Même si nous y passions l'après-midi, je ne suis pas sûr de réussir à vous convaincre. Cela étant, je salue votre assiduité à nos travaux et votre lecture attentive du rapport, ce qui m'oblige à vous apporter des réponses précises.
S'agissant des indicateurs, je suis partisan de l'indicateur de risque harmonisé européen, le HRI-1 (Harmonised risk indicator for pesticides), qui intègre quantité et risque. Le défaut des indicateurs français est de mal intégrer le risque. La proposition de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR), abandonnée dans les derniers jours de nos auditions, prévoyait l'indicateur commun quantité-risque qui nous manque. Faut-il l'inventer ? En tout cas, je propose non pas de l'inventer au niveau français mais de soutenir sa création au niveau européen, ce qui nous permettra de nous comparer à nos voisins européens et d'engager un débat interactif. Nous sommes donc d'accord sur la nécessité d'avoir un indicateur européen des quantités et du risque.
En revanche, nous sommes en désaccord profond et peut-être irréductible sur les substances classées CMR : cet indicateur mesure les effets des produits sur la santé – auteur de la proposition de loi relative à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, je vous assure que ce sujet me tient à cœur – mais ne prend pas en compte les conséquences sur l'environnement. Or les atteintes à l'environnement, la dégradation de la biodiversité et du climat, ont des répercussions sur la santé humaine. Il est donc impossible de dissocier santé et environnement.
Monsieur de Fournas, qui critiquez le pouvoir de l'Anses, je vous signale qu'elle a joué un rôle dans le retrait de substances classées CMR 1 ou CMR 2, qui peut être considéré comme une victoire. Cela ne tient pas au courage politique de l'un ou de l'autre, ni au fait que le milieu agricole et le monde de l'agroalimentaire auraient entamé une mutation : ces substances ont été déclarées toxiques par une autorité scientifique qui a réclamé leur retrait, en conformité au droit européen. S'affranchir de cette autorité scientifique reviendrait à sortir du droit européen qui se prononce contre la mise en circulation de produits dangereux.
C'est pourquoi, comme le Gouvernement, je veux poursuivre l'objectif d'une réduction de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires, dont l'effet sur l'environnement se répercute sur la santé de la population même lorsqu'ils ne sont pas classés CMR.
À cela j'ajouterai un argument agronomique et économique auquel vous devriez être très sensible : à terme, les pesticides entraîneront une baisse de la fertilité des sols et une dégradation des écosystèmes qui pèseront sur la productivité. Notre souveraineté alimentaire dépend de la qualité des agrosystèmes, laquelle est assurée par l'agroécologie et par elle seule. La course à l'armement chimique est vouée à l'échec. Tous les scientifiques nous alertent sur l'efficacité déclinante des molécules, à l'instar de l'antibiorésistance dans le monde animal. Face aux impasses actuelles, l'industrie chimique admet qu'elle n'a pas à ce jour de solutions de rechange. La solution réside donc dans l'agroécologie et non dans la chimie.
Enfin, s'agissant des bénéfices-risques, mes propos ont peut-être été mal interprétés. Ce que j'écris, c'est que leur évaluation n'a de sens que si elle concerne une seule et même entité – par exemple, une personne qui doit choisir de suivre un traitement ou pas après en avoir mesuré les avantages et les inconvénients pour elle-même, ou alors un même village qui décide d'avoir une fiscalité forte pour garantir un bon niveau de service public : c'est lui qui assume en même temps le coût et le bénéfice. Vous, vous mettez en avant des bénéfices tout à fait légitimes pour une filière agroalimentaire et pour une catégorie d'agriculteurs, mais en oubliant que les risques sont supportés par tous. Cela ne peut pas fonctionner.
La gestion du risque consiste précisément à éviter que la prise de risque ne profite qu'à quelques-uns. Les agences sont les gardiennes de l'intérêt général. Elles évaluent les bénéfices et les risques en considérant la collectivité dans son ensemble.
Votre principal argument tient à la sécurité alimentaire – ou souveraineté alimentaire si vous préférez, mais les échanges avec la Méditerranée sont précieux ; je suis partisan du juste-échange, non du libre-échange. Or les solutions agroécologiques donnent aujourd'hui plus d'espoirs de productivité que les solutions agrochimiques. Les industries elles-mêmes reconnaissent l'impasse dans laquelle nous sommes. Nous devons d'urgence repenser nos agrosystèmes. Il n'y a pas de solution sans reconception des systèmes agricoles et agroalimentaires.