La réunion

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Jeudi 14 décembre 2023

La séance est ouverte à dix heures cinq.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

Au cours de sa réunion du 14 décembre 2023, la commission a procédé, à huis clos, à l'examen du projet de rapport.

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Mes chers collègues, cette dernière réunion sera consacrée à la discussion sur le projet de rapport que va nous présenter notre rapporteur. Elle n'est pas retransmise, ni ouverte à la presse. Je souhaite laisser toute la souplesse nécessaire au débat et vous invite à prendre le temps de l'échange, compte tenu de la complexité du sujet.

La commission d'enquête est l'outil le plus puissant du Parlement et nous sommes tenus aux règles très strictes énoncées par l'ordonnance du 17 novembre 1958 et par le règlement de l'Assemblée.

Notre réunion constitutive s'est tenue le 5 juillet. Entre le 12 juillet et le 22 novembre, nous avons tenu cinquante-sept auditions et tables rondes, qui ont représenté une durée totale de près de quatre-vingt-douze heures d'échanges avec pas moins de cent cinquante-sept personnes. Je remercie vivement celles et ceux qui, par leur assiduité, ont enrichi nos travaux. Ceux-ci se sont déroulés dans un très bon esprit, sans polémique ni instrumentalisation, ce dont je remercie les commissaires et en premier lieu le rapporteur, qui a beaucoup contribué à ce climat. Je tiens à saluer le travail considérable qu'il a effectué, animé par la passion qu'on lui connaît.

En cas d'adoption, l'article 144-2 du règlement dispose que le rapport « est remis au Président de l'Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l'Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l'article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l'Assemblée en comité secret à l'effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »

Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que jeudi 21 décembre. Dans l'intervalle, aucune communication sur les conclusions du rapport ni le contenu non public de nos travaux ne devra être faite. La nature de nos travaux ne devrait pas, a priori, justifier la constitution d'un comité secret, puisque nous ne traitons pas de questions couvertes par le secret défense ou de sujets de cet ordre, mais il faut respecter ce délai.

En cas de rejet du rapport, celui-ci n'est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Nous portons donc une lourde responsabilité. Selon le dernier alinéa de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, « Sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l'article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

Quel que soit notre vote, il vous sera demandé, à la fin de la réunion, de remettre aux administrateurs l'exemplaire du projet de rapport qui vous a été remis.

En réponse aux questions des journalistes qui ne devraient pas manquer de nous être posées dès aujourd'hui, il ne nous est pas interdit de les informer de l'issue du vote et de leur faire part oralement des champs qui ont été explorés par la commission. On peut indiquer que le rapport, qui sera publié le 21 décembre, fera des recommandations dans tel ou tel domaine, mais sans être trop précis. Nous ne pouvons pas commenter le contenu du rapport. Nous devons respecter le délai de cinq jours, qui engage notre responsabilité.

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Quand se tiendra la conférence de presse ? N'allez-vous pas y évoquer le contenu du rapport ?

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Elle aura lieu à la sortie de cette réunion. Nous allons évoquer l'ampleur des travaux que nous avons menés et mettre en relief la complexité du sujet traité. Le rapporteur évoquera certainement un certain nombre de pistes et de recommandations, mais sans entrer dans le détail ni toutes les énumérer. Les propos tenus seront fidèles à nos débats. La presse ne disposera pas du rapport.

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La date limite pour livrer nos contributions écrites est fixée au 19 décembre à midi. Nous ne disposerons donc pas du projet de rapport pour les écrire, ni même de la liste des recommandations ?

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En effet. Cela étant, l'objet d'une contribution est de dire ce que l'on retient des travaux qui ont été menés ; elle n'a pas pour finalité de compléter, d'amender ou de contredire le rapport.

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Sera-t-il possible de consulter à nouveau le rapport avant la remise de la contribution ?

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En notre qualité de membres de la commission, nous avons accès au rapport, mais je ne sais pas exactement quelle forme pourra prendre cette consultation.

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J'ai réalisé un fascicule contenant l'introduction du rapport, le résumé des chapitres et la liste des propositions, que je mets à votre disposition. Je comprends que le rapport intégral doive rester au secret pendant ces cinq jours, mais pour le reste, ce sont des secrets de Polichinelle. Au cours de la conférence de presse, nous n'allons pas parler que de l'esprit et de la méthode ! Nous évoquerons nos pistes de réflexion, qui ne sont guère éloignées des propositions du rapport. On se souvient d'ailleurs de leaders de la majorité qui se sont rendus sur les plateaux de télévision dans les minutes qui ont suivi la fin d'une commission d'enquête – on a même vu des gens dans les médias avant l'adoption du rapport de la commission d'enquête sur le nucléaire, qui touchait pourtant à la défense nationale ! Le président est dans son rôle lorsqu'il rappelle les règles mais en pratique, le rapport, dès lors qu'il est adopté, devient un objet de communication publique. Personne n'intentera un procès à celui qui en communique des éléments synthétiques, encore moins dans un domaine comme le nôtre, qui ne touche pas vraiment à la sécurité nationale. Le délai de cinq jours, dans les faits, n'est pas respecté.

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Ces dispositions liées au secret couvrent toutes les commissions d'enquête, mais s'entendent plutôt pour celles qui touchent à des enjeux de sécurité nationale. Il faut simplement avoir conscience des règles textuelles auxquelles nous sommes tenus.

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La conférence de presse portera évidemment sur votre analyse et vos recommandations. Ce ne sont pas le nombre de personnes auditionnées et la méthodologie suivie qui retiendront l'attention des journalistes !

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Je précise tout de même que les journalistes réagiront à ce que nous leur dirons et qu'ils n'auront pas le rapport sous les yeux.

Je laisse maintenant le rapporteur nous présenter son travail.

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Monsieur le président, je me félicite de la qualité de la collaboration que nous avons nouée au cours de ces six mois. Nous avons eu le souci commun de ne pas faire le buzz ni chercher à alimenter des débats conflictuels. Nous nous sommes efforcés de mettre au jour tous les aspects de la question afin de nourrir le débat public de manière apaisée. Je salue les commissaires, qui ont été particulièrement présents au sein de cette commission d'enquête – ce fut un véritable marathon, tant au regard du nombre des auditions que de leur durée. Je salue cet exercice démocratique, consciencieux, au service de la recherche de la vérité et de l'intérêt général.

Tout député d'opposition que je suis, j'ai examiné avec un regard bienveillant et un a priori positif le lancement par le Gouvernement des consultations sur le quatrième plan Écophyto, en lui faisant crédit de sa sincérité. Le rapport n'est pas dépourvu d'esprit critique mais se veut une contribution utile à cette concertation, qui doit être menée jusqu'en janvier prochain. Grâce à ce calendrier particulièrement heureux, le débat sera nourri par nos travaux et nos différentes contributions. Je salue l'engagement parfois héroïque de l'administration de l'Assemblée, qui nous a permis de terminer notre ouvrage, dense et ambitieux, dans les délais impartis.

Le choix d'un rapporteur, c'est d'abord celui d'un plan, pour organiser et hiérarchiser la connaissance acquise. Je vais donc vous présenter de manière synthétique les différentes parties du rapport.

La volonté du groupe Socialistes de créer cette commission d'enquête reposait sur un double constat. Le premier est le décalage entre les objectifs affichés – une diminution de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires, proclamée en 2009 et réaffirmée en 2014, 2018 et 2023 – et les résultats obtenus – une légère baisse de la quantité des substances actives et une légère hausse du nombre de doses unité (Nodu). La seule victoire que l'on a remportée est la diminution de la toxicité des produits mis sur le marché, avec une baisse phénoménale de l'usage des CMR (substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) de catégorie 1, qui sont les plus toxiques, et une diminution significative de l'emploi des CMR 2. Ces deux succès ne sont pas dus aux plans Écophyto mais au régime d'autorisation que nous avons adopté et renforcé notamment en 2014. C'est ce dernier qui nous a permis d'avancer, pas le plan Écophyto.

Le deuxième constat est le fait que le système européen et français, fondé sur l'interdiction de la diffusion de molécules toxiques dans l'environnement et le respect par les pouvoirs publics de l'évaluation des autorités scientifiques, fait l'objet de débats au sein de la société civile et du monde politique. Ce système est, sinon en danger, du moins questionné.

Nous avons mené nos travaux dans plusieurs directions. Nous avons documenté les effets des produits phytosanitaires sur les différents compartiments de l'environnement et de la santé. Nous avons autopsié le régime d'autorisation français et européen, afin d'identifier les moyens de l'améliorer et de renforcer sa crédibilité. Nous nous sommes livrés à une analyse pour ainsi dire clinique de l'action de la puissance publique, mettant en lumière son incurie – des dizaines, voire des centaines de millions ont été dépensés depuis 2009, pour des résultats qui ne sont absolument pas à la hauteur des espérances. Nous nous sommes interrogés sur les raisons de cette impuissance. Enfin, au-delà de la puissance publique, nous avons cherché à identifier les déterminants de l'économie agricole qui créent la dépendance à la phytopharmacie. Nous nous sommes penchés sur la chaîne de valeur de la phytopharmacie ainsi que sur l'économie agricole et les leviers de marché.

L'originalité du rapport réside surtout, à mes yeux, dans l'étude des marges de manœuvre permises par les leviers de marché, en tant qu'ils peuvent influer sur l'agroécologie, et l'analyse approfondie – y compris d'un point de vue scientifique et philosophique – des régimes d'autorisation.

La première partie dresse un état des lieux des effets des produits phytosanitaires. Le rapport de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de 2021, qui constitue la principale arme scientifique – et l'une des seules – déployée par le ministère de la santé, confirme les liens de causalité entre un certain nombre de maladies, notamment neurodégénératives, qui affectent les adultes comme les enfants, et l'exposition aux pesticides.

Les alertes sur l'eau sont sans doute celles qui nous ont le plus impressionnés. Il n'y a pas vraiment davantage de pollution diffuse agricole, mais l'effet cumulé des stress hydriques crée un phénomène de concentration. Quelque 4 300 captages ont été fermés au cours des vingt dernières années, et des milliers sont menacés dans les années à venir en raison de cette absence de dilution. Nous avons entendu à deux reprises les agences de l'eau, et les scientifiques nous l'ont réaffirmé : il s'agit sans doute de la menace principale sur l'eau.

