Mardi 14 mai 2024
La séance est ouverte à 21 heures 30.
(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)
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Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Renaud Meltz, professeur des universités, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et chargé du pilotage du projet de suivi ouvert des sociétés et de leurs interactions (Sosi), « Observatoire des héritages du Centre d'expérimentation du Pacifique – CEP ». C'est à ce dernier titre, Monsieur le Professeur, que nous vous auditionnons aujourd'hui. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Cette audition nous plongera dans le passé, car nous comptons sur vous pour nous retracer le contexte historique ayant conduit au choix de la Polynésie pour poursuivre les essais nucléaires, après la fermeture des sites algériens.
J'aimerais également que vous nous explicitiez le fonctionnement et les objectifs de l'Observatoire des héritages du Centre d'expérimentation du Pacifique que vous pilotez dans le cadre de ce Sosi. La commission d'enquête sera également intéressée par votre expérience de chercheur et d'historien sur le processus de déclassification des archives, engagé il y a une quinzaine d'années.
Ces questions liminaires seront complétées par celles de mes collègues, et en premier lieu par celles de notre rapporteure, Mereana Reid Arbelot. Un questionnaire vous a d'ailleurs été transmis. Dans la mesure où toutes ces questions ne pourront pas être abordées aujourd'hui de manière exhaustive, je vous invite à nous transmettre vos réponses écrites ainsi que tout autre élément que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête.
Enfin, je vous remercie de nous déclarer tout éventuel intérêt public ou privé susceptible d'influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Renaud Meltz prête serment.)
Monsieur le président et Madame la rapporteure. Merci pour cet horaire très confortable – nous sommes ici presque en milieu de matinée. Je remercie d'ailleurs le Tavana Hau de la circonscription des îles Sous-le-Vent, qui met à ma disposition ses locaux, équipés d'une très bonne connexion.
Dans mon propos liminaire, je voudrais vous expliquer par quel cheminement j'en suis venu à travailler sur les essais nucléaires en Polynésie française et l'activité du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), et plus largement sur toutes leurs conséquences.
Je suis arrivé en Polynésie en 2007, élu à un poste de maître de conférences, jeune agrégé et docteur diplômé de la Sorbonne en histoire de la diplomatie européenne de l'entre-deux-guerres. Je portais évidemment déjà un vif intérêt pour le CEP. En arrivant en Polynésie française, je souhaitais travailler sur les essais nucléaires. J'avais été alerté sur l'intérêt de cette question, notamment par des articles de Vincent Jauvert parus en 1998 dans Le Nouvel Observateur. Sous le gouvernement Jospin, le service historique de la défense (SHD) avait décidé de rendre accessible une bonne partie des documents concernant le CEP. Très vite, la porte s'était refermée.
En 2008, une nouvelle loi est venue réformer le code du patrimoine. Malgré une orientation plutôt libérale dans son économie générale, le code du patrimoine s'avère extrêmement restrictif en ce qui concerne les archives publiques dont la communication serait susceptible de diffuser des informations permettant de « concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques, ou toutes autres armes ».
Le code du patrimoine a été retoiletté pour être harmonisé avec le code pénal, dans le cadre de la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement (PATR), instaurée au cours de l'été 2021. La formule initiale de 2008 « à tout jamais » n'y figure plus : il est désormais question d'archives « incommunicables ».
J'ai compris que je m'étais engagé dans un cul-de-sac. Au début de ma carrière polynésienne, j'ai publié un article à l'université de la Polynésie française, en m'appuyant sur des archives territoriales – assez riches malgré tout – et sur un entretien avec un ancien directeur des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Cependant, j'en suis rapidement venu à penser que l'application de la loi de 2008 est déloyale. De fait, bon nombre d'archives m'étaient refusées au nom de leur caractère proliférant – cette épithète désigne toutes les informations susceptibles de permettre de concevoir, de fabriquer et de localiser une arme. En réalité, les descriptions des « articles », pour reprendre le terme employé en archivistique, c'est-à-dire des volumes archivés, notamment au SHD, sont suffisamment précises pour ne laisser aucun doute sur la volonté d'empêcher d'écrire l'histoire des essais nucléaires en général. À titre d'exemple, des documents intitulés Problèmes disciplinaires de la légion ou Impacts économiques du CEP m'étaient refusés en invoquant ce caractère proliférant.
Or, je ne souhaitais pas écrire une histoire « à trous », dont les lacunes devraient être comblées par des hypothèses : un danger auquel se trouve confronté l'historien ayant peu d'archives à sa disposition.
En conséquence, j'ai opté pour un autre sujet de recherche, qui alimentera une partie des travaux préalables à l'obtention de mon habilitation à diriger des recherches, en 2015. J'ai décidé de travailler sur les rivalités impériales autour de la Polynésie française au XIXe siècle et sur les relations entre les sociétés européennes et les outre-mer. Cette perspective est à la fois très éloignée et assez proche des questions qui nous intéressent aujourd'hui, puisqu'elle me permet d'inscrire l'histoire du CEP dans le temps long des rivalités impériales et des pratiques coloniales.
Alors que j'avais été élu professeur à l'université de Haute Alsace, j'ai été recontacté par le directeur de la Maison des sciences de l'homme, Éric Conte. J'ai suivi de loin les évolutions politiques, qui permettent d'espérer un assouplissement de l'accès aux sources. En 2016, François Hollande s'est rendu à Papeete, où il a tenu une déclaration qui est reprise dans des accords formalisés au printemps 2017. L'Accord de l'Élysée pour le développement de la Polynésie française reconnaît ainsi « le fait nucléaire » et propose la création « d'un institut d'archives, d'information et de documentation destiné à faire connaître l'histoire des expérimentations nucléaires en Polynésie française ». Cet accord répond à un vœu ancien de la Polynésie française, émis par l'Assemblée dans un rapport publié en 2006.
C'est dans ce cadre qu'Éric Conte et la Maison des sciences de l'homme du Pacifique m'ont proposé de développer un projet de recherche qui serait financé par la Polynésie française. Ainsi, j'élabore un projet baptisé « Histoire et mémoire du CEP », qui couvre la période allant de 2009 à 2021.
Ce projet est d'emblée pensé comme un travail collectif. À l'époque, j'étais directeur d'un laboratoire pluridisciplinaire à l'université de Haute Alsace, le centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (Cresat). Nous venons alors de recruter un jeune géographe en tant que maître de conférences, Teva Meyer, qui réfléchit aux héritages des territoires nucléarisés, notamment à travers les installations civiles.
À cette époque, le gouvernement travaille sur le démantèlement et la fermeture de la centrale de Fessenheim. Je comprends l'intérêt qu'il peut y avoir à mobiliser des expertises de géographes, d'anthropologues et d'historiens de l'environnement pour travailler sur les essais nucléaires.
Une convention est donc signée fin 2018 entre la Maison des sciences de l'homme du Pacifique et le territoire de la Polynésie française. Son article 3 stipule qu'il y aura une volonté et une action politiques de la Polynésie française en faveur de « l'ouverture d'archives nouvelles et leur accès par les chercheurs du présent projet, afin de permettre sa réalisation effective ».
