence, cela peut justifier que ladite fédération mette en œuvre une procédure interne. Trois types de procédures existent pour les mêmes faits : une procédure judiciaire, une procédure administrative relevant de la responsabilité du ministère et de ses services, et une procédure disciplinaire, qui est de la compétence des fédérations.
Depuis trois ans et demi, nous avons recueilli plus de 1 000 signalements pour des faits de violences à caractère sexiste ou sexuel. Le rôle de la cellule est de recueillir ces signalements, dont l'origine est variée. Ils peuvent émaner des victimes, des proches, et de plus en plus des associations d'accompagnement des victimes, mais surtout des fédérations sportives elles-mêmes. Lorsque le signalement arrive à la cellule dédiée du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques, après une première instruction sur son contenu, il est transmis à notre service départemental pour traitement.
Au niveau départemental, le rôle de la cellule est multiple. Il consiste à s'assurer qu'à chaque signalement, les procédures soient bien mises en œuvre (traçabilité du signalement). Il faut également s'assurer que lorsqu'une décision de police administrative est prise, la fédération soit informée pour qu'elle puisse prendre elle-même les actes relevant de sa responsabilité. La direction des sports assure également la coordination entre les services dans des affaires qui sont souvent complexes. En effet, elles peuvent nécessiter l'intervention de plusieurs départements sur une même affaire.
Le cas échéant, se pose également la question des relations avec les autorités pénales. Ainsi, nous pouvons être conduits à tirer les enseignements de sanctions pénales. En effet, certaines condamnations pénales sont incapacitantes : elles justifient de notifier à la personne son incapacité à poursuivre son activité. La direction des sports s'assure donc que l'ensemble des procédures soient assurées dans le respect des responsabilités des uns et des autres.
Entre le moment où le signalement arrive à la cellule et le temps de l'enquête, comment se concrétisent les procédures d'éloignement ? Des signalements auprès du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale sont-ils systématiquement déclenchés, notamment lorsqu'il est question de violences sexuelles ?
Dans certaines fédérations, des entraîneurs ont été déplacés dans d'autres clubs mais ont reproduit les mêmes comportements. Comment l'expliquer ? Pensez-vous que les fédérations sportives sont bien dimensionnées pour concourir efficacement à la lutte contre toutes les formes de violences dans le sport ?
Les procédures administratives sont de deux ordres : des procédures pouvant justifier de mesures en urgence et des procédures classiques, qui peuvent conduire à une interdiction à l'issue d'une enquête administrative. Je rappelle que les procédures sont indépendantes : l'administration est fondée à prendre une mesure administrative en urgence si elle considère que les faits sont suffisamment graves et concordants pour menacer la sécurité des pratiquants, particulièrement les mineurs. Le préfet de département a ainsi la possibilité de prendre une mesure d'interdiction en urgence dans les 24 ou 48 heures. Cette mesure en urgence a une durée de validité limitée à six mois. Au cours des six mois, les services ont l'obligation de conduire l'enquête administrative, qui va permettre de soumettre le dossier à une commission départementale, laquelle propose au préfet de confirmer ou d'infirmer la mesure d'interdiction. Cette enquête administrative départementale est conduite par nos services départementaux.
Plus de 400 mesures d'interdiction d'exercer ont été prises par les préfets de département depuis la création de la cellule. Votre question m'invite à souligner que nous nous heurtons fréquemment à une difficulté : certains auteurs d'infractions, que l'on peut qualifier de « prédateurs », sont particulièrement mobiles. Finalement, une personne peut être écartée d'un club mais on peut la retrouver ailleurs dans un autre club, pas nécessairement de la même discipline.
Il existe malgré tout des dispositions permettant de limiter ce risque. Lorsque l'éducateur sportif incriminé a fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'exercer prise par le préfet, il figure sur une liste nationale des cadres interdits. Cette liste, qui a fait l'objet d'une validation législative et réglementaire après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, permet de ne plus délivrer de carte professionnelle à l'éducateur sportif qui la solliciterait. En effet, il s'agit d'une profession réglementée : pour être éducateur sportif rémunéré, il faut avoir une carte professionnelle, qui est délivrée à l'issue d'une double vérification sur la qualification et l'honorabilité. Cette honorabilité est vérifiée grâce au croisement de trois fichiers : le fichier du casier judiciaire b2, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (FIJAIS) et le fichier des interdits administratifs, qui relève de la responsabilité du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques. Si Monsieur X a fait l'objet d'une interdiction d'exercer dans un département et qu'il demande une carte professionnelle dans un autre département, le dispositif bloque la demande et la carte professionnelle ne lui est pas délivrée.