La pollution diffuse crée deux types de problèmes. Le premier est le coût de la réparation, évalué entre 500 millions et 1 milliard d'euros annuels. Cela représente un surcoût estimé entre 0,5 et 1 euro par mètre cube sur les territoires exposés à des pratiques critiques conduisant à de la pollution diffuse, dont les ressources en eau sont fragiles. Cela concerne environ un tiers de la France. M. le ministre Christophe Béchu nous a indiqué qu'il allait demander notamment à l'Inspection générale des affaires sociales de réaliser une étude pour mieux chiffrer cet impact sur l'eau.

Le deuxième problème, celui qui m'a le plus impressionné, tient aux conséquences pratiques considérables de ce phénomène en termes d'aménagement du territoire. Les communautés urbaines ou autres établissements publics de coopération intercommunale d'une dimension importante, qui assurent la gestion d'un grand volume d'eau, pourront organiser un système de traitement des eaux, même si le financement posera une difficulté. En revanche, comme me l'ont confirmé les agences de l'eau, ce traitement sera inaccessible aux communautés rurales, y compris en cas de compétences partagées et même lorsque la population concernée atteint 10 000 ou 20 000 habitants, car il sera tout simplement impossible d'implanter des usines de potabilisation. Les territoires ruraux pourraient ainsi devenir dépendants pour leur eau potable d'autres territoires, pas nécessairement urbains, au prix d'infrastructures onéreuses et surtout d'un problème culturel majeur.

Ce sujet de l'eau potable, que l'on ne peut pas occulter, fait l'objet d'un septième chapitre du rapport, qui recommande d'accélérer notamment en matière de protection des captages. On ne peut pas continuer comme cela. Nous transmettrons nos documents à la mission d'information qui se penche actuellement sur le sujet.

Les effets des produits phytosanitaires sur l'air sont ceux qui ont été les moins étudiés. Il est difficile d'obtenir des données et d'élaborer une doctrine sur ce sujet comme on l'a fait sur l'eau : dans le domaine de l'air, nous sommes quasiment dans l'inconnu. Il est de notre devoir d'acquérir progressivement, méthodiquement, des données et de concevoir une doctrine équivalente à celle de l'eau. Il serait bon de lancer ce chantier durant la législature. Le sujet ne mérite peut-être pas d'être diabolisé mais, pour l'heure, nous n'en savons rien.

Concernant le sol et la biodiversité, il n'y a pas de contradiction, à nos yeux, entre la diminution de l'usage des produits phytosanitaires et la lutte contre le dérèglement climatique. Les rapports du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) comme les autres études scientifiques et les personnes que nous avons auditionnées indiquent que la santé des sols est une des solutions à la crise climatique, par le biais de la captation du carbone ; elle est également une garantie de fertilité à terme. Des sols érodés et dégradés ne jouent pas le même rôle de puits de carbone d'une part, et deviennent moins productifs et plus dépendants aux intrants chimiques d'autre part. La santé des sols et la biodiversité sont donc non seulement une assurance climat mais aussi une assurance sécurité alimentaire pour ceux qui viendront après nous.

Concernant les propositions, nous nous sommes focalisés sur le fonds Phyto Victimes, dont nous saluons tous le déploiement, tout en regrettant la lenteur du processus. Des mesures s'imposent pour renforcer sa visibilité et permettre, autant que faire se peut, la réparation des dommages de la phytopharmacie. Par ailleurs, nous recommandons qu'un effort permanent soit engagé pour que les travailleurs de la terre exposés à ces produits – dans les coopératives, le négoce, l'agroalimentaire… – soient mieux protégés à l'avenir.

La deuxième partie du rapport est consacrée au régime d'autorisation, qui est l'objet de deux types de critiques. Le premier vient de l'écologie politique au sens large, qui estime que ce système est sous influence, de l'agrochimie en particulier. Le deuxième type de critiques émane des secteurs économiques qui subissent les conséquences du retrait des molécules. Ceux-ci considèrent que l'analyse bénéfice-risque ne peut être faite par celui qui a évalué le risque et que la gestion de ce dernier revient au politique, qui doit arbitrer entre souveraineté alimentaire et risque environnemental et sanitaire. Ces critiques portent sur le régime d'autorisation que nous connaissons, largement confié à l'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) et à l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).

Au passage, le transfert de la décision d'autorisation de mise sur le marché des produits du ministre au directeur de l'Anses n'a pas changé grand-chose, comme Stéphane Le Foll l'avait d'ailleurs indiqué. En effet, dès lors que l'évaluation scientifique a conclu à la dangerosité du produit, il est impossible, en vertu du droit européen, de le laisser en circulation. Le ministre a la faculté de réinterroger l'Anses, comme il l'a fait récemment à propos du S-métolachlore, et il peut, en application de l'article 53 du règlement européen concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, autoriser une dérogation de 120 jours. Rien d'autre ne serait conforme au droit européen.

Le débat qui a lieu sur la question aboutit donc, in fine, à remettre en cause le droit européen et la capacité de décision de l'autorité scientifique. C'est un sujet passionnant. À mes yeux, la mission première du politique est de définir le cahier des charges de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas. Il s'agit de savoir à quel prix on est prêt à maintenir une pratique agricole ou à sauver un élément de souveraineté alimentaire, autrement dit quels effets sanitaires sur la communauté on est disposé à accepter. Il faut fournir un cahier des charges aux agences sanitaires. Mais si, à l'occasion de l'examen de chaque molécule, de chaque produit, l'intérêt économique d'une filière est opposé à celui des victimes indirectes ou indirectes, on ne s'en sortira pas. La décision politique qui fixe le niveau du risque acceptable ne doit pas être prise en opportunité mais reposer sur des principes applicables à l'ensemble des molécules et des produits.

En attendant, nous avons proposé plusieurs pistes d'amélioration à court terme. La première a trait aux interactions entre les sciences réglementaires, celles qui s'imposent aux industriels présentant une molécule ou un produit, et les sciences académiques, plus fondamentales et exploratoires. Nous recommandons que les lignes directrices de la science réglementaire soient révisées de manière continue en fonction des avancées des sciences académiques et que ces dernières soient mieux prises en compte dans l'évaluation des risques.

La science réglementaire, c'est l'application à l'instant T de la science académique. Cette dernière évolue, par exemple s'agissant des effets des mélanges entre coformulants et molécules, ou encore du concept d'exposome selon lequel nous ne sommes pas seulement soumis aux effets d'une molécule ou d'un produit mais à une multitude d'expositions – qui ne sont pas toutes d'origine agricole : par exemple, des biocides entrent en ligne de compte, qui n'ont rien à voir avec le milieu agricole. L'exposome constitue une nouvelle approche scientifique de la multi-influence de la chimie sur le corps humain tout au long de la vie. La science réglementaire doit évoluer en conséquence. Une autre piste d'amélioration a trait à la prise en compte des mélanges et des coformulants.

Par ailleurs, le soupçon relatif à l'existence de conflits d'intérêts concernant certains chercheurs ou scientifiques est un poison. Je ne vous dirai pas que l'ILSI (International Life Sciences Institute), qui représente l'industrie agroalimentaire et agrochimique, n'est pas influente à l'échelle européenne : divers comités scientifiques ou parascientifiques, qui en émanent, établissent des normes, des taux de soutenabilité, etc. L'influence des lobbies est incontestable, et des chercheurs sont parfois confrontés à des conflits d'intérêts.

Le système actuel est déclaratif : les chercheurs doivent faire part des collaborations qu'ils ont nouées avec une industrie privée. Nous proposons d'étendre à la phytopharmacie la règle applicable au médicament, à savoir l'obligation, pour les industriels, de déclarer tous les experts avec lesquels ils ont travaillé. Ce double fichier permettrait au comité de déontologie de l'Anses et de l'Efsa de s'assurer que tel ou tel scientifique dont le recrutement est envisagé pour examiner une molécule ou un produit n'a pas été en relation avec une firme phytopharmaceutique ayant des intérêts en la matière. Ce renforcement de la transparence compléterait les efforts remarquables déjà accomplis par l'Anses – je souhaite à toutes nos institutions d'être capables du niveau d'exigence de vérité dont elle a fait preuve dans son rapport sur la crédibilité de l'expertise scientifique, où elle s'est autocritiquée de façon cinglante et a reconnu des erreurs manifestes. La mesure que nous proposons pourrait être facilement introduite en droit français par la voie réglementaire, et nous appelons de nos vœux son institution à l'échelle européenne.

La troisième partie aborde la question de la recherche et développement et met en évidence une sorte de grande fracture. Dans le rapport que j'avais eu l'honneur de rendre au Premier ministre en 2014, nous mettions l'accent sur le déficit de recherche : cinq ans après le Grenelle de l'environnement, la machine à fabriquer des idées et à explorer des solutions n'était pas en route. Nous constatons qu'un véritable effort a été entrepris depuis, avec constance et quelles que soient les tendances politiques. Antoine Herth, par exemple, avait rendu au Premier ministre un rapport très documenté sur le biocontrôle et les biotechnologies.

Sous l'effet de cette mobilisation, la recherche actuelle est puissante. Elle explore des champs nouveaux dans les technosolutions : la robotique, le numérique, les sciences de la génétique qui sont très prometteuses, à condition que nous prenions quelques précautions. Il y a aussi une recherche sur les agrosystèmes, effectuée par des laboratoires d'idées et aussi par des organismes scientifiques, en premier lieu l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). Nous proposons de l'élargir vers la science du paysage et des mosaïques paysagères, ou vers la sociologie agricole – peu utilisée alors que ce sont bien des hommes qui vont trouver les solutions et les appliquer selon des modalités qui réclament des connaissances en la matière. Il reste encore des manques dans deux ou trois domaines, qui pourraient être facilement comblés.

Globalement, l'effort de recherche a donc été produit. Les instituts techniques agricoles jouent leur rôle. Nous proposons d'accroître un peu leurs dotations – il ressort de mes échanges fructueux avec Arvalis-Institut du végétal et Terres Inovia qu'avec quelques millions de plus par an, ils pourraient mieux coopérer avec la science fondamentale et préparer la concrétisation des solutions, dans la vigne, dans la betterave ou ailleurs. L'exemple de la betterave illustre d'ailleurs parfaitement l'efficacité d'un plan national de recherche et d'innovation dans la recherche appliquée.

Le problème est que tout cela n'arrive pas jusqu'aux agriculteurs. Ils n'ont même pas à arbitrer avec les autres injonctions économiques et pratiques auxquelles ils sont soumis : ces propositions ne leur parviennent tout simplement pas. Le continuum recherche-développement est complètement raté.