Je pense que la création d'un centre de mémoire et la production de connaissances destinées à l'alimenter, grâce à l'expertise d'historiens et d'autres spécialistes, permettront d'assouplir la position des administrations qui appliquent de façon déloyale la loi de 2008. N'étant pas complètement candide, je prévois de mener une vaste campagne d'entretiens, qui aura pour but de contourner la probable fermeture durable des archives, mais aussi d'appréhender l'histoire du point de vue des Polynésiens, ce qui me tient à cœur depuis l'origine. De fait, cette histoire est essentiellement racontée du point de vue des administrations ayant produit l'arme ou organisé les essais nucléaires.
Grâce au financement dont nous avons bénéficié, nous avons embauché un post-doctorant en histoire de l'environnement, Alexis Vrignon, pour une période de deux ans. Il aidera l'équipe du Cresat à élargir le questionnaire que nous utilisons traditionnellement pour l'histoire des essais nucléaires, tant en Algérie qu'en Polynésie française.
En 2020, l'Institut universitaire de France m'a nommé responsable senior sur un projet lié au CEP, ce qui me porte à penser que l'intérêt scientifique de mon approche est validé. Cette nomination nous a également apporté une certaine souplesse financière, qui nous a permis d'organiser un premier colloque international à Paris en janvier 2022 et un second à Papeete en mai 2022.
Depuis le début de mes travaux, j'ai tenu à inscrire mes réflexions sur le CEP dans une démarche transnationale et comparative. Dès 2019, nous avons ainsi créé un séminaire accueillant des chercheurs français et étrangers travaillant sur d'autres installations nucléaires, en France comme à l'étranger.
Au printemps 2021, la publication médiatique de Toxique redonne un coup de fouet aux démarches pour l'ouverture des archives, restées peu fructueuses jusqu'alors. De cet élan émerge le processus dit « Reko Tika » en Polynésie, et l'organisation d'une table ronde en juillet 2021. Suite à ces débats, le principe de l'ouverture des archives liées au CEP est acté par une lettre du Premier ministre de l'époque, Jean Castex, au Président de la Polynésie française de l'époque, Édouard Fritch.
Cette prise de position permet de sortir de la logique de « bricolage » visant à obtenir la déclassification de quelques documents, et d'obtenir un accès massif aux archives liées au CEP.
Grâce aux premières déclassifications de l'automne 2021, nous avons pu faire paraître dès le printemps 2022 un ouvrage collectif rendant compte à la fois des travaux entrepris dans le cadre du projet « Histoire et mémoire », d'une part, et des premières déclassifications, d'autre part.
Le Sosi n'a pas été installé à mon initiative. Ce dispositif, créé par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a pour objectif de suivre dans la durée un objet présentant des enjeux scientifiques et sociaux, en lien avec les priorités scientifiques du CNRS dans le champ des sciences humaines et sociales. Il s'agit de garantir la continuité d'une recherche et d'échapper au caractère « zigzagant » et à la brièveté du processus de réponse aux appels à projets. Pour ce faire, le Sosi entend structurer une communauté de chercheurs autour de cet objet.
J'ai donc été sollicité spontanément par le CNRS pour participer à ce projet, puis pour le piloter. Depuis janvier 2023, je suis détaché au CNRS, en poste à la Maison des sciences de l'homme du Pacifique. Je dispose donc à la fois du soutien administratif de la Maison des sciences de l'homme du Pacifique et d'un soutien financier conséquent du CNRS, à travers le Sosi. Cette aide m'a permis de recruter une post-doctorante, la géographe Florence Mury. Elle travaille sur toutes les dimensions de la géographie humaine et sur l'histoire sociale du travail liées au CEP. Elle étudie la manière dont le CEP a modifié le rapport au salariat et à l'emploi, et a généré des migrations, durables ou éphémères.
En outre, lors de la table ronde, j'ai obtenu le financement d'une thèse ciblée sur le CEP. Nous accueillons donc, à la Maison des sciences de l'homme du Pacifique, un doctorant travaillant sur la dimension transnationale et internationale du CEP, Manatea Taiarui.
Le Sosi s'articule autour de quatre axes, dirigés par deux chercheurs. Le premier a trait aux enjeux sanitaires et s'inscrit dans la perspective de l'histoire des sciences et de la santé : que savait-on des radiations ? Quelles ont été les politiques de gouvernement du risque ? Comment ont-elles été appliquées ou non ?
Le deuxième axe porte sur la modernisation, au sens le plus large. L'objectif consiste à étudier les impacts socio-économiques, mais aussi environnementaux, du CEP.
Le troisième axe se focalise sur les enjeux culturels, qui sont essentiels, ne serait-ce qu'au travers des aspects linguistiques et politiques.
Enfin, le quatrième et dernier axe s'intéresse au processus de dénucléarisation : à quelle date le CEP a-t-il réellement cessé son activité ? Quand le démantèlement s'est-il terminé ? Quels sont les héritages matériels et symboliques du CEP, ainsi que les enjeux juridiques des réparations ?
Chacun de ces axes est codirigé par deux spécialistes. Benoît Pouget, historien de la santé militaire, et Marianna Scarfone, spécialiste de la santé et du soin psychique en contexte colonial, sont responsables du premier axe. Régis Boulat, historien de l'économie, et Benjamin Furst, historien de l'environnement, codirigent le deuxième axe. Le troisième axe est copiloté par Sarah Mohamed-Gaillard, historienne de l'Océanie, et Jacques Vernaudon, linguiste considéré comme l'un des plus grands spécialistes des langues polynésiennes.
Ce programme de recherche fédère une trentaine de chercheurs issus de plusieurs pays : la France, la Suisse, la Nouvelle-Zélande, Hawaï ou l'Australie. Il se décompose en plusieurs sous-spécialités et privilégie une méthode de travail assez souple, à la fois par axe et transthématique. Nous préparons des publications collectives et organisons des rencontres par axe ou globales, à l'instar de l'université d'été qui aura lieu cette année.
Ces travaux s'inscrivent dans le cadre plus large d'un séminaire que je coanime avec l'anthropologue Serge Tcherkézoff, qui réfléchit à la modernisation du Pacifique aux XIXe et XXe siècles et à la mondialisation.
Enfin, le Sosi promeut une approche de science ouverte. Nous travaillons actuellement à la constitution d'une sorte de Wikipédia du CEP, qui prendrait la forme d'un dictionnaire historique. Nous espérons pouvoir le mettre en ligne d'ici la fin de l'année 2024. Il réunira des contributions très larges de différents pays, et sera disponible en français et en tahitien. Il s'adressera à tous les publics de l'enseignement secondaire, élèves autant que professeurs, et plus largement à toutes les personnes intéressées par le CEP.
Ia ora na. J'aimerais, pour commencer, vous poser quelques questions sur l'accès aux archives. En tant qu'historien, quel regard portez-vous sur le processus de déclassification des archives liées aux essais, et plus généralement au fait nucléaire ? Quelles avancées cette déclassification a-t-elle apportées pour vos recherches sur les essais nucléaires en Polynésie ?
Par ailleurs, quels obstacles ou difficultés concrètes rencontrez-vous pour accéder aux archives ? Pourriez-vous nous transmettre une cartographie des détenteurs d'archives sur le sujet qui nous occupe ici ? Y a-t-il des institutions qui ne se prêtent pas au jeu de la déclassification ?
Enfin, quelles évolutions vous paraissent nécessaires, tant pour la pratique que sur le plan des dispositions réglementaires et législatives ?
