La commission des affaires économiques a auditionné M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF, sur l'état du parc nucléaire.
Notre commission a débuté hier un cycle d'auditions visant, d'une part, à poser un diagnostic sur les raisons ayant conduit à l'arrêt de plus de la moitié des réacteurs du parc nucléaire, sur les responsabilités dans ce domaine et sur les moyens de relancer au plus vite la production et, d'autre part, à étudier les scénarios de consommation et de production, y compris les plus sombres, des mois à venir et à élaborer des solutions concrètes pour que, collectivement, nous puissions surmonter l'épreuve énergétique.
Monsieur le président, l'entreprise que vous dirigez est au cœur de multiples interrogations. Notre pays est confronté pour l'hiver à venir à un problème énergétique qui résulte de causes variées. Pour certaines, comme la réduction drastique des livraisons de gaz russe, ou encore le faible niveau des réservoirs des barrages hydroélectriques en lien avec la sécheresse, EDF ne fait que subir la situation. En revanche, concernant spécifiquement le sujet de l'offre en électricité, la crise est amplement aggravée par l'indisponibilité actuelle de trente-deux réacteurs de notre parc nucléaire sur un total de cinquante-six. La responsabilité d'EDF à ce niveau peut donc être interrogée, questionnement qui ne vise évidemment pas l'ensemble des équipes et agents d'EDF, dont nous connaissons tous l'implication et le dévouement quotidiens sur le terrain.
Puisque j'évoquais en début d'intervention la nécessité d'un diagnostic, je souhaiterais que nous axions cette audition sur les raisons justifiant l'arrêt de ces réacteurs, en détaillant, par nature de problème, le nombre de réacteurs concernés.
En tant qu'élus, nous sommes fréquemment interrogés par les citoyens de nos circonscriptions, qui aimeraient comprendre la raison de l'indisponibilité d'un tel nombre de réacteurs, savoir quand ils fonctionneront à nouveau et si de nouvelles difficultés peuvent éventuellement apparaître.
Les travaux de maintenance, de rechargement ou les interventions nécessaires pour envisager de prolonger la durée de vie d'un réacteur sont compréhensibles, à condition que l'agenda fixé, même après les perturbations induites par la crise sanitaire, apparaisse rationnel. Le doute est en revanche permis en ce qui concerne les arrêts de réacteurs liés aux problèmes dits de corrosion sous contrainte. Comment de telles difficultés ont-elles pu survenir ? Sont-elles liées à des pertes de compétences, à des défauts d'investissement, à des défaillances dans la surveillance de la sécurité nucléaire ? Auraient-elles pu être prises en compte plus tôt en étalant dans le temps les réparations pour préserver le nombre de réacteurs en fonctionnement ? Serez-vous en mesure de redémarrer l'ensemble de ces réacteurs pour l'hiver et quel sera le nombre de réacteurs que vous serez malgré tout dans l'obligation de stopper dans le cadre des procédures normales de maintenance ? Finalement, la production du parc nucléaire au cours de l'hiver prochain sera-t-elle suffisante pour faire face aux pics de consommation ?
Les interrogations sur les compétences d'EDF se posent d'autant plus que l'entreprise éprouve le plus grand mal, depuis plusieurs années, à achever la construction et la mise en service des European Pressurized Reactors (EPR), qu'il s'agisse de celui de Flamanville, de ceux de Finlande ou encore du Royaume-Uni. J'observe d'ailleurs que le numéro du Canard enchaîné d'aujourd'hui fait état d'une anomalie de conception sur la cuve de Flamanville. Pourriez-vous nous fournir quelques explications à ce sujet ? Dans ces conditions, le programme de construction de nouveaux EPR visant à faire face à la hausse de consommation d'électricité anticipée à l'horizon 2040-2050 peut-il être envisagé sereinement ?
Les difficultés et défis qu'EDF doit affronter à court, moyen et long terme se traduisent évidemment par un coût financier immense tandis que vos recettes sont contraintes par le mécanisme de l'Accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh) , ce qui conduit les pouvoirs publics, depuis un certain temps, à s'interroger sur la structure de la gouvernance de votre entreprise et a déjà amené l'État à souhaiter porter sa participation à 100 % du capital. Ce sujet n'est pas au cœur de l'audition d'aujourd'hui, qui est axée sur les capacités de production, mais notre commission travaillera probablement prochainement sur ces questions.
Mes collaborateurs et moi-même sommes très attachés à partager un maximum d'informations avec la Représentation nationale et le public, malgré leur caractère souvent quelque peu technique, complexe et contraint par des réglementations multiples dans le cadre de l'Union européenne comme de la République.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans un contexte difficile et je souhaiterais tout d'abord revenir sur la crise que nous vivons, crise énergétique majeure, d'une ampleur comparable aux chocs pétroliers des années soixante-dix, bien qu'il s'agisse en réalité d'un double choc gazier.
Le premier choc, d'envergure mondiale, remonte à 2021 et chacun s'accorde à penser qu'il est lié à l'intensité de la reprise économique ayant succédé à la crise covid. Il se traduit par une forte hausse du prix du gaz en Asie et en Europe et de ce fait par une augmentation vertigineuse du prix de l'électricité sur les marchés de gros européens. Dès 2021, cette première crise conduit les pouvoirs publics français à prendre des mesures exceptionnelles, de nature fiscale et réglementaire, à savoir le bouclier tarifaire. Ceci est intervenu avant toute détection de corrosion sous contrainte, en réalité très récente.
Le second choc gazier touche principalement l'Europe et s'inscrit comme une conséquence de la guerre en Ukraine. On observe non seulement une envolée des prix du gaz à partir de février 2022, mais aussi une crise de sécurité d'approvisionnement énergétique due à l'arrêt progressif de l'alimentation de l'Europe en gaz russe. Cette crise se poursuit aujourd'hui et déstabilise profondément les systèmes européens gaziers et électriques, qui sont interdépendants.
Cette tension a des répercussions sur les prix de l'énergie et, en ce qui nous concerne, de l'électricité. Toutefois, ses conséquences se font également sentir sur l'ensemble de l'économie et sur les perspectives d'inflation.
Elle influe notamment sur les prix de l'électricité. La première hausse des prix du gaz de 2021 a entraîné mécaniquement une augmentation des prix de l'électricité partout en Europe. Le mécanisme de formation des prix de l'électricité sur le marché de gros reflète les coûts de production des dernières centrales électriques appelées pour répondre à la demande. Ce mécanisme, qui conduit à faire supporter au consommateur d'électricité français la volatilité des prix du gaz, est incohérent sur les plans climatique et économique. Une discussion pour une réforme de ce marché est donc en cours. La hausse de 2021 sur les marchés de gros a été suffisamment forte pour justifier une première série de mesures gouvernementales en Europe visant à en atténuer les effets sur les consommateurs. Ainsi, en France, le Parlement a-t-il voté en 2021 une baisse de la fiscalité sur l'électricité : il s'agit de la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (Ticfe), qui est passée de 22,50 euros du mégawattheure (MWh) à 0,50 euro. Un dispositif de bouclier tarifaire visant à limiter l'évolution des tarifs régulés pour les particuliers à 4 % a également été mis en place, la dernière augmentation de ce tarif ayant eu lieu en février 2022. En janvier 2022, le Gouvernement a encore pris la décision d'augmenter de manière exceptionnelle le volume annuel de l'Arenh de 100 à 120 térawattheures (TWh).
Depuis février 2022, à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, nous subissons un deuxième choc de prix sur le gaz qui accentue la hausse des prix du gaz qui, par conséquent se reflète là encore sur les prix sur les marchés de gros de l'électricité. Dans les deux cas, l'évolution du prix de l'électricité est directement corrélée au prix du gaz.
Par ailleurs, la réduction puis l'arrêt progressif des livraisons de gaz par la Russie, d'abord vers certains pays d'Europe orientale puis, plus récemment vers l'Allemagne et toute l'Europe occidentale, présente un risque d'approvisionnement pour toutes les catégories de consommateurs (domestiques et industriels) ainsi que pour la production d'électricité à partir de gaz naturel. Cette dernière représente 12 % de la production en Allemagne et 18 % en moyenne pour l'Union européenne en 2020. Nous sommes davantage protégés en France dans la mesure où nous dépendons moins du gaz, et en particulier du gaz russe pour produire de l'électricité. Il n'empêche qu'aujourd'hui, la première et principale menace sur la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Europe reste ce phénomène sur le marché gazier.
La production d'électricité à partir de gaz naturel en France représente en volume une part limitée, mais reste essentielle à l'équilibrage général, ponctuellement, au cours des périodes de pointe, pendant lesquelles nous avons recours aux centrales au gaz comme à la production hydroélectrique. Or la sécheresse de cette année 2022 nous conduit à adopter une gestion très prudente de nos barrages, qui doivent pouvoir contribuer au passage des pics de consommation tout au long de l'hiver, d'autant que la production d'électricité à partir de gaz naturel pourrait se trouver en concurrence avec d'autres usages industriels de ce gaz, devenu un bien rare. Vous-mêmes, au Parlement, avez voté cet été la possibilité qu'a désormais l'État de reprendre directement en main la gestion des centrales électriques au gaz des différents opérateurs, dont EDF.