Au cours de la période 2014-2017, le législateur avait inventé le certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), à l'époque où Stéphane Le Foll était ministre de l'agriculture. Vous remarquerez au passage que dans le rapport, mis à part pour les auditions, je ne nomme aucun ministre ou Président de la République, afin de neutraliser l'effet politicien : je me contente de la fonction – chacun pourra y accoler les noms correspondants ; moi, je n'ai pas voulu aller sur ce terrain. Mais ici, à huis clos, je me permets de donner la position de Stéphane Le Foll, en 2014, face à l'échec du plan Écophyto.

Deux ou trois solutions très lourdes étaient alors sur la table. La première était une taxation signal prix, consistant à taxer à 100 % les produits phytosanitaires, ce qui reviendrait à en doubler le prix. Aujourd'hui, cela les ferait passer de 2,2 à 4,4 milliards d'euros, la différence étant reversée aux agriculteurs selon des modalités diverses. Cette taxation massive visait à décourager par le prix afin de changer les pratiques, tout en maintenant le revenu des paysans. Stéphane Le Foll avait écarté cette mesure brutale et radicale, psychologiquement difficile à accepter.

Deuxième solution : une ordonnance obligatoire pour délivrer un produit phytosanitaire, comme il en existe pour les produits vétérinaires, le prescripteur s'engageant à indiquer les doses adéquates et les moments opportuns pour en faire usage. Cette mesure avait également été écartée, pour les mêmes raisons.

Troisième solution : une méthode d'« empowerment » consistant à demander aux vendeurs de produits phytosanitaires de trouver eux-mêmes des solutions alternatives, qui a conduit à créer les CEPP. Contrée d'abord par un recours contentieux, cette solution a été ensuite remplacée par une autre, qui figurait dans le programme présidentiel d'Emmanuel Macron : la séparation du conseil et de la vente, idée qui vient du monde de l'écologie, de France nature environnement. Ce fut un véritable accident industriel – nous l'avons documenté avec Stéphane Travert, et nul ne le conteste plus.

Avec la séparation du conseil et de la vente, les pratiques ont continué comme avant, avec l'insécurité juridique en plus. En outre, cette initiative a tué les CEPP puisque les vendeurs de produits phytosanitaires ne pouvaient plus donner de conseils pour trouver des méthodes alternatives. Enfin, le conseil stratégique, antidote au conseil privé, a été aussi été un échec : cinq ans après l'adoption de la loi Egalim (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), on n'atteint pas les 20 % de paysans ayant suivi ce conseil et nous allons devoir reculer l'échéance prévue. Nous avons été incapables de créer un conseil stratégique qui vienne rééquilibrer le conseil des vendeurs.

Bref, il y avait un début de solution, qui a été ruiné. Nous proposons donc d'en finir avec la séparation du conseil et de la vente et de responsabiliser les acteurs en restaurant le régime de sanctions prévu initialement pour les CEPP – le vendeur ayant l'obligation de trouver des solutions alternatives à la phytopharmacie. Nous proposons aussi de créer un service public universel d'agronomie, financé notamment par une taxation des produits phytopharmaceutiques. Il faudrait déployer quelque 1 000 ingénieurs agronomes sur le territoire pour que les agriculteurs puissent avoir accès à ce conseil pendant deux demi-journées par an – le rythme de deux fois tous les cinq ans paraissant insuffisant. L'agriculteur bénéficiera ainsi à la fois d'un conseil privé, mais responsabilisé et redevable – il vaut mieux miser sur la responsabilité puisque ce conseil existe de toute façon et qu'il est impossible de mettre un gendarme derrière chaque vendeur – et d'un conseil agronomique public, déployé massivement par les chambres d'agriculture. À raison de deux demi-journées par an et par agriculteur, le coût de ce service est estimé à 70 millions d'euros.

En quatrième partie, nous nous sommes demandé comment les aides publiques pouvaient constituer un levier de la transition agroécologique et participer à la baisse de l'usage des produits phytopharmaceutiques. Nous suggérons une révision du plan stratégique national (PSN), déclinaison française de la PAC, partant de différentes hypothèses. Un transfert de 500 millions d'euros permettrait de soutenir les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), d'apporter les 160 millions qui manquent à l'agriculture biologique et de réformer le cahier des charges de la certification HVE (haute valeur environnementale) pour qu'il réponde à l'exigence d'une diminution de 50 % de l'usage de produits phytopharmaceutiques – il est d'ailleurs parfaitement incohérent que ce ne soit pas déjà le cas.

En jouant sur tous ces dispositifs du PSN, on mobilise environ 3 % des crédits publics totaux de l'agriculture. Vous trouverez le détail dans le rapport, où nous revenons sur les objectifs des premier et second piliers de la PAC. Rappelons cependant que trois mesures permettent d'asseoir une véritable transition agroécologique : la conditionnalité des aides ; les écorégimes du premier pilier ; le développement rural du second pilier, qui comporte les aides à la conversion vers l'agriculture biologique ainsi que les Maec. Ces 3 % de réorientations de crédits permettent de dégager les moyens attendus par ceux que nous avons auditionnés afin de préserver les systèmes vertueux et économes en produits phytosanitaires. C'est un minimum.

Nous proposons aussi de reprendre le fil d'une aide différenciée de la PAC en fonction de la taille des exploitations afin d'accompagner la relève générationnelle. Interrompu en 2013 sous la pression syndicale, ce processus nous paraît vertueux car de nature à favoriser une politique d'installation : l'agroécologie ne peut exister sans hommes et femmes nombreux sur nos territoires pour la mettre en pratique, sachant que tous les systèmes d'agrandissement conduisent à des spécialisations absolument contraires au dessein que nous poursuivons.

J'en viens à notre cinquième partie, qui traite des leviers privés – les leviers de marché. Nos principaux concurrents sont européens, espagnols pour l'essentiel. Il existe des distorsions de concurrence, souvent exagérées, mais réelles. À court terme, nous proposons une méthode de résolution des écarts à l'échelle européenne. Pour le moyen terme, nous avons l'audace de penser qu'une harmonisation européenne de l'autorisation des molécules mais aussi des produits serait de nature à radicalement réduire nos distorsions de concurrence avec nos voisins européens dans un marché unique. Sans cette harmonisation complète du marché et du droit, il n'y a plus de marché européen.

S'agissant des concurrences internationales, qui pourraient être amplifiées par le Mercosur (Marché commun du Sud), nous faisons deux propositions originales. La première, qui nous a été soufflée lors des auditions, vise à refuser toute présence résiduelle d'un pesticide interdit en Europe dans un produit importé. On n'importe pas des pesticides interdits en Europe, même à dose résiduelle. C'est une tolérance zéro, une barrière claire posée à l'échelle de l'Union européenne pour protéger nos producteurs et nos consommateurs.

La deuxième, qui est de mon initiative, tend à inscrire des mesures miroir dans le droit européen selon une modalité originale. Tout le monde parle de ces mesures miroir, sans trop savoir ce que cela veut dire ni comment cela peut fonctionner. La question est la suivante : dans les faits, quel inspecteur français ou européen peut aller contrôler en Amérique du Sud, en Océanie ou à Singapour les conditions de production, de transformation et de commercialisation d'un produit ? Ce que nous proposons, c'est d'inverser la charge de la preuve : c'est à l'importateur de prouver, par le biais d'un certificateur agréé par l'Union européenne, que le produit respecte des conditions de production sociales et écologiques conformes au droit européen.

Qu'en est-il des leviers sur le marché intérieur ? Citons les marchés publics : le marché de la restauration hors domicile avec la loi Egalim, la loi « climat et résilience – autant d'outils qu'il faut réactiver. De manière plus originale, nous proposons d'explorer l'amont de l'agriculture – le machinisme agricole et les intrants chimiques. Grâce à l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, nous sommes tous capables de nous faire une idée des marges bénéficiaires de distributeurs tels que Leclerc ou Carrefour ou de groupes industriels tels que Lactalis ou Coca-Cola. Sur ce sujet, s'est instauré un débat politique nourri par des statistiques. En revanche, l'amont de l'agriculture reste une boîte noire, que nous proposons d'ouvrir en élargissant les compétences de l'Observatoire dans ce domaine. Peut-être découvrirons-nous que le surcoût d'un produit alimentaire s'explique par les marges indécentes réalisées par les fabricants de machines agricoles ou d'intrants chimiques.

À cet égard, les contrôles sur pièces que j'ai effectués à Bercy concernant les majors de l'agrochimie m'ont laissé pantois : payer 110 millions d'euros d'impôt sur les sociétés pour 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires suppose soit une très faible rentabilité, soit un transfert de coûts massif. Je vous laisse imaginer l'hypothèse qui est la mienne. En outre, la moitié de ces impôts est récupérée sous forme de crédit d'impôt recherche (CIR) dont l'usage n'est pas orienté – on ignore s'il va être consacré à des molécules douteuses ou vraiment intéressantes d'un point de vue technoscientifique. Outre le débat plus général sur le CIR, on peut tout de même s'interroger sur les marges bénéficiaires et la fiscalité des grands groupes qui réalisent 90 % du commerce de la phytopharmacie dans notre pays, quand on voit qu'ils ne paient en définitive qu'un peu moins de 60 millions d'impôt sur les sociétés. Avant de hurler contre la redevance pour pollutions diffuses, on pourrait s'intéresser aux marges indécentes dégagées par ces opérateurs. Le chantier est ouvert.

La sixième partie touche à la gouvernance du plan Écophyto. Sans exagérer, je l'ai décrit comme un véhicule sans pilote, sans radar et sans tableau de bord. Les données relatives aux usages arrivent avec un an ou deux de retard et sont peu analysées ; les actions sont peu évaluées ; nombre de projets ne vont pas à leur terme ; la gouvernance interministérielle est peu opérationnelle. Ces critiques ne sont pas exagérées : les rapports d'inspection dressent le même constat, avec des mots parfois plus cruels. Il faut lire le rapport rédigé notamment par Anne Dufour, « Évaluation des actions financières du programme Écophyto », ou les rapports dressant le bilan de la séparation du conseil et de la vente : ils sont accablants pour la puissance publique. Le plan Écophyto n'est pas piloté et l'utilisation de ses crédits – quelque 70 millions d'euros – n'est pas coordonnée avec celle des montants alloués à la réduction des pesticides – environ 600 millions – et encore moins avec celle des 16 milliards dévolus à l'agriculture. Il y a un manque d'alignement, de redevabilité, d'efficience des politiques publiques.

