La réunion

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Mardi 21 mai 2024

La séance est ouverte à 18 h 10.

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

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Chers collègues, je me réjouis d'ouvrir la deuxième semaine de nos travaux. Nous accueillons les représentants de l'association Tamarii Moruroa : son président, Monsieur Yannick Lowgreen, et son vice-président, Michel Chamorin.

Messieurs, nous comptons sur vous pour éclairer notre commission d'enquête, notamment sur les conditions de vie et de travail sur les sites des essais nucléaires polynésiens, et ainsi essayer de nous faire toucher, par vos témoignages et ceux de ceux que vous représentez, ce qu'ont vécu les hommes et les femmes du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP).

Votre audition a également pour objectif de recueillir votre appréciation sur différents sujets, en particulier le dispositif d'indemnisation créé par la loi Morin en 2010 et le fonctionnement du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Nous souhaitons connaître votre avis sur le fonctionnement de ce dernier et sur les améliorations nécessaires. J'ai noté que vous dénonciez l'introduction dans la loi Morin du critère de 1 millisievert (mSv) sans pour autant préconiser un retour à la situation antérieure à la loi Égalité réelle outre-mer (Erom) de 2017 et à la référence à un risque négligeable, que vous qualifiez alors de « notion scélérate », selon vos propres termes, Monsieur le président Lowgreen. J'aimerais que vous expliquiez ce qui vous gêne dans le droit actuel et pourquoi, selon vous, il ne permet pas une juste indemnisation. Je souhaiterais aussi que vous nous indiquiez quelles pathologies devraient, selon vous, être ajoutées à la liste des vingt-trois maladies reconnues par le décret du 15 septembre 2014 et pour quelles raisons.

Enfin, j'ai lu qu'à la suite de la publication par Disclose, en mars 2021, de l'enquête Toxique, vous estimiez qu'il s'agissait d'une « bombe », et que les données publiées étaient « de nature à changer la donne par rapport aux indemnisations ». Trois ans plus tard, la situation a-t-elle évolué ? Quel bilan tirez-vous des engagements du Président de la République en juillet 2021 lors de son déplacement en Polynésie ?

Ces premières questions seront complétées par mes collègues et en premier lieu par Mme la rapporteure, à qui je céderai la parole après votre intervention. Celle-ci vous a transmis un questionnaire. L'intégralité des questions qu'il contient ne pouvant être traitées de manière exhaustive ce matin, je vous invite à nous communiquer ultérieurement vos réponses écrites.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Lowgreen et Chamorin prêtent serment.)

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Monsieur le Président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, bonjour, ia ora na, māuruuru. Je commencerai par partager avec vous un bilan d'activité de notre association.

L'association Tamarii Moruroa signifie « les enfants de Moruroa ». Elle a été créée le 3 mars 2006 à Papeete. Son premier objectif est de rassembler les travailleurs militaires et civils des entreprises du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et autres, ayant effectué un ou plusieurs séjours sur les sites ou les bâtiments de la marine nationale liés aux essais nucléaires de Moruroa, Fangataufa et Hao, ainsi que les populations des îles ayant subi les effets des essais.

Nous organisons également des conférences sur le passé, le présent et l'avenir des sites avec des spécialistes scientifiques et de la santé, ainsi que les travailleurs eux-mêmes. Nous nous efforçons de faire connaître la vie sociale, le travail, le mode de vie et les loisirs des différents acteurs. Nous participons à la recherche et à la transparence concernant les conséquences des essais dans divers domaines tels que la santé, l'environnement et le social, en collaboration avec différentes associations comme Moruroa e tatou, l'association 193 ou d'autres, ainsi qu'avec les autorités de l'État, du territoire concerné et des instances internationales comme l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Nous recherchons, identifions et aidons les personnes susceptibles d'avoir contracté une maladie liée aux essais nucléaires et nous les informons sur la manière de récupérer leurs dossiers médicaux ainsi que sur leurs droits . Nous les assistons dans la constitution de dossiers contentieux pour les défendre devant les tribunaux, si nécessaire. Nous œuvrons pour la transparence concernant les essais et cherchons à faire avancer les dossiers médicaux des éventuels patients. Nous examinons les raisons pour lesquelles les demandes de reconnaissance des maladies professionnelles des Polynésiens n'aboutissent pas, et aidons à la réalisation de tests ADN pour les personnes susceptibles d'avoir été irradiées.

Nous avons décidé de créer l'association Tamarii Moruroa car de nombreux anciens travailleurs ne souhaitaient pas intégrer l'association Moruroa e tatou en raison de son mode de fonctionnement. Bien loin de dénigrer cette dernière, nous reconnaissons le travail qu'elle a accompli. Il est d'ailleurs indiqué, dans le procès-verbal de création de notre association, que notre but n'est pas de lutter contre Moruroa e tatou. Au contraire, il était précisé que si nos idées venaient à converger, nous pourrions envisager une union.

L'association Tamarii Moruroa n'a aucune affiliation politique ni religieuse. Elle regroupe des vétérans civils et militaires, ainsi que leurs épouses et descendants, issus des îles et atolls périphériques. Sa mission principale est de faire la lumière sur les essais nucléaires en Polynésie française, en confrontant les affirmations contradictoires à la réalité des faits. Concernant les problèmes de santé publique, notre objectif est de rechercher la transparence pour découvrir la vérité, sans causer de destruction... Nous souhaitons impliquer des scientifiques polynésiens et d'autres experts dans cette recherche, en tenant compte des nombreuses études déjà réalisées sur les essais nucléaires en Polynésie.