Au-delà des professionnels, nous avons été confrontés au sujet des bénévoles. En effet, l'organisation du sport repose beaucoup sur le bénévolat et l'on estime à 2 millions le nombre de personnes intervenant auprès d'un public dans les fédérations sportives. Nous avons donc travaillé à la mise en place d'un dispositif de contrôle de l'honorabilité des bénévoles du monde sportif.
Des dispositions législatives ont été nécessaires pour en définir le périmètre, qui a été récemment élargi. Au départ, il ne concernait que les dirigeants et les éducateurs mais il concerne également aujourd'hui les arbitres, toutes les personnes exerçant auprès des mineurs et les surveillants de baignade. Ce périmètre a permis de travailler avec le mouvement sportif. Nous avons créé une plateforme dématérialisée et il appartient désormais aux fédérations de procéder par extraction des fichiers de leurs licenciés pour ne soumettre aux fichiers que les personnes qui relèvent du périmètre précisé par la loi. Ce fichier est déposé par les fédérations sportives et il est croisé avec le FIJAIS et le fichier des interdits administratifs. Plus d'un million de bénévoles ont ainsi fait l'objet d'un contrôle d'honorabilité par le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Nous butons aujourd'hui sur une disposition particulière : un acte administratif constituant une décision d'interdiction d'exercer est un acte administratif individuel, qui ne peut pas être publié ni diffusé à l'ensemble des fédérations sportives. Cependant, nous avons travaillé ce sujet. Par exemple, une interdiction d'exercice au sein de la Fédération française de gymnastique à l'encontre d'une personne donne lieu à une notification par la direction des sports au sein de la fédération, mais aussi à toutes les fédérations dans lesquelles la gymnastique est proposée.
Votre direction a la charge de l'essentiel, c'est-à-dire qu'elle est régalienne. Je souhaite évoquer une violence faite à la République, les atteintes à la laïcité. Récemment, une affaire a fait grand bruit et a concerné la Fédération française de football et le port du hijab. Le Conseil d'État a donné raison à la fédération dans sa volonté d'interdire les signes extérieurs de prosélytisme religieux ou politiques. Je souhaite donc savoir ce que votre direction recueille comme information et entreprend pour défendre la laïcité dans le sport.
Nous savons également que des clubs sont utilisés à des fins de prosélytisme religieux dans certains quartiers. Disposez-vous d'indicateurs pour suivre ce phénomène ? Comment considérez-vous la chose ? Quelles mesures prenez-vous pour sanctionner les atteintes à la dignité de la nation, par exemple quand des spectateurs brûlent ou piétinent le drapeau français, ou sifflent la Marseillaise ?
Nous avons eu connaissance, à travers la lecture de la presse ces derniers mois et dernières années, de missions que le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques a diligentées via l'inspection générale. Pouvez-vous communiquer aux membres de la commission la liste de toutes les missions d'inspection qui ont été menées dans des fédérations sportives ? Pouvez-vous nous indiquer quels rapports ont été rendus publics et ceux qui ne l'ont pas été ? Puisque cette commission d'enquête dispose de cette prérogative, pouvez-vous nous transmettre l'ensemble des rapports rédigés lors des trois à cinq dernières années ?
En effet, en tant qu'inspecteur général d'une autre inspection générale, j'imagine que la direction des sports réalise un suivi des préconisations. Ces inspections ont été saisies sur des cas particuliers mais ont sans doute formulé des propositions systémiques, dont certaines ont pu être reprises dans des textes législatifs ultérieurs. Il serait en effet utile de pouvoir prendre connaissance de l'ensemble de ces rapports. Il s'agit en quelque sorte de comprendre la doctrine en l'espèce. Nous avons bien compris que ces derniers mois, sous la pression médiatique, la réponse du ministère a été de signaler que des inspections étaient réalisées et qu'il s'en remettait à l'activation de l'article 40 du code de procédure pénale que les inspecteurs peuvent être conduits à réaliser. À cet égard, il serait également intéressant de connaître le nombre de ces signalements effectués par vos inspecteurs, à la suite de ces inspections.