Pour libérer le ministère de l'agriculture des réseaux d'influence, nous proposons que ces politiques soient placées, au moins à titre provisoire, sous l'égide du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et donc de Matignon. Cela permettra de se confronter à un réel défi – car la question demeure : la sécurité alimentaire sera-t-elle garantie si l'on atteint l'objectif de réduction de 50 % de l'utilisation de produits phytosanitaires ? Ce pilotage permettra d'envisager la question de manière globale et sous tous ses aspects – souveraineté alimentaire, utilisation de la biomasse pour l'énergie et pour d'autres fonctions – alors que les différents ministères ont actuellement tendance à tirer à hue et à dia.

Quels montants faudrait-il mobiliser pour engager cette transition écologique qui permettra de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires ? L'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et nombre de chercheurs – y compris les plus audacieux – citent le chiffre de 1 milliard d'euros. Pour compléter les 250 millions prévus par Marc Fesneau dans le budget pour 2024 afin d'accompagner les producteurs dans cette transition, nous proposons de créer un fonds miroir pour l'agroalimentaire. On ne peut atteindre l'autonomie en protéines – qu'elles proviennent de céréales, d'oléagineux ou de protéagineux – si l'on ne développe pas toute la filière, de la collecte à la valorisation.

Il faut donc que le secteur agroalimentaire change. Pourquoi les paysans ne produisent-ils pas ces sources de protéines alors qu'elles sont un élément clef de l'allongement des rotations et de la diversification des cultures de nos territoires ? D'une part, ils n'ont pas de commande pour l'alimentation du bétail présent dans les deux tiers du pays : les producteurs de lait et de viande achètent du soja le moins cher possible mais pas les protéines que l'on pourrait produire en France. D'autre part, il n'y a pas de circuit organisé concernant les protéines destinées à l'alimentation humaine – on ne sait pas, par exemple, collecter, trier et valoriser le méteil. Il faut aider les paysans et tout le secteur agroalimentaire à évoluer, en créant deux fonds de 500 millions, qui s'ajoutent au budget supplémentaire que l'on préconise de déployer sur le PSN. Cette somme de 1 milliard peut apparaître impressionnante à première vue, mais beaucoup moins si on la compare aux 16 milliards consacrés à l'agriculture. Il s'agit donc de faire bouger 6 % du budget national dédié à l'agriculture.

Venons-en à l'eau et aux questions de captage. L'arsenal législatif comporte deux mesures importantes : les obligations réelles environnementales et les zones soumises à contrainte environnementale. Or elles sont peu appliquées car elles relèvent des préfets, dont la main a tendance à trembler : soumis à des pressions locales contradictoires, ils ont du mal à trancher. À un moment où il n'est plus possible de tergiverser, il faut un processus de décision plus vertical qui permette de protéger les captages. Il ne s'agit pas d'exclure les paysans ; mais il est possible de compenser la perte éventuelle de terres en redistribuant une part des 10 millions d'hectares qui vont se libérer dans les années à venir.

Quoi qu'il en soit, il n'est plus possible d'accepter que les périmètres de captage soient soumis à la capacité de négociation d'un propriétaire ou d'un exploitant. Nous avons même l'audace de dire qu'il faut aller au-delà du droit de préemption, qui a déjà été renforcé dans l'arsenal législatif, afin d'assurer la protection de la ressource en eau potable. Nous préconisons d'instaurer un droit d'expropriation, vu comme une arme de négociation ou de dissuasion, concernant des périmètres sensibles où la sécurité de notre alimentation en eau potable pourrait être menacée.

Rappelons que personne n'a jamais été privé de sa terre sans recevoir de larges compensations permettant le cas échéant de continuer à être paysan. Le caractère sacré de la propriété est reconnu dans notre Constitution, mais celui de nos biens communs doit aussi être pris en compte. Sur une partie des sols français, c'est l'intérêt général qui doit prévaloir sur le droit à la propriété privée. L'expropriation doit donc être envisagée comme une arme dissuasive quand toutes les autres voies de négociation sur une compensation ou une contractualisation ont été épuisées. Il ne s'agit pas de racheter des terres à tout-va, mais de prévoir un moyen de sortir des situations d'impasse et d'éviter que des populations se retrouvent privées d'eau potable à l'avenir.

Pardon pour cette présentation un peu longue, monsieur le président.

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L'exercice n'était pas facile, la matière étant très dense.

Avant de lancer les échanges, je souhaiterais évoquer un point particulier, celui du régime d'autorisation, qui conduit à distinguer analyse et gestion du risque. La gestion du risque est une prérogative des États membres : l'Efsa n'a qu'une mission d'analyse et d'évaluation. Lorsque l'Efsa approuve – et non pas autorise – une molécule, elle considère que l'exposition au danger est gérable par les États membres, sans nier que le principe actif peut être dangereux. Il revient ensuite aux États membres d'interdire ou d'autoriser les produits contenant cette molécule approuvée.

En France, cas unique, il a été décidé de fusionner l'analyse et la gestion du risque au sein d'une agence indépendante, l'Anses. L'indépendance de cette instance permet de renforcer la confiance des citoyens dans les décisions qu'elle prend. Le revers de la médaille est que cette décision peut renforcer le discrédit du politique.

Il faut garder à l'esprit la séparation des deux missions, évaluation et gestion du risque. Prenons l'exemple de la cancérogénicité, que j'ai trouvé particulièrement riche d'enseignements. Sur le plan académique, la cancérogénicité ne fait pas l'objet d'un consensus scientifique international. D'après les lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est admise comme cancérigène, une molécule qui altère l'ADN du noyau des cellules. La perturbation du métabolisme cytoplasmique, c'est-à-dire le fonctionnement de la cellule, n'est pas jugée comme une preuve suffisante de cancérogénicité. Mais nous avons auditionné Laurence Huc, toxicologue et directrice de recherche à l'Inrae, qui, elle, prétend le contraire : elle affirme que des produits sans effet sur l'ADN mais qui perturbent le fonctionnement de la cellule sont cancérigènes. Voilà qui fait l'objet d'une controverse scientifique, et non politique.

L'une des recommandations du rapporteur vise à réduire l'écart entre toxicologie réglementaire et toxicologie académique. Il s'agit de faire en sorte que les lignes directrices, qui s'appliquent en particulier aux études demandées aux industriels, intègrent plus rapidement la recherche académique et l'avis de toxicologues comme Laurence Huc qui apportent la contradiction – en l'espèce, une contradiction qui porte sur la définition même du danger. Certaines personnes auditionnées contestent la définition du danger par l'Efsa, d'où le débat sur l'écart entre la réglementation et la recherche académique.

La gestion du risque, c'est encore autre chose. Elle doit répondre à d'autres questions : qu'est-ce qui est acceptable ? L'exposition au danger est-elle gérable, et si c'est le cas, de quelle manière ? Au passage, je remercie le rapporteur d'avoir soulevé ce débat sur lequel nous n'étions pas forcément en phase au départ. J'ignore d'ailleurs la manière dont les groupes se positionnent par rapport à cette question compliquée. Que va-t-on juger opportun de tolérer comme exposition au danger, en fonction de paramètres nombreux et variés – souveraineté agricole, revenu des agriculteurs, compétitivité économique, dangers pour la santé humaine ou les sols ?

Cette décision politique engage la responsabilité du décisionnaire. Devant qui cette responsabilité est-elle assumée ? Une telle décision peut-elle être prise par un organisme à ce point indépendant qu'il n'est responsable devant personne ? La question se pose et, à titre personnel, je trouve que les termes dans lesquels elle est posée sont très corrects, compte tenu de la grande complexité du sujet.

Revenons un instant sur l'exemple du glyphosate, qui est très emblématique. Le principe actif est une petite molécule de dix-huit atomes, dont on connaît bien le mécanisme d'intervention sur une enzyme qui s'appelle l'EPSP synthase, présente uniquement dans les chloroplastes, c'est-à-dire dans le règne végétal. Les chloroplastes n'existent pas dans les cellules animales, mais des recherches portent sur une possible intervention de cette molécule dans le métabolisme des cellules animales – pas l'ADN, le métabolisme. Il y aurait donc un lien possible avec des cancers rares, donc une cancérogénicité classée comme probable par le Centre international de recherche sur le cancer. Or, concernant l'exposition à ce danger, nous manquons de connaissances sur la prévalence des cancers en question. Grâce à Laurence Huc, j'ai appris qu'il n'y a pas en France de consolidation de tous les traitements par chimiothérapie. Certains cancers sont connus et très suivis, d'autres pas du tout.

L'exposition à ce danger est donc à questionner, ce qui implique une décision politique. En attendant, la SNCF a remplacé le glyphosate par l'acide pélargonique, ce qui a fait passer le coût du désherbage de 110 à 270 millions d'euros, sachant que le nouveau produit est plus nocif pour les sols que l'ancien – ça, c'est avéré. Cette décision a été prise en raison d'une possible exposition à un danger sanitaire pour la santé humaine, mal documenté car on ne connaît pas bien la prévalence des cancers rares possiblement liés au glyphosate, et sur la base d'une preuve qui fait l'objet d'une controverse à l'intérieur même du milieu scientifique, puisque tous ne s'accordent pas sur le caractère cancérogène du glyphosate sachant qu'il n'intervient pas directement sur l'ADN des cellules animales.

Le but de mon propos un peu technique est de rendre compte de la complexité du sujet et d'expliquer la prudence avec laquelle nous interrogeons le modèle français de fusion entre analyse et gestion du risque. Comme l'a dit le rapporteur, la gestion du risque, qui implique de décider ce qui acceptable ou non, autrement dit de définir ce qu'est l'intérêt général, est une décision par nature politique. Le fait de poser cette question de manière ouverte, sans plus de préconisations, est le gage du sérieux de notre approche.

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Je me permets de vous recommander la lecture du rapport sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux produit par notre collègue Philippe Bolo et d'autres pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il s'agit de travaux ardus mais remarquables, qui ne sont pas centrés sur l'agriculture mais étendus à tous les polluants chimiques.

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D'après son titre, notre commission d'enquête portait « sur les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. »

Sans revenir en détail sur la controverse concernant les indicateurs, je rappelle que le ministre et vous-même, monsieur le rapporteur, avez admis les limites de deux outils, la quantité de substances actives et le Nodu. Malgré cela, vous avez fait état dans votre présentation d'une absence de résultats probants et la page 36 de votre rapport titre : « Une évolution des usages peu convergente avec la trajectoire de réduction annoncée ».

Le défaut de ces indicateurs, pour faire court, est d'avoir une approche quantitative et non pas qualitative. Page 38, vous écrivez : « Entre 2009 et 2021, la part des quantités de substances actives vendues classées CMR a ainsi diminué de moitié, passant de 29,2 % à 11,3 %. Pour les substances classées CMR 1 – les plus dangereuses, les ventes sont passées de 5 000 tonnes en 2018 à 780 tonnes en 2021, soit une baisse de 85 % sur une période de 4 ans. » Le ministre nous a même indiqué que la baisse était de 93 % depuis 2016.