Pour en revenir au parc nucléaire, la crise intervient au moment où ce dernier conduit un programme essentiel de modernisation programmé de longue date. Le « Grand Carénage » représente un investissement majeur. Il va permettre, dans un premier temps, de poursuivre au-delà de quarante ans l'exploitation de nos trente-deux réacteurs de 900 mégawatts (MW). En contrepartie, les arrêts des réacteurs sont plus longs lors des visites décennales à quarante ans (VD4), car le volume des travaux y est cinq fois supérieur à celui des troisièmes visites. En effet, ces dernières intègrent le solde des travaux dits post-Fukushima, qui permettent de renforcer le niveau de sûreté de nos installations. Elles ont débuté en 2019 sur le réacteur de Tricastin 1 et se poursuivent aujourd'hui sur d'autres réacteurs du palier 900 MW. Sur les trente-deux réacteurs concernés, sept VD4 sont à ce jour achevées.
Nous savons depuis longtemps que le rythme entre 2021 et 2025 sera très élevé, avec en moyenne cinq VD4 par an sur cette période. Du fait du volume des travaux, les arrêts à quarante ans sont de longue durée. Sur les sept premiers arrêts terminés, l'activité du réacteur a été arrêtée sur une période de 214 jours, contre 164 jours lors des arrêts à trente ans. Avec cinq VD4 en moyenne par an, cela revient chaque année à effacer la production annuelle d'un réacteur de 900 MW. Nous nous sommes donc préparés depuis longtemps à ce Grand Carénage, à travers de très nombreuses embauches. Chaque année, entre 2011 et 2014, sur le périmètre production et ingénierie nucléaire, EDF a recruté environ 2 000 personnes pour un flux annuel de départs à la retraite d'environ 1 000 personnes. Nous avons ainsi, en anticipation, constitué des pépinières ayant pour objectif de former des salariés à travers un système de compagnonnage dans lequel le collègue le plus expérimenté transmet son expérience. Sur les années suivantes et jusqu'aujourd'hui, nous avons quasiment intégralement compensé chaque année les départs en retraite et avons donc constitué un vivier de personnels qualifiés supplémentaires.
J'ai été nommé fin 2014. En janvier 2015, lors du premier conseil d'administration suivant ma nomination, j'ai fait adopter le Grand Carénage et fait voter le budget de ce dernier pour la période 2014-2025. Nous avons ensuite modifié notre organisation en créant une direction spécifique pour ce projet de grande ampleur. Celle-ci est chargée d'anticiper et surtout de mettre en ordre de marche toutes les parties prenantes : exploitation, ingénierie et bien sûr l'ensemble de nos partenaires de la filière industrielle. Nous avons régulièrement communiqué sur l'avancement du Grand Carénage et considérons que ce programme est un succès. Entre 2015 et 2018, la filière nucléaire EDF et ses partenaires industriels ont ensemble recruté 30 000 personnes. Cette hausse témoigne de la continuité d'une dynamique de recrutement dans la filière, alors même que l'activité générée par le chantier de l'EPR de Flamanville 3 était en baisse d'intensité et qu'il n'existait alors aucun chantier de construction neuve d'ampleur en perspective en France.
Cependant, au moment où le Grand Carénage, au cours des derniers mois, entrait dans son pic d'activité, nous avons dû faire face à deux difficultés imprévisibles : le covid et la corrosion sous contrainte.
Le covid a imposé un réaménagement profond de toute l'économie et de toute l'industrie françaises. Chez EDF, cela s'est traduit par un large remaniement des arrêts de tranche à cause des confinements, qui avaient conduit à la fermeture des frontières et à l'indisponibilité des entreprises et des travailleurs, notamment ceux qui se déplacent de site en site. Pendant le premier confinement, EDF a bien évidemment maintenu le fonctionnement du parc nucléaire et a garanti l'alimentation électrique du pays en toute sûreté. Mais tous les chantiers se sont arrêtés. Or les travaux de maintenance du parc nucléaire nécessitent un réglage fin et permanent, planifiés très précisément, de manière à ce que, chaque hiver, nous disposions d'un maximum de production. La crise covid nous a conduits, dès 2020, à réorganiser l'ensemble de notre programme d'arrêts de tranche pour les années suivantes, d'abord pour sécuriser le passage de l'hiver 2020-2021, mais aussi pour anticiper la vie du parc au cours des deux hivers suivants, puisque nous subissons encore aujourd'hui des conséquences en chaîne liées à la réorganisation de notre programme de travaux.
La corrosion sous contrainte est un phénomène totalement inattendu détecté en décembre 2021 lors d'une visite décennale sur un réacteur assez récent, celui de Civaux. Nous y avons observé un endommagement de l'acier du circuit d'injection de sécurité à proximité de la tour. Nous avons par conséquent engagé des contrôles sur des réacteurs similaires et nous nous sommes aperçus que nous devions mettre rapidement à l'arrêt non seulement le réacteur de Civaux 1, mais également les trois autres réacteurs du palier N4, le plus récent du parc. Ce phénomène nous a amenés à définir un ensemble de contrôles, expertises et analyses visant à en comprendre la nature, à identifier les réacteurs les plus sensibles et les zones du réacteur dans lesquelles le phénomène est le plus en mesure de se manifester et enfin à mettre en place un programme de contrôle susceptible de toucher l'ensemble du parc. Nous avons donc mené, tout au long du premier semestre 2022, une analyse très complète à la suite de laquelle nous avons proposé à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une stratégie de traitement de ce problème, validée par cette dernière à la fin du mois de juillet dernier. Le phénomène de corrosion sous contrainte est aujourd'hui mieux compris, à la fois en termes d'apparition et de conséquences. Nous avons aussi, au cours de ces six mois, développé un nouveau moyen de contrôle non destructif qui nous permet d'éviter de couper la tuyauterie pour mener nos observations. Nous avons aujourd'hui la possibilité de poursuivre avec plus d'efficacité et moins d'interruptions le diagnostic de nos réacteurs. Notre programme de contrôle a lui aussi reçu l'approbation de l'ASN à la fin du mois de juillet. Nos équipes et celles de nos partenaires industriels sont pleinement mobilisées pour effectuer les travaux de réparation et pour remettre sur le réseau le maximum de réacteurs possible pour le prochain hiver.
Ces travaux viennent évidemment accroître la charge de travail programmée pour le Grand Carénage. Se pose alors le sujet du degré de préparation de la filière nucléaire pour surmonter la crise que nous traversons, ce qui m'amène à préciser certains de mes propos développés en amont.
Nous faisons face à un cumul inattendu d'activités qui mobilisent des compétences pointues et rares, notamment celles de tuyauteurs et de soudeurs, mais aussi de robinetiers, d'usineurs, de chaudronniers, etc. Ce déficit de compétences affecte notre capacité à réparer au rythme que nous souhaiterions.
Le débat sur le rôle du nucléaire en France s'est intensifié après l'accident de Fukushima en mars 2011 et aussi dans le contexte des décisions politiques de 2012. Tout cela a perturbé la filière. Nombreux sont ceux qui, en France et à l'étranger, ont parlé d'un « hiver nucléaire post-Fukushima » et nous n'avons regagné en visibilité que très progressivement. La validation du programme de Grand Carénage, début 2015, nous a permis d'organiser avec succès la montée en charge de la filière nucléaire pour faire face au programme de maintenance du parc : la maintenance courante, que nous effectuons depuis toujours, comme la maintenance lourde prévue par le Grand Carénage. Le report de 2025 à 2035 de la date à partir de laquelle la part du nucléaire dans la production d'électricité devait atteindre l'objectif de 50 % a été rendu public il y a cinq ans. En février 2021, avec l'avis générique qu'elle a publié, l'ASN a approuvé le référentiel technique pour l'exploitation des centrales nucléaires du palier 900 MW au-delà de quarante ans, et plus récemment en février 2022, le discours de Belfort a clairement posé le cadre de développement du nucléaire en France à moyen et long terme, tant pour le parc actuel que pour la construction de nouvelles unités.
Avec l'amélioration progressive de cette visibilité, nous sommes en mesure de poursuivre la montée en charge de la filière au cours des prochaines années. Nous allons notamment nous appuyer sur l'Université des Métiers du Nucléaire, qui a été lancée en étroite coordination avec le Gouvernement, et en application du plan Excell, que j'ai décidé fin 2019. Nous avons par exemple lancé une école de soudage dans le Cotentin, qui commence tout juste à mettre à la disposition des entreprises ses premières promotions de soudeurs spécialisés dans le nucléaire.
Mais dans la situation exceptionnelle que nous vivons, réunissant la corrosion sous contrainte et les effets du covid, qui viennent s'ajouter au très gros programme de maintenance lourde du Grand Carénage, nous ne disposons pas de soudeurs ni de tuyauteurs qualifiés supplémentaires que nous pourrions déplacer en nombre et en urgence d'un chantier de construction vers les chantiers de réparation. Nous faisons par conséquent appel à des soudeurs venant d'autres pays et je dois dire que si la filière avait pu, il y a dix ans, lancer quelques chantiers de construction de nouveaux réacteurs, nous disposerions aujourd'hui de davantage de salariés qualifiés dans un ensemble de métiers spécialisés, que nous aurions pu momentanément mobiliser vers nos chantiers de réparation du parc actuel.
