L'exercice n'était pas facile, la matière étant très dense.
Avant de lancer les échanges, je souhaiterais évoquer un point particulier, celui du régime d'autorisation, qui conduit à distinguer analyse et gestion du risque. La gestion du risque est une prérogative des États membres : l'Efsa n'a qu'une mission d'analyse et d'évaluation. Lorsque l'Efsa approuve – et non pas autorise – une molécule, elle considère que l'exposition au danger est gérable par les États membres, sans nier que le principe actif peut être dangereux. Il revient ensuite aux États membres d'interdire ou d'autoriser les produits contenant cette molécule approuvée.
En France, cas unique, il a été décidé de fusionner l'analyse et la gestion du risque au sein d'une agence indépendante, l'Anses. L'indépendance de cette instance permet de renforcer la confiance des citoyens dans les décisions qu'elle prend. Le revers de la médaille est que cette décision peut renforcer le discrédit du politique.
Il faut garder à l'esprit la séparation des deux missions, évaluation et gestion du risque. Prenons l'exemple de la cancérogénicité, que j'ai trouvé particulièrement riche d'enseignements. Sur le plan académique, la cancérogénicité ne fait pas l'objet d'un consensus scientifique international. D'après les lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est admise comme cancérigène, une molécule qui altère l'ADN du noyau des cellules. La perturbation du métabolisme cytoplasmique, c'est-à-dire le fonctionnement de la cellule, n'est pas jugée comme une preuve suffisante de cancérogénicité. Mais nous avons auditionné Laurence Huc, toxicologue et directrice de recherche à l'Inrae, qui, elle, prétend le contraire : elle affirme que des produits sans effet sur l'ADN mais qui perturbent le fonctionnement de la cellule sont cancérigènes. Voilà qui fait l'objet d'une controverse scientifique, et non politique.
L'une des recommandations du rapporteur vise à réduire l'écart entre toxicologie réglementaire et toxicologie académique. Il s'agit de faire en sorte que les lignes directrices, qui s'appliquent en particulier aux études demandées aux industriels, intègrent plus rapidement la recherche académique et l'avis de toxicologues comme Laurence Huc qui apportent la contradiction – en l'espèce, une contradiction qui porte sur la définition même du danger. Certaines personnes auditionnées contestent la définition du danger par l'Efsa, d'où le débat sur l'écart entre la réglementation et la recherche académique.
La gestion du risque, c'est encore autre chose. Elle doit répondre à d'autres questions : qu'est-ce qui est acceptable ? L'exposition au danger est-elle gérable, et si c'est le cas, de quelle manière ? Au passage, je remercie le rapporteur d'avoir soulevé ce débat sur lequel nous n'étions pas forcément en phase au départ. J'ignore d'ailleurs la manière dont les groupes se positionnent par rapport à cette question compliquée. Que va-t-on juger opportun de tolérer comme exposition au danger, en fonction de paramètres nombreux et variés – souveraineté agricole, revenu des agriculteurs, compétitivité économique, dangers pour la santé humaine ou les sols ?
Cette décision politique engage la responsabilité du décisionnaire. Devant qui cette responsabilité est-elle assumée ? Une telle décision peut-elle être prise par un organisme à ce point indépendant qu'il n'est responsable devant personne ? La question se pose et, à titre personnel, je trouve que les termes dans lesquels elle est posée sont très corrects, compte tenu de la grande complexité du sujet.
Revenons un instant sur l'exemple du glyphosate, qui est très emblématique. Le principe actif est une petite molécule de dix-huit atomes, dont on connaît bien le mécanisme d'intervention sur une enzyme qui s'appelle l'EPSP synthase, présente uniquement dans les chloroplastes, c'est-à-dire dans le règne végétal. Les chloroplastes n'existent pas dans les cellules animales, mais des recherches portent sur une possible intervention de cette molécule dans le métabolisme des cellules animales – pas l'ADN, le métabolisme. Il y aurait donc un lien possible avec des cancers rares, donc une cancérogénicité classée comme probable par le Centre international de recherche sur le cancer. Or, concernant l'exposition à ce danger, nous manquons de connaissances sur la prévalence des cancers en question. Grâce à Laurence Huc, j'ai appris qu'il n'y a pas en France de consolidation de tous les traitements par chimiothérapie. Certains cancers sont connus et très suivis, d'autres pas du tout.
L'exposition à ce danger est donc à questionner, ce qui implique une décision politique. En attendant, la SNCF a remplacé le glyphosate par l'acide pélargonique, ce qui a fait passer le coût du désherbage de 110 à 270 millions d'euros, sachant que le nouveau produit est plus nocif pour les sols que l'ancien – ça, c'est avéré. Cette décision a été prise en raison d'une possible exposition à un danger sanitaire pour la santé humaine, mal documenté car on ne connaît pas bien la prévalence des cancers rares possiblement liés au glyphosate, et sur la base d'une preuve qui fait l'objet d'une controverse à l'intérieur même du milieu scientifique, puisque tous ne s'accordent pas sur le caractère cancérogène du glyphosate sachant qu'il n'intervient pas directement sur l'ADN des cellules animales.
Le but de mon propos un peu technique est de rendre compte de la complexité du sujet et d'expliquer la prudence avec laquelle nous interrogeons le modèle français de fusion entre analyse et gestion du risque. Comme l'a dit le rapporteur, la gestion du risque, qui implique de décider ce qui acceptable ou non, autrement dit de définir ce qu'est l'intérêt général, est une décision par nature politique. Le fait de poser cette question de manière ouverte, sans plus de préconisations, est le gage du sérieux de notre approche.