Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Jeudi 11 mai 2023

La séance est ouverte à seize heures cinq.

(Présidence de M. Johnny Hajjar, président et rapporteur de la commission)

La commission d'enquête auditionne les représentants de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

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Pour cette audition, je vais porter une double casquette, en suppléant le président qui est absent et en exerçant les fonctions de rapporteur de cette commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

Nous poursuivons nos auditions en entendant la DGCCRF représentée par M. Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, M. André Schwob, chef du service du soutien au réseau, M. Gautier Duflos, chef du bureau analyse économique et veille stratégique et M. Bertrand Jéhanno, chef du bureau politique et droit de la concurrence.

Je précise que le poste de directeur général est vacant depuis décembre dernier, ce qui explique son absence dans la délégation attendue aujourd'hui.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ dix à quinze minutes qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses, à commencer par celles du rapporteur que je représente. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé, de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pierre Chambu, André Schwob, Gautier Duflos, Bertrand Jéhanno prêtent serment).

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

Le réseau constitue l'ensemble des équipes des directions départementales et régionales impliquées dans les métiers de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes. Mes fonctions au sein de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont celles d'un secrétariat général et de l'animation du réseau.

En guise d'introduction, je dresse rapidement l'organisation de la DGCCRF et ses missions. La DGCCRF, à travers ses trois composantes, veille au fonctionnement des marchés sur l'ensemble de ses aspects, dont celui de la concurrence, c'est-à-dire les luttes contre les pratiques restrictives de concurrence ou les pratiques anti-concurrentielles, qui forment le thème essentiel d'aujourd'hui. C'est aussi la sécurité des produits, qui nous prend beaucoup de temps, même si nous ne nous occupons plus de la sécurité sanitaire des aliments. C'est enfin la loyauté, c'est-à-dire la protection économique des consommateurs, en nous assurant qu'ils en ont bien pour leur argent et que les étiquettes qu'ils voient reflètent bien la réalité.

Nos actions s'inscrivent au bénéfice des consommateurs, de la compétitivité des entreprises et en particulier de toutes les entreprises loyales et qui jouent bien le jeu. Il y a une petite exception puisque notre action est essentiellement ex post, c'est-à-dire que nous contrôlons. Nous régulons parfois, bien entendu, mais l'essentiel de nos effectifs sont là pour constater ex post la bonne exécution des règles, qu'elles soient de concurrence, de sécurité ou de loyauté. Nous contrôlons, nous enquêtons de notre propre initiative ou sur signalement. Il est important de le préciser, car certaines de vos questions visaient à savoir qui nous saisissait. Ces missions sont exercées sur l'ensemble des territoires métropolitains ou ultramarins, au regard des quelques exceptions tirées du droit des DOM. Nos missions à destination des outre-mer sont un peu plus nombreuses que celles dédiées à la métropole.

Du point de vue de l'organisation, la DGCCRF dépend d'un niveau national avec une administration centrale et des services à compétences nationales qui assurent le support, dont le service national d'enquête (SNE), qui agit partout en France et surtout en cas de nécessité de s'attaquer à des grands groupes, imposant une certaine coordination ou technicité. Le SNE peut être appelé à la rescousse des équipes locales ou se saisir directement des affaires les plus graves.

Notre particularité est que le niveau régional n'est pas que de pilotage, il est aussi très opérationnel. C'est à ce niveau que nous intervenons sur l'ensemble des questions économiques. Simplement dit, nous traitons les questions de concurrence et de relations inter-entreprises. Vient ensuite le niveau départemental, en charge des activités autour de la consommation et de la protection des consommateurs finaux.

Les DOM affichent une spécificité en étant des régions et des départements en même temps. Selon nous, c'est un vrai gage d'efficacité, qui permet de ne pas subir de coupures entre ce qui serait fait pour les entreprises ou les consommateurs. Il est également possible de moduler les efforts en fonction de l'actualité. Enfin, nous assurons un pilotage rapide.

Nous programmons nos enquêtes à l'échelle nationale, un peu comme le budget. Ce sont ce que nous appelons dans notre jargon des tâches nationales, qui couvrent la totalité des actions de contrôle. Ces tâches sont toujours discutées avec les équipes locales avant d'être déclinées. La plupart des actions menées dans les DOM le sont également dans les autres départements. Il y a beaucoup de choix locaux. Nous sommes relativement déconcentrés. Le cadre est national, mais l'exécution reste locale.

En complément, les régions peuvent se voir confier des tâches régionales, de leur propre initiative. C'est le cas dans les DOM.

Au final, l'ensemble apparaît très structuré tout en profitant d'une certaine souplesse.

Je souhaite vous parler de deux actions spécifiques aux Dom. La première est que nous régulons le prix des carburants, en raison du monopole de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA). Ensuite, nous assurons le suivi du bouclier qualité-prix (BQP). L'une de vos questions consistait à savoir si la centrale réservait des équipes dédiées aux DOM ? Non, mais elles consacrent un temps important à ces sujets, souvent complexes.

Les moyens de la DGCCRF sont déterminés par la loi de finances et ensuite répartis. La DGCCRF, dans les régions et départements, se compose de fonctionnaires, majoritairement de catégorie A. Ils ont été recrutés sur concours, formés pendant un an à l'école et habilités en droit à faire ce qui est leur est demandé. Ils sont ensuite répartis au sein du réseau sur la base d'une règle simple, celle du poids de chacun des territoires. Ce poids est calculé pour chaque département en fonction de la population, du PIB, du nombre d'emplois et d'habitants. Ici aussi, les DOM font l'objet d'un traitement particulier, en bénéficiant d'une surpondération. En l'occurrence, ils reçoivent 20 % d'emplois en plus que le calcul direct du poids en PIB n'aurait conduit à leur donner.