Malgré cela donc, vous concluez à une absence de résultats probants. C'est un premier élément qui rend difficile notre soutien au rapport : tout ce qu'on va en retenir, c'est que les efforts de réduction de l'usage de produits phytosanitaires ont conduit à un échec, alors que l'agriculture française a accompli la performance de réduire de 93 % l'usage des substances classées CMR 1 – à l'effet cancérigène avéré – depuis 2016. Ces efforts et ces sacrifices considérables vont être occultés par les conclusions de votre rapport.

Les plans Écophyto n'ont pas permis la réduction de l'usage des substances classées CMR 1, dites-vous. C'est parce que ces plans, comme le Grenelle de l'environnement, se réfèrent à un indicateur, le Nodu, qui ne prend pas en compte l'aspect qualitatif, la problématique particulière de certains produits. Dans le rapport, vous répétez l'erreur qui consiste à englober tous les produits chimiques, quelle que soit leur problématique, dans cet objectif de réduction de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires, sans faire cas de leur éventuelle appartenance à la liste des substances classées CMR. Prenons le problème dans l'autre sens : si nous n'avions gardé que les produits classés CMR et supprimé tous les autres, l'objectif de baisse de 50 % aurait été atteint, ce qui signifie que nous aurions gagné la bataille en gardant les produits les plus dangereux. Après six mois de débats durant lesquels nous n'avons cessé de soulever ce problème, je regrette qu'on aboutisse à un rapport qui cite ces éléments tout en concluant à une absence de résultats probants.

Comme le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire d'ailleurs, je me suis demandé pourquoi l'agriculture serait le seul secteur d'activité à ne pas pouvoir utiliser de produits chimiques. À l'instar d'une certaine gauche, vous avez, vous, pris le parti de sortir du chimique, même s'il n'est pas dangereux. Au cours des auditions, nous avons entendu des interventions assez surprenantes. Le représentant de la Fondation pour la nature et l'homme a déclaré qu'il n'était pas question d'aller vers des substances chimiques, même si elles sont plus vertueuses, ni vers des biocontrôles. Benoît Biteau, député européen écologiste, nous a dit qu'il était hors de question de remplacer le chimique par la robotique. Bref nous sommes confrontés à une certaine gauche, suivie par une part de la majorité, qui est hostile au progrès technique et veut en revenir à une agriculture assez précaire, niant le défi considérable de la souveraineté alimentaire. La capacité de notre pays à assurer l'alimentation de sa population semble secondaire. C'est pourtant une question fondamentale, à laquelle vous refusez de répondre.

En revanche, vous abordez les distorsions de concurrence de façon intéressante, en faisant l'effort de proposer des solutions. Leur application semble utopique sans une remise en cause du système européen actuel, mais elles ont le mérite d'exister.

S'agissant de l'Anses, nous sommes en total désaccord. Page 81, vous écrivez : « Le principe même d'une évaluation bénéfices-risques suppose que les deux dimensions soient évaluées au sein d'une même entité. » Vous défendez ici la double compétence de l'Anses. Or le principe même d'une évaluation bénéfices-risques est de conduire à une décision de nature politique. Mme Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée du pôle Produits réglementés à l'Anses, nous a clairement indiqué n'avoir pas la marge de manœuvre pour faire une telle évaluation. Contrairement à ce que vient de dire le président, j'estime que vous fermez la porte à une remise en cause du statut actuel de l'Anses, que vous ne voulez pas voir évoluer. Vous citez même, pour la contester, la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, adoptée en première lecture au Sénat, prévoyant une récupération de la décision par l'autorité politique. Dites-nous si vous êtes prêt, oui ou non, à une quelconque remise en cause du statut de l'Anses. Ce point peut rendre difficile l'approbation du rapport.

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Même si nous y passions l'après-midi, je ne suis pas sûr de réussir à vous convaincre. Cela étant, je salue votre assiduité à nos travaux et votre lecture attentive du rapport, ce qui m'oblige à vous apporter des réponses précises.

S'agissant des indicateurs, je suis partisan de l'indicateur de risque harmonisé européen, le HRI-1 (Harmonised risk indicator for pesticides), qui intègre quantité et risque. Le défaut des indicateurs français est de mal intégrer le risque. La proposition de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR), abandonnée dans les derniers jours de nos auditions, prévoyait l'indicateur commun quantité-risque qui nous manque. Faut-il l'inventer ? En tout cas, je propose non pas de l'inventer au niveau français mais de soutenir sa création au niveau européen, ce qui nous permettra de nous comparer à nos voisins européens et d'engager un débat interactif. Nous sommes donc d'accord sur la nécessité d'avoir un indicateur européen des quantités et du risque.

En revanche, nous sommes en désaccord profond et peut-être irréductible sur les substances classées CMR : cet indicateur mesure les effets des produits sur la santé – auteur de la proposition de loi relative à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, je vous assure que ce sujet me tient à cœur – mais ne prend pas en compte les conséquences sur l'environnement. Or les atteintes à l'environnement, la dégradation de la biodiversité et du climat, ont des répercussions sur la santé humaine. Il est donc impossible de dissocier santé et environnement.

Monsieur de Fournas, qui critiquez le pouvoir de l'Anses, je vous signale qu'elle a joué un rôle dans le retrait de substances classées CMR 1 ou CMR 2, qui peut être considéré comme une victoire. Cela ne tient pas au courage politique de l'un ou de l'autre, ni au fait que le milieu agricole et le monde de l'agroalimentaire auraient entamé une mutation : ces substances ont été déclarées toxiques par une autorité scientifique qui a réclamé leur retrait, en conformité au droit européen. S'affranchir de cette autorité scientifique reviendrait à sortir du droit européen qui se prononce contre la mise en circulation de produits dangereux.

C'est pourquoi, comme le Gouvernement, je veux poursuivre l'objectif d'une réduction de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires, dont l'effet sur l'environnement se répercute sur la santé de la population même lorsqu'ils ne sont pas classés CMR.

À cela j'ajouterai un argument agronomique et économique auquel vous devriez être très sensible : à terme, les pesticides entraîneront une baisse de la fertilité des sols et une dégradation des écosystèmes qui pèseront sur la productivité. Notre souveraineté alimentaire dépend de la qualité des agrosystèmes, laquelle est assurée par l'agroécologie et par elle seule. La course à l'armement chimique est vouée à l'échec. Tous les scientifiques nous alertent sur l'efficacité déclinante des molécules, à l'instar de l'antibiorésistance dans le monde animal. Face aux impasses actuelles, l'industrie chimique admet qu'elle n'a pas à ce jour de solutions de rechange. La solution réside donc dans l'agroécologie et non dans la chimie.

Enfin, s'agissant des bénéfices-risques, mes propos ont peut-être été mal interprétés. Ce que j'écris, c'est que leur évaluation n'a de sens que si elle concerne une seule et même entité – par exemple, une personne qui doit choisir de suivre un traitement ou pas après en avoir mesuré les avantages et les inconvénients pour elle-même, ou alors un même village qui décide d'avoir une fiscalité forte pour garantir un bon niveau de service public : c'est lui qui assume en même temps le coût et le bénéfice. Vous, vous mettez en avant des bénéfices tout à fait légitimes pour une filière agroalimentaire et pour une catégorie d'agriculteurs, mais en oubliant que les risques sont supportés par tous. Cela ne peut pas fonctionner.

La gestion du risque consiste précisément à éviter que la prise de risque ne profite qu'à quelques-uns. Les agences sont les gardiennes de l'intérêt général. Elles évaluent les bénéfices et les risques en considérant la collectivité dans son ensemble.

Votre principal argument tient à la sécurité alimentaire – ou souveraineté alimentaire si vous préférez, mais les échanges avec la Méditerranée sont précieux ; je suis partisan du juste-échange, non du libre-échange. Or les solutions agroécologiques donnent aujourd'hui plus d'espoirs de productivité que les solutions agrochimiques. Les industries elles-mêmes reconnaissent l'impasse dans laquelle nous sommes. Nous devons d'urgence repenser nos agrosystèmes. Il n'y a pas de solution sans reconception des systèmes agricoles et agroalimentaires.

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Le rapport s'interroge sur l'ambition de l'État de réduire de 50 % l'usage des produits phytosanitaires et plus généralement sur la volonté politique pour mettre en œuvre une politique publique dans ce domaine. Force est de constater que la trajectoire fixée il y a dix ans n'a pas été respectée.

Monsieur de Fournas, il y a en France certains territoires ruraux ou agricoles particulièrement sensibles. Il n'est pas question d'abandonner les agriculteurs en rase campagne mais de trouver les moyens de les accompagner. Dans ce genre de politiques publiques, les intérêts économiques et environnementaux cèdent le pas à l'intérêt général. Le rapport pointe le fait que certains constats soient mis sous le tapis, autrement dit le manque de visibilité des politiques publiques en matière de préservation des sols ou de l'air ainsi que la difficulté qu'il y a à exploiter les travaux scientifiques au service de ces politiques. Il a le grand mérite de présenter un panorama de l'ensemble des travaux scientifiques et de proposer des orientations.

Les pollutions diffuses sont un enjeu central. Comment mieux traiter cette question dans les territoires ruraux ? Il faut sans doute que nos politiques publiques s'orientent fortement vers la préservation de la ressource en eau pour mieux accompagner les transformations dans le monde agricole. La responsabilité politique est aussi de pointer le coût des pollutions diffuses et notamment le fait que le traitement des eaux polluées est plus coûteux que les solutions pour mieux accompagner les agriculteurs dans leurs pratiques.

Il est donc impératif de donner plus de moyens à l'État pour développer des outils de préservation de la qualité des eaux et des sols. L'exploitation agricole doit être garantie pour préserver l'avenir des territoires ruraux et la souveraineté alimentaire. Le rapport présente des préconisations bienvenues pour sortir de la logique du curatif – traiter des eaux déjà polluées – qui est un non-sens pour nos politiques publiques.

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Le reproche que certains pourraient adresser au rapport est, à mes yeux, l'une de ses vertus. Certains attendaient sans doute des formules spectaculaires, destinées à faire la une des médias. Or, loin de donner dans la communication médiatique, qui risquerait de nuire à la réflexion, le rapport présente un faisceau de pistes qui forment un ensemble cohérent.