Depuis sa création, l'association a participé à toutes les réunions sur la mise en place de la loi Morin, aux États généraux d'Outre-mer – et singulièrement dans le cadre de l'atelier n° 7 dont le thème était : « Gérer l'après-nucléaire : mémoire, reconnaissance et responsabilité » – ainsi qu'à l'établissement du Centre médical de suivi (CMS) et du Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (Coscen) . Nous avons également été membres du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française (CESC) puis du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française (CESEC).

Nous ne remplissons aucun dossier d'indemnisation, préférant orienter les demandeurs vers les médecins du CMS car nous estimons que le traitement des dossiers doit se faire en toute confidentialité, avec des explications claires et précises sur les maladies prises en compte dans le cadre de la loi Morin. Or, à nos yeux, seuls les médecins sont à même d'opérer ce suivi et de répondre aux éventuelles questions des personnes concernées. Nous avons été les seuls à insister sur la nécessité de créer le CMS, qui n'aurait jamais vu le jour sans notre intervention, bien que ses locaux n'aient jamais été inaugurés.

De même, depuis la mise en place du processus d'indemnisation, nous avons proposé la création d'un guichet unique et indépendant. Ce guichet unique servirait de lien médical entre l'État, le territoire, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et le CMS. Fort de ses neuf années d'expérience et de ses relations solides avec le Civen, le CMS est devenu incontournable dans la constitution des dossiers. Les responsables du pays et de l'État soutiennent cette initiative de guichet unique car elle vise avant tout à aider les victimes tout au long du processus d'indemnisation, depuis la constitution du dossier jusqu'à l'accompagnement juridique. Je rappelle que lors des États généraux de juillet 2009, et alors que la loi Morin étaiten préparation, il avait déjà été envisagé que les attributions du CMS puissent évoluer et intégrer un volet d'assistance des patients dans la constitution de leurs dossiers.

Quant à la notion de risque négligeable, Tamarii Moruroa a demandé sa suppression dès la troisième réunion du Coscen en 2012.

Notre association est membre de droit du Coscen, de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN), depuis sa création, ainsi que de la commission locale d'information des anciens sites d'expérimentation nucléaire du Pacifique. Elle a aussi été représentée au CESC par notre président, élu pour un mandat de quatre ans de septembre 2018 à septembre 2022.

J'en viens à nos demandes et revendications.

Premièrement, l'attribution du titre de reconnaissance de la Nation (TRN) aux vétérans des essais nucléaires français, demande récurrente de Tamarii Moruroa depuis 2009.

Deuxièmement, la réalisation de recherches sur l'ADN des enfants de personnes ayant pu être contaminées, afin de déterminer si la contamination radioactive est transmissible et emporte des conséquences sur les générations futures. Cela permettrait de faire éclater la réalité et d'éviter d'affirmer que tous les cancers sont dus aux essais nucléaires.

Troisièmement, la conduite d'études scientifiques sur les risques et conséquences des faibles doses sur la santé et l'environnement. Pour l'association Tamarii Moruroa, le nombre de maladies pris en compte par la loi Morin doit être élargi en ajoutant les cancers du pancréas et du pharynx. A la suite d'un courrier que nous avons adressé à la ministre de la santé, les cancers de la vésicule biliaire et des voies biliaires ont été retenus par la CCSCEN lors de sa réunion du 11 février 2019, faisant passer le nombre des maladies reconnues de 21 à 23.

Je rappelle que les cancers du pancréas et du pharynx figurent dans la liste du Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Nous espérons qu'ils seront donc ajoutés lors de la prochaine réunion de la CCSCEN, étant entendu que celle-ci ne s'est pas réunie en présentiel depuis 2019, et que la dernière réunion, organisée en visioconférence en 2021, ne s'était pas très bien passée.

Quatrièmement, nous demandons qu'un médecin polynésien représente la Polynésie française au sein du Civen.

Cinquièmement, nous appelons de nos vœux le remboursement des frais engagés par la CPS pour les maladies radio-induites listées dans la loi Morin depuis le début des essais nucléaires.

Sixièmement, nous souhaitons que les demandeurs puissent bénéficier de l'aide juridictionnelle à tous les stades de la procédure d'indemnisation, ainsi que la prise en charge des frais de déplacement des requérants pour défendre leur dossier devant le Civen.

Septièmement, enfin, nous demandons depuis plusieurs années que soit lancée une véritable étude épidémiologique en Polynésie française, au-delà de l'expertise collective conduite par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires sur la population de la Polynésie française. Nous souhaitons ainsi que soient poursuivis les travaux de Florent de Vathaire, directeur de recherche à l'Inserm, sur la thyroïde, et que soit engagée une étude sur les maladies transgénérationnelles visant à comprendre l'impact des rayonnements ionisants à faible dose sur les descendants des personnels militaires et civils employés et de la population de la Polynésie française à l'époque des essais nucléaires français de 1960 à 1996. Nous soutenons à ce sujet le projet initié par M. de Vathaire dans le cadre de la collaboration entre l'Université Paris-Sud 11 et l'Institut Gustave Roussy.

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Je vous propose de laisser la parole à M. Chamorin afin qu'il complète vos propos, avant de passer aux questions.

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Michel Chamorin, vice-président de l'association Tamarii Moruroa

M. Lowgreen s'est montré suffisamment explicite, mais j'aimerais toutefois préciser que le millisievert constitue simplement une limite d'exposition pour tous ceux qui travaillent dans le secteur nucléaire et non une mesure applicable aux participants aux essais nucléaires compte tenu de la dangerosité de ceux-ci. Ensuite, la présence d'un médecin polynésien permettrait effectivement aux personnes polynésiennes, qui ne maîtrisent pas bien le français, de s'exprimer, de se sentir rassurées et de bénéficier d'un meilleur suivi.