La deuxième particularité est que le nombre de personnes en charge d'affaires strictement économique est également surpondéré, c'est-à-dire que nous trouvons davantage d'activités économiques dans les DOM que dans les régions métropolitaines. Cette situation est liée aux caractéristiques propres de ces territoires et à l'actualité particulière de ces problèmes, qui ne se rencontrent pas à la même échelle dans le reste de la métropole.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Je souhaite souligner quelques considérations de fond concernant les actions conduites par la DGCCRF dans le domaine de la régulation concurrentielle des marchés, en lien avec l'objet de votre enquête. Si la régulation concurrentielle ne peut être qu'une partie de la réponse aux difficultés que vous examinez, notre administration est très consciente de l'impératif que cette réponse soit aussi efficace que possible. Vous avez déjà eu l'occasion, lors des auditions précédentes, d'évoquer la question essentielle de la pluralité des causes de la cherté de la vie dans les outre-mer. Il me paraît quand même important de rappeler à titre liminaire les causes structurelles qui contribuent au niveau des prix constatés dans les départements et régions ultramarins. Ce sont les trois thèses du marché, les caractéristiques de leur environnement régional, la structuration de l'offre, le poids limité de la production locale et l'éloignement géographique des sources d'approvisionnement.

Il en résulte un certain nombre de conséquences qui marquent d'ailleurs ce que nous constatons dans nos enquêtes et analyses. Il existe dans les outre-mer des économies d'échelle limitées, ce qui signifie que les coûts fixes sont plus importants. Nous constatons cette tendance naturelle à la concentration économique, car souvent, il n'est permis qu'à un petit nombre d'offreurs d'atteindre le seuil de rentabilité qui permet d'opérer sur le marché. Enfin, il y a un impact spécifique sur les prix de revente dans le commerce de détail, les coûts de transport selon une chaîne économique plus longue qu'ailleurs. Ce constat général est aujourd'hui très documenté, exposé de façon claire dans l'avis 19 à 12 du 14 juillet 2019 de l'Autorité de la concurrence. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans cet avis, l'Autorité n'a pas limité ses recommandations aux seules questions qui intéressent la régulation concurrentielle stricto sensu, et a débordé assez largement de ce périmètre. Elle a également formulé des suggestions dans le domaine de la fiscalité ou dans le domaine des politiques publiques qui visent à renforcer la création de valeurs dans les filières agroalimentaires ultramarines, par exemple au moyen de labels.

Ce constat ne doit pas conduire à méconnaître l'importance de la régulation concurrentielle qui, si elle n'a pas en quelque sorte le monopole des solutions, en fait clairement partie. Nous pourrions même dire au contraire que les dysfonctionnements du marché dans les outre-mer appellent une vigilance d'autant plus particulière que leur impact économique négatif, de toute façon est préoccupant lorsqu'il se matérialise, vient en quelque sorte s'ajouter à aux effets d'autres contraintes, dont certaines sont de nature structurelle. Je pense que de cela, les pouvoirs publics sont très conscients et la DGCCRF en particulier. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup travaillé pour mettre en œuvre les recommandations de l'Autorité de la concurrence, qui relevait de notre périmètre de compétences.

Je voulais notamment rappeler l'assouplissement des conditions de mise en œuvre du dispositif, de l'injonction structurelle qui donc arme l'Autorité de la concurrence pour modifier si nécessaire le niveau de concentration économique dans le secteur de la distribution. À ce titre, la DGCCRF a joué un rôle clé dans les travaux de conception, de rédaction des dispositions que le Parlement a adoptées dans la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, dite « loi DDADUE ». Vous savez que ces dispositions sont donc venues modifier l'article L.552-27 du code de commerce afin d'abaisse le standard de preuve qui doit être satisfait pour imposer des remèdes comportementaux ou structurels aux acteurs de la distribution dans les outre-mer. C'est un outil très puissant, qui doit être manié avec prudence, qui n'a pas été utilisé pour l'instant. Si la DGCCRF constate que les conditions d'application de cet outil sont réunies, elle peut dans ce cas donner l'occasion à l'Autorité de la concurrence de s'autosaisir en lui transmettant un indice, et elle peut la saisir également.

Je pense aussi aux dispositions venues renforcer les règles applicables pour prévenir, dans les outre-mer, la discrimination des acteurs en cas d'intégration verticale, pour lutter contre les exclusivités de droit de faits. Même si cette disposition est plus ancienne, je rappelle également que depuis 2011, les seuils de chiffre d'affaires, à partir desquels les opérations de fusions et acquisitions doivent être obligatoirement notifiées à l'Autorité de la concurrence, sont plus bas que les seuils applicables en métropole, ceci en lien avec les particularités du contexte économique ultramarin.

Le deuxième point concerne l'intensité de notre activité d'investigation dans les outre-mer. Je ne vais pas énumérer des chiffres, mais nous pouvons vous transmettre en tant que de besoin des éléments complémentaires par écrit. Il convient de souligner qu'en 2022, les indices antitrust et de pratiques anti-concurrentielles établis par la DGCCRF représentaient presque 18 % du total des indices au plan national. Cet exemple me semble assez éloquent quant à l'effort consenti. La démarche a concerné différents secteurs, le bâtiment et les travaux publics (BTP), le traitement des déchets, la distribution automobile, l'alimentaire.

Je parle aussi du taux de mise en enquête. Tout un travail d'expertise des indices est en effet mené pour savoir si une enquête mérite d'être lancée. Ce taux de mise en enquête des indices sur la période 2022 pour les outre-mer est de 26,2 %, soit un niveau nettement supérieur à la moyenne nationale (16,45 %).

Le fruit de l'action d'enquête de la DGCCRF, ce sont en grande partie les décisions de l'Autorité de la concurrence, dont son président vient de vous parler en soulignant l'importance des cas relatifs à l'outre-mer dans l'activité contentieuse de l'Autorité.