Merci pour vos questions. Je vous propose de dresser une cartographie des acteurs et un état des lieux des changements engendrés par le processus de déclassification. Pour cela, j'évoquerai d'abord les aspects les plus évidents, qui concernent le service historique de la défense (SHD), qui conserve les archives militaires.
Au préalable, je rappellerai que depuis la Révolution française, tout citoyen – et pas uniquement les chercheurs – a accès aux archives publiques. Il s'agit d'un droit fondamental. La plupart des archives publiques sont réunies aux Archives nationales, dans différents sites, notamment à Richelieu ou Pierrefitte. Certaines administrations, souvent régaliennes, possèdent leurs propres archives. C'est le cas du SHD, qui est réparti sur plusieurs sites. Le plus spectaculaire est hébergé au château de Vincennes, qui rassemble peut-être les archives les plus politiques. D'autres fonds sont susceptibles de nous intéresser : le site de Brest comprend les archives en lien avec la marine, celui de Châtellerault regroupe des documents relatifs à la fabrication des armes, et celui de Pau abrite des archives sur le personnel.
S'agissant du SHD, je parlerai ici essentiellement du site de Vincennes. La table ronde de Reko Tika, en juillet 2021, a transformé notre accès aux archives. Jusqu'alors, mes demandes étaient presque systématiquement refusées. De ce fait, j'étais forcé de « bricoler » pour faire comprendre à mes interlocuteurs que je n'étais pas antifrançais, que je voulais simplement effectuer des recherches historiques et que je demandais la simple application de la loi de 2008.
Depuis sa création, la commission de déclassification reprend tous les dossiers qui m'ont été refusés entre 2019 et 2021 et m'autorise, dans 99 % des cas, à les consulter. Il ne m'appartient pas de comprendre pour quelles raisons ce qui était jusqu'alors impossible est devenu possible, puisque la loi n'a pas évolué. Il est certain que cette procédure requiert du temps, de l'énergie et certainement de l'argent, pour le personnel du SHD. Ce dernier doit en effet soustraire de chaque carton d'archives le ou les folios au caractère proliférant, et transmettre aux citoyens ou historiens le reste du volume.
Ainsi, toutes les cotes qui m'étaient jusqu'ici refusées me sont désormais transmises dans leur intégralité, ou avec des feuilles blanches signalant des folios retirés par la commission – auquel cas une nouvelle cote est créée pour ces archives incomplètes. Par exemple, si je n'ai pas accès à la cote GR/13/R/132, j'aurai accès la cote GR/13/R/132/1 nouvellement créée. Je ne possède aucune garantie sur la réalité du caractère proliférant de ces folios. Toutefois, lors de la table ronde des 1er et 2 juillet 2021, à laquelle j'ai participé en qualité d'expert mandaté à la fois par le gouvernement français et par le gouvernement de la Polynésie française, j'avais fait valoir que la commission ne devait pas être juge et partie. L'expertise du CEA était certes nécessaire pour statuer sur le caractère potentiellement proliférant de certains documents. Pour autant, cet argument ne pouvait plus être invoqué pour soustraire des informations sans rapport avec les secrets nucléaires, mais touchant à la vie de la Polynésie et à l'histoire franco-tahitienne du CEP.
C'est pourquoi le courrier de Jean Castex prévoit la désignation de deux représentants de la Polynésie française parmi les membres de cette commission : il s'agit de Yolande Vernaudon, déléguée pour le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie, et d'Yvette Tommasini, inspectrice générale et doyenne des inspectrices en histoire-géographie en Polynésie française. La participation des Polynésiens au sein de cette commission permet d'éviter le reproche d'être juge et partie. Les représentants de la Polynésie française sont consultés sur les documents à soustraire à la curiosité du public en raison de leur caractère proliférant.
Au SHD, la situation a donc profondément changé. La consultation des documents n'est pas toujours facile, eu égard à de multiples aléas indépendants du processus d'ouverture des archives du CEP, tels que le déménagement du SHD.
Le cabinet en charge de ce volet lors de la table ronde de juillet 2021 était alors dirigé par la secrétaire d'État Geneviève Darrieussecq, et le dossier était suivi par une archiviste paléographe conservatrice du patrimoine, Marion Veyssière. Cette dernière était très au fait des enjeux techniques et juridiques du processus, et pleinement disposée à appliquer dans toutes ses dimensions l'accord conclu lors de la table ronde.
Dans ce périmètre militaire, je disposais donc d'un relais efficace entre l'administration et le politique au sein de ce cabinet, à chaque fois que je me heurtais à une inertie importante, notamment lorsque je demandais des dérogations.
D'après le SHD, la masse de documents concernés est considérable. Les boîtes d'archives directement liées au CEP, pour le seul site de Vincennes, représentent quelque 120 mètres linéaires. En tant qu'historiens, nous devons nous mobiliser pour mener à bien ce travail de grande ampleur, d'où l'intérêt de pouvoir faire appel à des étudiants de master et des doctorants étudiant ces sujets.
Lors de leurs déplacements au SHD, les chercheurs polynésiens souhaitent prendre des photos des documents, qui sont trop nombreux pour pouvoir les dépouiller en quelques jours. Or, très souvent, les documents ouverts dans le cadre de dérogations ne sont pas reproductibles, et il est impossible de prendre des notes de manière exhaustive.
L'établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) fait partie des cinq institutions siégeant à la commission d'ouverture. Cet établissement, qui produit les documents iconographiques et audiovisuels relatifs aux armées, se montre extrêmement aidant. Nous sommes d'ailleurs sur le point de signer une convention ensemble pour le dictionnaire en ligne du CEP, afin de pouvoir utiliser les images fournies par l'ECPAD.
Pour ce qui est des Archives nationales, le processus de déclassification et d'ouverture est ralenti par des inerties bien connues des historiens, dues à des problèmes de sous-effectif, voire à des intentions malicieuses. Il arrive en effet que des demandes de dérogation nécessitent plusieurs mois, ou même plusieurs années, pour être instruites. Pour autant, cette difficulté n'est pas spécifique aux archives touchant au CEP.
Pour sa part, le Centre des archives diplomatiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, situé à la Courneuve, fait preuve d'excellentes dispositions. Son intégration à la commission n'était pas prévue initialement, et le site Mémoire des hommes ne le mentionne d'ailleurs pas encore. Cette institution met à la disposition des chercheurs une véritable mine de documents, très utiles aux travaux de Manatea Taiarui, le doctorant que j'ai déjà mentionné.
Ainsi, les inventaires déclassifiés nous permettent d'appréhender très finement les documents existants, et ces derniers contribuent à transformer le regard que nous portons sur l'histoire des essais nucléaires. Voici pour le côté « rose » de l'accès aux archives.
À l'inverse, comprenez bien que je ne suis animé d'aucun esprit de revanche, mais que de mon point de vue, nous continuons de nous heurter aux pratiques de quelques mauvais élèves. Pour comprendre la position de l'historien, imaginez qu'un chercheur désireux d'écrire l'histoire des deux dernières législatures ait accès à la totalité des archives du Sénat, mais ne soit autorisé à consulter aucune archive de l'Assemblée nationale. Vous concluriez certainement de ses travaux que ce chercheur a une vision très lacunaire du sujet.