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Ia ora na. Merci pour votre présentation de Tamarii Moruroa et de son activité. Mes premières questions nous ramèneront dans le passé, avant même le début des essais nucléaires mais plutôt à l'époque de l'installation du CEP. D'après vos connaissances et les témoignages recueillis par l'association, pourriez-vous nous expliquer comment ont été recrutés les personnels civils et militaires polynésiens ? Certains venaient-ils d'archipels éloignés ? Le cas échéant, sont-ils retournés dans leurs archipels d'origine par la suite et savez-vous ce que sont devenus leurs descendants ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

En effet, au début des essais nucléaires, le CEA ainsi que le CEP ont chargé un certain nombre de personnes de se rendre dans les îles pour des opérations de recrutement en vue de la réalisation des essais nucléaires à Moruroa. Les recrutements ont pu se faire en direct, ou via un recruteur qui se déplaçait dans les îles à la recherche de volontaires.

La plupart de ces personnes ne sont pas retournées dans leurs îles d'origine, ce qui a contribué à l'augmentation de la population de Tahiti. De nombreux logements sociaux ont d'ailleurs été construits pour accueillir ces nouveaux arrivants. Comme vous le savez, Madame la députée, les logements accueillaient parfois jusqu'à dix personnes, car on faisait venir la femme, les enfants, les oncles et tantes, les grands-parents et toute la famille se retrouvait à Tahiti, tandis que le père partait travailler à Moruroa.

Pour ma part, j'ai été embauché par un bureau de recrutement situé à Papeete. Je m'y suis rendu de mon propre chef pour demander si un poste était disponible. Contrairement à d'autres emplois, il n'était pas possible d'intégrer Moruroa directement. Il fallait d'abord s'inscrire, passer des tests. Une fois retenu, il était nécessaire d'attendre entre trois et quatre mois, le temps que des enquêtes soient menées pour obtenir les habilitations nécessaires, telles que le secret défense, en fonction des postes occupés. Recruté en 1982, je n'ai pas participé aux essais nucléaires aériens. M. Michel Chamorin, en tant que marin, a participé à certains essais aériens. M. Edmond Teiefitu, qui n'a pas pu être parmi nous, a quant à lui consacré l'intégralité de sa carrière à la sécurité du CEA, au sein de la force locale de Sécurité (FLS), dont il est sorti haut gradé. J'espère avoir répondu à votre demande.

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Je vous remercie pour vos réponses. Vous avez mentionné l'existence de recruteurs. Comment se déplaçaient-ils dans les différentes îles, et notamment les plus isolées puisque je rappelle que la Polynésie française se compose de 118 îles dispersées, dont 76 habitées. De quels moyens disposaient-ils dans la mesure où, à l'époque, on ne recensait pas de liaisons maritimes quotidiennes et encore moins de liaisons aériennes, puisqu'il n'y avait qu'un ou deux aéroports ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Soit par hydravion, soit grâce aux bateaux militaires qui effectuaient des tournées dans les îles. On recourait aussi aux goélettes telles que l'Oiseau des îles. Tout se déroulait par voie maritime.

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Qu'est-ce qui explique selon vous que les candidats étaient prêts à quitter leur île d'origine et leurs familles pour rejoindre ce programme ? Quelles informations leur étaient alors données s'agissant de leurs missions futures ? Vous-même, qu'est-ce qui vous a attiré ?

Vous avez également mentionné l'existence d'un test. De quoi s'agissait-il ? Était-ce un test de santé, un test psychologique ou un examen de connaissances ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Il s'agissait d'un test de connaissances, adapté aux différents postes. Il fallait aussi présenter un CV. Les personnes étaient informées qu'elles seraient affectées à Moruroa, sur un site d'essai nucléaire et qu'une fois embauchées, elles devraient signer des documents de confidentialité les engageant à ne pas divulguer ce qui s'y passait, que ce soit à leurs familles, à leurs épouses ou à leurs enfants. Dans le cas contraire, elles encouraient des sanctions pouvant aller de la perte de leur emploi à une peine de prison.

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Je reviens sur la question de la motivation, tant vous concernant que pour d'autres, qui ont quitté leur archipel pour parcourir des centaines et des centaines de kilomètres.

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

La principale motivation pour beaucoup d'entre nous était de trouver du travail. À l'époque, la région de Tahiti était la seule où il y existait des opportunités d'emploi. Pour raconter cette histoire de manière exhaustive, il faut remonter à la Première guerre mondiale, quand de nombreuses personnes sont parties travailler à Makatea, sur le site minier d'exploitation du phosphate. Par la suite, le tournage du film Les Révoltés du Bounty a conduit de nombreux Polynésiens à abandonner l'agriculture pour travailler sur ce projet qui offrait une meilleure rémunération. Au moment des essais, Moruroa est devenu un point de convergence pour ceux qui avaient quitté Tahiti, Makatea ayant fermé et ses ouvriers se retrouvant sans emploi. La plupart des anciens travailleurs de Moruroa venaient de Makatea. M. Frogier lui-même, ayant travaillé au CEA et au CEP, était un ancien de Makatea, ce qui a facilité son embauche. Les Polynésiens étaient attirés par ces opportunités à Moruroa.