Je terminerai mon propos sur une note un peu plus personnelle en indiquant que la DGCCRF, qui est une administration de l'État, fait ce qu'on lui demande de faire. Je voulais le dire très clairement. Nous travaillons selon un haut niveau de priorité des questions de concurrence dans les outre-mer. Lorsque le ministre ou le gouvernement nous demande de réaliser une enquête, nous la réalisons. Elle donne les résultats qu'elle donne. Comme toute administration, nous sommes conscients que nous avons nos marges de progrès, nous y travaillons dans nos processus et notre méthodologie d'enquête. Nous ne sommes pas dans la posture de ceux qui disent que ce que nous faisons est parfait, bien évidemment. C'est aussi pour cette raison que nous sommes heureux de venir dialoguer avec vous et de répondre à vos questions.

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Il est vrai que vous représentez un maillon essentiel de la chaîne de contrôle, s'agissant notamment de la concurrence et de la consommation.

En termes de moyens, disposez-vous d'agents physiquement postés dans chaque territoire ultramarin ? Quel est votre ratio par rapport à la population de chacun de ces territoires ? Il nous a été dit qu'aucun agent n'était déployé à Saint-Martin.

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

Dans le cas particulier de Saint-Martin, une personne était employée à plein temps, mais elle a quitté ses fonctions. Nous avons lancé l'appel à candidatures pour qu'elle soit remplacée. Il s'agit là de la vie des services. La vacance, depuis le début de l'année, est donc conjoncturelle.

S'agissant du mode de comblement des effectifs, il s'agit parfois de fonctionnaires. Les tableaux de mutation sont exploités en février pour accueillir les gens le 1er septembre, en même temps que les gens qui sortent d'école. Les appels sont en cours.

Notre ratio des effectifs ne dépend pas seulement de la population. Il se compose des critères de populations, d'entreprises, d'emplois et de PIB. Si vous faites la comparaison des ratios des effectifs des DOM par rapport à ceux de la Métropole, ils sont extrêmement favorables aux DOM. La cible pour la fin de l'année se situe à 92 ETP. Si le calcul avait été fait strictement à partir de ratios de populations et autres, la cible aurait été de l'ordre de 75. Les DOM ont un ratio d'emploi sur le poids économique et démographique supérieur à celui de la métropole.

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Je pose une question plus directe. Considérez-vous vos moyens suffisants par rapport à la charge de travail sur ces problématiques de concurrence et de consommation ?

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

Aujourd'hui, les équipes travaillent bien et produisent effectivement des enquêtes. Les moyens sont ceux que nous pouvons donner. Sont-ils suffisants par rapport à la charge ? La question se pose dans l'ensemble du territoire. Ensuite, il n'y a pas que les équipes locales qui travaillent dans les DOM, je tiens à le préciser. Quand des enquêtes se révèlent compliquées, l'administration centrale apporte son support sur un certain nombre de thèmes et d'expertises assez techniques. Si le sujet n'est pas que local, il y a la possibilité d'avoir également l'appui d'autres enquêteurs. Globalement, nous disons que la charge est adaptée aux moyens. Bien entendu, si nous avions plus de moyens, nous ferions probablement plus de contrôles, mais nous n'avons pas constaté de rupture dans le service rendu aujourd'hui par nos équipes.

Nous sommes toujours en demande d'emplois. Je tiens à préciser que les emplois ont baissé il y a quelques années. Ils sont aujourd'hui stables pour la CCRF et amorcent une remontée dont je pense que les Dom pourraient également pouvoir bénéficier. Maintenant, nous restons contraints par ce qui nous est accordé par la loi de finances.

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Si vous me parlez de contraintes, c'est aussi une réponse. Quelle est la relation entre la DGCCRF et les différents instruments de l'État, notamment l'Observatoire des prix, des marges et des revenus, (OPMR) qui est sur le territoire l'Autorité de la concurrence ? Lorsque nous avons interrogé ces différentes structures, il n'y avait quasiment pas de coordination entre des services qui sont pourtant les mêmes services de l'État. Ils sont censés assurer la protection des consommateurs et veiller aux règles, mais aussi de concurrence, avec une égalité de traitement par rapport aux problématiques de monopole et d'oligopole.

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

En ce qui concerne les relations avec les OPMR, la réponse est maintenant relativement simple. Nous avons mis en place un référent « vie chère », qui est le correspondant normal de l'OPMR depuis 2019. Il s'agit du chef du pôle C. Le dialogue est constant entre les deux. Ensuite, nous ne sommes pas l'OPMR.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

J'ai d'ailleurs sous les yeux la lettre de mission que nous pourrons vous communiquer pour permettre au référent « vie chère » d'expliquer ce qu'il doit faire.

Nos relations avec l'Autorité de la concurrence sont très bonnes. Elles ont été regardées et expertisées sous toutes les coutures par la Cour des comptes qui s'est interrogée sur ce qu'on appelle parfois le dualisme institutionnel en matière de concurrence en France entre deux organes. Elle a formulé un avis positif sur le fonctionnement de ce dispositif.

La division des rôles entre l'Autorité et la DGCCRF est un peu similaire à celle entre le juge et la police en matière pénale. La DGCCRF mène essentiellement des enquêtes, puis transmet son travail à l'Autorité qui apprécie le cas et qui, au fond, n'est pas juge. Elle est autorité administrative indépendante, mais elle prend bien une décision. C'est un tout petit peu plus compliqué pour les affaires dites locales, la DGCCRF a une compétence et peut aller jusqu'à traiter elle-même le cas jusqu'au bout en prenant une décision d'exemption ou en faisant une transaction. Mais nous ne parlons que d'une catégorie particulière de cas.

Lorsque la DGCCRF a un indice de concurrence, c'est-à-dire qu'elle a réuni suffisamment d'informations qui tendent à indiquer qu'il pourrait être justifié de lancer une enquête pour aboutir, le cas échéant, à la qualification de pratiques, elle est obligée d'en informer l'Autorité de la concurrence. Cette dernière a, en quelque sorte, un droit de tirage. Elle peut considérer que tel cas justifie d'être pris en charge immédiatement et elle mobilise ses propres enquêteurs. Elle assure l'entièreté du travail jusqu'à la décision, mais pour autant, nous restons en contact avec elle au titre de notre rôle de commissaires du gouvernement.