Ces précisions me permettent d'expliquer l'absence de marges de manœuvre de la filière pour absorber cette fluctuation brutale et inattendue de charges, en particulier là où les compétences sont les plus pointues. Nous avons su préserver l'essentiel grâce à l'activité de maintenance courante, au Grand Carénage et à la construction des deux réacteurs EPR d'Hinkley Point en cours en Grande-Bretagne. Si une dynamique positive est réenclenchée, le processus prend du temps. C'est le temps industriel. La mobilisation des hommes et des femmes d'EDF et de tous les acteurs de la filière pour avancer au plus vite est totale.
À ce jour, 27 de nos réacteurs sont connectés au réseau électrique, 3 autres sont placés en situation d'économie de combustible, auxquels nous ne faisons actuellement volontairement pas produire d'électricité, de manière à ce qu'ils soient disponibles pour produire pendant l'hiver à venir. 30 réacteurs au total sont donc disponibles et 26 sont à l'arrêt : 10 réacteurs en arrêt programmé pour les maintenances classiques, 10 réacteurs faisant l'objet de réparations liées à la corrosion sous contrainte, 5 réacteurs en cours de contrôles et de recherches de traces de corrosion et le dernier réacteur est en arrêt fortuit, ce type d'arrêt étant généralement de courte durée. Les chantiers de réparation des réacteurs touchés par la corrosion ont commencé cet été et avancent à un bon rythme, le chantier de Tricastin 3 étant déjà achevé. Sur Civaux 1, l'un des chantiers les plus lourds à réaliser, plus de 50 % des travaux ont déjà été effectués.
Je voudrais finalement aborder la question de notre clientèle. Si mon discours a été centré jusqu'ici sur la production, j'aimerais maintenant en venir au sujet de la demande. Nous accompagnons tous nos clients, ménages, entreprises et collectivités, en tant que fournisseurs d'électricité responsables, mais aussi plus largement d'énergie et de services. Ce sens des responsabilités et du service public s'inscrit dans l'ADN d'EDF, dont les valeurs animent l'action et l'engagement de tous nos salariés au quotidien. Nos clients reconnaissent l'expertise et le sérieux d'EDF. Nous suivons attentivement les indicateurs de confiance de nos clients comme de nos salariés, qui se situent à des niveaux très élevés.
Depuis des années, et bien avant la crise que nous traversons aujourd'hui, nous proposons une large gamme d'offres pour aider nos clients à consommer à la fois moins et mieux. À ce titre, les appels à la sobriété électrique et énergétique sous-tendent nos actions depuis longtemps. Par exemple, pour les ménages, grâce à nos conseillers basés en France et à nos outils tels que l'application EDF & MOI, nos clients bénéficient déjà de conseils personnalisés. Les clients utilisant l'application peuvent réduire leur consommation d'électricité de plus de 10 %. Nous sommes par ailleurs le seul fournisseur à maintenir hiver comme été une alimentation minimale d'électricité en cas d'impayé. En outre, en coordination avec les démarches engagées par le Gouvernement, nous avons lancé en octobre des campagnes de communication et de sensibilisation de grande ampleur, de façon à ce que chacun de nos concitoyens puisse s'inscrire dans une logique vertueuse de sobriété, en s'appuyant notamment sur les écogestes. Le signal tarifaire constitue également un levier important pour encourager les économies d'énergie. L'option heures pleines - heures creuses est déjà très largement répandue et couvre dix millions de nos clients. En octobre, nous allons promouvoir l'option Tempo auprès de nos clients bénéficiant du tarif régulé et nous espérons un taux de souscription important.
S'agissant des entreprises et des collectivités, en matière de maîtrise de la demande et d'efficacité énergétique, nous nous appuyons sur EDF ainsi que sur notre filiale Dalkia pour déployer de nombreux services et offres : les contrats de performance énergétique, dans lesquels nous nous engageons contractuellement en matière de réduction de la consommation, ou encore le développement le plus rapide possible de réseaux de chaleur et de froid, qui permettent aux collectivités de réduire le prix de l'énergie et contribuent à la décarbonation de l'économie. Nous accompagnons par ailleurs chacun de nos clients entreprises et collectivités avec des offres adaptées à leurs besoins, qui leur permettent de baisser, voire de reporter leur consommation. Chaque année, en particulier pendant l'hiver, nous signons des contrats de capacité d'effacement avec certains clients industriels. Ceux-ci perçoivent une rémunération lorsqu'ils suspendent leur consommation durant les périodes de tension du réseau électrique. Nous l'avons fait avec succès les hivers passés et allons renforcer cette démarche pour l'hiver à venir. Les actions que je viens de résumer, d'effacement ou de modulation volontaire de la consommation, représentent un gisement additionnel d'une valeur estimée à un gigawatt (GW) environ.
Les circonstances exceptionnelles actuelles exigent ces actions urgentes et s'inscrivent dans une démarche de long terme que nous ne perdons pas vue. L'urgence climatique nécessite d'accentuer encore davantage nos efforts en faveur de la transition énergétique et de la décarbonation de nos usages. C'est notre raison d'être, et chez EDF, nous œuvrons chaque jour en ce sens.
Merci pour cet exposé qui répond aux interrogations et clarifie certains de vos propos qui ont pu être mal interprétés. Je souhaiterais rappeler quelques éléments contextuels. Dans cette enceinte se trouvent des parlementaires qui, pour une part, considèrent les énergies renouvelables comme parfois inutiles et inefficaces et qui, pour une autre part, estiment que le nucléaire est trop dangereux et pensent qu'il faudrait complètement s'en passer. La stratégie que nous défendons avec le Président de la République, le Gouvernement et la majorité présidentielle est très claire et identique depuis la naissance de notre formation politique. Elle repose sur deux piliers : l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. L'énergie nucléaire doit être développée. Six EPR ont donc été lancés tandis que huit sont en projet. Concernant les énergies renouvelables, nous avons pour objectif de multiplier par dix l'énergie solaire, de développer les cinquante parcs éoliens offshore et de devenir les leaders de l'hydrogène vert en Europe.
La crise que nous vivons est conjoncturelle et émane à la fois de la reprise économique post-covid, de la guerre en Ukraine, mais aussi du fait, pour la situation particulière de la France, qu'une trentaine de nos réacteurs sont à l'arrêt. Si ces réacteurs fonctionnaient, nous ne connaîtrions pas de problème cet hiver et ne débattrions peut-être même pas aujourd'hui. Comme il est plus facile de remettre en marche des réacteurs nucléaires que de faire cesser la guerre en Ukraine, c'est à EDF qu'il incombe de s'en charger. C'est d'ailleurs l'occasion d'illustrer l'excellence de nos ingénieurs. Vous nous avez très bien exposé les causes de la situation actuelle. Pouvez-vous nous faire part de votre plan pour les mois à venir ? Combien de réacteurs vont-ils être réouverts, selon quel calendrier et quelles probabilités ?
Nous sommes soumis à un règlement européen, la Regulation on wholesale energy market integrity and transparency (Remit), qui nous impose de mettre à disposition sur notre site la totalité des informations de fermeture et de redémarrage de réacteurs, auxquelles chacun et chacune d'entre vous a donc accès.
Sur les 25 réacteurs actuellement à l'arrêt, le calendrier de retour en service est le suivant : 5 réacteurs sont attendus au mois de septembre, 5 au mois d'octobre, 7 au mois de novembre, 3 en décembre, 3 en janvier et 2 en février. Ceci s'entend bien sûr indépendamment des aléas techniques pouvant survenir sur des process industriels complexes.
Je pense qu'il nous faut vous reconnaître un réel mérite dans la gestion de la situation actuelle. En effet, l'exécutif vous laisse évoluer dans un manque complet de visibilité, dans le cadre de la loi Énergie et Climat de 2019 toujours en vigueur aujourd'hui, en prévoyant la fermeture de réacteurs, mais aussi en maintenant le dispositif fortement inéquitable qu'est l'Arenh, élément central du simulacre qu'est le marché concurrentiel de l'électricité que nous impose le droit européen et véritable poison pour le chiffre d'affaires d'EDF. Il me semble que nous serons tous d'accord pour saluer le travail des cadres, ingénieurs et techniciens d'EDF, et à ce mérite j'ajouterais celui de l'honnêteté de votre démarche, celle de pointer du doigt certaines incohérences du politique qui, indépendamment des circonstances particulières liées à la pandémie, à la crise gazière et aux défauts récemment découverts sur certains réacteurs, soumettent notre système de production électrique à la tension que nous connaissons.
Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui est de savoir dans quelle mesure notre appareil de production électrique sera capable de faire face à l'hiver à venir. Tout d'abord, les derniers mois ont été marqués par la découverte du problème de corrosion sous contrainte qui, pour des exigences de sécurité, a considérablement ralenti le redémarrage des réacteurs. Vous avez certes abordé ce thème, mais j'aimerais que nous nous intéressions plus précisément, pour les années suivantes, au procédé de contrôle par ultrasons que vous mettez en place. Permettra-t-il d'éviter de nouveaux arrêts ? Je voudrais aussi revenir sur le problème de la fermeture de Fessenheim, imposée pour des motifs purement politiques, et dont l'exécutif a dernièrement voulu vous faire porter une partie de la responsabilité en invoquant un défaut d'entretien pendant les dernières années d'activité de la centrale. Vous avez fait savoir à plusieurs reprises que vous regrettiez cette décision que l'on vous imposait. Ma question est double : d'une part, comment l'exécutif a-t-il répondu aux réserves que vous lui aviez opposées avant la mise à l'arrêt ? D'autre part, considérez-vous la perte de ce moyen de production comme techniquement irréversible indépendamment des décisions politiques à venir ? Le même questionnement peut être étendu à d'autres moyens de production pilotables. Depuis que vous avez pris vos fonctions à la tête d'EDF, près de huit GW de centrales à charbon et au fioul ont été arrêtés en France métropolitaine, dans un objectif tout à fait louable de baisse de la part des fossiles dans le mix électrique. Cependant, dans le même temps, aucun réacteur nucléaire n'est entré en service et le déploiement de gaz a été limité. Les dernières années ont donc vu un déclin de nos sources pilotables d'électricité au profit des ressources intermittentes éoliennes et solaires. Les gouvernements successifs de la période ont-ils mesuré le risque de cette orientation pour la stabilité de notre réseau ? Estimez-vous que certaines de ces centrales thermiques sont techniquement re-démarrables, à l'image de celle de Saint-Avold, dont les salariés ont été rappelés cet été alors que la fermeture définitive était actée ? Pour terminer, concernant la consommation, se pose le problème des capacités d'effacement. Quatre experts de la question affirmaient le 15 juillet dernier dans Le Monde qu'elles sont passées entre le début des années 2000 et aujourd'hui de 10 MW à seulement 3,6, les particuliers s'étant largement détournés des contrats d'effacement tarifaire, particulièrement utiles lors des pics de consommation.
Vous savez combien EDF a combattu l'Arenh, car nous avons toujours estimé que le mécanisme qui revient à subventionner nos concurrents sans contrepartie ne correspond pas aux besoins. S'agissant de l'équipement en cours de construction et que nous allons multiplier, celui-ci a pour principal mérite d'éviter le tronçonnage des tuyaux qui nécessitent d'être ensuite reconstruits et ressoudés et de pouvoir réaliser un examen non destructif. Nous pensons en effet être en mesure, à l'aide de cet équipement, de gagner en efficacité dans la gestion des phénomènes de corrosion sous contrainte.
Vous nous avez donné des éléments sur la manière dont vous envisagez que le parc nucléaire puisse passer l'hiver. Cependant, on constate, par exemple, pour le deuxième jeudi du mois de janvier, un manque de production de 8 MW. Ce chiffre correspond-il à ce qui sera produit par les réacteurs à nouveau en service à cette date ? En outre, nos voisins allemands, dans leurs stress-tests énergétiques, dressent un scénario du pire tablant sur seulement 41 MW de production nucléaire française les impactant personnellement. Disposez-vous également d'un scénario de ce type ? Le cas échéant, comment cela se traduirait-il si l'on atteignait ce niveau de production nucléaire en termes de nécessité, que vous nommez « effacement » et que je qualifierais pour ma part de coupures et de rationnements ? Y a-t-il en l'espèce une priorité effectivement accordée au marché français par EDF, le producteur que les Français ont payé avec leurs impôts ?
Vous dépeignez en outre une situation dans laquelle EDF a sa part de responsabilité. On ne peut oublier que, pendant des années, et encore très récemment, le retard sur le développement des énergies renouvelables était certes imputable aux gouvernements, mais aussi à votre entreprise, qui a beaucoup priorisé le nucléaire dans ses projets, y compris à l'étranger. Vous avez cité Hinkley Point. Ne pensez-vous pas, à l'instar de votre directeur financier de l'époque, que cet investissement à l'étranger était une mauvaise idée, et qu'il aurait été préférable d'y renoncer pour se consacrer plutôt au développement des énergies renouvelables en France ? Vous êtes également responsable du fait que, si l'on doit aujourd'hui relancer certaines centrales à charbon ou ne pas fermer celle de Cordemais, c'est parce qu'EDF a décidé, sur avis ou demande du Gouvernement, d'enterrer le projet de reconversion du site. Ne se trouve-t-on pas face à un défaut de visibilité ? Cette décision est-elle la vôtre ou a-t-elle été imposée par le Gouvernement ?
Enfin, vous affirmez que l'énergie nucléaire est essentielle pour atteindre les objectifs de cet hiver et, au-delà, des objectifs climatiques, mais permettez-nous d'en douter. La stratégie de relance du nucléaire repose essentiellement sur des EPR, dont aujourd'hui aucun ne fonctionne correctement et dont le seul en construction en France a dix ans de retard pour un coût de près de vingt milliards d'euros. Est-ce qu'à l'avenir, compter uniquement sur ce type de réacteur ne crée pas déjà les conditions de la pénurie, du black-out et de l'explosion des prix ?
L'équilibre offre - demande est géré par le Réseau de transport électrique (RTE) et il conviendrait de se tourner vers sa direction pour les sujets traitant des interconnexions aux frontières et les différents scénarios en fonction du moment de l'année. De notre côté, si les choses se passent normalement, nous attendons une production du parc nucléaire français à la hauteur de ce qui a été décidé dans les scénarios que nous avons préparés partiellement avec RTE, qui soumet ces derniers à d'autres considérations qui lui sont propres. Notre objectif est donc de disposer à peu près de la même production nucléaire disponible pendant l'hiver à venir qu'au cours de l'hiver précédent, qui n'a pas posé de problème.
Je pense qu'Hinkley Point était une excellente décision. Le programme se déroule assez bien, malgré un léger retard lié à la crise sanitaire, au Brexit, à l'inflation et à un marché du travail tendu en Grande-Bretagne. Pour rappel, nous disposons également de deux réacteurs en fonctionnement à Taishan.
Comme nous le savons tous, l'énergie nucléaire constitue une chance pour notre pays, d'autant plus dans le contexte actuel. En effet, la hausse du prix de l'énergie représente aujourd'hui une source d'inquiétude majeure pour tous les Français. Plus généralement, la conjoncture que nous connaissons nous interroge sur la souveraineté énergétique de notre pays, qui se trouve mise à mal et pour laquelle il est vital d'agir très rapidement. Justement, concernant le nucléaire, après une décennie d'absence totale de vraie politique en la matière, avec l'absence de lancement de nouveaux projets et surtout la fermeture de la centrale de Fessenheim, il a finalement été annoncé, et c'est une bonne chose, en février dernier, une relance du nucléaire. Or, aujourd'hui, rien ne semble avoir avancé. Pourtant, il y urgence, quand on sait que l'on risque de devoir faire appel à des sources d'énergie bien plus polluantes pour répondre en partie aux besoins des Français au cours des prochains mois. Aussi, comme vous le savez, Monsieur le président-directeur général, le rôle d'EDF est absolument crucial. Dès lors, pouvez-vous nous décrire quelle stratégie permettrait de faire face aux besoins énergétiques dans les échelles de temps requises tant du point de vue de la rénovation, de la modernisation et du renouvellement du parc nucléaire que du développement des autres sources d'énergie telles que les énergies renouvelables ?
En effet, nous avons activement contribué à des études commandées par le gouvernement de l'époque de façon à donner un éclairage sur les besoins de notre pays en électricité et RTE a publié en fin d'année dernière un certain nombre de scénarios de référence en s'appuyant notamment sur les contributions des experts d'EDF. RTE a ainsi démontré, avec l'appui de l'Agence internationale de l'énergie, que le meilleur mix consistait en une combinaison nucléaire - énergies renouvelables : l'hydraulique, l'éolien et le solaire. L'éolien a connu un fort développement en mer et je salue toutes les personnes ayant contribué au bon déroulement du chantier de Saint-Nazaire, celui-ci ayant été terminé dans les temps et ayant abouti à la production de 80 éoliennes actuellement en fonctionnement. Le solaire se développe plus lentement dans notre pays. Ceci a contribué à ce que le Président de la République Emmanuel Macron, lors du discours de Belfort en février dernier, donne un cap qu'il s'agit désormais de décliner dans des textes présentés au Parlement et qui s'appliqueront à EDF dans sa propre programmation. Il est donc prévu que les réacteurs du parc nucléaire puissent être prolongés aussi longtemps que la sûreté le permettra, de donner suite à la proposition que nous avions formulée de construire six centrales nucléaires dès que possible, d'envisager d'en construire huit de plus et enfin, il est évidemment prévu une très forte accélération du renouvelable, EDF jouant en France et à l'étranger un rôle absolument majeur dans ce domaine, en cohérence avec le changement d'attitude que j'avais initié à mon arrivée. Tout ceci va donc contribuer au nouvel équilibre d'un système électrique en croissance (si l'on tient compte du développement des pompes à chaleur et véhicules électriques), décarboné et en toute souveraineté, dans la mesure où nous dépendrons peu des autres pays.