Les gens avaient pris l'habitude de percevoir un salaire et avaient abandonné l'agriculture et d'autres activités pour travailler à Moruroa, où ils étaient mieux rémunérés. Le seul inconvénient était qu'ils devaient rester sur le site pendant deux à trois mois avant de pouvoir revoir leur famille.

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Pour rappel, Makatea est un atoll surélevé situé entre Tahiti et Rangiroa, où une mine de phosphate a été exploitée de 1906 à 1966, l'année 1966 marquant à la fois l'arrêt brutal de l'exploitation du phosphate et le début des essais nucléaires. Plusieurs milliers de personnes y vivaient mais du jour au lendemain, elles ont toutes quitté l'île pour Moruroa. Nous envisageons d'auditionner également le maire de Makatea lors de notre déplacement en Polynésie.

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Notre histoire en Polynésie est intrinsèquement liée à cet ensemble d'événements, depuis la Première guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, en passant par la Seconde guerre mondiale, au cours de laquelle les Polynésiens ont volontairement rejoint le général de Gaulle qui, une fois devenu président, a poursuivi – et non démarré comme on le croit souvent – les essais nucléaires initiés par son prédécesseur. Le général de Gaulle était très apprécié en Polynésie française, notamment par les anciens du bataillon, y compris Pouvanaa a Oopa, à l'époque quelque peu opposé aux essais nucléaires et malgré les différends politiques qui les opposaient.

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Messieurs, merci pour votre exposé. Nous avons auditionné Mme Vautrin il y a quelques semaines car cela fait maintenant trois ans que la CCSCEN ne s'est pas réunie alors qu'elle devrait le faire deux fois par an, comme vous l'avez rappelé dans votre intervention. La ministre s'était alors engagée à ce que cette commission soit réunie au premier trimestre 2024. Votre association, en tant que représentative des victimes des essais nucléaires, en est membre. Pouvez-vous nous indiquer si vous avez eu des informations concernant une meilleure régularité des réunions de cette commission ? Plus globalement, qu'en est-il de la question du remboursement de la CPS par l'État ? Nous avons l'impression que les discours rassurants du Gouvernement se multiplient mais que les réalisations concrètes peinent à se matérialiser. Selon vous, à quoi ces blocages sont-ils dus, au-delà des questions de calendrier liées au covid ? Vous avez également indiqué que la dernière réunion de la commission ne s'était pas bien déroulée. Pouvez-vous nous en dire plus ? De manière plus générale, quel dispositif institutionnel serait le plus adapté pour avancer, notamment en termes de composition et de fonctionnement de la commission consultative ? Des réunions biannuelles sont-elles suffisantes ? Quel type de points intermédiaires entre deux réunions serait envisageable selon vous ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

En effet, Mme Vautrin nous avait promis une réunion, annonce confirmée par le Haut-Commissariat pour le premier trimestre 2024. Or nous sommes déjà au deuxième trimestre et rien n'a été fait. Nous n'avons reçu aucune réponse à ce sujet. Nous avons envoyé un courrier commun avec l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) et Moruroa e tatou pour demander la convocation de cette commission, que nous jugeons très importante. Il faut noter que celle-ci ne s'est jamais réunie régulièrement comme prévu, c'est-à-dire deux fois par an. Elle a même failli disparaître, par le biais d'un décret passé au Journal officiel en métropole. Je suis alors intervenu auprès du ministre de l'environnement en Polynésie française, ainsi que de nos députés et sénateurs, et en particulier Mme Lana Tetuanui, qui a alors pris des mesures pour empêcher la dissolution de la CCSCEN. Si cette commission se réunissait une fois par an, ce serait déjà très bien ! Même si idéalement il faudrait respecter ce rythme biannuel. Nous n'avons pas besoin de nous réunir plus souvent.

La réunion de 2021 organisée en visioconférence s'est mal passée en raison du nombre trop important de participants connectés. En effet, lorsque nous levions la main pour répondre à des questions, la parole ne nous était pas donnée et lorsque nous l'obtenions, on nous demandait de ne pas parler trop longtemps, voire on nous coupait la parole. Nous souhaiterions par conséquent que ces réunions se tiennent en présentiel, comme cela avait toujours été le cas jusqu'à présent. Nous pourrions ainsi mieux discuter, mieux exprimer nos opinions, rencontrer les autres associations, les ministères concernés et discuter de nos intentions et de nos projets.

Il est impératif que cette commission se réunisse car c'est elle qui décidera, entre autres choses, de l'ajout des maladies. Or nous avons déjà perdu deux à trois ans en raison de son inactivité.

Concernant les remboursements de la CPS, nous avons constaté une légère avancée lors de notre dernière réunion avec un représentant du ministère des Outre-mer. Celui-ci nous a expliqué que le remboursement pourrait se faire sur la base d'une compensation de l'ensemble des frais relatifs au traitement des 23 maladies concernées, sans vérifier le lien avec les essais nucléaires. Lors d'une réunion au CESEC, le ministre de l'économie de Polynésie française de l'époque, également directeur général de la CPS, a été interrogé à ce sujet. Alors que la Polynésie française réclame 100 milliards de francs, il avait indiqué qu'après avoir examiné tous les dossiers, ce montant serait plutôt compris entre 20 et 40 milliards de francs seulement. Il existe donc un désaccord certain sur ce point entre l'État et la CPS. J'en déduis que la différence s'explique par le mode de calcul retenu.