Il y a aussi le cas où l'Autorité, qui a ses propres priorités, ne nous dit pas qu'elle va enquêter. Nous avons le choix de décider que finalement, cet indice, bien que nous l'ayons transmis, ne justifie pas une enquête. Nous pouvons aussi vouloir mener l'enquête nous-mêmes. Cela se produit assez fréquemment, y compris dans les cas d'outre-mer. Une fois l'enquête terminée, nous transmettons d'office notre rapport à l'Autorité si le cas le justifie, notamment par rapport aux chiffres d'affaires des entreprises. Deux options se dessinent. Soit l'Autorité s'autosaisit pour élaborer un acte de procédure, qui s'appelle une notification de griefs, soit nous décidons de la saisir en lui demandant d'engager des poursuites.

Les contacts avec l'Autorité restent extrêmement fréquents, même s'ils varient en fonction du niveau hiérarchique. Au niveau des opérationnels, je dirais que c'est quasiment quotidien et c'est forcément un peu plus intermittent au niveau plus élevé de la hiérarchie.

Espérons que des problèmes vraiment sérieux de coordination, susceptibles de se traduire par des loupés, ne se produisent jamais. Aujourd'hui, nous n'avons pas d'exemple qui puisse documenter ce type de difficulté à ma connaissance.

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En 2019, il a été annoncé un renforcement du partenariat entre la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence pour mieux détecter les infractions à la concurrence sur l'ensemble du territoire de La Réunion.

Je voulais savoir concrètement comment cela s'est traduit. Quel est le constat que vous faites aujourd'hui ? Quelles ont été les priorités communes ou distinctes définies en outre-mer ?

La deuxième chose concerne la brigade interrégionale d'enquête et de concurrence (BIEC). Comme vous le savez, l'absence d'une BIEC aurait des conséquences néfastes en termes de lutte contre la fraude et le coût de la vie. L'arc Réunion Mayotte dépend de la BIEC de Paris, éloignée des problèmes locaux et déjà surchargée par son activité parisienne. La lutte entre la répression des fraudes ne saurait se limiter à la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer dite « loi Lurel », qui a permis des améliorations, notamment en matière de régulation des prix et des produits pétroliers, et de la mise en place théorique du bouclier qualité-prix sur certains produits. Quelle est votre appréciation ?

L'Autorité de la concurrence nous a remonté la difficulté de connaître la réalité sur les marges des différents opérateurs. Avez-vous des pistes à votre niveau, des recommandations à émettre sur ce point, qui me semble essentiel ?

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

La BIEC correspond en fait à un problème d'organisation interne. L'activité concurrentielle se divise en trois grands paquets, dont les pratiques anti-concurrentielles, c'est-à-dire les indices dont nous avons parlé et qui sont ensuite transmis à l'Autorité de la concurrence ou pas, suivant le processus sur lequel nous reviendrons. Ce sont les relations inter-entreprises, les délais de paiement, les relations entre fournisseurs et grande distribution, par exemple. Le cas particulier ici est c'est celui de la BIEC, c'est-à-dire ceux chargés de trouver des indices de pratiques anti-concurrentielles.

Il n'y a pas de BIEC dans toutes les régions. L'organisation qui a été choisie en France métropolitaine repose sur des brigades interdépartementales, donc interrégionales de facto. C'est le cas pour beaucoup de régions. Par exemple, la BIEC de Paris est compétente pour la région parisienne, la Normandie, La Réunion et Mayotte. À l'inverse, dans le sud, Toulouse, Marseille et la Corse dépendent d'une seule BIEC. Il n'y a pas du tout de particularité qui ferait que La Réunion serait spécifiquement maltraitée au terme de cette organisation.

Il s'avère par contre qu'il existe bien une BIEC dédiée aux Antilles. Nous avons été sollicités à ce sujet, nous avons regardé dans le détail s'il y avait une différence d'efficacité entre les deux services, avec, d'une part, une BIEC locale, ou une BIEC composée d'agents parisiens et bien sûr des correspondants locaux. Notre réponse à ce stade est négative. C'est un problème de pure organisation interne. Il ne nous a pas semblé qu'il y avait une baisse ou une moindre qualité de la réponse de l'administration aux problèmes de pratiques anti-concurrentielles à La Réunion par rapport aux Antilles. Nous pourrons vous transmettre la réponse bien détaillée. Ce problème n'a eu pas d'impact négatif sur l'ensemble de la couverture. Je dirais même que les BIEC ont elles-mêmes l'habitude de se donner du travail entre elles. Si jamais la BIEC de Paris est trop occupée, elle peut faire appel à la BIEC de Lyon dans le cadre d'une opération de coopération.

Le dernier point qui me semble très important est que, dans un certain nombre de cas, quand il y a des indices, la délocalisation permet une meilleure indépendance du fonctionnaire pendant son exercice et ce n'est pas obligatoirement au détriment de la qualité de l'enquête, au contraire.

En résumé, nous vous confirmons que les moyens en équivalents temps-plein, c'est-à-dire la charge de travail de l'administration pour surveiller la concurrence à La Réunion, ne sont pas affectés par le fait qu'il n'y a pas de BIEC. Par ailleurs, nous n'avons pas décelé ex post de différences de traitement ou en tout cas aucun désavantage pour La Réunion.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Je réponds à vos autres questions. La coopération entre la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence, en particulier sur les questions ultramarines, a été consacrée par un protocole signé en 2019 par Isabelle de Silva, qui était alors la présidente de l'Autorité, et Virginie Beaumeunier, qui était notre directrice générale. Clairement, ce protocole mentionne le caractère prioritaire des questions ultramarines. Il peut être illustré par ce que je vous ai indiqué sur l'importance des décisions relatives aux pratiques anti-concurrentielles dans les outre-mer dans l'activité contentieuse de l'Autorité de la concurrence et par les éléments que je vous ai indiqués.