Nous vivons aujourd'hui une situation inédite. Si cette audition avait eu lieu il y a un an, les sujets auraient été différents. Nous n'aurions pas à parler de l'énergie hors de prix et ne nous serions pas interrogés sur d'éventuelles coupures de chauffage cet hiver. Or les Français réclament des réponses sur ces deux points. Au fil des années, la fée électricité est devenue invisible du grand public. Elle fait désormais partie de notre vie quotidienne. Je ne reviendrai pas sur l'augmentation déraisonnable et massive du prix de l'électricité ainsi que sur la nécessité de réviser son mode de calcul, indexé sur le prix du gaz, ni sur l'Arenh, qui enrichit certains traders en fluidifiant la concurrence. Eviter toute coupure d'électricité cet hiver est notre objectif premier. Afin de mieux préparer les années à venir, j'aimerais vous interroger sur trois points : l'enjeu du personnel disponible et formé, l'enjeu de la ressource en uranium et l'enjeu de l'urgence de la programmation des EPR de deuxième génération. Comment former et mettre en place la prochaine génération de techniciens pour répondre aux besoins de la filière dans les années et décennies à venir ? Par ailleurs, le Kazakhstan, l'Australie et le Canada sont nos principaux pays ressources en uranium. Au vu du contexte géopolitique, quels sont les pays vers lesquels nous devons orienter nos approvisionnements et quelles sont les réserves d'EDF en années de consommation ? La nécessité des EPR deuxième génération ne constitue plus, à mon sens, un sujet de débat, mais d'actions et de décisions à très court terme. Produire plus d'électricité, produire localement et décarboner, anticiper les besoins futurs s'avère indispensable. En France, les territoires sont déjà largement mobilisés pour accueillir des EPR 2, comme le site de Bugey.
Il faut distinguer les salariés d'EDF de ceux des filiales industrielles qui nous accompagnent. Chez EDF, nous avons renouvelé et rajeuni assez largement nos compétences au début des années 2010 et nous sommes en mesure de traiter ce qui doit l'être. C'est différent au sein des filières. Les chefs d'entreprise y ont pour la très large majorité des difficultés à recruter. Les industries manquent d'attractivité et certains bassins d'emplois sont saturés. Nous essayons de traiter ce problème par le biais de différents dispositifs, dont l'Université des Métiers du Nucléaire que j'évoquais précédemment.
Concernant l'uranium, nous estimons que nos stocks, ainsi que la solidité des contrats passés avec nos différents fournisseurs, nous confèrent une bonne garantie de diversité d'approvisionnement et de sécurité sur les moyen, long et très long termes et, en tant que président d'EDF, ce point ne me soucie pas particulièrement.
Enfin, je partage votre point de vue sur l'EPR 2. Nous estimons en effet qu'aujourd'hui, il est très important que toutes les parties soient en ordre de marche pour le lancement du programme. J'inclurais évidemment les dispositifs législatifs réglementaires qui traiteront de la régulation, du financement et du mode de définition des recettes.
Ma question porte sur la demande de construction de six nouveaux EPR qui émane du Gouvernement. La Commission nationale du débat public (Cndp) a été sollicitée à ce sujet. Pensez-vous que la France dispose à ce jour d'une quantité suffisante de savoir-faire et de moyens humains pour mener à bien ce projet à la fois dans les temps impartis et en en maîtrisant le coût ?
Je reviendrai sur la question de l'Arenh. Le relèvement du plafond de celle-ci a une fois de plus pénalisé votre entreprise et le Gouvernement a fait supporter à EDF une part significative du coût du bouclier énergétique. Pouvez-vous aujourd'hui nous indiquer le coût actualisé pour votre entreprise ? Nous observons de plus en plus d'exemples d'énergéticiens qui revendent leur Arenh sur les marchés de l'électricité jusqu'à deux fois plus cher, ceci après réalisation d'opérations visant à se débarrasser de certains clients. Ces manœuvres pénalisent évidemment EDF. Pouvez-vous nous confirmer que les amendes qui leur sont octroyées sont à la hauteur de l'enjeu ?
Enfin, se pose la question de la sortie du marché européen de l'électricité, qui reviendrait à se passer de la solidarité européenne, c'est-à-dire des importations d'électricité dont nous avons besoin, bien qu'il convienne de se rappeler que ces échanges transfrontaliers d'électricité étaient bien antérieurs à la mise en place du marché européen de l'électricité.
Nous préparons la mise en place de ces six EPR depuis plusieurs années. Nous avons en ce sens fourni à l'État une proposition très complète voilà bientôt deux ans et nous mettons tout en œuvre pour gérer correctement ce programme. Sur le plan des compétences et de la qualité, j'ai lancé le plan Excell il y a trois ans. Nous organisons une fois par an une présentation publique des avancées en la matière et sommes sur la bonne voie.
Concernant la question des moyens financiers locaux et nationaux, une planification et une organisation sont en effet nécessaires. Sachant que nos collègues ont été capables, quelques décennies en arrière, de livrer jusqu'à cinq réacteurs certaines années, nous devrions être en mesure d'en construire six nous-mêmes, à condition que l'action succède rapidement aux débats.
Si ma mémoire est bonne, nous avons publié fin juillet, dans le cadre de notre communication financière, un chiffre sur les effets des 20 TWh devant être fournis autre titre de l'Arenh par EDF et celui-ci dépasse légèrement les dix milliards d'euros. S'agissant de la manière abusive dont certains opérateurs se comportent vis-à-vis de cette électricité très bon marché qui leur est livrée par EDF, je me réjouis qu'aujourd'hui, le Gouvernement et la Commission de régulation de l'énergie (CRE) se saisissent du dossier.
Fait rare, la période que nous traversons suscite des craintes sur l'approvisionnement électrique en France et met en exergue la difficulté réelle de la filière nucléaire, que l'on croyait pourtant infaillible, non pas en termes de désinvestissement, dans la mesure où l'arrêt de Fessenheim était une nécessité et où vous avez, dans le cadre du Grand Carénage, décaissé plusieurs dizaines de milliards d'euros. Que dire des milliards qui continuent à être investis dans la centrale de Flamanville sans réelle perspective quant à sa date d'ouverture ? Vos propos sur la planification de vos actions et la possibilité de faire face à la crise énergétique inédite que nous vivons semblent rassurants, mais ils conduisent toujours à la même réponse, celle du tout nucléaire. Pourtant, vous nous avez fait part d'un certain nombre d'imprévus, auxquels la filière nucléaire n'était pas préparée : la faillite industrielle sur Flamanville et sur les autres EPR à l'étranger, de même que la corrosion sous contrainte.
J'aimerais également vous interroger sur le réchauffement climatique, point que vous n'avez pas abordé. Les centrales dont nous prolongeons la durée de vie doivent être refroidies par des cours d'eau. Or, avec les températures caniculaires de cet été, nous avons dû déroger aux normes afin de pouvoir rejeter de l'eau plus chaude dans nos fleuves et nous savons que nous allons subir une pénurie de ressource en eau. Comment avez-vous anticipé ce phénomène structurel sur le parc ancien et à venir ?
Je souhaiterais en outre vous questionner sur les objectifs de doublement de capacité des énergies renouvelables (EnR) visant à atteindre la barre des 50 GWd'EnR en 2030. Plutôt que de regretter la fermeture de Fessenheim, ne regrettez-vous pas plutôt le retard pris en matière de production d'EnR ?
Je m'inscris en faux sur certains des propos que vous m'attribuez. Je vais donner dans un instant la parole à Cédric Lewandowski afin qu'il vous décrive la manière dont nous anticipons les questions de gestion d'eau. Avant cela, j'aimerais vous répondre qu'EDF est résolument engagée dans l'atteinte d'un objectif de 50 GW d'EnR, absolument majeur pour le groupe, objectif que j'ai d'ailleurs remonté à 60 GW. Nous disposons de la volonté et des compétences nécessaires, ainsi que d'un certain nombre de moyens, même si notre bilan est aujourd'hui très contraint et que, par conséquent, la question de nos capacités financières se posera dans les années à venir.
Nous disposons d'un certain nombre de mécanismes de court terme qui nous permettent de maintenir les rejets dans l'eau lorsque les fleuves et rivières sont trop chauds. Heureusement, le recours à ces solutions reste extrêmement rare et, après un été aussi exceptionnel que celui que nous avons vécu, nous y avons été contraints sur 8 journées pour Bugey, 8 pour Golfech, 1 pour Saint-Alban et 9 pour Tricastin.
En ce qui concerne les mesures à moyen et à long terme, la question du réchauffement climatique et de la gestion de l'eau est absolument fondamentale et nous avons créé un programme spécifique nommé Adapt qui vise à réfléchir de manière systémique à toutes les conséquences de ce dernier, entre autres sur l'eau.
Je tiens en outre à signaler que malgré la canicule, nous n'avons eu à déplorer aucun accident matériel ni humain.
Monsieur le président directeur général, peut-on considérer que vous avez été un électron libre à l'égard de l'exécutif pendant votre mandature ? L'État, le Gouvernement, le Président de la République, dans la détermination de la stratégie globale en matière de politique énergétique, dans la pratique de stop-and-go, dans le mécanisme de l'arrêt, dans les renoncements européens, y compris de l'Europe qui transforme l'énergie en marchandise, ont-ils impacté les finances d'EDF ou rendu difficiles ses capacités en matière de renouvellement de savoir-faire ? Leurs décisions se sont-elles avérées préjudiciables vis-à-vis de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui ?