Ensuite, je tiens à évoquer la question de l'éthique et de la déontologie dans le mouvement sportif français. Le code du sport prévoit que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) veille au respect de l'éthique et de la déontologie du sport, définis dans une charte, que chaque fédération est chargée de décliner. À ma connaissance, les textes qui sont intervenus n'ont pas mis en place de dispositifs de contrôle du respect de cette éthique et de cette déontologie, y compris la capacité d'interpellation. Quelle est votre lecture de cet aspect ? Un administrateur d'une fédération sportive peut-il effectuer un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ? Est-il considéré comme dépositaire d'une mission de service public ? Est-il protégé en tant que lanceur d'alerte au titre d'un signalement fondé sur l'article 40 du même code?
Je vous remercie pour le travail que la direction des sports effectue au niveau national et dans nos territoires, grâce aux services déconcentrés. Cela me permet également de mettre en valeur le travail réalisé par les bénévoles. Je ne voudrais pas que cette commission d'enquête n'en dresse qu'un tableau négatif, alors que près de 2 millions de nos concitoyens s'engagent auprès des associations sportives et sont totalement vertueux.
Lors de votre propos liminaire, vous avez indiqué que certaines fédérations sportives n'étaient pas agréées par l'État. Je ne le savais pas. Pouvez-vous les mentionner et nous dire pourquoi ? Cela signifie-t-il qu'elles échappent à tout contrôle de la part de la direction des sports ? Cela signifie-t-il qu'il peut y avoir un risque supplémentaire de non-respect des règles éthiques ? Quelles incitations mettez-vous en place pour conduire ces fédérations à demander cet agrément et avoir délégation ?
Mme Bourdais, je vous laisse répondre, en sachant que vous pourrez nous adresser par écrit des éléments complémentaires.
Dans le cadre interministériel qui préside au traitement de ce sujet, et notamment la lutte contre la radicalisation, la direction des sports assume pleinement les fonctions qui sont les siennes sur un sujet qui est effectivement parfois difficile à appréhender. Le sujet de l'atteinte à la laïcité renvoie à des modalités de contrôle qui relèvent davantage de compétences liées à la sécurité que de compétences sportives stricto sensu.
Cependant, nous sommes organisés pour traiter de ce sujet au sein de la direction des sports. Notre organisation nous permet de bénéficier d'un officier de liaison de la gendarmerie nationale, qui assure le lien avec nos services déconcentrés et les préfets de département, qui ont la responsabilité du traitement de ce sujet. Nos services participent effectivement aux commissions qui sont des lieux de partage de l'information et de coordination de l'action à conduire lorsqu'il y a un repérage de situations pouvant potentiellement justifier un retrait d'agrément.
Cette organisation s'appuie également sur un réseau de référents dans chacun de nos services départementaux formés par la direction de sports. Ces moyens ont été renforcés, puisque la ministre a souhaité en 2023 la création de vingt postes dédiés exclusivement au sujet de la lutte contre les violences et la radicalisation, pour renforcer nos modalités de contrôle. Vingt postes supplémentaires seront également créés en 2024.
Dans certains clubs sportifs, il existe effectivement des dérives potentiellement répréhensibles. Lorsqu'elles sont constatées, elles donnent lieu à un traitement au sein de la commission placée auprès du préfet. D'autres questions sont traitées dans le cadre de l'instance nationale du supporterisme, au sein de laquelle siègent les représentants du ministère de l'intérieur, mais aussi les représentants des supporters. Cette instance a produit un travail assez conséquent, dont une partie a nourri des travaux législatifs et réglementaires. Nous pourrons naturellement vous diffuser si vous le souhaitez tout le travail qui a été réalisé en accompagnement des fédérations sportives et des ligues professionnelles.
Ensuite, il existe effectivement deux types de missions d'inspection. Il y a d'abord celles qui relèvent de la revue permanente des fédérations. À échéances régulières, les fédérations font l'objet d'une mission d'inspection générale sans forcément qu'une situation particulière ait été signalée. Ensuite, des missions d'inspection sont liées à des éléments déclencheurs justifiant que la ministre les sollicite.