Or, il est important de comprendre que l'histoire du CEP est mixte : elle mêle en effet des acteurs civils et militaires. Au sein du CEA, et notamment dans son bureau d'études générales – qui deviendra sous la Ve République la direction des applications militaires, ou DAM – des ingénieurs mettent au point des engins destinés à constituer la force de frappe. Ce travail considérable, en contexte de guerre froide, est un moment essentiel dans l'histoire nationale, et doit être documenté.
Dans le même temps, des militaires sont mobilisés pour installer les polygones de tir dans les quatre sites stratégiques retenus (Reganne et Ekker en Algérie, Moruroa et Fangataufa en Polynésie) et tester les engins qui deviendront des armes opérationnelles.
Si nous avons accès au service historique de la défense, nous n'avons pas accès aux archives de la DAM et du CEA. Il s'agit là, à mon sens, d'une grave lacune démocratique, dans la mesure où la DAM est un établissement public. Or, toute structure bénéficiant d'un régime dérogatoire qui lui permet de ne pas déposer ses fonds aux archives nationales est tenue de mettre une salle de lecture à disposition de tous les citoyens souhaitant consulter ces documents et de fournir des inventaires des pièces existantes.
Pourtant, depuis que je m'intéresse aux essais nucléaires, je n'ai jamais eu accès à aucun inventaire et je n'ai jamais pu être accueilli aux archives de la DAM. Dans le meilleur des cas, mes collègues chercheurs ou moi-même sommes autorisés à consulter certaines archives choisies par l'établissement, sans savoir d'où elles viennent ni si elles sont représentatives.
L'histoire n'est pas une science exacte, mais un récit, élaboré à partir d'une sélection de documents jugés utiles. Dès l'instant où le fournisseur des archives opère lui-même la sélection du matériau, il se fait historien à notre place. Dès lors, rien ne permet de s'assurer que les documents transmis permettent de construire un récit sincère et représentatif du passé.
Au regard des archives de la DAM, la table ronde n'a rien apporté de nouveau. J'ai simplement reçu une livraison de documents sous format PDF en juillet 2021, puis d'autres m'ont été envoyées au compte-gouttes. Manatea Taiarui en a reçu encore près d'une trentaine tout récemment. Aussi intéressants soient-ils, ces documents sont fournis dans des conditions étrangères à la logique de la recherche.
Il est probable qu'une part considérable des archives de la DAM ont un caractère proliférant. Mais au-delà des recherches des savants chargés de mettre au point des armes, nous n'avons aucun accès à la documentation concernant les négociations politiques et le choix des sites avec les militaires. Un pan entier de l'information nous est donc interdit, et nous sommes contraints d'appréhender le sujet comme si nous étions borgnes ou hémiplégiques. Je pourrai vous donner d'autres exemples illustrant comment la DAM ne joue pas le jeu, pour reprendre votre expression que je trouve heureuse.
Cependant, il existe aussi un service hybride qui pourrait réparer en partie cette lacune du CEA. Je veux parler du département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DSCEN). Rattaché à la direction générale de l'armement (DGA), il est l'héritier de tous les services mixtes créés en janvier 1964 par Pierre Messmer, ministre des armées, pour penser le dispositif de sûreté du CEP.
Pierre Messmer avait d'emblée jugé qu'il serait opportun de mêler l'expertise des civils et celle des militaires, d'où la création du service mixte de contrôle radiologique (SMCR) et du service mixte de contrôle biologique (SMCB). Ces deux services s'appuyaient sur l'expertise des médecins militaires et des militaires experts en matière nucléaire.
Le DSCEN n'a pas complètement cessé son activité après l'arrêt des essais. Il continue à assurer le suivi médical des vétérans et des anciens travailleurs polynésiens et à apporter son expertise au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) pour l'examen des dossiers de demande d'indemnisation.
Ce département a pour responsabilité de conserver et d'exploiter, pendant leur durée d'utilité administrative, les archives des services mixtes (SMCR et SMCB), mais aussi quantité de fonds de la direction des centres d'expérimentation nucléaires (Dircen). Ces archives sont conservées au fort de Montrouge, en banlieue parisienne.
Je n'avais pas connaissance de l'existence de ce fonds d'archives avant la création de la commission. C'est en rencontrant la responsable de ce service, lors de la table ronde, que j'ai découvert la nature des archives conservées dans ce service. Celles-ci comprennent les dossiers de suivi sanitaire d'environ 110 000 personnes, Européens ou Polynésiens employés sur les centres en tant que travailleurs civils ou militaires. Ces informations médicales sont non seulement très intéressantes pour les épidémiologistes, mais aussi capitales pour comprendre l'histoire économique, sociale et culturelle du CEP.
Il semblerait que l'enquête parlementaire qui vient de s'ouvrir devrait permettre aux historiens de consulter ces documents. Il serait alors possible d'établir des bases de données quantitatives et d'évaluer précisément comment les carrières se sont constituées, et de quelle manière les personnes ont été déplacées, etc.
Un autre trésor de documentation intéresse l'histoire environnementale. J'ai pu voir les salles entières dans lesquelles sont stockées, année après année, les campagnes de contrôle du SMCB réalisées à l'aide de ses deux navires. Ces contrôles portant sur la faune et la flore permettent d'apprécier les retombées des essais nucléaires sur les espèces végétales et animales vivant en Polynésie.
Le premier navire, baptisé La Coquille, a commencé ses contrôles avant même les premiers essais, et les a poursuivis pendant les essais. Le second navire est nommé Mārara, ce qui signifie « poisson-volant » en polynésien.
Toutes ces archives sont conservées au fort de Montrouge. Pour l'instant, j'ai accès uniquement aux documents qui me sont fournis par le DSCEN. Il me faut donc ruser en utilisant d'autres fonds d'archives pour identifier et demander certaines cotes, mais il m'est impossible d'obtenir l'inventaire global. Enfin, lorsque je demande, par exemple, l'intégralité des dossiers concernant La Coquille pour l'année 1966, je me heurte pour l'instant à une réponse négative.
Je précise que le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui dépend du Premier ministre, observe une politique très libérale en ce qui concerne la mise à disposition de ses archives. Avant même la déclassification, j'ai pu accéder aux verbatims des conseils de défense dans les années 1960, qui sont passionnants.
Je retiens de vos propos qu'en matière d'accès aux archives, un tournant est arrivé en 2021. L'engagement pris par le Président de la République lors de son déplacement en Polynésie française est donc plutôt respecté.
Pourtant, dans votre article « Les tristes secrets » publié le 21 juin 2022, vous écriviez : « Le secret continue de produire ses effets dans la société polynésienne et alimente suspicion et rancœur à l'égard de l'État ». Faut-il en conclure que les informations que vous avez puisées dans les archives ne sont pas de nature à infirmer l'idée d'une culture du secret et de la dissimulation ? Pour reprendre l'exemple que vous avez cité, lorsque vous demandez les archives de l'année 1966, quelle réponse vous est apportée ? Votre interlocuteur justifie-t-il son refus par le secret défense ?
C'est une très bonne question. Nous avons tous eu affaire à de la mauvaise volonté, qui peut emprunter trois ou quatre visages différents. Il peut s'agir, tout d'abord, d'une absence de réponse. Cette réaction est toujours difficile à gérer, surtout pour un chercheur résidant en Polynésie. En outre, s'il est question du DSCEN, nous n'avons pas librement accès au site. Nous n'avons donc aucun moyen de nous plaindre, et nous sommes tenus de suivre des procédures complexes.