Par exemple, les propositions faites s'agissant du régime des autorisations vont dans le bon sens, notamment à propos du rapprochement entre sciences académiques et sciences réglementaires, en particulier pour le pôle de l'Anses qui travaille sur les autorisations de mise sur le marché. Autre exemple, les propositions qui visent à faire passer concrètement les politiques publiques en faveur de l'agroécologie au stade supérieur. À cet égard, le PSN peut être un outil pour encourager des pratiques différentes. Enfin, je salue les propositions sur les clauses miroir.

Le point fort de cette commission d'enquête est son approche presque scientifique, dénuée d'artifices de communication.

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Je n'ai effectivement pas cherché à alimenter la conflictualité – certains me le reprocheront peut-être – mais à trouver la voie d'un compromis pour avancer.

Je l'ai dit au ministre de l'agriculture : quel est l'intérêt d'afficher un objectif de réduction de 50 % sans se donner les moyens de l'atteindre ? Dans ce cas, mieux vaut y renoncer. La sincérité de l'objectif s'apprécie à l'aune des moyens qui lui sont dédiés. Le rapport liste les conditions à remplir pour parvenir à l'objectif, qu'il s'agisse de faire évoluer le PSN ou de donner plus de poids à l'autorité scientifique. Sans ces prérequis, je suis prêt à parier qu'en 2030, on dira qu'il faut un plan pour 2040 !

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Merci pour le travail qui a été réalisé pour ce rapport, dont je regrette de ne pas avoir pu prendre connaissance avant aujourd'hui. Je salue votre tentative d'aboutir à un document que nous pourrions soutenir.

J'ai cependant plusieurs interrogations et regrets, notamment sur la partie consacrée aux impacts sur l'environnement.

À la lecture du rapport, on a l'impression que les pratiques agricoles sont les seules responsables de la dégradation. C'est totalement faux. Nous savons tous, et les scientifiques que nous avons auditionnés en juillet l'ont dit, que l'état de l'environnement est le résultat des divers usages des trente ou quarante dernières années, lesquels n'étaient pas tous agricoles – pensons aux particuliers, à Réseau ferré de France, aux sociétés d'autoroute, ou encore aux collectivités. Je regrette donc la mise en cause implicite et exclusive du monde agricole.

Ensuite, je déplore que l'usage de produits phytosanitaires par d'autres secteurs d'activité ne soit pas davantage mis en avant. Je suis intervenue à plusieurs reprises sur le sujet et je connais d'avance votre réponse. Je sais bien que l'objet de la commission était la réduction de l'usage des produits phytosanitaires par le monde agricole. Cependant, dès lors que l'on fait le lien entre la qualité de l'environnement et la santé, on ne peut pas s'en tenir au monde agricole. Le président l'a dit, le remplacement du glyphosate par la SNCF n'a aucun effet positif, ni sur l'environnement, ni sur la santé.

Ce parti pris du rapport, qui peut sans doute être atténué, me dérange fortement car cela revient à pointer du doigt une partie de la population qui ne mérite pas d'être traitée ainsi. Nous partageons tous l'objectif de réduire la pollution de l'environnement et ses impacts sur la santé, mais il ne peut pas être circonscrit au monde agricole. Il est impératif de prendre conscience que les actes passés de tout un chacun sont à l'origine de la dégradation de l'environnement.

Quant aux propositions, la taxation doit-elle s'appliquer à l'ensemble des produits concernés ? Le rapporteur emploie tantôt le terme de « produits phytosanitaires », tantôt celui de « pesticides ». Or, contrairement à ce que croit le grand public, ce ne sont pas des termes équivalents : les pesticides mêlent produits phytosanitaires et biocides. Cette différence subtile a de lourdes implications dans le rapport : envisage-t-on la taxation des biocides ou des produits phytosanitaires utilisés dans les campagnes de désinsectisation ou dératisation ? Le rapport ne répond pas à ces questions. Il faut absolument préciser les produits visés pour aller au bout du raisonnement.

Par ailleurs, peut-être le mot apparaît-il dans le rapport mais dans l'ensemble des interventions de ce matin, à aucun moment je n'ai entendu parler du consommateur. C'est pourtant lui qui décide de ses achats. Chacun est-il sûr d'avoir mangé au petit-déjeuner des produits qui ne contenaient aucun phytosanitaire ? Il est très regrettable qu'un rapport qui s'intéresse à la protection de la santé et à la maîtrise des pollutions de l'environnement passe sous silence la responsabilité du consommateur dans le choix des produits qu'il achète.

Je déplore que ce rapport ait été écrit à charge. Peut-être n'était-ce pas le but, mais c'est comme cela qu'il m'apparaît.

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Ce que vous qualifiez de rapport à charge est fondé exclusivement sur les rapports d'inspection de l'État et les travaux de ses autorités scientifiques – j'ai été d'une très grande rigueur sur ce point. Je n'ai rien inventé, je n'ai pas crié au loup. L'État ne peut pas se trouver d'excuses puisqu'il est parfaitement informé par ses administrations.

Votre préoccupation, que vous avez exprimée à l'envi tout au long des auditions, est prise en compte dans l'introduction du rapport. Il est écrit noir sur blanc : « l'agriculture n'est pas la seule activité où se jouent les dangers liés à la chimie : la plupart des analyses et recommandations que nous formulons pourraient et devraient ainsi être étendues à l'ensemble des produits biocides utilisés dans notre vie quotidienne ». Je rappelle qu'il s'agit d'un rapport sur la phytopharmacie, pas sur les biocides, mais j'ai toutefois tenu à relayer dès l'introduction le souci que vous avez tant répété.

Quant à la responsabilité des consommateurs, elle dépend aussi de leur culture et de leur pouvoir d'achat. Le rapport y consacre un chapitre entier – c'est peut-être la première fois que, dans un rapport consacré aux pesticides, la question du marché est aussi approfondie. Il apparaît que pour 1 000 euros consacrés par le secteur privé à la publicité, 1 euro est dépensé pour l'information publique sur l'alimentation. Nous proposons donc une taxe de 3 % sur la publicité agrolimentaire afin de ramener ce ratio de 1 pour 1 000 à 1 pour 100. Toutes les mesures concernant l'agroalimentaire concourent au même objectif : permettre au consommateur de choisir en connaissance de cause. Soyez rassurée, la mobilisation du consommateur est largement évoquée dans le rapport.

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Reste que vous imputez exclusivement la responsabilité de la contamination de l'environnement au monde agricole, sans rappeler qu'elle est le résultat de l'ensemble des usages.

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S'agissant des sols et de la biodiversité, il n'y a pas beaucoup d'autres impacts que celui de l'agriculture, il faut être honnête. Et quand on fait le total des autres usages, que je condamne totalement comme vous, dont ceux de la SNCF que le président a évoqués, on aboutit à 2 ou 3 % de la pollution. Le rapport portait sur l'agriculture, mais j'ai néanmoins évoqué le reste du sujet, je ne l'ai jamais occulté. Soyez tranquille sur ce point.

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Nous soutenons les orientations générales et la plupart des propositions du rapport, qui couvre un champ très vaste. Je regrette néanmoins qu'il se refuse à pointer les responsabilités. C'est le rôle d'une commission d'enquête que d'établir les responsabilités, notamment celle de l'État, dans le dysfonctionnement d'une politique publique.

Le constat est unanimement partagé : les plans Écophyto ont été un échec – d'autres mesures ont marché. Il est important de rechercher les responsabilités et de souligner le manque de volonté politique. J'ai été marquée par l'audition de l'ancien ministre de l'agriculture Didier Guillaume : c'est justement par cette volonté politique qu'il a expliqué la réussite de la conversion au bio – avec 30 % de surface agricole utile – dans mon département de la Drôme. C'est tout simple, mais c'est indispensable.

J'entends votre volonté de fédérer pour avancer ensemble vers des solutions partagées, mais cela n'empêche pas d'établir les responsabilités politiques et de réfléchir de manière plus générale à la définition de l'intérêt général et à l'allocation de l'argent public.

Nous avons besoin d'une reconception profonde des systèmes agricoles. C'est évoqué dans le rapport, mais les Écologistes insistent sur la nécessité d'un changement complet de modèle, qui suppose non seulement d'encourager des pratiques nouvelles mais aussi de freiner celles qui portent atteinte aux écosystèmes et à la santé humaine. Or les politiques actuelles maintiennent un statu quo plutôt que de soutenir la transition radicale nécessaire.

J'en conviens, le rapport aurait pu insister davantage sur les politiques alimentaires ainsi que sur le rôle des modes de consommation et de la grande distribution. Il me paraît toutefois malvenu d'insister sur la responsabilité individuelle des consommateurs alors que l'inflation ne leur laisse qu'une marge de choix très réduite. Et puisqu'il a été question de petit-déjeuner, je note au passage que la restauration collective à l'Assemblée nationale n'est pas forcément exemplaire !

La responsabilité de la grande distribution et des industriels, elle, peut être pointée du doigt. Le rapport relève notamment la faible contribution aux politiques publiques des industriels du phytosanitaire, qui ne sont redevables que d'un impôt très faible. C'est sans doute un sujet à approfondir.

Il est nécessaire d'organiser un débat sur nos politiques alimentaires et agricoles ainsi que sur leur gouvernance. Ce sont des sujets sur lesquels la conflictualité est si forte – la réunion d'aujourd'hui en atteste – qu'il faut de nouveaux outils démocratiques. On pourrait ainsi imaginer une convention citoyenne pour définir nos orientations. Aujourd'hui, on fait porter beaucoup de poids aux agriculteurs, mais c'est à la société tout entière de s'engager. Ce serait aussi une manière de contraindre la volonté politique qui manque depuis quinze ans.

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S'agissant des responsabilités, elles se lisent en filigrane tout au long du rapport, puisque les dates sont citées. Je n'ai pas voulu citer les noms des ministres – mais il y a finalement peu de différences entre les uns et les autres.

En revanche, je fais un reproche : en 2018, la principale innovation d'Écophyto II+ était l'interministérialité. Or il n'y a pas de réunion politique des ministres concernés entre 2009 et 2023. Les ministres disent qu'ils vont faire et ils ne font pas. Il y a un défaut flagrant d'interministérialité – des rapports d'inspection le disent avec cruauté ; ils parlent d'argent gaspillé, d'actions pas évaluées, de maquette financière réalisée en novembre pour l'année en cours… Les chambres d'agriculture et l'État se renvoient la balle sur la mise en place du conseil stratégique ! Qui décide ? Qui pilote ? L'absence de pilotage est manifeste et les échecs sont massifs. Je n'ai pas voulu désigner nommément certains mais je renvoie à des rapports qui sont sans équivoque.