Toute entreprise s'inscrit dans un contexte et EDF pratique une activité extrêmement régulée. Or l'État est à la fois le régulateur et actionnaire (à hauteur de 85 % environ) de l'entreprise. Le rôle du mandataire social est de défendre l'intérêt social de l'entreprise en s'inscrivant dans un contexte, ce que je fais depuis huit ans, et je défends donc évidemment les programmes, projets et opinions qui émanent de l'entreprise et dont je suis le porte-parole et le vecteur vis-à-vis de l'État sous toutes ses formes, qui exerce une influence majeure sur l'ensemble des sujets que vous avez abordés. Le contexte va probablement évoluer, dans la mesure où nous n'aurons plus d'administrateur représentant les investisseurs privés au sein du conseil d'administration, puisqu'ils auront certainement disparu au moment de la renationalisation. Ce nouveau contexte entraînera vraisemblablement un nouveau mode de fonctionnement d'EDF. L'intérêt social, par définition, s'efface devant l'intérêt général, mais mérite toutefois d'être défendu et il m'est en effet arrivé de le faire valoir alors qu'il ne coïncidait pas avec l'intérêt général, sous la forme de discussions avec l'État actionnaire et le ministère de l'économie et des finances.
Merci pour votre réponse, qui conforte le groupe Communiste dans son intention d'initier une commission d'enquête visant à identifier les responsabilités de l'État dans la situation actuelle d'EDF sur les plans financier, administratif et stratégique ainsi que sur ses fragilités. Par ailleurs, je souhaiterais savoir qui a pris la décision politique de fermer Fessenheim. Le fonctionnement de la centrale était-il en état d'être prolongé au moment de cette décision ?
À mon arrivée en 2014, le Gouvernement avait mis en place une délégation interministérielle à la reconversion du site de Fessenheim, chose qu'il n'avait pas faite sur les 18 autres sites. La loi dite de 2015, qui plafonnait la production d'électricité d'origine nucléaire, était alors quasiment votée. La maintenance courante de Fessenheim était lancée. Il aurait par conséquent été contraire aux dispositions législatives et réglementaires d'envisager des travaux lourds pour ce site.
Monsieur le président directeur général, vous avez mentionné le recrutement de 2 000 personnes. Quel serait le nombre d'embauches à atteindre pour répondre aux enjeux de demain (entretenir le parc, mener à bien le Grand Carénage, construire les six EPR promis par le Gouvernement) ?
S'agissant de la corrosion sous contrainte, peut-on parler d'un phénomène anormal ou bien cela résulte-t-il du fonctionnement normal des unités de production ?
Permettez-moi par ailleurs de vous poser une question qui sort quelque peu du cadre de cette audition. Les fournisseurs d'eau à La Réunion voient leurs factures d'électricité augmenter de 20 %, soit plusieurs millions d'euros supplémentaires. Les distributeurs d'eau sont les plus gros consommateurs d'eau sur l'île. Ces entreprises réclament des actions fortes de l'État, notamment un dispositif spécifique aux Outre-mers car, in fine, ce sont les consommateurs qui supporteront cette inflation à travers leurs factures d'eau. Dans l'Hexagone, les industriels ont obtenu du Gouvernement la garantie d'un bouclier tarifaire limité à 4 %, à l'instar des particuliers. La ressource en électricité n'étant pas d'origine nucléaire à La Réunion, le département a été privé de cette aide. Pensez-vous possible de ramener, ce qui serait juste, l'augmentation de 20 % à 4 % ?
Pendant de nombreuses années, nous avons augmenté nos effectifs de 1 000 personnes par an de façon à préparer le Grand Carénage et à être en mesure de le réaliser dans les délais, les conditions et les prescriptions techniques et de sécurité prévues. Nous nous lançons aujourd'hui dans le programme EPR 2, dans la mise en application du discours de Belfort et de notre propre proposition de construire dès que possible ces six EPR. Nous avons pour cela l'ambition de recruter 1 500 à 3 000 personnes annuellement, partout en France, mais préférentiellement dans les régions les plus industrielles ou dans celles dans lesquelles se situent le plus grand nombre d'unités de production : Normandie, Grand Est, Centre-Val de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous allons par ailleurs nous appuyer sur l'Université des Métiers du Nucléaire et travailler à faire rouvrir des formations spécialisées dans le domaine. Il convient néanmoins de rappeler que les vrais chantiers ne vont pas commencer maintenant, mais dans trois à cinq ans, afin de nous laisser le temps de gérer leur préparation en amont. Nous avons sur ce point pris la pleine mesure de ce que nous avions à faire.
Sur la question du tarif de l'électricité, je vous renverrai aux décisions gouvernementales. Mme Borne doit justement s'exprimer sur ces mesures tarifaires dans les heures qui viennent.
Ma question concerne la tenue des plannings de maintenance, en partant du constat selon lequel depuis 2014, le nombre moyen de fois où vous avez revu la durée des indisponibilités a augmenté. Pour prendre l'exemple du CP1, c'est cinq en moyenne par arrêt en 2014 contre vingt-sept en 2022. Quels peuvent être les problèmes structurels à l'origine de cette tendance ? Pour en venir à la question du planning actuel et du passage de l'hiver, quel degré de confiance accordez-vous à ces déclarations ? Êtes-vous bien alignés avec l'ASN sur le planning de redémarrage ? Comment expliquez-vous que RTE anticipe des disponibilités significativement plus basses qu'EDF (moins de 50 GW en janvier et moins de 35 GW en novembre) ?
Vous avez décrit une hausse des embauches durant ces dernières années chez EDF et des difficultés pour le reste de la filière. Lors de la Rencontre des entrepreneurs de France, vous avez déclaré ne pas subir de problèmes de compétences et d'expertise au sein d'EDF, mais manquer de personnel du fait de l'absence de formation des équipes et aviez à cette occasion déploré certaines incohérences du Gouvernement, constat que je partage. Je souhaiterais toutefois vous interroger sur l'une des raisons qui explique aussi, à mon sens, les problèmes de maintenance du parc nucléaire, à savoir le recours massif à la sous-traitance. Les députés de La France insoumise ont déposé à ce sujet une proposition de loi en 2020, à travers laquelle ils dénonçaient ce phénomène dans tous les domaines : maintenance, radioprotection, logistique, décontamination, assainissement, collecte des déchets, blanchisserie, etc. Les sous-traitants du nucléaire réalisent 80 % des activités de maintenance et reçoivent également 80 % des doses radioactives annuelles. Ne pensez-vous pas qu'il faille renoncer à la sous-traitance pour des questions de sûreté comme de fonctionnement ?
Le rapport Folz appelle à une séparation des fonctions de maître d'œuvre et de maître d'ouvrage. Considérez-vous que l'organisation actuelle répond à cette recommandation ?
Vous avez affirmé tout à l'heure qu'il devrait être possible de livrer six nouveaux EPR d'ici à 2040 à condition que la planification et l'organisation préalables le permettent. En 2020, la Cour des comptes épinglait la dérive financière des EPR en construction. L'une des causes de cette dérive relevait, d'après cette dernière, d'une précipitation et d'une impréparation, les chantiers ayant été lancés avant la finalisation des études d'exécution. La Cour des comptes relate que 10 à 40 % des études seulement étaient finalisées. Quelle est la raison de cette précipitation, à l'origine des problèmes techniques que l'on connaît ?
Est-il nécessaire de déplafonner les revenus des hauts dirigeants d'entreprise de l'État pour bénéficier de grands serviteurs, comme vous l'avez été vous-même ? Par ailleurs, une tendance actuelle est de demander à sortir du marché européen de l'énergie. Je pense plutôt qu'il faudrait le réformer en profondeur afin de favoriser l'accessibilité de tous à l'énergie. Quelle est votre vision ?
Au-delà des causes conjoncturelles de la crise énergétique inédite actuelle, d'autres sont plus structurelles, telles que le dérèglement climatique et la hausse du coût des matières premières. La nécessaire décarbonation de la production énergétique du pays nécessite une anticipation de la part des pouvoirs publics. Or il semble que notre politique énergétique, notamment nucléaire, ait fait l'objet de tergiversations qui participent à la crise. On constate cette année une faible disponibilité du parc nucléaire due à la densité du programme de Grand Carénage, au retard du chantier de l'EPR de Flamanville et à un phénomène de corrosion sous contrainte, avec pour conséquence une envolée des prix de gros de l'électricité pour 2023, ces derniers ayant été multipliés par dix par rapport à 2022. Considérez-vous ces éléments comme imputables au Gouvernement et en particulier à un manque de planification en matière de politique énergétique ?
M. Macron nous avait orientés vers un abandon progressif du nucléaire, puis la guerre en Ukraine a éclaté et notre Président opère un virage à 180 degrés. La réglementation européenne fait supporter à EDF une politique commerciale onéreuse ubuesque et les prix et abonnements payés par l'usager deviennent insupportables. Le nucléaire est l'un des derniers fleurons du savoir-faire français et les errements de la politique macroniste ont conduit la France à fermer Fessenheim, ainsi qu'onze autres centrales depuis 2012. Mme Borne occupait alors le poste de ministre de la transition écologique. Aujourd'hui cheffe du Gouvernement, elle affirme le contraire de ce qu'elle défendait alors. La centrale de Fessenheim représentait l'équivalent de 5 600 éoliennes, soit plus de la moitié du parc total. Face à cette politique gouvernementale digne d'une farce, comment allez-vous vous accommoder de ce qui est une compétence d'État et que l'on cherche à faire supporter aux Français en les menaçant de coupures électriques ? Quelle sera en outre la part d'EDF dans l'amélioration du pouvoir d'achat de nos concitoyens ?