La mauvaise volonté peut aussi prendre l'aspect de la fausse modestie ou de l'incompétence : l'interlocuteur s'excuse de sa piètre connaissance des fonds, et déclare qu'il n'est pas en capacité de vous répondre.
Nous sommes aussi confrontés à des stratégies dilatoires : la réponse peut mettre plusieurs mois à nous parvenir. Je dois parfois patienter près d'un an et demi pour obtenir une réponse à une demande de cote très précise, alors que pour un site d'archives bien tenu, le traitement d'une telle demande prendrait 2 minutes et demie…
Le service peut aussi jouer la carte de la culpabilité, en m'expliquant que des plaignants ayant besoin d'informations pour pouvoir défendre leur dossier auprès du Civen sont prioritaires par rapport à moi. Je comprends bien qu'ils soient prioritaires, mais je me demande s'il ne serait pas possible d'assurer toutes les missions de publication des données.
Quant à la DAM, je pourrais citer des exemples presque comiques de mails restés sans réponse, ou de demandes rejetées au motif que « je ne travaille plus dans le service ». Il est déjà arrivé que par inadvertance, je reçoive un mail contenant l'avis de la responsable, validant le principe de clore ma demande.
En tant qu'historien, je n'affirme pas qu'il soit impossible d'écrire l'histoire du CEP. D'ailleurs, nous nous y attelons, notamment en préparant des articles et ouvrages sur le sujet.
La suspicion est inévitable, dès lors que des secrets et des mensonges ont été révélés. Mais mon rôle devant votre commission d'enquête consiste à vous présenter un état à froid des archives ouvertes ou restant inaccessibles. Il est évident que la table ronde de juillet 2021 a eu un impact considérable. Nous disposons désormais d'une masse considérable de données ouvertes, qui nous permet de comprendre beaucoup de choses. Le SHD ou les archives diplomatiques ont pleinement joué le jeu ; je ne suis pas non plus complotiste, et je ne pense pas que je trouverai un jour un document détenu par la DAM qui changera absolument tout… Je dis simplement que l'engagement du Président de la République est appliqué par certaines administrations, mais pas par d'autres.
Non. Le livre a été publié au printemps 2021, à partir d'archives déclassifiées suite à un contentieux de plusieurs années entre les associations de vétérans polynésiens et français – l'AVEN et Moruroa et tatou – et l'État français. Ce contentieux a conduit le tribunal administratif à exiger la production de centaines de milliers de documents entre fin 2012 et début 2013.
Ces documents étaient connus de la communauté académique, mais les auteurs de Toxique ont été les premiers à décrire les retombées des essais nucléaires, modélisations à l'appui, en contestant les chiffres officiels du CEA.
J'aurais dû préciser qu'en 2012 et 2013, une partie des archives de La Coquille, dont le rapport du docteur Millon, responsable du SMCB, avaient été déclassifiées par ordre du tribunal administratif. Ces documents ont permis de comprendre une partie du mécanisme de dissimulation des retombées, dès le premier essai.
Merci pour vos explications, Professeur. Étant électricien de métier, il m'a été difficile de comprendre le sens de tous les acronymes, mais j'y suis finalement parvenu.
Je suis surpris d'apprendre que vous n'avez pas accès aux archives du CEA, qui est une institution publique, financée par nos impôts. Cette information me choque, et j'aimerais comprendre pour quelles raisons cette documentation est à ce point difficile d'accès. Il m'a fallu quelque temps pour comprendre que la notion de prolifération se rapportait à des documents dont la divulgation pourrait permettre la fabrication de bombes atomiques. Je conçois que de telles pièces soient verrouillées.
En revanche, il me semble légitime de s'interroger sur les difficultés d'accès aux archives médicales, qui ont été pointées dans l'audition précédente. Vous affirmez que les questions d'ordre personnel ne sont pas de votre compétence, mais elles font partie des préoccupations de notre commission d'enquête. Il ne s'agit pas de savoir si vous avez eu connaissance de ces archives, mais si elles existent, et si elles sont complètes. C'est à nous qu'il appartient de faire en sorte que ces archives deviennent accessibles et qu'elles soient « restituées » au peuple de Polynésie. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?
Personnellement, j'ai découvert la bombe atomique avec les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki, comme la plupart des habitants du monde. Ce 31 mai 2024, nous recevrons au Havre des Hibakusha. Leur histoire sanitaire et leur histoire de famille font partie de l'histoire de l'atome et de ses conséquences, sachant que les retombées de l'atome continuent de se manifester après trente ou quarante ans. Cette dimension est-elle intégrée à vos travaux et votre cheminement intellectuel ?
Merci pour votre question. Je vous présente mes excuses pour la profusion d'acronymes, qui sont effectivement difficiles à assimiler.
S'agissant de l'aspect médical, je me suis mal exprimé. Il existe un fichier de suivi médical de l'ensemble des vétérans, que j'ai d'ailleurs vu. Je ne dis pas que cette documentation ne m'intéresse pas : simplement, je ne demande pas de pièces qui me sont refusées par les dispositions légales. Je ne peux pas consulter le dossier médical d'une personne sans son autorisation.
En revanche, je suis très intéressé, tout comme vous, par la constitution de ces dossiers. J'ai pu en parcourir certains, avec l'accord de vétérans ou anciens travailleurs qui sont parvenus à obtenir leur dossier. Les écarts entre le dossier et la mémoire de ces personnes sont très frappants. Certaines disposaient de dosimètres ou subissaient des contrôles très approfondis sur les doses reçues, mais il semble que leur dossier ait parfois été caviardé. Cependant, ma vision est bien trop lacunaire pour être représentative des 110 000 dossiers.
En tant qu'historien, mon intérêt se porte sur la prise en compte de l'enjeu sanitaire par le CEP, sur les actions mises en œuvre ou non pour éviter les retombées, et sur l'exposition des habitants, des travailleurs ou des militaires. Toutes ces questions font partie de mon champ de recherche. Je ne suis pas médecin, mais je travaille avec des épidémiologistes.
D'ailleurs, cette base de données a déjà été étudiée en 2009-2010 par l'organisme privé Sépia, sur la base de 26 000 vétérans. Les conclusions en sont plutôt rassurantes. Ce travail a été financé par le ministère des armées.
Il est certain que l'intégralité des 110 000 dossiers serait un trésor pour les épidémiologistes, qui pourraient ainsi évaluer les risques de contracter un cancer pour les personnes ayant travaillé sur les sites et les populations riveraines.
J'ajoute que cette question n'est pas absente des préoccupations des responsables, contrairement à ce qui a pu être constaté dans d'autres contextes. Ainsi, les archives américaines montrent que les habitants d'Eniwetok ont été utilisés comme des cobayes, et certains documents affirment très clairement qu'il sera intéressant de suivre les effets progressifs de la contamination sur les populations, à travers les végétaux et les animaux.
Dans les années 1960, les autorités françaises n'ont, fort heureusement, pas la même vision cynique. Un point sanitaire est d'ailleurs effectué en 1966, dans l'urgence : les populations sont vues avant les tirs, de manière à évaluer l'impact potentiel des retombées, notamment aux Gambier ou à Tureia.