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Merci pour cet exposé très instructif, qui suscite plusieurs questions. Vous avez évoqué le recrutement des personnes ayant travaillé sur les sites d'expérimentation. Que leur disait-on à l'époque ? Parlait-on uniquement de l'emploi et de la rémunération ? À un moment donné, a-t-on abordé les risques encourus ? En tant que député du port du Havre, je sais que les travailleurs portuaires sont conscients des risques liés à leur activité. Ils en sont informés et, en tant que militants syndicaux, ils luttent pour que ces risques soient pris en compte dans leur salaire. L'existence du risque était(elle prise en compte lors des recrutements ou bien l'emploi et le salaire étaient-ils les seules préoccupations, étant donné que les familles devaient subvenir à leurs besoins ?

Par ailleurs, le guichet unique que vous avez mentionné est-il en place et fonctionne-t-il correctement ?

Je suppose que chez vous, vous faites face comme dans l'Hexagone à un problème de manque de médecins. Qu'en est-il exactement : y a-t-il suffisamment de médecins ? En outre, et alors que vous nous avez rappelez l'importance de pouvoir compter sur des médecins maîtrisant la langue locale, est-il plutôt facile ou difficile de constituer un dossier, notamment pour obtenir l'ensemble des documents médicaux nécessaires dans le cadre des différentes demandes ? L'information et l'accompagnement des victimes potentielles est également une source de préoccupation : parvenons-nous à atteindre l'ensemble des personnes concernées ? Si ce n'est pas le cas, à combien estimez-vous le nombre de personnes capables de faire valoir leurs droits et le nombre de celles qui ignorent même qu'elles en ont ou n'ont simplement pas les moyens de les exercer ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Il est essentiel de bien comprendre la répartition des responsabilités sur Moruroa. L'armée gérait toute la logistique, tandis que le CEA s'occupait des aspects nucléaires. Cette séparation était fondamentale. L'armée construisait les bâtiments, possédait les bateaux et les avions et transportait les personnels. Le CEA, en revanche, opérait de manière totalement indépendante. La zone CEP et la zone CEA étaient clairement distinctes. Le CEA disposait de tous les services nécessaires, y compris le génie civil pour certaines constructions, la menuiserie, des ateliers mécaniques et un garage. Cette séparation était telle que l'on pouvait comparer le CEP et le CEA à deux villes distinctes. Le CEA avait ses propres pompiers, une police interne et tous ses bâtiments étaient surveillés par la FLS. Pour accéder à certaines zones, il était impératif de montrer patte blanche et de porter un badge en permanence. La sécurité civile en Polynésie française a d'ailleurs été initialement créée par des membres du CEA, responsables de la sécurité sur les sites, notamment les pompiers, qui ont également dispensé les premières formations aux premiers secours. Lorsque les sites ont fermé, plusieurs de ces pompiers ont intégré des casernes en Polynésie, où ils ont rapidement gravi les échelons pour devenir responsables de brigades et officiers, grâce à leurs compétences acquises au sein du CEA.

Lors de notre embauche, les risques nous étaient présentés. Sur les sites, en tant qu'ancien syndicaliste affilié à la CFDT, je vous confirme qu'avec mes collègues, nous avons formulé plusieurs revendications et obtenu des succès, même si ce fut un processus difficile, au cours duquel nous avons mené des grèves sauvages.

Notre association Tamarii Moruroa pourrait se montrer plus virulente contre les essais nucléaires – elle en aurait la légitimité – car après cette grève sauvage nous avons été expulsés des sites sous le sceau de la confidentialité défense, après avoir été évacués manu militari par des gendarmes armés – leurs armes n'étaient pas chargées à blancs – alors que nous étions paisiblement en train de jouer aux cartes. Le lendemain, un tir a eu lieu et Edmond Teiefitu, qui se trouvait sur place, nous a demandé de ne pas monter sur les passerelles qui se trouvaient en hauteur alors que nous continuions de dénoncer certaines choses qui n'allaient pas.

Néanmoins, tout le monde savait que se rendre à Moruroa comportait des risques, étant donné que c'était un vaste chantier. Au sein du CEA, des ingénieurs étaient responsables de la sécurité. Cependant, de nombreuses personnes sur place ne respectaient pas rigoureusement ces mesures. Le site comptait environ 10 000 personnes, ce qui en faisait une grande entreprise sur un petit « caillou ».

Je ne regrette absolument pas le temps passé à Moruroa car nous avons beaucoup appris et de nombreuses personnes ont considérablement évolué dans leur carrière grâce aux essais nucléaires et au travail accompli sur place. Certains ne peuvent pas comprendre ce point de vue. On constate que les personnes qui dirigent les autres associations n'ont pas travaillé à Moruroa et n'ont aucune expérience sur le site. En revanche, M. Chamorin, M. Teiefitu, M. Jean - Marie Yan Tu – conseiller économique et social, ancien syndicaliste, devenu ensuite secrétaire général de A Tia I Mua et président d'honneur de notre association – ainsi que moi-même y avons tous travaillé. C'est une fierté pour nous.

Nous réclamons le guichet unique depuis la mise en place du Civen en 2010, à la suite de la création de la loi Morin. Nous avons toujours demandé un guichet unique face aux difficultés récurrentes de constitution des dossiers. Les retours des personnes ayant déposé des dossiers dans d'autres associations étaient souvent négatifs et les personnes étaient parfois menées en bateau. Aujourd'hui, la situation a évolué mais, à l'époque, c'était problématique.

