Intervention de Yannick Lowgreen

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 18h00
Commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du pacifique en polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

Yannick Lowgreen, président de l'association Tamarii Moruroa :

Monsieur le Président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, bonjour, ia ora na, māuruuru. Je commencerai par partager avec vous un bilan d'activité de notre association.

L'association Tamarii Moruroa signifie « les enfants de Moruroa ». Elle a été créée le 3 mars 2006 à Papeete. Son premier objectif est de rassembler les travailleurs militaires et civils des entreprises du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et autres, ayant effectué un ou plusieurs séjours sur les sites ou les bâtiments de la marine nationale liés aux essais nucléaires de Moruroa, Fangataufa et Hao, ainsi que les populations des îles ayant subi les effets des essais.

Nous organisons également des conférences sur le passé, le présent et l'avenir des sites avec des spécialistes scientifiques et de la santé, ainsi que les travailleurs eux-mêmes. Nous nous efforçons de faire connaître la vie sociale, le travail, le mode de vie et les loisirs des différents acteurs. Nous participons à la recherche et à la transparence concernant les conséquences des essais dans divers domaines tels que la santé, l'environnement et le social, en collaboration avec différentes associations comme Moruroa e tatou, l'association 193 ou d'autres, ainsi qu'avec les autorités de l'État, du territoire concerné et des instances internationales comme l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Nous recherchons, identifions et aidons les personnes susceptibles d'avoir contracté une maladie liée aux essais nucléaires et nous les informons sur la manière de récupérer leurs dossiers médicaux ainsi que sur leurs droits . Nous les assistons dans la constitution de dossiers contentieux pour les défendre devant les tribunaux, si nécessaire. Nous œuvrons pour la transparence concernant les essais et cherchons à faire avancer les dossiers médicaux des éventuels patients. Nous examinons les raisons pour lesquelles les demandes de reconnaissance des maladies professionnelles des Polynésiens n'aboutissent pas, et aidons à la réalisation de tests ADN pour les personnes susceptibles d'avoir été irradiées.

Nous avons décidé de créer l'association Tamarii Moruroa car de nombreux anciens travailleurs ne souhaitaient pas intégrer l'association Moruroa e tatou en raison de son mode de fonctionnement. Bien loin de dénigrer cette dernière, nous reconnaissons le travail qu'elle a accompli. Il est d'ailleurs indiqué, dans le procès-verbal de création de notre association, que notre but n'est pas de lutter contre Moruroa e tatou. Au contraire, il était précisé que si nos idées venaient à converger, nous pourrions envisager une union.

L'association Tamarii Moruroa n'a aucune affiliation politique ni religieuse. Elle regroupe des vétérans civils et militaires, ainsi que leurs épouses et descendants, issus des îles et atolls périphériques. Sa mission principale est de faire la lumière sur les essais nucléaires en Polynésie française, en confrontant les affirmations contradictoires à la réalité des faits. Concernant les problèmes de santé publique, notre objectif est de rechercher la transparence pour découvrir la vérité, sans causer de destruction... Nous souhaitons impliquer des scientifiques polynésiens et d'autres experts dans cette recherche, en tenant compte des nombreuses études déjà réalisées sur les essais nucléaires en Polynésie.

Depuis sa création, l'association a participé à toutes les réunions sur la mise en place de la loi Morin, aux États généraux d'Outre-mer – et singulièrement dans le cadre de l'atelier n° 7 dont le thème était : « Gérer l'après-nucléaire : mémoire, reconnaissance et responsabilité » – ainsi qu'à l'établissement du Centre médical de suivi (CMS) et du Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (Coscen) . Nous avons également été membres du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française (CESC) puis du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française (CESEC).

Nous ne remplissons aucun dossier d'indemnisation, préférant orienter les demandeurs vers les médecins du CMS car nous estimons que le traitement des dossiers doit se faire en toute confidentialité, avec des explications claires et précises sur les maladies prises en compte dans le cadre de la loi Morin. Or, à nos yeux, seuls les médecins sont à même d'opérer ce suivi et de répondre aux éventuelles questions des personnes concernées. Nous avons été les seuls à insister sur la nécessité de créer le CMS, qui n'aurait jamais vu le jour sans notre intervention, bien que ses locaux n'aient jamais été inaugurés.