L'année 2022 représente un progrès par rapport aux années antérieures, ce qui montre un mouvement qui va dans le bon sens. Ce sont ces cas, notamment les cas sur les exclusivités, qui ont donné lieu à des procédures intéressantes.

En ce qui concerne votre question sur les marges, je pense qu'il faut distinguer deux choses. Il y a d'abord un aspect un peu macro-économique et global. C'est le sujet des OPMR. Il est compliqué et coûteux de mettre en place une observation permanente et systématique de l'ensemble des marges. En revanche, c'est que lorsque nous avons besoin de le faire, mais d'un point de vue plus micro-économique, il doit y avoir une nécessité. Deux types de configuration peuvent le justifier. D'abord, lorsque nous sommes dans un domaine où les prix sont réglementés. Pour les outre-mer, c'est le cas du carburant. C'est aussi le cas, mais pas spécifique aux outre-mer, dans le domaine des taxis.

Ce sont ensuite les cas de concurrence qui justifient, pour établir en fait la preuve de la pratique, de donner des éléments sur les marges. Par exemple, le dernier cas dont vous a parlé l'Autorité de la concurrence est celui d'un abus de position dominante dans le secteur du contrôle technique. En fait, à ce moment-là, il y avait une nécessité d'avoir des informations sur les marges.

Nos outils d'investigation permettent d'avoir ces informations. En matière de concurrence, il peut y avoir un risque de dissimulation de preuves d'infraction. Dans ce cas-là, nous devons utiliser les outils les plus les plus puissants, que nous appelons l'opération de visite et saisie. La situation impose de prendre les logiciels, de regarder ce qui est dans les téléphones. C'est vraiment ce que les Américains appellent le smoking gun evidence, la preuve irréfutable. Nous nous servons d'un compte rendu de réunion, d'échanges d'e-mails entre des opérateurs concurrents qui montrent leur entente sur les prix. C'est ce type de chose qui reste le plus difficile à obtenir pour les autorités de concurrence, parce que les entreprises veulent dissimuler ces éléments. Dès lors, nous avons parfois besoin d'utiliser ces pouvoirs très forts et d'intervenir dans des conditions très particulières pour qu'elles n'aient pas le temps de dissimuler ou de détruire les preuves.

Nous n'avons pas besoin d'utiliser ce type de pouvoir s'agissant des informations sur les marges. La difficulté n'est pas tellement de ce type-là, il nous faut surtout traiter un nombre important de documents. C'est plutôt une difficulté d'ordre matériel, mais en soi, ce n'est pas un obstacle à l'exercice de nos missions.

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Vos effectifs ont quand même diminué d'un quart depuis 2007. Vous dites avoir les moyens d'assumer vos missions, mais vous n'êtes pas capables de me dire, par rapport à la charge de travail de nos territoires, s'ils sont suffisants. J'entends votre réponse théorique mais, dans la pratique, de nombreuses questions se posent. Comment étudier le niveau de concurrence et le niveau de concentration sans connaître la réalité des marges ?

Aucun outil d'État, ni l'Autorité de la concurrence, ni les OPMR, ni même l'Insee n'est capable de nous donner la réalité des marges cumulées. L'Autorité de la concurrence a indiqué en 2019 que l'accumulation des marges posait problème. Je prends un exemple. Il existe quatorze intermédiaires entre le producteur et le distributeur. Personne n'est capable de savoir si ces intermédiaires, chacun faisant sa marge, sont de la même famille ou s'ils ne sont pas reliés à des grands groupes.

Or, c'est ce qui nous permettrait de savoir s'il y a un transfert de marge, s'il y a des marges arrière et quelle est la réalité du niveau de concentration qui permettrait de mieux déterminer la situation des concurrences ou pas. Comment faites-vous, sans connaître les marges, pour mener une analyse sérieuse et opérationnelle de la concurrence entre les entreprises dont vous ne savez pas si elles appartiennent au même groupe ?

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André Schwob, chef du service du soutien au réseau à la DGCCRF

Il y a plusieurs éléments dans votre question.

J'évacue le problème strictement quantitatif. Avons-nous assez de moyens ou pas ? Je n'ai jamais rencontré qui que soit dans mes services déconcentrés qui m'ait indiqué que le budget que je lui accordais était suffisant. De toute façon, c'est presque par construction. On peut toujours faire plus et on aurait plus de monde, on en ferait plus. La vraie question n'est pas tant dans le quantitatif que dans le qualitatif. Sommes-nous capables de bien cibler et de poser de bonnes questions ? C'est une question importante. Nous essayons de monter en compétences et de faire monter en compétences l'ensemble de nos agents avec des formations assez diverses sur le préjudice économique sur l'ensemble de la chaîne.

Pour le sujet propre des marges, vous avez deux questions qui sont à mon sens un peu différentes. La première est la suivante : les marges sont-elles abusives ou pas ? Je laisserai mes collègues plus férus que moi en droit répondre. Mais a priori, une marge abusive est très difficile à qualifier. Cette première question est une question d'économiste.

La deuxième question est une question d'enquêteur. Est-ce qu'il y a des ententes, des gens se mettent-ils d'accord pour complexifier à dessein le système ? Nous avons lancé une démarche au sein fait de la CCRF et qui peut être un début de réponse à votre question. Nous avons constitué au niveau national, sous mon autorité directe, une cellule que nous appelons la cellule de renseignements contre la fraude économique (CRAF).