Ce sujet complexe, qui nous intéresse beaucoup, nécessite de recontextualiser les connaissances de l'époque. C'est une tâche délicate, car il existe des expertises à l'échelle nationale, mais aussi européenne, ou encore à l'échelle de l'Otan ou de l'ONU comme à l'Agence internationale de l'énergie atomique
S'agissant de la DAM, je pense qu'il faut s'attacher à comprendre sa position, sans chercher bien évidemment à l'excuser. Elle participe d'abord d'une logique de corps et de solidarité transgénérationnelle qui, à mon sens, est inopportune. Car pourquoi croire que les personnes ayant travaillé à cette époque voudraient que les choses soient cachées aujourd'hui ? Nous sommes d'après moi tous assez intelligents pour comprendre que le contexte a changé.
D'autre part, la DAM a été créée en 1945 par le général de Gaulle avec une ordonnance publique, mais toute la filière militaire sous la IVe République a été constituée de manière clandestine. Cette réalité n'est jamais assumée devant l'opinion publique, y compris par les ministres eux-mêmes. Appelée initialement « bureau d'études générales », afin de n'éveiller aucun soupçon, la future DAM travaillait avec des crédits secrets, transitant par l'ancêtre de la DGSE, dans des sites inconnus. Bref, la culture du secret est consubstantielle à la DAM.
Cette entité a toujours été convaincue de sa capacité à sauver la France, quelques années après la défaite de 1940 qui a marqué le pays au fer rouge, en lui offrant une arme de non-emploi censée la prémunir contre tout assaut ou occupation d'une autre puissance. Cette histoire a contribué à ancrer une culture transmise de génération en génération, de responsable en responsable.
Les individus ayant en charge la compétence capitale d'assurer la sécurité des Français perçoivent certainement leur métier comme une mission exceptionnelle. Ce fait a d'ailleurs été mis en évidence par les travaux de Gabrielle Hecht. Plus largement, toutes les personnes travaillant dans le nucléaire ont le sentiment d'être en contact avec le mystère de l'intimité de la matière. Cette vocation prométhéenne tend à les isoler du droit commun, mais force est de constater avec vous que ces personnes sont payées par nos impôts et doivent nous rendre des comptes. Toutes les archives n'ont pas un caractère proliférant, et la culture du secret et de l'exceptionnalité n'excuse pas le refus d'ouvrir les archives.
Il est important de bien distinguer les notions de victime et de passivité. Ce n'est pas parce que les Polynésiens ont été victimes des essais qu'ils ont été non-acteurs de leur histoire et sont restés complètement passifs. Malgré la dissimulation, le secret et l'exceptionnalité nucléaire, les Polynésiens ont constitué des réseaux et se sont rapprochés d'association ou de savants. Ce faisant, des publics non savants ont pu recevoir l'expertise de savants.
Le député polynésien John Teariki a été le premier à protester contre l'installation du CEP. Il a entretenu une correspondance avec des savants français, qui lui a permis de développer un argumentaire très précis sur les risques de contamination des populations induits par les retombées, notamment au travers des poissons consommés par les populations.
La dimension globale de la nucléarisation du monde, et notamment du Pacifique, a permis aux Polynésiens d'être acteurs de leur histoire et de se mettre en relation avec d'autres victimes. Il y a d'ailleurs toujours beaucoup de solidarité entre les victimes des essais nucléaires. Les savants ont plus de mal à mettre en relation leurs travaux sur les différents sites d'essais et sont, de ce point de vue, un peu en retard.
Je précise, à l'intention des membres de notre commission, que nous auditionnerons le directeur de la DAM, ou direction des applications militaires, dans les prochaines semaines.
En ce qui concerne les aspects historiques, mon attention se porte principalement sur les trois points suivants : l'état des connaissances, avant l'installation du CEP, sur les conséquences des opérations d'expérimentation atomique ; les raisons ayant conduit au choix des sites des essais nucléaires, dans le désert algérien et en Polynésie ; le niveau d'information et de protection des différents types de population : les officiels, les élus locaux et hexagonaux, les militaires engagés, les militaires appelés, les travailleurs civils sur site, et enfin les populations.
Puisqu'il est question de « l'avant », j'aimerais aussi connaître « l'après ». Je me suis rendu sur les sites du CEA de Cherbourg, à l'usine de traitement des déchets nucléaires sur laquelle j'ai travaillé. Je présume que toutes les structures dont il est question ici sont devenues des déchets nucléaires. Ces déchets ont-ils été traités avec la même rigueur que nous appliquerions aujourd'hui, ou simplement stockés sans précautions particulières ?
À propos du choix des sites, je note que parmi l'ensemble des puissances nucléaires, il s'avère que les différents sites d'essai choisis sont des étendues éloignées des centres décisionnels et des agglomérations importantes. Quelle importance attribuer à la faible densité géographique dans le choix de ces sites ?
La question du choix du site se pose à partir du début de l'année 1957, lorsque les savants et les atomistes commencent à comprendre que leur projet devrait aboutir. Autour de 1960, des recherches sont entreprises en vue de trouver un site. Des déserts océaniques ou continentaux sont alors passés en revue. Ce critère est à la fois une réalité géographique, car la densité démographique de ces espaces est bien évidemment très faible, mais aussi le fruit de constructions sociales. De fait, cette position revient à invisibiliser les Touaregs ou les Polynésiens récoltant le coprah ou la nacre sur certains atolls dits inhabités.
En 1957, c'est le scénario d'un tir atmosphérique qui est privilégié pour mettre au point la bombe A – celle d'Hiroshima – qui représente environ 15 kilotonnes. À cette époque, il n'est pas encore question de la bombe H, dont la puissance sera mégatonnique. Dans ce cadre, les autorités envisagent La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, ou encore les îles Kerguelen, des territoires éloignés de la métropole, et écartés pour différentes raisons.
L'Algérie est choisie assez rapidement parce qu'elle possède le désert le plus proche, posant le moins de problèmes logistiques. La Polynésie a été envisagée, mais écartée car aucun avion ne serait en capacité d'y transporter des engins sans devoir se poser sur un territoire étranger. Ce sera le cas quelques années plus tard avec le DC8, qui se rendra de Paris à Hao, avec une halte à Pointe-à-Pitre.
À partir de 1959, des réflexions sont lancées en vue de trouver un site souterrain pour tester la bombe A. Les progrès techniques ont effectivement permis aux Américains d'effectuer des tirs enterrés extrêmement puissants dès 1957. Les Français ne maîtrisent pas ce procédé, mais rencontrent des problèmes avec les pays voisins de l'Algérie, en voie de décolonisation.
La conscience des enjeux sanitaires est déjà très présente suite à l'essai « Castle Bravo » de 1954 à Bikini : il s'agissait d'une bombe H mégatonnique, dont la puissance a été bien supérieure aux prévisions des Américains. La hantise des retombées nucléaires est donc déjà très présente dans tous les esprits. C'est à ce moment qu'est réalisé le film Godzilla.
La France s'oriente donc vers des tirs souterrains. Ces derniers étant réputés sans dangerosité, car menés dans un espace confiné, les recherches se dirigent dans toutes les directions. De nombreux sites granitiques ou montagneux sont documentés et investigués, y compris le Massif central, les Alpes ou les Pyrénées. La Polynésie est reconsidérée, mais puisqu'il paraît difficile d'y développer des essais souterrains, le ministère des armées choisit l'Algérie, sans tenir compte du vœu du CEA. Cette fois, les expérimentations s'effectueront dans le massif du Hoggar sur le site d'In Ecker. Les tirs y seront réalisés en espace confiné, sans pouvoir être qualifiés de « souterrains », ce qui impliquerait de percer des puits à plusieurs centaines de mètres de profondeur.