En tant que député du Calvados, j'ai pu visiter en 2018 la centrale de Flamanville. Les deux réacteurs en service produisent actuellement l'équivalent de plus de la moitié de la consommation électrique annuelle de la région Normandie. EDF a été autorisée à ajouter un troisième réacteur de type EPR, dont la construction a débuté en 2007 et devait s'achever en 2012. Après un peu plus de dix ans de retard, je me permets de vous demander d'apporter des éclairages aux Français sur ce point.
Quel est l'impact du récent tremblement de terre dans l'est de la France sur le site d'enfouissement des déchets de Bure ? L'extension à la Hague du site de retraitement des déchets nucléaires est contestée. La meilleure réponse ne serait-elle pas de cesser de produire des déchets nucléaires qu'on ne sait traiter ? EDF travaille-t-elle sur un scénario 100 % énergies renouvelables ? Le Président de la République, dans son discours à Belfort, a freiné les ambitions françaises de développement de l'éolien terrestre en repoussant l'objectif de 2030 à 2050. Quelle est la position d'EDF sur ce recul ? Ce dernier risque-t-il de freiner les ambitions du groupe sur cette filière ? Enfin, l'État a décidé de relever fortement le plafond de rémunération des dirigeants d'entreprises publiques, désormais fixé à 450 000 euros annuels. Dans le contexte actuel, si cela est appliqué au sein d'EDF, une telle décision ne risquerait-elle pas de porter atteinte à l'image de l'entreprise ?
Lors de vos interventions, vous avez déjà évoqué les scénarios sur les prochains hivers. Pourriez-vous faire un point plus précis sur l'hiver 2023-2024 ?
Nous avons appris dans la presse que le 12 septembre dernier, une cargaison d'uranium russe avait été déchargée au port de Dunkerque, avec pour destination supposée une usine de fabrication de combustible nucléaire en Allemagne, gérée par Framatome, filiale d'EDF. Confirmez-vous ces informations ? Chacun comprendra la contradiction flagrante entre ces évènements et la politique étrangère du Gouvernement vis-à-vis de la Russie. Quels sont les contrats en cours et à venir avec Rosatom, l'entreprise publique russe en charge du nucléaire ?
La fermeture de Fessenheim, imposée pour des motifs purement politiques et non de défaut de soutien, comme l'exécutif a tenté de vous en faire porter en partie la responsabilité, a eu des conséquences lourdes sur la production d'énergie. Aussi souhaitons-nous connaître la réaction de l'exécutif face aux réserves que vous avez pu lui opposer avant la mise à l'arrêt de la centrale ? Considérez-vous la perte de ce moyen de production comme techniquement irréversible indépendamment des décisions politiques à venir ?
Lors de son discours à Belfort le 10 février dernier, le Président de la République a annoncé la construction de 6 nouveaux réacteurs nucléaires et la mise à l'étude de 8 autres, qui s'ajouteront aux 56 réacteurs du parc nucléaire existant. Vous avez évoqué le temps industriel. Ma question porte sur la gestion de long terme de notre parc. Quels sont les principaux défis auxquels EDF est confrontée dans l'exploitation des réacteurs existants et à venir au cours des quarante prochaines années ?
Différents rapports font état de problèmes de corrosion et de fissures dans les tuyauteries. Cela interroge grandement sur la sûreté. Pouvez-vous nous assurer que toutes les conditions de sûreté sont suffisantes à ce jour ? Pouvez-vous nous affirmer que ces problèmes de corrosion ne réapparaîtront plus dans les décennies à venir sur les tuyauteries réparées ainsi que sur les nouvelles constructions ? Enfin, au vu des problèmes de sûreté, l'EPR de Flamanville ayant par ailleurs déjà coûté vingt milliards d'euros sans fonctionner, est-il pertinent de prévoir la construction de nouveaux EPR ? Quelles mesures vous semblent pertinentes pour éviter un naufrage semblable ?
Vous connaissez mon engagement pour faire du futur EPR de Penly un projet exemplaire socialement, environnementalement, en termes d'aménagement du territoire et de formation. Nous avons besoin, à cette fin, d'une EDF forte, de plein exercice et recapitalisée. Faut-il s'attendre, avec la loi de nationalisation, au retour d'Hercule et à un saucissonnage de l'entreprise conduisant à sa fragilité ?
Personne n'a évoqué les Small Modular Reactors (SMR) dont le Président de la République avait parlé. Est-ce pour l'heure une chimère ? Je souhaiterais ensuite vous reposer la question de ma collègue Mme Battistel, à laquelle vous n'avez pas répondu. Pourquoi assimile-t-on systématiquement l'interconnexion technique et le marché, alors qu'il s'agit de deux choses différentes et que l'on peut tout à fait établir des interconnexions et des échanges d'énergies en dehors du marché – comme c'était d'ailleurs le cas avant l'existence de ce dernier ? S'agissant de la volatilité des prix, ne pensez-vous pas qu'il serait sain de revenir à un système dans lequel le prix de l'électricité est fondé uniquement sur le coût réel de production, déconnecté de tout mécanisme de marché ?
Votre mandat à la tête d'EDF s'achèvera en mars 2023. Vous aviez critiqué le Gouvernement lors de l'université d'été du Medef en mettant en lumière le manque de formation des équipes dans le secteur et vous avez accusé l'État d'avoir orienté EDF vers des fermetures supplémentaires de centrales nucléaires dans un contexte de pénurie. Ces contre-ordres ont empêché EDF de se projeter et d'investir, mettant en danger notre indépendance énergétique. Emmanuel Macron a jugé vos propos inacceptables et a assuré que le Gouvernement n'avait jamais donné de telles directives. Face à ces visions contradictoires, les Français ont le droit de connaître la vérité. Pensez-vous que votre non-renouvellement à la tête d'EDF est imputable à votre liberté de ton et à vos accusations et qu'un changement de direction en pleine crise énergétique puisse potentiellement se traduire par des effets néfastes ?
Je vais citer une responsable politique et vous devrez deviner de qui il s'agit : « Faut-il en finir avec l'énergie nucléaire ? Réponse : oui. Il s'agit d'un objectif qu'il faut avoir à l'esprit », affirmait cette personne, qui décrivait le nucléaire comme « extrêmement dangereux ». Cette intervention date d'il y a plus de dix ans et cette femme politique concluait : « Cette sortie serait positive et limiterait les dangers pour le monde, mais ne peut se faire que progressivement et doit passer par l'investissement massif de la recherche concernant les nouvelles énergies ». Cette responsable politique, au cas où vous n'auriez pas la réponse, est Mme Marine Le Pen.
Dans le débat public actuel, Tricastin est l'une de ces centrales qui nous posent la question du niveau de risque auquel nous sommes prêts à consentir pour garantir l'approvisionnement énergétique de notre pays. En d'autres termes, notre sécurité énergétique vaut-elle d'autres risques sécuritaires ? Car la centrale du Tricastin, au-delà des risques liés à la corrosion, au manque d'eau, aux conséquences du changement climatique ou à la non-déclaration d'incidents ou d'accidents (une information judiciaire a été ouverte à ce propos), comme de nombreuses autres, se situe sur une zone sismique. À votre avis, quel est le niveau de risque acceptable et comment s'assurer que les nouveaux EPR puissent y faire face ?
Concernant le programme de 6 EPR, pourquoi, selon vous, était-il nécessaire de se tourner vers des EPR2 ? N'aurait-il pas mieux valu construire des EPR1 en bénéficiant éventuellement des retours d'expérience directs de Flamanville-3 ? Quelles raisons ont orienté ce choix ?
Concernant notre organisation et le retour d'expérience de Flamanville, le rapport que j'ai commandé à Jean-Martin Folz est public. Il est constitué d'une trentaine de pages et est accessible. Il y est expliqué ce qu'il s'est passé : en effet, l'impréparation a conduit à de multiples dérives, dans lesquelles EDF porte une responsabilité majeure.
Les réparations des soudures ne sont pas terminées et certaines doivent être refaites suivant la demande de l'ASN. Ce programme assez long, perturbé par le covid, est en train de s'achever et le chargement du combustible devrait être autorisé par l'ASN en juin 2023.
Grâce aux différents enseignements de Flamanville (une certaine impréparation, une conception détaillée du réacteur inachevée au moment du début du chantier, des problèmes organisationnels) nous avons déjà opéré, à l'intérieur du groupe EDF, une séparation claire entre la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d'ouvrage, tout ceci étant de plus supervisé par le contrôle des grands projets. Cette nouvelle organisation est en cours de mise en place. Dans le discours de Belfort, le Président de la République a aussi estimé nécessaire que soit organisée, et cela devrait l'être très rapidement, une structure de l'État pour piloter la filière dans le cadre du programme des EPR2.
Le recours à la sous-traitance est bien évidemment indispensable. Les sous-traitants travaillent également pour d'autres donneurs d'ordre, du nucléaire ou d'autres domaines. L'industrie du nucléaire s'inspire des meilleures pratiques d'autres industries et nous avons tous à apprendre de ce qui se passe dans l'industrie mondiale de la haute technologie. Nous restreindre aux compétences et aux moyens du seul parc nucléaire français serait une perte absolument incommensurable d'expérience comme d'efficacité.