Cette cellule, composée d'une petite équipe, ne s'attache qu'à cette mission. Il s'agit de soulager les enquêteurs d'un travail de fourmi parfois très difficile, et de faire la cartographie des acteurs. Si le comportement d'empilement d'intermédiaires et de marges était une fraude, elle suit toujours la même logique. Ce ne sont jamais des gens seuls. Ce sont toujours des gens qui se connaissent ou que d'autres services connaissaient déjà. Nous nous sommes professionnalisés, en sachant que si l'information n'existe pas, nous ne l'avons pas. En revanche, nous nous sommes mis en position de pouvoir répondre à ces questions des enquêteurs. L'efficacité de la cellule est quand même assez remarquable. Elle est à même, grâce à sa méthode de travail et à ses outils, de fournir des réponses rapides. Les pôles C savent qu'ils peuvent faire appel à la CRAF s'ils ont une quelconque suspicion. À nouveau, ce n'est pas une baguette magique. Si l'information n'existe pas, on ne la trouvera pas. Il peut très bien y avoir des successions tout à fait légitimes et qui s'expliquent par des raisons économiques ou historiques et qui ne sont en rien frauduleuses. Ce n'est pas parce que ça marche mal que pour autant, c'est une fraude.

Ensuite, la deuxième question : quand est-ce frauduleux ou excessif ? Je laisse la parole à Pierre.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Une marge très élevée peut être effectivement un indice d'abus d'exploitation, mais ce n'est pas vraiment votre question, monsieur le président, vous parlez des marges. Je vous confirme ce que je vous ai dit. Nous savons le faire. Lorsque nous menons une enquête dans un secteur donné, nous sommes capables d'évaluer de manière très fiable le taux de marge des acteurs. Ce sont des analyses compliquées parce que différents facteurs peuvent influencer un taux de marge. Ce calcul, nous savons le faire. En revanche, la démarche demande un effort de documentation. Peut-être qu'un jour, le numérique apportera à l'État de nouveaux outils, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il s'agit d'avoir en permanence, sur toute l'économie, une espèce de gros tableau de bord qui nous donne, secteur par secteur, entreprise par entreprise, en temps réel, l'évolution des taux de marge. Ce tableau de bord n'existe pas, mais quand pour un secteur où une entreprise, nous voulons le faire, nous savons le faire. Notre travail consiste à détecter initialement les endroits où il faut le faire. Nous regardons les plaintes, le niveau des prix. Lorsque les indices nous signalent qu'il se passe quelque chose de particulier dans un secteur qui pourrait signifier qu'il y a trop de marge, nous pouvons lancer l'enquête. Il est tout à fait possible d'établir le taux de marge.

Une autre question se pose sur l'appréciation de ce taux de marge. Un taux de marge élevé n'est pas forcément illicite. En revanche, le standard de preuve est ce qu'il est, sous le contrôle du juge. Dans certains cas, comme celui en Guadeloupe, lorsque vous avez un certain nombre de conditions réunies, la décision de l'Autorité sur le contrôle technique en Guadeloupe, qui considère que la ligne rouge a été dépassée et inflige une sanction.

Cette question des marges ne soulève pas de problème de faisabilité. En revanche, il n'y a pas de surveillance générale et systématique puisque nous ne disposons pas des outils aujourd'hui.

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En 2018, le gouvernement a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis sur le fonctionnement de la concurrence en matière d'importation, de distribution des produits de grande consommation dans nos territoires. L'Autorité de la concurrence vous a sans doute sollicités à son tour. Ma question est simple. Des recommandations ont été faites, s'agissant notamment de renforcer les outils de l'Autorité de la concurrence, dont l'injonction structurelle. Quel est votre avis ? Qu'en est-il ? Y a-t-il eu un renforcement de cet outil, notamment dans nos territoires ?

Quel est le temps moyen, si vous pouvez nous le dire, d'une enquête ? Par rapport à la loi Lurel, un petit conflit est apparu sur le temps d'enquête concernant les taux de sucre produits. Vous avez répondu fortement là-dessus, mais j'aimerais connaître le temps d'enquête moyen concernant la DGCCRF.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Monsieur le député, la loi DDADUE, qui date du 3 décembre 2020, apporte une réponse et permet de mettre en œuvre cette recommandation de l'Autorité de la concurrence en abaissant le standard de preuve pour l'injonction structurelle, selon deux conditions qui s'attachent aux outre-mer et au domaine du commerce. Pour avoir participé personnellement à la rédaction de cette mesure, qui a donné lieu à des réunions interministérielles, qui est passée au Conseil d'État, la démarche n'était pas évidente au regard de la décision du Conseil constitutionnel qui avait été qui avait censuré ce type de rédaction dans la loi Macron. Dans un contexte différent, la disposition de la loi Macron était prise pour l'ensemble du territoire national. Le Conseil constitutionnel a considéré que le gouvernement donnait à l'Autorité de la concurrence un pouvoir très important. Le sujet est sensible, car il permet de porter atteinte aux droits de propriété et d'obliger, le cas échéant, une entreprise à céder des actifs et désinvestir. Il est apparu qu'il n'était pas justifié de prendre une mesure plus large que celle prévue dans la loi Macron. De fait, le texte a été censuré.

Nous avons néanmoins pu passer des étapes dès lors que l'action était circonscrite aux outre-mer et au secteur de la distribution. Nous avons été en mesure de documenter le fait qu'il y avait quand même des problèmes particuliers dans les outre-mer qui justifiaient de doter l'Autorité d'un tel pouvoir.

Vous avez pu entendre mon intervention liminaire. Pour l'instant, cet outil puissant n'a pas encore été utilisé. Comme il est très puissant et qu'il peut être extrêmement intrusif, il doit être manié avec prudence. Il est évident que la DGCCRF regarde, dans son activité de surveillance du marché, les cas qui présentent les conditions de son utilisation. Jusqu'à aujourd'hui, nos constats au terme d'une enquête n'ont pas justifié de saisir l'autorité de la concurrence pour lui recommander de prendre une injonction structurelle. Lorsque nous serons dans cette situation, nous ferons le nécessaire.

Pour répondre à votre deuxième question, les enquêtes de concurrence aujourd'hui durent en moyenne quatorze mois.

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Il y a un décalage entre ce que vous me dites et la réalité, synonyme d'une consolidation des concentrations. Les grands groupes ne sont pas si nombreux que cela. Il y a énormément d'entreprises. Comment faites-vous pour mesurer le niveau de concentration de la grande distribution en Martinique par exemple ? Vous dites que vous agissez sous saisine ou de votre propre initiative.