En l'occurrence, des galeries en colimaçon seront aménagées, mais ces tentatives ne se dérouleront pas comme prévu. L'essai « Béryl » entraînera d'ailleurs l'explosion d'une montagne, de sorte que des soldats, mais aussi Pierre Messmer, ministre des armées, et Gaston Palewski, ministre de la recherche scientifique, en déplacement, seront contaminés.
À partir de 1960, de Gaulle décide d'accélérer la cadence pour se doter de la bombe H, nécessaire pour rejoindre le « club » des puissances nucléaires. Il force l'allure et débloque donc des budgets significatifs. À ce moment, il n'est plus question de mener des essais en Algérie, puisque la décolonisation est en marche. La France négociera pourtant, dans les accords d'Évian, cinq années d'usage des sites algériens. Ces derniers serviront donc encore entre 1962 et 1967.
En 1960, le choix entre des tirs aériens ou souterrains suscite de nombreux tâtonnements. Le scénario des essais souterrains paraît privilégié, mais peu probable. Quant à l'option aérienne, elle nécessiterait de réaliser les tirs à haute altitude, dans un ballon captif, pour limiter les retombées. C'est le mode opératoire qui sera mis en œuvre dans le Pacifique, mais pas systématiquement.
À l'époque, une autre proposition est discutée. Elle consisterait à sacrifier un navire pour réaliser un tir au large des côtes de La Réunion, ce qui éviterait tout impact sanitaire pour les populations par les retombées immédiates. Toutefois, la mauvaise qualité des mesures conduit à renoncer à cette navalisation complète des essais nucléaires.
Une hypothèse alternative est le lancement d'un avion téléguidé.
Les recherches se concentrent sur un site bivalent, compatible à la fois avec des tirs atmosphériques et des tirs souterrains, dans la mesure où on espère maîtriser cette technique. C'est la raison pour laquelle la Polynésie sera préférée à La Réunion, aux îles Kerguelen et à la Nouvelle-Calédonie. En réalité, les motifs ne sont pas techniques, mais politiques. De fait, d'un point de vue technique, le choix de la Polynésie est le plus complexe. La décision finale fait suite à une mission de reconnaissance menée dans le Pacifique en mars 1962. Or, avant, pendant et après cette mission, le contexte politique de la Nouvelle-Calédonie exclut la réalisation d'essais nucléaires sur ce territoire, qui compte une population d'Européens plus importante qu'en Polynésie et mieux connectée à Paris que les députés polynésiens. De surcroît, les habitants de Nouvelle-Calédonie ont eu connaissance de ce projet, qui a soulevé une protestation, comme on a du reste pu le connaitre en Corse, à la suite d'une fuite sans doute orchestrée par le préfet lui-même.
Il existe un autre enjeu, de nature stratégique. La France entend réaffirmer sa présence dans ce lac américain qu'est le Pacifique et montrer qu'elle n'abandonne pas la Polynésie. Elle ne souhaite pas que les Polynésiens se tournent vers les États-Unis, sous l'effet d'une fascination pour la civilisation matérielle américaine et de l'emprise de certaines religions comme le mormonisme. Ce que je dis ne reflète évidemment pas la réalité, mais ce que je lis dans différents documents produits à l'époque que j'ai pu consulter.
D'autre part, si les îles Kerguelen étaient l'implantation privilégiée par la DAM, les militaires étaient attachés au climat rieur de la Polynésie et au cliché de la vahiné, comme l'attestent des témoignages oraux et des archives écrites. Le droit au logement familial sera d'ailleurs rapidement étendu pour ne pas laisser des cadres militaires ou civils seuls en Polynésie à cause « du désir des épouses de rallier le chef de famille soumis aux tentations de Tahiti », pour citer un document de l'époque. Manifestement, les « tentations de Tahiti » ont été préférées aux manchots et aux mouettes des îles Kerguelen.
Enfin, il est important de bien comprendre qu'il existe une « histoire avant l'histoire » des essais nucléaires français dans le Pacifique, à savoir les expérimentations anglo-saxonnes. À tout moment dans le processus de choix et de construction du site, ces précédents sont invoqués. Ainsi, en 1961, lorsque le chef d'état-major général considère le Pacifique, il met en avant la possibilité de se référer aux tirs anglais, en sus de l'éloignement.
De même, lorsque l'atoll de Mururoa est choisi par le général Thierry, il est fait référence aux expérimentations américaines de Bikini et d'Eniwetok, qui montrent que les tirs à la surface de l'eau peuvent atteindre une mégatonne. Autrement dit, il sera possible de tester la bombe H.
Lorsque Couve de Murville, alors ministre des affaires étrangères, est saisi en conseil de défense sur le problème des oppositions en Polynésie, il invoque les essais américains sur l'île de Christmas. La Polynésie est donc considérée comme plus conciliante.
Quand le général Thierry, le premier responsable de la DIRCEN, est interrogé sur la possibilité de construire un aéroport par remblais de coraux et sur la sécurité d'un tel site dans le « désert » océanique, il répond : « Les Américains étaient dans une situation analogue à Bikini et à Eniwetok, qui étaient entourés d'atolls habités et qui ont d'ailleurs été contaminés par les explosions ». Cette citation, madame la rapporteure, répond en partie à votre question. Oui, les dirigeants de l'époque sont parfaitement conscients que des populations ont été contaminées, mais y voient moins une raison de ne pas construire qu'une raison de ne pas être stigmatisés. Les autorités françaises s'inquiètent moins des conséquences sanitaires pour les populations sur place que du risque de contentieux au niveau national.
Cela ne signifie pas qu'aucune disposition n'a été prise pour limiter ces impacts. Cette question fait partie de nos recherches, mais les connaissances scientifiques sur ce point n'étaient pas uniformes et ne sont toujours pas complètement stabilisées : les controverses sur les effets transgénérationnels des retombées nucléaires se poursuivent.
À l'époque, la France redoute surtout le flash lumineux, susceptible d'éblouir un pilote d'avion et de causer une catastrophe aérienne. L'onde de choc et le choc thermique paraissent moins préoccupants, ou du moins arrivent en deuxième ou troisième plans. Quant à l'effet différé de l'exposition aux retombées radioactives et à l'ingestion de produits contaminés, ils n'arrivent qu'en bout de chaîne.
Ces problèmes sont pris en compte et documentés. À l'époque, une mission de militaires français a d'ailleurs été envoyée au Japon pour s'informer. La France espionne aussi les Américains, pour comprendre leur gestion des dispositifs de sûreté. Mais il règne une confiance technophile dans les capacités des outils, que nous reprenons aux Américains. Il s'agit notamment d'évacuer les populations pour vider la zone, d'étudier les régimes des vents pour anticiper la météo, de calculer à l'aide d'un ordinateur IBM cédé par les Américains des modèles de retombées pendant un an.