Tous les contrôles réalisés dans le cadre de la revue permanente ont donné lieu à la publication des rapports. En revanche, les inspections réalisées dans le cadre d'un contrôle spécifique ne le sont pas toujours. Il revient à la ministre de décider de la publication ou non-publication de ces rapports, même si des règles sont prévues au titre de la relation entre le public et la ministre, qui renvoient parfois à la saisine de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et qui conduisent à transmettre les rapports d'inspection générale, parfois occultés pour ne pas porter préjudice aux personnes qui ont été citées. Parmi ces rapports d'inspection générale, certains ont donné lieu à une saisine du procureur de la République. Des procédures sont en cours et empêchent donc une transmission. Nous regarderons ce qu'il est possible de vous transmettre, mais cela ne relève pas de la direction des sports. Ce sujet relève de l'inspection générale.
Pouvez-vous malgré tout relayer nos demandes ? Il y a en outre un enjeu de délai, puisqu'il faudrait que nous puissions les lire avant la fin de la commission d'enquête.
Bien entendu.
Nous formulerons effectivement une demande écrite. Par ailleurs, n'hésitez pas à étoffer vos différentes réponses par écrit.
Vous avez également évoqué le sujet de l'éthique et de la déontologie. Depuis la loi du 1er mars 2017, le CNOSF s'est doté d'une charte éthique. Toutes les fédérations ont l'obligation de décliner cette charte et de mettre en place un comité d'éthique. Fin 2020, nous avons procédé à un bilan qui montrait que la très grande majorité des fédérations s'étaient dotées de comités d'éthique. Cependant, cela ne constitue une garantie de bon fonctionnement du comité, ni qu'il remplisse correctement la mission qui lui a été assignée.
C'est la raison pour laquelle il est prévu qu'à l'appui du bilan des contrats de délégation signés en mars 2022 avec les fédérations soit joint le bilan des comités d'éthique de chacune des fédérations. Cela nous permettra de disposer d'une vision exhaustive du fonctionnement de ces comités d'éthique. Nous avons ainsi demandé à toutes les fédérations de nous produire un bilan écrit. D'ici la fin de l'année 2023, un temps d'échange sera organisé avec chaque président de fédération sur le contrat de délégation, et notamment sur ces sujets spécifiques de gouvernance.
Enfin, les fédérations sportives non agréées sont peu nombreuses. Certains opposants de fédérations sportives agréées voire délégataires constituent des fédérations parallèles et sollicitent le ministère pour pouvoir bénéficier de l'agrément. La doctrine de la direction de sports est de considérer qu'il n'est pas de bonne administration de multiplier les fédérations qui prétendent organiser les mêmes disciplines sportives. Notre travail consiste donc à regrouper les initiatives et faire en sorte de pouvoir les retrouver au sein de la même fédération.
Certains exercices ont mieux réussi que d'autres, pour des raisons qui appartiennent à chacune des fédérations concernées. Cependant, ce n'est pas parce qu'une fédération sportive n'est pas agréée qu'elle échappe à tout contrôle de l'État. En effet, toute structure qui organise une activité physique et sportive relève de la réglementation sur les établissements d'activité physique et sportive et elle est donc à ce titre soumise au contrôle de l'administration.
Un administrateur peut-il saisir le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ?
Non. Cependant, s'il écrit au ministre, en application du code de procédure pénale, si la victime présumée est un mineur, il y a obligation, comme pour tout citoyen, de transmettre au procureur de la République, sans forcément être obligé de faire référence à l'article 40 du code de procédure pénale.
Différents scandales ont mis en cause la gouvernance financière de certaines fédérations sportives, comme les fédérations de football et de rugby. Un audit aurait ainsi été lancé par la direction des sports. Pouvez-vous nous le confirmer ? Si tel est le cas, cet audit est-il achevé ? Disposez-vous de premiers éléments ? Pouvez-vous nous les transmettre ?
Il ne s'agissait pas d'un audit mais d'une mission de contrôle demandée par la ministre à l'inspection générale.
Disposez-vous d'éléments sur cette inspection ? Un rapport a-t-il été rédigé ? Pourrons-nous y avoir accès ?
Cela rejoint ma réponse à la question précédente.
Nous vous remercions. Nous ne manquerons pas de vous solliciter à nouveau au sein de cette commission d'enquête pour des informations supplémentaires, si le besoin s'en fait sentir.
Nous sommes à votre disposition.
La séance s'achève à dix heures quinze.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Céline Calvez, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Croizier, M. Hadrien Ghomi, M. Jérôme Guedj, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi, M. Bertrand Sorre, M. Michaël Taverne.
Excusés. – Mme Soumya Bourouaha, M. Stéphane Lenormand