En Polynésie française, l'obtention de certains documents administratifs est très lente, malgré la petite taille des îles. Il est aussi très difficile de se déplacer. Le guichet unique aurait alors permis de récupérer les documents de manière transversale puisque seraient réunis la CPS, l'État, le territoire et le service de santé. Le guichet unique est également nécessaire en raison du caractère intime des informations demandées, qui d'après nous ne doivent pas être collectées par des associations. Il faudrait plutôt des personnes habilitées à traiter ces informations confidentielles, comme des médecins. Dans les associations, avec les réseaux sociaux comme Facebook, il est facile de divulguer des informations sensibles. Les questions posées dans les dossiers médicaux vont jusqu'à demander si une personne a des relations sexuelles avec son conjoint. La première fois que j'ai parcouru un dossier médical, j'ai été choqué par ces questions et je l'ai immédiatement refermé. J'ai dit à la personne concernée que je voulais bien l'aider pour les démarches administratives mais que je n'étais pas compétent pour traiter ce genre de données.

Nous sommes effectivement touchés par une pénurie de médecins en raison de notre éloignement par rapport à la métropole. Autrefois, lorsque le site d'expérimentation nucléaire était en activité, des médecins étaient présents un peu partout mais il s'agissait principalement de médecins militaires. Ceux-ci n'avaient pas le choix de leur affectation et exerçaient parfois dans les îles les plus isolées. En revanche, un médecin du secteur privé pourrait refuser une telle affectation en raison tant de l'éloignement et de l'isolement que de l'absence de perspectives financières intéressantes. De plus, les bateaux partaient régulièrement, ce qui facilitait l'accès aux soins médicaux et les habitants en étaient très satisfaits.

Concernant la constitution des dossiers, la tâche est particulièrement ardue. La difficulté réside dans le grand nombre de documents nécessaires et dans le fait que les Polynésiens ont tendance à ne pas conserver les documents administratifs et ne savent pas toujours vers qui se tourner pour les obtenir. Toucher l'ensemble de la population est effectivement difficile puisque la Polynésie est un territoire aussi vaste que l'Europe. Les déplacements ne se font qu'en avion ou en bateau.

Heureusement, depuis un an ou deux, le Haut-Commissariat a mis en place une équipe itinérante, surnommée « aller vers », chargée d'aider à la constitution des dossiers, dotée de tous les moyens nécessaires. Nous estimons en effet qu'il n'est pas du ressort des associations de réaliser ce travail mais que c'est bien à l'État de le faire. Depuis la création du CMS en Polynésie française, la situation s'est nettement améliorée. Les médecins disposent désormais de moyens financiers pour se déplacer dans les îles. Ils reçoivent des personnes ayant travaillé sur Moruroa ainsi que des membres de la population souffrant de diverses maladies. Bien qu'il s'agisse de médecins militaires, ils sont avant tout des médecins et leur mission première est de soigner. Ils ont prêté le serment d'Hippocrate et leur statut militaire ne change en rien leur engagement médical. De plus, au sein du CMS, les médecins sont directement rattachés à la Direction de la santé publique.

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Messieurs, la déclassification des archives a-t-elle suffisamment progressé pour vous permettre d'avancer dans vos investigations ? Si certaines informations relatives aux essais nucléaires demeurent opaques, à quoi cela est-il dû selon vous ?

Je souhaiterais par ailleurs aborder l'avenir de votre système de santé, sujet qui n'a pas été réellement traité lors de la table ronde de 2021. Nous savons que les maladies radio-induites représentent un coût significatif pour la CPS. Pouvez-vous nous fournir davantage de détails sur ce point, qui semble stagner malgré les annonces prometteuses ?

Par ailleurs, il subsiste sur l'atoll de Hao une pollution au plutonium liée à la construction de la piste aérienne. Les avions renifleurs, utilisés pour mesurer la radioactivité dans les nuages après les explosions, étaient nettoyés sur la piste et l'eau contaminée imprégnait la dalle. Quel est le calendrier prévu pour la dépollution de cette dalle dite « Vautour » ? Quels moyens sont mis en œuvre pour atteindre cet objectif ? Pourra-t-on garantir que le site ne représentera plus de danger, ni pour les hommes, ni pour la biodiversité ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

L'État a initié la dépollution de l'atoll de Hao, qui se poursuit encore aujourd'hui. Jusqu'à présent, l'atoll a été correctement dépollué. Il est important de noter qu'à l'époque où le CEP a quitté Hao, c'est bien la commune et ses habitants qui ont demandé à l'État de laisser sur place les hangars, logements et autres installations. Des documents ont d'ailleurs été signés dans ce sens par le maire de l'époque, M. Foster. À cette époque, les installations étaient bien entretenues, avec notamment une centrale électrique et une centrale de pompage et de transformation de l'eau de mer en eau douce. C'est principalement M. Foster qui avait sollicité la conservation de ces équipements. Cependant, au fil du temps, ceux-ci se sont dégradés. On a alors reproché à l'État de ne pas avoir accompli son devoir de dépollution et d'avoir laissé cette charge à la population. L'État a finalement déployé des moyens pour résoudre ce problème et aujourd'hui, une grande partie de la dépollution de l'atoll de Hao a été réalisée.

En ce qui concerne le plutonium présent sur la dalle « Vautour », un suivi est réalisé par des experts, qui effectuent des analyses régulières. Lors des réunions à Tahiti, auxquelles participent également les maires des différents atolls, plusieurs associations et des membres du gouvernement, il nous est régulièrement expliqué que la dalle ne doit pas être déplacée. Je ne suis ni scientifique, ni spécialiste en la matière, mais je me fie aux avis des professionnels et aux actions prévues par l'État. Il en va de même avec le plutonium présent à Moruroa ainsi que dans le lagon. Les scientifiques savent précisément où il se trouve grâce aux études annuelles menées par une mission dédiée, qui vérifie également la stabilité du banc Colette et la zone Denise.