J'aborde maintenant le sujet de la réforme du marché européen qui, selon toute vraisemblance, atteint la fin du modèle mis en place il y a une vingtaine d'années. Même si on a pu observer un certain déni de la part des instances communautaires après l'invasion de l'Ukraine, l'augmentation des prix cet été et son effet sur les consommateurs, les représentants politiques, avec une certaine urgence, se préoccupent de procéder à des changements radicaux. Les ministres se sont réunis la semaine dernière et les ministres de l'énergie se réuniront à nouveau le 30 septembre. Entre-temps, de nombreuses conversations et études sont en cours afin de trouver comment le marché européen peut améliorer son fonctionnement. Il fonctionne à travers ses interconnexions, qui rendent un service tout à fait majeur à la fluidité du système et qui permettent de faire baisser les prix pour la collectivité européenne. On observe toutefois les limites du « tout marché » à travers le caractère spéculatif des prix atteints dans certaines conditions de marché. Doit-on se diriger vers un découplage prix du gaz - prix de l'électricité ? Vers un découplage du prix du gaz domestique par rapport au prix du gaz mondial ? L'Espagne et le Portugal ont obtenu une dérogation, qui doit être étendue. Ce qui me semble le plus important est de trouver comment faire en sorte que le marché, qui est par définition un marché d'équilibres de court terme, donne des signaux d'investissement à long terme. Or les seuls signaux d'investissement à long terme aujourd'hui possibles sont des dérogations au régime général qui passent par une procédure extrêmement longue, pénible et sourcilleuse de la Commission européenne sur les aides d'État, sur la manière dont les différents acteurs se comparent les uns les autres et sur le fait qu'il pourrait y avoir un risque de création de position dominante. Par conséquent, à ce jour, le système n'est pas organisé pour donner des signaux d'investissement à long terme. Nos amis britanniques ont fait voter une loi sur la base d'actifs régulés. Celle-ci va certainement s'appliquer sur le projet de Sizewell C si celui-ci est validé, mais nous ne bénéficions pas d'un tel dispositif en Europe à l'heure actuelle. Cette réforme prendra du temps et nécessitera sans doute de profondes révisions.
EDF est très engagée dans les énergies renouvelables. Si nous sommes capables d'avoir des parts de marché importantes en France grâce au plan solaire que j'ai lancé il y a cinq ans, c'est parce que nous produisons beaucoup de solaire à l'étranger. Lorsqu'on constate que sur le territoire français, nous peinons à obtenir 3, 5 ou 20 MW de solaire à tel ou tel endroit, il est heureux que nous disposions, pour faire baisser les coûts, de la capacité de construire des fermes solaires aux États-Unis et au Moyen-Orient qui fournissent jusqu'à 1 500 mégawatts, projets qui seraient sans doute inacceptables en France, mais qui nous permettent d'apprendre et de faire baisser les coûts.
Nous avons lancé les SMR il y a trois ans, avec un engagement de la filière nucléaire française à initier un premier concept de SMR français, nommé NUWARD™. Celui-ci va bénéficier des financements de France Relance et de France 2030 de telle sorte que dans quelques années, nous ayons la possibilité de construire à côté des grands réacteurs, des réacteurs modulaires qui pourront nous aider, dans un cadre français, par exemple à côté d'industries, comme la sidérurgie, pour des besoins très ponctuels.
Bien évidemment, la sûreté reste le point essentiel qui guide l'ensemble de nos actions. Je ne peux que m'élever contre les remises en cause des décisions de sûreté que nous prenons, d'autant plus que l'ASN, qui en valide la totalité, dispose d'une grande expertise et d'une grande indépendance.
Concernant l'avenir, je vous renverrai au communiqué sorti au début du mois de juillet, qui décrit la nécessité de lancer la recherche d'un successeur, décision prise d'un commun accord entre le Gouvernement et moi, car il me paraît personnellement logique que ce dernier puisse travailler avec un président d'EDF ayant du temps devant lui. Remplacer celui-ci en mars 2023 pour la seule raison qu'il aura atteint l'âge de la retraite n'est pas vraiment pertinent quand on pense à l'ensemble des enjeux d'EDF et donc, le Gouvernement et moi-même avons souhaité que soit mis en place un processus prodiguant au nouveau président d'EDF le temps nécessaire afin de trouver la réponse aux enjeux et défis à venir.
Depuis la guerre en Ukraine, certaines sanctions ont bien été mises en œuvre contre la Russie, que nous appliquons évidemment en totalité et en étroite coordination avec le Gouvernement français. Comme bien d'autres pays dans le monde, nous avons des contrats avec l'industrie civile nucléaire russe, qui ne fait pas, à ce jour, l'objet de sanctions.
Sur la question des plannings de maintenance, une marge de progression demeure effectivement et nous y travaillons.
Pourquoi la durée des arrêts s'est-elle prolongée ? La raison est assez simple : nous devons réaliser bien plus de travaux sur l'ensemble du parc et il y aura, de toute façon, un avant et un après Fukushima, avec des réglementations qui ont évolué, en général vers un durcissement. Parallèlement, ce durcissement coïncide avec le moment où il a fallu renouveler beaucoup de nos compétences du fait de départs à la retraite massifs et, autant sur le plan quantitatif, nous avons pu renouveler ces compétences, autant le niveau d'expérience reste inférieur et il nous faudra quelques années pour retrouver un niveau identique. Pour répondre à ces difficultés, nous avons pris deux initiatives très fortes. La première a été décidée par le directeur du parc nucléaire, Étienne Dutheil, qui a lancé un grand programme intitulé Start 2025, programme participatif dans lequel les salariés se sont exprimés sur tous les points d'amélioration potentiels du niveau des compétences. Cela passe notamment par la réinternalisation de certaines compétences, l'adaptation de l'organisation au programme industriel tel qu'il existe aujourd'hui, à savoir missionner davantage d'équipes sur les arrêts et donner un peu plus d'initiatives aux sites. Parallèlement, le président d'EDF a demandé un audit qui a été réalisé par des sociétés indépendantes tout au long des six premiers mois et qui a été rendu public à la demande de la ministre. Celui-ci apporte des compléments au programme Start 2025. Tout ceci s'effectue bien sûr en étroite liaison avec l'ASN.
Je ne peux malheureusement pas répondre aux questions des conséquences du récent séisme à Bure puisque ce site ne relève pas de l'autorité d'EDF. La question sismique sur le Tricastin revêt une grande complexité et fait l'objet de travaux très nombreux, dont le principe des Séismes Majorés de Sécurité (SMS) est convenu et arrêté par l'ASN. La vallée du Rhône connaît en effet une activité sismique et le séisme du Teil survenu en 2019 nous conduit à travailler, après des scientifiques, des géologues, l'ASN et l'IRSN, sur les redéfinitions autour de ces SMS. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, tous nos réacteurs sont parfaitement conformes aux SMS, même si nous devons rester attentifs aux travaux des géologues sur le séisme du Teil.
Nous avons récemment donné notre vision des années à venir. Pour l'année 2023, nous anticipons une production de 300 à 330 TWh et, s'agissant de l'hiver 2023-2024, nous effectuerons les mêmes travaux que ceux que nous avons produits pour l'hiver à venir, c'est-à-dire que nous allons veiller à ce qu'un maximum de réacteurs soient disponibles. Pour 2024, nous anticipons une production de 315 à 345 TWh, ce qui n'est pas exceptionnel, mais résulte du phénomène de corrosion sous contrainte, dont les conséquences s'étaleront sur environ trois ans, le temps de mener les travaux et réparations nécessaires.
Concernant la préparation de nos équipes à l'arrivée de nouveaux réacteurs, le travail a débuté sur Flamanville-3 depuis bien longtemps, où environ 500 opérateurs s'entraînent sur le mode de fonctionnement des EPR. Nous bénéficions également du retour d'expérience des autres EPR d'Olkiluoto et de Taishan. Nous adjoindrons à cette préparation classique la question de l'adaptation au réchauffement climatique qui sera particulièrement cruciale à la date de mise en service de ces nouveaux EPR, entre 2030 et 2040.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 14 septembre 2022 à 11 heures
Présents. - M. Laurent Alexandre, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Éric Bothorel, M. Bertrand Bouyx, Mme Maud Bregeon, M. Romain Daubié, M. Frédéric Descrozaille, Mme Christine Engrand, M. Éric Girardin, Mme Florence Goulet, Mme Géraldine Grangier, M. Alexis Izard, Mme Chantal Jourdan, M. Guillaume Kasbarian, Mme Julie Laernoes, M. Maxime Laisney, Mme Hélène Laporte, Mme Patricia Lemoine, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Jacqueline Maquet, M. Bastien Marchive, M. Éric Martineau, M. William Martinet, M. Nicolas Meizonnet, M. Paul Midy, M. Patrice Perrot, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Charles Rodwell, Mme Danielle Simonnet, Mme Bénédicte Taurine, M. Matthias Tavel, M. Lionel Tivoli, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta
Excusés. - M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Sophia Chikirou, Mme Mathilde Hignet, M. Sébastien Jumel, M. Hervé de Lépinau, Mme Sandra Marsaud, M. Jérôme Nury, Mme Anaïs Sabatini
Assistaient également à la réunion. - Mme Nathalie Bassire, Mme Marie Pochon, M. David Taupiac