De même, depuis la mise en place du processus d'indemnisation, nous avons proposé la création d'un guichet unique et indépendant. Ce guichet unique servirait de lien médical entre l'État, le territoire, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et le CMS. Fort de ses neuf années d'expérience et de ses relations solides avec le Civen, le CMS est devenu incontournable dans la constitution des dossiers. Les responsables du pays et de l'État soutiennent cette initiative de guichet unique car elle vise avant tout à aider les victimes tout au long du processus d'indemnisation, depuis la constitution du dossier jusqu'à l'accompagnement juridique. Je rappelle que lors des États généraux de juillet 2009, et alors que la loi Morin étaiten préparation, il avait déjà été envisagé que les attributions du CMS puissent évoluer et intégrer un volet d'assistance des patients dans la constitution de leurs dossiers.

Quant à la notion de risque négligeable, Tamarii Moruroa a demandé sa suppression dès la troisième réunion du Coscen en 2012.

Notre association est membre de droit du Coscen, de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN), depuis sa création, ainsi que de la commission locale d'information des anciens sites d'expérimentation nucléaire du Pacifique. Elle a aussi été représentée au CESC par notre président, élu pour un mandat de quatre ans de septembre 2018 à septembre 2022.

J'en viens à nos demandes et revendications.

Premièrement, l'attribution du titre de reconnaissance de la Nation (TRN) aux vétérans des essais nucléaires français, demande récurrente de Tamarii Moruroa depuis 2009.

Deuxièmement, la réalisation de recherches sur l'ADN des enfants de personnes ayant pu être contaminées, afin de déterminer si la contamination radioactive est transmissible et emporte des conséquences sur les générations futures. Cela permettrait de faire éclater la réalité et d'éviter d'affirmer que tous les cancers sont dus aux essais nucléaires.

Troisièmement, la conduite d'études scientifiques sur les risques et conséquences des faibles doses sur la santé et l'environnement. Pour l'association Tamarii Moruroa, le nombre de maladies pris en compte par la loi Morin doit être élargi en ajoutant les cancers du pancréas et du pharynx. A la suite d'un courrier que nous avons adressé à la ministre de la santé, les cancers de la vésicule biliaire et des voies biliaires ont été retenus par la CCSCEN lors de sa réunion du 11 février 2019, faisant passer le nombre des maladies reconnues de 21 à 23.

Je rappelle que les cancers du pancréas et du pharynx figurent dans la liste du Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Nous espérons qu'ils seront donc ajoutés lors de la prochaine réunion de la CCSCEN, étant entendu que celle-ci ne s'est pas réunie en présentiel depuis 2019, et que la dernière réunion, organisée en visioconférence en 2021, ne s'était pas très bien passée.

Quatrièmement, nous demandons qu'un médecin polynésien représente la Polynésie française au sein du Civen.

Cinquièmement, nous appelons de nos vœux le remboursement des frais engagés par la CPS pour les maladies radio-induites listées dans la loi Morin depuis le début des essais nucléaires.

Sixièmement, nous souhaitons que les demandeurs puissent bénéficier de l'aide juridictionnelle à tous les stades de la procédure d'indemnisation, ainsi que la prise en charge des frais de déplacement des requérants pour défendre leur dossier devant le Civen.

Septièmement, enfin, nous demandons depuis plusieurs années que soit lancée une véritable étude épidémiologique en Polynésie française, au-delà de l'expertise collective conduite par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires sur la population de la Polynésie française. Nous souhaitons ainsi que soient poursuivis les travaux de Florent de Vathaire, directeur de recherche à l'Inserm, sur la thyroïde, et que soit engagée une étude sur les maladies transgénérationnelles visant à comprendre l'impact des rayonnements ionisants à faible dose sur les descendants des personnels militaires et civils employés et de la population de la Polynésie française à l'époque des essais nucléaires français de 1960 à 1996. Nous soutenons à ce sujet le projet initié par M. de Vathaire dans le cadre de la collaboration entre l'Université Paris-Sud 11 et l'Institut Gustave Roussy.

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