Quant à la reconception des systèmes, je l'écris, elle est impérative pour éviter un nouvel échec. C'est bien la difficulté qui est devant nous. Il ne faut pas se mentir : il est impossible de réussir Ecophyto 2030 avec la même PAC et les mêmes règles de marché et en faisant tout payer aux paysans. Il faut aussi que la société se mette en mouvement.

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Il me semble important à ce stade de dire le travail énorme effectué par le rapporteur et l'écart avec celui des autres membres de la commission – moi le premier. Je découvre, comme vous, au dernier moment l'épaisseur et la densité du document qui nous est soumis. Je n'en ferai évidemment pas le reproche au rapporteur, mais l'exercice consistant à se prononcer dans un délai aussi court est très difficile. Si d'aventure je présidais une autre commission d'enquête, je veillerais dès le début à sanctuariser un mois et demi entre la fin des auditions et l'examen du rapport. La densité des auditions, ajoutée à la pause estivale, nous place dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes, et je reconnais humblement ma part de responsabilité.

Malgré cela, je vous invite à continuer à dialoguer en tenant compte de la complexité du sujet et en ayant, autant que possible, une vue d'ensemble.

À titre personnel, il y a des recommandations que je ne soutiens pas, en particulier sur la PAC. Je suis depuis longtemps partisan de la création d'un troisième pilier. Je ne suis favorable à une modification des équilibres entre premier et second pilier qui est inacceptable pour les agriculteurs, sans lesquels rien ne pourra être fait. Cela ne m'empêche pas d'adhérer à l'esprit général du rapport.

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Chacun avait tout de même quelques jours pour consulter le rapport.

Le transfert d'un pilier à un autre est d'une complexité infinie. J'en suis partisan mais il ne fait pas l'objet d'une recommandation, car il est loin de faire consensus. Le rapport se borne à présenter des hypothèses d'évolution sans arbitrer – c'est le casse-tête que doit résoudre le ministre en ce moment.

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Je salue le travail et la ténacité du rapporteur. Je lui reconnais une constance et une technicité dont témoigne le rapport.

Je ne dirai pas que c'est un document à charge. Il répond aux attentes légitimes du citoyen. En revanche, je ne suis pas sûr qu'il réponde à celles du consommateur et, pour moi, c'est là que le bât blesse.

Alors que nombre d'exploitations disparaissent et que notre souveraineté alimentaire s'amenuise, le rapport fera sans doute l'effet d'un coup de massue pour le monde agricole. Les recommandations vont dans le bon sens pour protéger l'environnement ainsi que la santé humaine et animale. Je suis toutefois gêné pour l'approuver car je crains qu'il soit mal reçu par le monde agricole.

En effet, le rapport ne lui apporte pas de solutions pour assurer sa pérennité. On sait pertinemment que les pays qui sont nos concurrents en matière agricole n'adopteront pas de telles recommandations. Notre monde agricole sera mis en difficulté alors que personne ne doute de sa volonté de répondre aux exigences environnementales et sanitaires, tant il souffre d'être constamment pointé du doigt et taxé de pollueur, quand ce n'est pas d'assassin. L'ambition première du monde agricole est de nourrir les gens, pas de les tuer.

Ce n'était pas l'objet du rapport mais un volet est complètement occulté : la conciliation entre les exigences du citoyen et celles du consommateur, qui sont d'abord dictées par des considérations financières – le consommateur a un budget pour remplir son caddie. Cela pose indirectement la question du financement des évolutions que vous préconisez.

En tant qu'agriculteur, j'ai beaucoup de difficultés avec ce rapport même si je salue sa qualité et son objectivité.

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J'ai peu de distance avec le monde paysan, j'en fais partie. Je ne peux pas avoir rédigé un rapport à charge.

J'ai essayé de déterminer les conditions dans lesquelles le monde paysan doit être accompagné pour mener la transition et répondre à la double injonction de nourrir et prendre soin – je ne connais pas d'agriculteurs qui n'aient pas cette double ambition, à laquelle s'ajoute celle de vivre de son métier.

Des efforts sont nécessaires. Un débat interne à la profession doit se tenir sur la répartition des aides et sur les modèles. Ma proposition de réformer la séparation du conseil et de la vente, que tous les agriculteurs qualifient de catastrophe, répond à leurs attentes, et c'est le cas aussi de bien d'autres recommandations. Le rapport comporte de nombreuses mesures d'accompagnement : le conseil agronomique global, sous l'autorité des chambres d'agriculture, serait une véritable avancée. Il faut aussi impliquer l'aval, qui ne peut rester indifférent à ces évolutions.

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Merci au rapporteur de son travail. Compte tenu de la complexité du sujet, serait-il possible d'avoir davantage de temps pour échanger ?

J'ai lu l'introduction et les recommandations, partant du principe que la partie centrale était très factuelle. L'introduction me semble être le passage le plus susceptible d'être lu, donc repris dans les médias.

Les faits scientifiques, notamment l'impact des produits phytosanitaires sur la biodiversité et la santé, ne sont pas à remettre en question. Un autre constat est clair : nous ne sommes pas au rendez-vous des plans Écophyto. En revanche, je ne dirais pas qu'on en reste au statu quo : le Gouvernement exprime une volonté d'avancer.

Je suis dans l'ensemble d'accord avec les recommandations ; je le suis beaucoup moins avec l'introduction. Je regrette l'absence de vision globale concernant l'aspect soulevé par notre collègue Lavergne – le fait que les avancées du monde agricole soient peu valorisées, la non-prise en compte des contraintes économiques et d'investissement qui pèsent sur les agriculteurs – on aurait pu rappeler l'histoire de la construction, après-guerre, de ce modèle dont on veut désormais sortir. Il manque aussi cette impression que nous avons eue à Bruxelles – il est dommage que nous ayons été peu nombreux à nous y rendre – que la France est plutôt le bon élève de l'Europe sur ce sujet. En faire état éviterait de diviser et nous permettrait d'avancer tous dans le même sens. C'est important étant donné l'impact médiatique qu'aura le rapport.

Je trouve un peu violent le titre de l'introduction : « une décennie (presque) perdue ». Quant à la conception de l'exposome, elle est très orientée « phyto » alors que la notion est loin de se réduire à ce champ. Enfin, malgré une phrase mal formulée, le ministre a bien dit qu'il ne remettait pas l'Anses en cause ; pourtant, le rapport laisse planer l'ambiguïté sur ce point.

En diminuant de 50 % le recours aux phyto, peut-on continuer de nourrir et d'exporter dans des proportions comparables à celles d'aujourd'hui ? C'est la question majeure, que le rapporteur a rappelée d'ailleurs dans son introduction. Or le rapport n'y répond pas. Pourtant, les enjeux sont aussi géopolitiques, on l'a vu avec la guerre en Ukraine.

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Ne me reprochez pas de ne pas répondre à cette question quand le Gouvernement ne le fait pas non plus : il engage la réduction de 50 % alors que le SGPE – j'en ai longuement discuté avec Antoine Pellion – reconnaît lui-même ne pas avoir toutes les données et ne pas pouvoir garantir que cela n'affectera pas la fertilité et la prospérité alimentaire.

En ce qui concerne la phrase du ministre de l'agriculture au congrès de la FNSEA, je ne l'ai même pas citée. D'autres, à ma place, se seraient amusés à le faire. Ne me faites pas ce reproche, je ne suis pas allé sur ce terrain. J'ai simplement parlé, objectivement, sans jugement moral, de remises en cause de la part de certaines forces politiques – avec par exemple la proposition de loi Duplomb au Sénat, ou certaines déclarations. Je n'ai même pas dit que c'étaient la droite et l'extrême droite qui avaient tapé sur le règlement SUR au Parlement européen… Ah, je l'ai dit, monsieur de Fournas ? Eh bien j'en suis fier, parce que c'est la vérité ! En tout cas, je ne suis allé sur ce terrain qu'à la marge et par souci de précision.

S'agissant de l'exposome, vous verrez que, dans le cœur du rapport, il est bien expliqué qu'il s'agit de prendre en compte l'ensemble des facteurs et non les seuls facteurs agricoles. Ne me faites pas le reproche de n'avoir pas étudié les biocides ou les cycles de la biomasse à l'échelle mondiale : nous n'en avions ni la capacité ni la prétention.

Pour le reste – et là, ce n'est plus le rapporteur qui parle, mais le militant politique – les scénarios que je fais miens sont ceux de l'Iddri : continuer à boire du vin, à manger un peu de viande et à exporter des céréales au Caire. Il ne s'agit pas d'arrêter de commercer avec le Maghreb, mais de mettre fin à d'autres échanges internationaux moins pertinents.

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Il n'y avait aucun reproche dans mes propos. Vous avez fait un énorme travail. Il s'agit de notre responsabilité collective quant aux messages qui sont envoyés, notamment vis-à-vis des agriculteurs. Il faut vraiment arrêter de diviser si l'on veut avancer.

Le rapport évoque-t-il les impasses concernant le glyphosate et la nécessité de l'utiliser pour l'agriculture de conservation des sols ?

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Nous citons le rapport d'information Fugit-Moreau sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. Un encart expose le dilemme, bien posé par l'Insee et tranché par la mission d'information en question. Nous avons rajouté cet élément parce qu'il est massif : le glyphosate est le plus utilisé des herbicides, catégorie de produits phytopharmaceutiques la plus répandue. L'agriculture de conservation des sols fait partie des pratiques qui justifient son usage.

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Nos échanges sont à l'image du rapport : riches et denses. Je félicite le rapporteur et le président. Cent cinquante-sept personnes rencontrées, en six mois seulement, c'est remarquable.

J'ai simplement une crainte concernant la réception médiatique du rapport. Nous vivons sous la dictature du ressenti ; j'ai peur que certaines parties du rapport, très engagées, soient interprétées comme étant contre le monde agricole et que ce ressenti soit véhiculé par des acteurs médiatiques qui ne sont pas toujours bienveillants.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée exprimée tout à l'heure que l'on en resterait au statu quo. Le monde agricole a beaucoup évolué ces vingt ou trente dernières années, et dans le bon sens, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, notamment au niveau politique. Par rapport à celle d'autres pays, notre trajectoire est plutôt pertinente – en tout cas, plus engagée et engageante.

Concernant le glyphosate, je sais que beaucoup ici ne seront pas d'accord avec moi, mais nous sommes le seul grand pays européen, quelles que soient les coalitions gouvernementales au pouvoir, qui ait entrepris de se doter d'une stratégie pour en utiliser moins. Nous n'allons peut-être pas assez vite pour certains, mais 27 % de moins depuis 2017, c'est toujours ça de pris. Voyons le côté positif. Il faut sûrement aller plus loin et plus vite, mais il faut aussi que le monde agricole puisse suivre.