Un indicateur nous apprend qu'aucun des grands groupes ne dépose ses comptes alors que c'est une obligation légale. Ils préfèrent payer une amende. C'est déjà un signal. Je ne parle pas de la faisabilité de calculer les marges, je parle de la réalité de 2023. Ce sont les mêmes grands groupes qui occupent les mêmes espaces économiques, avec un niveau de concentration consolidé. Donnez-moi un exemple, dans la grande distribution par exemple, d'un niveau de concentration.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Mesurer le niveau de concentration n'est pas le plus difficile. Ensuite, il y a son appréciation, des indices un peu savants, mais je pense que ce n'est pas vraiment votre question. Mesurer la concentration économique suppose de connaître les parts de marché des opérateurs et leurs chiffres d'affaires. Il faut définir un marché, ce qui requiert de connaître les types de magasins du marché. Une fois le marché défini, on compte le nombre d'enseignes qui y sont présentes. On évalue leurs chiffres d'affaires et on aboutit à un taux de concentration que l'on peut mesurer sur une échelle.

La concentration économique n'est pas interdite. Il n'est pas illégal d'avoir une position de marché importante. Une entreprise qui réussit très bien peut faire de la croissance interne et sa part de marché très importante est le reflet de ses talents. Cela peut être aussi le reflet, mais dans ce cas-là il y a un régime de sanction, de pratiques abusives.

Je pense que votre question est liée à l'injonction structurelle. La concentration économique pose-t-elle un problème ? Cela se traduit-il par une exploitation abusive de la position de marché ? Pour aboutir à cette conclusion, il faut apprécier le niveau des prix et des marges.

Si l'on s'aperçoit, comme dans notre exemple du contrôle technique, de l'existence d'un monopole et d'un degré de concentration économique très important et que par ailleurs l'opérateur qui détient ce pouvoir de marché abuse de sa position en l'exploitant, c'est-à-dire en en tirant une marge et des prix excessifs, on peut intervenir. La difficulté aujourd'hui est liée à la caractérisation de l'exploitation abusive de la position de marché plus que l'établissement du degré de concentration économique.

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Il existe quand même un niveau de concentration à ne pas dépasser. Il me semble que dans la grande distribution, si l'on a plus de 25 % de surfaces de vente, on se situe au-dessus du seuil légal. Sinon, il ne fait pas sens de dire que l'on peut être hyper concentré sans générer de problématiques de concurrence et de prix excessifs à la vente. J'ai du mal à saisir ce que vous me dites.

J'essaie de sortir de la théorie. Quand un groupe détient 30 carrières sur 32 sur un territoire, c'est un niveau de concentration excessif. Combien d'enquêtes avez-vous lancées sur les grands groupes ? Vous êtes sous serment et nous avons besoin d'éléments. J'aimerais connaître toutes vos enquêtes menées depuis 2019 sur les grands groupes des territoires dits ultramarins en matière de concentration.

Aujourd'hui, les concentrations se consolident et les représentants de l'État, qui sont censés assurer le contrôle et la garantie de la concurrence, disent que tout va bien. Vous avez cité l'exemple de l'entreprise en charge des contrôles techniques. Dans le domaine de la grande distribution, il semble que nous soyons incapables de relier les entreprises à un grand groupe, même si vous me dites que c'est facile. Combien d'entreprises avez-vous reliées aujourd'hui à des grands groupes ? Si vous avez un schéma, donnez-le-moi. Donnez-nous la liste de toutes les entreprises que vous avez contrôlées, qui sont reliées à un grand groupe. Nous aurons ainsi une idée de ce qui se passe en matière de concentration.

Depuis quand la cellule de renseignement que vous avez évoquée est-elle en place ? Depuis deux ans, c'est-à-dire la période de la crise de la Covid-19. Je ne suis pas sûr qu'elle ait fait grand-chose depuis la pandémie. Cela signifie que nous lançons un sujet sur lequel vous donnez le sentiment qu'il y a une maîtrise parfaite en matière de concentration verticale et horizontale. Je n'ai même pas engagé le sujet de la concentration horizontale, qui est un peu différent parce que les activités sont différentes, elles ne sont pas directement liées, mais elles existent.

Si nous prenons l'exemple de Vindémia à La Réunion, je me demande pourquoi le personnel spécialisé se trouve à Paris pour des règles spécifiques qui concernent La Réunion. Nous parlions de moyens de la DGCCRF. J'avoue ne pas comprendre, je considère cela comme une anomalie.

D'ailleurs, nous aurions besoin également du protocole de coopération avec l'Autorité de la concurrence que vous avez en votre possession, de façon à ce que nous puissions comprendre les actions concrètes en matière de lutte contre les concentrations que vous menez. Quels sont les résultats ? Il est important pour nous de savoir à quel niveau de résultat vous vous situez aujourd'hui. Dans la réalité, nous constatons que la situation ne s'améliore pas. Ce sont toujours les mêmes grands groupes qui achètent les entreprises en difficulté.

Il n'y a pas que la DGCCRF dans la chaîne, mais vous êtes un maillon. C'est la raison pour laquelle je parle de problématiques de coordination, qu'a reconnues l'Autorité de la concurrence.

Je préfère que vous me disiez les choses. Nous ne vous jugeons pas, nous essayons d'identifier les éléments qui posent problème pour que la commission d'enquête puisse émettre de bonnes préconisations afin de trouver les solutions à apporter. Dans le domaine du contrôle de l'État, un vrai travail de fond doit être mené en matière de lutte contre les concentrations, les oligopoles et les monopoles.

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

Je vais essayer de vous répondre sur cette question des seuils, qui est importante. La concentration économique peut être générée par la croissance externe, c'est-à-dire via les rachats, ou par la croissance interne, lorsqu'une entreprise continue de gagner des parts de marché. Ces deux situations sont différentes.