Concernant la santé, les maladies radio-induites posent un problème de traçabilité. Il est impossible de déterminer si elles résultent des essais nucléaires, d'une exposition excessive aux radiographies ou d'autres facteurs, tels que le stress, l'obésité ou les voyages fréquents en avion, ces derniers multipliant le risque de développer un cancer de la thyroïde, maladie professionnelle courante chez les pilotes et le personnel aérien. Contrairement à l'amiante, dont les effets sur la santé sont clairement identifiables et traçables, les maladies radio-induites ne permettent pas une telle précision.

Actuellement, la CPS regroupe toutes les maladies radio-induites répertoriées dans la loi Morin et demande leur remboursement en bloc. Cependant, cette approche n'est pas correcte. Lors de la table ronde organisée à Paris, nous avons abordé ce sujet mais le Président de la République ne nous a pas fourni de nouvel élément. Il est toutefois important de noter que l'État n'a jamais refusé le remboursement de la CPS. Une convention datée du 3 février 2011 devait être conclue entre ce dernier et la CPS au sujet de ce remboursement mais celle-ci n'a jamais été signée par la CPS. J'ai en ma possession copie d'un courrier du Haut-Commissaire de l'époque, M. Richard Didier, dont je vous donne lecture : « Afin de faciliter la mise en place rapide du dispositif d'indemnisation, je souhaite pouvoir rapidement procéder à la signature de la convention relative au remboursement de l'Etat à la caisse de prévoyance sociale des dépenses déterminées dans le cadre d'une reconnaissance d'une maladie radio-induite ».

Le Président de la République n'est pas opposé au remboursement de la CPS mais s'est contenté de reprendre les termes exacts de la convention, affirmant que toute maladie reconnue par le Civen serait remboursée par l'État. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait remarquer à M. Galenon, actuel président du conseil d'administration de la CPS, présent à la table ronde, en lui demandant pourquoi le document n'avait pas été signé en 2011. Nous avons perdu douze ans ! Il faut cesser de perdre du temps ! Arrêtons de faire n'importe quoi ! Je suis toutefois heureux de constater quelques avancées. La CPS a changé légèrement de position. En effet, celle-ci a poursuivi l'État devant le tribunal administratif, le Conseil d'État et même les plus hautes juridictions. Le Conseil d'État a statué que l'État n'avait pas à rembourser la CPS ! Ainsi, aujourd'hui, l'État est en droit de s'affranchir de tout remboursement ; pourtant, le Président de la République a promis le contraire, ce pour quoi je le remercie.

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Messieurs, vous avez tous deux travaillé soit au CEA, soit au CEP. Quel suivi médical était proposé sur place ? Etiez-vous équipé d'un dosimètre ? Quels types d'examen médical subissiez-vous et à quelle fréquence ? Après votre départ à la retraite, avez-vous bénéficié d'un suivi médical post-professionnel ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Je laisserai M. Chamorin s'exprimer au sujet du CEP, tandis que je me concentrerai sur le CEA.

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Si je comprends bien, vous aviez un statut civil, Monsieur Lowgreen, alors que M. Chamorin bénéficiait d'un statut militaire.

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Oui. Je faisais partie du personnel civil local.

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Michel Chamorin, vice-président de l'association Tamarii Moruroa

Tout à fait ! En tant que militaires, nous étions affectés à Moruroa ou sur les bateaux du CEP. J'ai suivi un stage dispensé par le service mixte de sécurité radiologique (SMSR) où l'on m'a enseigné les dangers de l'atome et l'utilisation d'un radiamètre DOM 410 pour détecter les zones chaudes, tièdes ou froides. Cependant, nous n'avons jamais bénéficié d'un suivi médical, qu'il s'agisse d'analyses d'urine ou de prélèvements nasaux. Nous estimions ne pas être concernés. Nous étions par ailleurs sur des bateaux vétustes – à l'instar du BDC Trieux – équipés d'un système d'arrosage en pluie qui ne fonctionnait pas. Malgré cela, ces moments restent de bons souvenirs.

En revanche, je voudrais apporter une précision sur ce qu'il s'est passé à Hao. J'étais présent quand l'Etat a demandé aux propriétaires des terrains sur lesquels étaient installée la base vie ce qu'ils souhaitaient pour la suite. Certains ont demandé à conserver les bungalows qui avaient été construits, d'autres à ce que les terrains soient remis en l'état initial. Pour ces derniers, tous les samedis, nous devions donc creuser ou planter des cocotiers pour remettre les terrains en l'état. Comme l'a dit M. Lowgreen, il avait effectivement été demandé de laisser les hangars en place, notamment pour y installer des salles de sport.

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Combien d'années avez-vous effectuées sur place, Monsieur Chamorin ?

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Michel Chamorin, vice-président de l'association Tamarii Moruroa

Deux ans et demi pour les tirs aériens et un an à Hao pour les tirs souterrains.

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N'avez-vous pas bénéficié non plus d'un suivi après avoir quitté la base ?

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Michel Chamorin, vice-président de l'association Tamarii Moruroa

Non, une fois qu'on a quitté l'armée, personne ne s'inquiète plus de ce qu'il peut nous arriver.

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Quant à vous, monsieur Lowgreen, quel a été votre suivi pendant et après votre temps sur site ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Au sein du CEA, nous avons constaté une distinction claire entre les personnes directement affectées et celles qui ne l'étaient pas. Les individus directement affectés bénéficiaient de visites médicales et de suivis spécifiques rigoureux, distincts de ceux des personnes non directement affectées. Ces dernières, n'étant pas exposées aux zones à risque de pollution nucléaire, travaillaient principalement dans les bureaux ou s'occupaient de tâches telles que le jardinage.