S'impose ainsi la conviction d'une sécurité absolue et de l'absence de retombées pour les humains, même si le discours tenu aux autorités civiles – je pense au gouverneur Grimald – est bien plus rassurant et lénifiant que les conceptions partagées en interne. Il y a donc un double discours. L'urgence politique conduit aussi à se priver de certains outils. À titre d'exemple, la commission consultative présidée par le CEA recommande de construire des abris pour permettre aux populations de se réfugier, notamment les habitants de Rikitea aux Gambier, mais le général Thierry s'affranchit de cette consigne. De son point de vue, le premier tir ne sera pas suffisamment puissant pour toucher les Gambier. Ce présupposé sera malheureusement démenti par les faits.
Il faut aussi tenir compte du changement de politique lié à la logique communicationnelle mettant en avant l'absence de risque. Le grand public est considéré comme des non-experts incapables d'être associés à la gestion du risque. Entre 1962 et 1964, au début de la construction du chantier du CEP, il est question d'effectuer des évacuations préventives aux Gambier. Une bascule s'opère en 1965 et 1966, notamment sous l'influence de l'assemblée territoriale de Polynésie : l'organisation d'évacuations préventives véhiculerait en effet un signal très négatif aux populations. C'est la raison pour laquelle les évacuations préventives sont finalement abandonnées, alors qu'on aurait pu les prévoir. Cette décision est facilitée par la mise en avant d'un dispositif d'évacuations curatives, qui permettrait d'agir très rapidement et de suivre les retombées en temps réel, grâce à la présence de balises automatiques et de capteurs.
Or, une évacuation a posteriori revient à envoyer le même signal négatif aux populations. Quelques heures après le premier tir « Aldébaran », les 1er et 2 juillet 1966, les couches de vent ne suivent pas les modélisations prévues, de sorte que le nuage radioactif arrive directement sur les Gambier. Un débat s'engage alors entre les décideurs. L'amiral Lorrain, à la tête du groupe opérationnel des essais nucléaires (Goen), prend la responsabilité de ne pas alerter les habitants des Gambier, en toute connaissance de cause, et de ne pas mobiliser le porte-hélicoptères destiné à évacuer la population à Hao, aux Tuamotu.
Les outils disponibles (les abris, l'évacuation préventive ou l'évacuation curative) ne sont pas utilisés, car cela reviendrait à avouer que la situation n'est pas maîtrisée. La poursuite des essais se trouverait alors mise en cause, et peut-être même la présence française dans le Pacifique selon l'amiral Lorrain. On voit bien que le serpent se mord la queue puisque l'on déploie un discours très positif sur l'impact des essais nucléaires sur le développement de la Polynésie et que l'on entend planter le drapeau français dans le Pacifique face aux Américains, alors même que le premier essai pourrait remettre en cause cette présence.
De retour d'un déplacement en Polynésie, le général Billotte, héros de la France libre et ministre de l'outre-mer, déclare que les Gambier ont été touchés par des retombées radioactives, mais de faible gravité.
Malgré la connaissance des risques, l'expertise très fine des savants, des atomistes du CEA et des militaires travaillant sur le nucléaire est opposée aux capacités de compréhension de la population. Ce point de vue est absurde, car des pétitions très argumentées sont présentées dès 1964 par des femmes polynésiennes à Georges Pompidou. Nous pourrions aussi mentionner les discours très étayés de John Teariki à l'Assemblée nationale sur les périls des retombées nucléaires. Mais la doctrine officielle exclut de communiquer sur les dangers et les incidents, par crainte de semer un vent de panique. C'est une réaction récurrente dans l'histoire des scandales sanitaires.
S'agissant de la protection des populations, les médecins militaires affirmaient que les populations polynésiennes avaient des prédispositions génétiques à développer des cancers suite à l'exposition aux radionucléides ou à des rayonnements ionisants. D'après eux, ces populations présentent une faible variété génétique, et une forte proportion d'enfants. C'est pourquoi les seuils instaurés sont extrêmement bas. Il existe un hiatus entre ces connaissances très fines sur les dangers potentiels de l'exposition et la fixation d'un seuil – alors même que l'on sait aujourd'hui que l'apparition d'une maladie radio induite n'est pas qu'une question de seuil, mais aussi de probabilité – ainsi qu'entre la connaissance des risques et le choix de ne pas utiliser des outils présentés comme efficaces, pour éviter de dévoiler que ces moyens ne sont pas toujours suffisants.
Quant à la gestion des déchets, elle est abordée dans le quatrième axe du programme de Sosi. Les recommandations arrivent très tardivement. Dans un premier temps, les déchets sont simplement « océanisés », tantôt en prenant certaines précautions (sous forme d'enveloppe vinyle et béton), tantôt sans s'embarrasser de ces mesures. Le SHD nous fournit des inventaires à la Prévert très précis des types de déchets. Certaines dépollutions s'avèrent compliquées, notamment au fond du lagon de Moruroa. En tout état de cause, ces aspects sont connus, documentés et étudiés.
À côté des déchets radioactifs, il faut mentionner tous les autres types de déchets industriels (amiante, PVC, métaux lourds, plomb, etc.), visés par un projet de dépollution mené conjointement par le CNRS et le ministère des armées, notamment à Hao.
Monsieur Meltz, un équivalent de la mission dite Duclert sur le génocide au Rwanda pour analyser les conséquences des opérations du CEP en Polynésie vous semblerait-il opportun ?
Oui, cette initiative me semble positive, pour plusieurs raisons. Cette mission renforcerait en effet la visibilité de nos travaux. D'ailleurs, il me semble que cette question doit être liée à celle de la réparation, et je vous adresserai une réponse écrite sur ce point. Vous m'avez aussi invité à vous faire part de suggestions d'initiatives mémorielles. De mon point de vue, il faudrait une initiative dans les deux sens, permettant de mettre en évidence l'histoire du CEP à travers un parcours mémoriel à Papeete ainsi que dans les atolls, notamment à Hao, qui tient une place importante, mais aussi inscrire ces événements dans la mémoire nationale française, même si les Polynésiens en ont subi davantage les conséquences que les Français.
Je pense donc qu'il faudrait créer, sinon un centre de mémoire permanent en France occidentale, du moins investir des lieux de mémoire en y organisant des expositions. Je pense par exemple au musée de l'Immigration, un des lieux de mémoire les plus réussis selon moi. Une exposition pourrait être consacrée aux circulations du travail en lien avec les essais nucléaires, puisque des Polynésiens, mais aussi des travailleurs d'autres pays comme le Portugal sont venus construire le CEP. J'ai d'ailleurs pu échanger à ce propos avec François Hérand, qui préside le conseil d'orientation du Palais de la Porte dorée. Le mémorial Charles de Gaulle pourrait aussi accueillir des expositions sur les essais nucléaires ; j'ai eu l'occasion d'en parler avec ses responsables. De nombreux lieux de mémoire en France pourraient être investis de cette histoire polynésienne.
Pour revenir sur votre question, le lancement d'une mission de type Duclert serait une première démarche montrant l'intérêt porté par l'État à cette histoire, et contribuerait à la rendre visible dans le récit national.
Merci infiniment pour votre contribution, qui était très intéressante. N'hésitez pas à envoyer au secrétariat tous les documents que vous jugeriez utiles, afin d'approfondir les points que vous avez évoqués. Personnellement, je serais intéressé par des compléments d'information sur les 110 000 personnes ayant fait l'objet d'un suivi médical.
La séance est levée à 23 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Xavier Albertini, Mme Claire Guichard, M. Didier Le Gac, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Mereana Reid Arbelot.
Excusés. – Mme Sophie Errante, M. Philippe Gosselin.