Merci d'avoir pointé le problème de la qualité de l'air. Le suivi permanent et la recherche des pesticides dans l'air figuraient dans une proposition de loi que j'avais déposée dès fin 2021 ; malheureusement, les travaux parlementaires ayant dû s'arrêter fin février 2022, elle n'a jamais pu être examinée. Mais elle reviendra, et votre rapport me donnera un argument de plus. J'espère qu'elle trouvera un écho favorable et que nous pourrons dépasser certains clivages pour la voter ensemble.

J'aimerais avoir des précisions sur la manière dont la recommandation n° 9, sur le budget des agences sanitaires, a été élaborée, car les chiffres m'ont étonné : pourquoi 14,25 millions d'euros ? Je ne cherche pas du tout à polémiquer, seulement à comprendre.

J'aimerais aussi en savoir plus sur le modèle qui sous-tend la recommandation n° 19, « Expérimenter un ordre professionnel des conseillers en phytopharmarcie ».

La recommandation n° 24, « Adopter pour la mise en œuvre des politiques de réduction des produits phytosanitaires une nouvelle logique comptable établissant les dépenses de prévention en fonction des coûts de réparation des externalités négatives liées à ces produits », est intéressante, mais est-elle étayée par un début d'étude d'impact, de la part d'organismes ou d'associations par exemple ?

Une proposition enfin, toujours sans polémique et pour apaiser les esprits : supprimer le titre de l'introduction : « 2013-2023, une décennie (presque) perdue ; les conditions de la réussite en 2030 ». C'est un titre qui peut être mal reçu et qui semble donner d'emblée la conclusion. Le supprimer ne changerait rien ni à l'introduction elle-même, qui est très bien, ni au reste du rapport.

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En ce qui concerne l'ordre des conseillers en phytopharmacie, la référence est le Québec. Nous restons très prudents : il n'est pas question de prescrire sur ordonnance. Mais un ordre offrirait aux commerciaux et aux salariés des chambres et des instituts un lieu collégial où ils se retrouveraient deux fois par an et pourraient se corriger mutuellement en cas de dérapage – car l'État ne peut pas tout.

La recommandation n° 24 est une ouverture. L'idée est que 1 euro investi, qui en économisera 10 en réparation, soit comptabilisé comme un investissement plutôt que comme une charge. Il faudrait mettre beaucoup plus d'argent dans l'agriculture pour qu'elle produise des externalités positives : cela représente un coût à court terme, mais dix ou cent fois moins élevé que celui de la réparation future si on n'investit pas. Il existe de nombreux travaux d'économistes sur le sujet, des réflexions sur la taxonomie comptable, mais pas de propositions très concrètes. Je dis simplement que nous devons adopter cette philosophie.

S'agissant de la recommandation n° 9, quand André Chassaigne a demandé aux représentants de l'Efsa s'ils avaient assez de moyens, ils ont très humblement répondu qu'avec 15 millions et cinquante-deux postes supplémentaires, ils trouveraient plus vite des solutions alternatives à la phytopharmacie. Ce n'est rien, à l'échelle de l'Europe : des centimes ! Les représentants de l'Anses n'ont pas demandé des centaines de millions non plus, et les instituts nous ont dit qu'ils ne sauraient pas quoi faire de 30 millions, que 3 millions suffiraient. Je me suis fondé sur ce que demandait Arvalis pour l'attribuer aux différentes filières. Cela donne une estimation, un ordre d'idées ; je reste très prudent.

Quant à l'introduction, j'aurais pu écrire « une décennie perdue », en me passant du « presque ». Je mets beaucoup plus en valeur que vous ne semblez le dire tous ceux qui ont réussi, les pionniers, les fermes Dephy, les groupes de développement et autres. J'ajoute que, sans vouloir faire de surenchère, la compassion pour le monde paysan, je l'éprouve intimement. Mais je considère la situation globalement, compte tenu d'alertes scientifiques majeures qu'on ne peut occulter. De ce point de vue, on ne peut pas dire que nous ayons été au rendez-vous de l'histoire. Le « presque » montre cependant qu'il y a des réussites et des promesses pour demain.

Ce point de vue relève de la liberté du rapporteur, mais ne vous inquiétez pas : dans les médias, je ne présenterai pas un rapport à charge. Mon objectif est de consolider ce qui doit l'être. J'en parlais hier encore avec les responsables du ministère de l'agriculture.

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Bien sûr, le rapporteur est libre, et heureusement. Ce qui me gêne dans cette formule, c'est qu'elle figure au début de l'introduction : on donne la conclusion au lecteur avant même qu'il ait commencé. André Chassaigne saluait un rapport sans formules spectaculaires, mais cette phrase me paraît en être une, qui dessert un peu le rapport. Sans en faire une affaire d'État, je ne l'aurais pas placée à cet endroit – en fait, je ne l'aurais pas mise du tout dans le rapport : celui qui lit est assez malin pour comprendre.

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Félicitations pour ce gros travail. Je mesure sa complexité et je suis très fière d'avoir fait partie de la commission d'enquête.

Le but est d'essayer de dépasser le triangle de l'inaction – « c'est la faute de l'État », « c'est la faute de l'Anses », « c'est la faute des entreprises ». J'ai travaillé pendant des années, dans le Morbihan, au sein d'une commission sur les pollutions diffuses qui était novatrice à l'époque. On s'est rendu compte que l'ensemble du territoire était en cause – les collectivités, la station d'épuration avec ses boues : mes terres sont souillées par les boues d'épuration des villes environnantes, cela nous met en difficulté ! J'aimerais un engagement, une prise de responsabilité de l'ensemble des territoires et des collectivités.

Ce rapport doit porter, cela a été dit, sur la mission des autorités. J'appelle à ce que ce soit vraiment le cas. Je citerai simplement l'exemple du Voltarène, une vraie bombe à retardement compte tenu de ses effets cardiovasculaires.

Je voudrais que cette responsabilité collective soit soulignée dans le rapport, car il va servir dans toute la France. Nous pourrons d'ailleurs y ajouter nos réflexions à ce sujet.

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Merci, monsieur le rapporteur, pour votre travail. À mon sens, il manque dans l'introduction la contextualisation de l'utilisation des pesticides. J'ai l'impression qu'on laisse croire qu'en la réduisant de 50 %, nous produirons toujours autant et au même prix. On a complètement oublié que, jusqu'à cinq ans après la guerre, il y avait encore des tickets de rationnement. Produire différemment demain, c'est possible, mais pas au même prix. On peut réduire notre production de 80 %, mais il faudra augmenter le prix qui rémunère les agriculteurs, et la société n'en est pas consciente parce qu'on lui laisse penser que l'agriculture biologique et les nouvelles techniques permettront de nourrir la planète pour pas cher. Cet élément fait défaut dans le rapport. Si nous voulons réduire vraiment notre consommation de pesticides, chacun doit prendre ses responsabilités.

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Le rapport fait déjà 250 pages : nous avons dû faire des choix. Je comprends votre regret concernant la question de l'incidence sur le pouvoir d'achat, mais elle nous aurait obligés à nous intéresser à ce qui, dans la construction du prix agricole, va à John Deere ou à Monsanto, à Leclerc, à Carrefour, à Lactalis, à Nestlé. Dire que produire avec moins de phyto va coûter plus cher au consommateur, c'est faire abstraction des profits indus de certains, en amont et en aval. La reconstruction d'un prix juste suppose de ne pas occulter l'amont – le rapport propose de le prendre en compte, ce qui est une innovation – et d'aller jusqu'au bout de l'aval.

Après, on peut débattre du poids de l'alimentation dans le budget des ménages. Sur ce point, je suis d'accord avec vous, on a été désinvolte ; on demande tout et son contraire, manger pour pas cher, une planète propre, une bonne santé : ce n'est pas possible, et il faut le dire ! Tout ne doit pas peser sur les paysans, il faut considérer l'amont et l'aval. Nous ne sommes pas allés au bout de cette étude macroéconomique.

Madame Le Peih, on pourrait en effet réintroduire la notion de coresponsabilité, que j'ai mentionnée à propos des biocides. Nous verrons sous quelle forme nous sommes autorisés à le faire. Les facteurs d'exposition sont multiples. S'agissant des terres, l'essentiel vient tout de même de l'agriculture, mais la ville et d'autres éléments jouent aussi. Le monde paysan n'est pas responsable de tous les malheurs du monde, j'en suis entièrement d'accord.

Le débat a été très riche du début à la fin. Un rapport ouvre des pistes de travail, notamment législatif et réglementaire. Puisque le mien n'est ni un plaidoyer univoque, ni un travail fade occultant les vraies discussions, puisse-t-il continuer à susciter le débat sur le pacte et la loi d'orientation et d'avenir agricoles, la politique de l'air, le partage de la valeur, la responsabilité des multinationales. Il est fait pour alimenter un débat public qui ne se termine pas avec cette commission d'enquête. J'ai en tout cas essayé de poser les termes du sujet de la manière la plus juste possible. Cela ne vous paraît pas parfaitement équilibré, mais j'ai tenté de faire pour le mieux. Ce travail restera pour moi un extraordinaire souvenir d'exercice démocratique et de recherche exigeante, en commun, de la vérité, au-delà de nos différences.

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Avant de passer au vote, je vous rappelle que chaque groupe et chaque membre de la commission a toute latitude pour produire d'ici à mardi une contribution qui sera publiée en même temps que le rapport, en annexe. Cela a particulièrement du sens s'agissant d'un objet aussi complexe et d'un rapport aussi dense.

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Loïc Prud'homme ne s'est pas exprimé, mais il a des idées très précises sur la réforme du régime d'autorisation ; c'est le moment de les inscrire dans un document qui va durer. J'ai fait ce que j'ai pu, mais plus il y aura de contributions en annexe – et j'aimerais que la mise en page fasse apparaître nommément leurs auteurs dans le sommaire – mieux ce sera.

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Le rapport est mis aux voix moyennant la modification de l'introduction qui a fait l'objet d'un échange entre le rapporteur et les membres de la commission.

La commission adopte le rapport.

La séance est levée à midi trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Anne-Laure Babault, Mme Françoise Buffet, M. André Chassaigne, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, M. Jean-Luc Fugit, Mme Marine Hamelet, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, M. Timothée Houssin, M. Pascal Lavergne, Mme Nicole Le Peih, M. Éric Martineau, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, M. Alexandre Sabatou, Mme Mélanie Thomin