Pour ma part, j'étais directement affecté aux essais et le suivi des personnes exposées comprenait des consultations régulières avec des médecins et des analyses effectuées par un laboratoire médical sur place. À chaque sortie de zone à risque, nous devions nous moucher dans un mouchoir, lequel était ensuite envoyé au laboratoire pour analyse. Le suivi médical comprenait également des analyses d'urine et de selles, des prises de sang, ainsi qu'une visite médicale au moins une fois par an. En fonction des besoins, il pouvait y avoir jusqu'à cinq visites annuelles.

Durant mes cinquante années de vie professionnelle, le seul endroit où j'ai bénéficié d'un suivi médical rigoureux est Moruroa. Jamais auparavant ni par la suite, je n'ai été aussi bien suivi, sachant que malgré mon âge avancé, je suis toujours en activité et salarié. La visite médicale de la médecine du travail se résume à une prise de tension et un contrôle sommaire, après quoi l'on peut retourner travailler. Comme je vous l'ai déjà dit, la marine s'occupait de la logistique, tandis que le CEA gérait tout ce qui concernait les armes nucléaires. Cela explique peut-être pourquoi nous étions mieux suivis, en raison des risques accrus liés à notre activité bien que, à mon avis il était en réalité identique pour tous.

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Je laisse la parole à Mme la rapporteure pour conclure la série de questions.

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Je vous remercie pour vos réponses. J'aimerais aborder un sujet peu discuté, à savoir Fangataufa. Si vous avez des collègues ou des connaissances ayant travaillé sur cet atoll, il serait pertinent de pouvoir recueillir des informations auprès d'eux car ce site demeure plus mystérieux que Moruroa. Ainsi, les informations données et les précautions prises étaient-elles similaires à celles de Moruroa ? Savez-vous combien de personnels étaient répartis sur ces deux sites et éventuellement à Hao ? Enfin, quelles demandes souhaiteriez-vous adresser à la commission d'enquête que nous menons actuellement ?

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Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa

Peu de personnes ont résidé de manière permanente à Fangataufa, qui n'a jamais accueilli une population importante dans la mesure où la majorité des activités se déroulaient sur Moruroa. La présence militaire était prédominante, avec des individus logeant soit sur des bateaux militaires, soit à terre dans des conditions rudimentaires. Je me souviens m'être rendu sur l'atoll avant les derniers tirs. Nous y réalisions des forages de contrôle pour les failles. Nous logions dans des conteneurs et avons même effectué un forage sur l'Île aux oiseaux. À l'époque, les paysages paradisiaques rendaient l'existence de sites nucléaires difficile à croire. Lors de ma dernière visite à Moruroa, il y a environ deux ou trois ans, nous avons survolé l'atoll de Fangataufa. La forêt y avait repris ses droits et les oiseaux étaient revenus. Un rapport a d'ailleurs été rédigé à l'issue d'une mission scientifique sur Moruroa et Fangataufa. C'était la première fois que des scientifiques du ministère de l'environnement, ainsi que des spécialistes des oiseaux, se rendaient sur ces sites. Tous étaient ébahis.

C'est pourquoi nous insistons pour que des Polynésiens participent à ces missions eux-mêmes. Cela pourrait peut-être renforcer la crédibilité auprès de la population, bien que je n'en sois pas certain. On pourrait toujours les accuser d'être des « vendus de l'État », comme on le dit déjà de nous, malgré le fait que nous n'hésitions jamais à faire part de notre mécontentement. Nous tenons à préserver notre indépendance pour pouvoir exprimer librement nos opinions, que ce soit à l'égard de l'État ou des gouvernements, de Polynésie ou de métropole. C'est pourquoi nous ne sollicitons aucune subvention ni de l'État ni des territoires. Nous essayons de tracer notre propre chemin, bien que cela soit difficile et que nous rencontrions des obstacles à plusieurs niveaux. Les médias ne s'intéressent pas à nous parce que nous ne faisons pas de bruit. Nous travaillons néanmoins assidûment, comme en témoignent toutes les réponses que j'ai pu vous fournir. Nous disposons de nombreux documents et avons fait progresser de nombreux dossiers.

Ainsi, si nous n'avions pas insisté auprès du gouvernement de Polynésie française et du Haut-Commissariat, le CMS n'aurait jamais vu le jour. Aujourd'hui, tout le monde en est satisfait, mais il est important de rappeler que la convention a été signée la veille d'un putsch à l'Assemblée. L'ensemble du gouvernement de Gaston Tong Sang en charge de la santé a été remplacé par celui d'Oscar Temaru, qui n'aurait jamais accepté la mise en place du CMS. Comme je l'ai déjà mentionné, le CMS n'a d'ailleurs jamais été inauguré, malgré la visite du Secrétaire d'État chargé de l'Outre - mer de l'époque, M. Estrosi. Nous poursuivons néanmoins notre combat. Madame la députée, j'espère avoir répondu à toutes vos questions de manière claire et précise.

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Messieurs Lowgreen et Chamorin, nous vous remercions pour votre sincérité.

La séance est levée à 19 h 45

* * *

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Nadège Abomangali, Raquel Garrido, M. José Gonzales, M. Michel Guiniot, M. Didier Le Gac, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Mereana Reid Arbelot.

Excusé. – M. Jean-Charles Larsonneur.