Dans notre système, la croissance externe, c'est-à-dire l'augmentation des parts de marché par fusions-acquisitions, est soumise, à partir d'un certain nombre de seuils de chiffres d'affaires, à une autorisation préalable de l'Autorité de la concurrence. Deux seuils ne doivent pas être confondus. Il y a les seuils à partir desquels l'opération doit obligatoirement être notifiée. Ce sont des seuils en chiffre d'affaires. Ensuite, l'Autorité de la concurrence apprécie le risque d'une atteinte à la concurrence et donc la concentration économique qui va résulter de la fusion. Par exemple, une entreprise en rachète une autre. Elle avait X % de parts de marché et elle aura donc Y % de parts de marché. Risque-t-elle de porter atteinte à la concurrence ? Il n'y a pas de seuil magique. Vous disiez que certains seuils ne pouvaient pas être dépassés. Non, cela n'existe pas. Ce qui existe est différent. Il y a un seuil de présomption, en quelque sorte, c'est-à-dire qu'autour de 25 ou de 30 % de parts de marché, nous pouvons penser qu'un risque d'atteinte à la concurrence se présente. Dans un tel cas, il faut regarder de manière plus approfondie, ce qui ne signifie pas qu'il est interdit de valider une concentration qui donne aux parties 30 % de parts de marché, ni même d'ailleurs 40 %. Le risque d'atteinte à la concurrence n'est pas mécanique. Vous pouvez avoir sur un marché une entreprise qui a 40 % de parts de marché, une autre qui en a 30 et encore une autre qui en a 30. Elles se livrent une concurrence féroce, ce qui ne pose aucun problème.

Je vous propose de vous fournir la littérature économique sur ce sujet, qui a été d'ailleurs formalisée par la Commission européenne et reprise en France. Nous parlons ici de la croissance externe. Il n'y a pas de seuil que personne n'a le droit de dépasser.

L'Autorité de la concurrence peut indiquer à des entreprises qui occupent un certain marché qu'elles ne sont pas autorisées à procéder à une fusion sans céder des actifs, pour ne pas qu'elles dépassent un seuil de parts de marché. L'Autorité considère, sur la base de son analyse, que ce dépassement pourrait représenter un problème.

Nous avons ensuite la situation de la concentration économique qui ne résulte pas du contrôle de concentration et qui est naturelle en quelque sorte. Dans le système juridique français et européen, on ne peut pas sanctionner une entreprise parce qu'elle a une part de marché, même de 100 %. Il n'y a rien d'illégal. En revanche, on regarde si le marché lui donne une position dominante, selon des critères existants. Pour la sanctionner ou éventuellement lui imposer des injonctions structurelles, il convient de démontrer qu'elle abuse de sa position dominante. Une telle démonstration passe par les pratiques commerciales qu'elle met en œuvre.

Nous pourrons vous communiquer tout l'historique de nos enquêtes, notamment dans le secteur de la distribution alimentaire dans les outre-mer. Je répète ce que j'ai dit dans mon propos liminaire. L'administration de la DGCCRF est une administration de l'État, placée sous l'autorité du gouvernement. Quand on lui demande de faire une enquête, elle la mène.

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L'idée n'est pas d'avoir la littérature économique, concrètement. Si l'on veut définir un abus de position dominante, il faut d'abord connaître le niveau de concentration, de maîtrise du groupe en question. C'est une première condition avant de pouvoir chercher à savoir si cette position dominante est abusive ou pas. C'est bien pour cela que j'ai posé la question de la concentration d'abord et la question de l'abus de position dominante. C'est vrai que je préfère qu'on soit concret. La littérature n'est pas ce qu'il nous faut, mais nous sommes intéressés par vos enquêtes consacrées aux grands groupes.

Quelles seraient vos propositions pour aider à lutter contre le coût de la vie en termes de concurrence et de consommation dans notre territoire ?

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Pierre Chambu, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF

La question est ambitieuse. Nous pensons qu'il y a des choses à faire, mais beaucoup de choses ne relèvent pas de notre compétence. La régulation concurrentielle, la politique de concurrence, n'a pas toute la réponse au problème de la cherté de la vie. En revanche, elle est une partie de la réponse.

Si votre question porte sur les règles particulières qui s'appliquent en matière de régulation concurrentielle, nous avons le sentiment d'avoir les outils. Ils sont plus puissants dans les outre-mer qu'ils ne le sont sur l'ensemble du territoire national. Il faut les utiliser. Nous faisons des efforts pour les utiliser au mieux. Nous n'avons pas la prétention de dire que ce que nous faisons est parfait. Nous nous mobilisons pour agir au mieux et nous entendons continuer à le faire. En tout cas, la réponse, pour ce qui concerne modestement le périmètre de la DGCCRF dans le domaine de la régulation concurrentielle, c'est de rester mobilisé, de continuer à faire des enquêtes, en précisant qu'il n'y a pas que la quantité qui compte. Il ne faut pas juste raisonner en nombre d'enquêtes. Il y a aussi la qualité. Il faut mener un nombre significatif d'enquêtes, mais aussi faire les bonnes enquêtes, c'est-à-dire aller voir les marchés qui effectivement dysfonctionnent et pour lesquels on peut prendre des décisions.

Nous restons modestes, mais nous avons aussi des points de satisfaction. Le travail des enquêteurs des BIEC aboutit à des décisions de l'Autorité de la concurrence, dont les collèges confirment la pertinence de nos analyses et décident de sanctionner des entreprises. Nous nous disons que nous avons quand même assez bien travaillé. Maintenant, nous sommes conscients que cet effort doit être poursuivi.

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Je vous propose de compléter les échanges en envoyant au secrétariat les documents complémentaires que vous jugerez utiles en dehors de ceux déjà demandés et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer l'audition. Je vous remercie.

La séance s'achève à dix-sept heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, M. Philippe Naillet, Mme Cécile Rilhac.

Assistait également à la réunion. – M. Jiovanny William.