COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 5 juillet 2023
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 13 heures 30.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, afin qu'elle nous rende compte de la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin dernier. Ce Conseil a été marqué par des discussions importantes sur la relation avec la Chine, sur le soutien à l'Ukraine et sur l'immigration, qui a donné lieu à un âpre débat avec deux États membres, la Hongrie et la Pologne.
Une stratégie européenne vis-à-vis de la Chine qualifiée à la fois de partenaire, de concurrent et de rival systémique a ainsi été adoptée. La nouveauté réside dans l'apparition de la notion de « de-risking » ou réduction des risques de dépendances, notamment dans les chaînes d'approvisionnement européennes. Ainsi que dans la volonté d'affirmer notre souveraineté sur les matières premières critiques, les batteries et les semi-conducteurs. Vos explications, Madame la Ministre, nous seront très utiles pour comprendre le contenu exact de ces termes.
L'autre point important de l'ordre du jour portait sur l'Ukraine. Alors que la contre-offensive ukrainienne a débuté, les Vingt-sept ont rappelé que leur soutien financier, économique, humanitaire, diplomatique et militaire à l'Ukraine durera aussi longtemps que nécessaire. Un consensus semble émerger afin que les avoirs de personnalités russes gelés dans l'Union européenne (UE) servent à financer la reconstruction de l'Ukraine. La faisabilité d'un tel projet mérite d'être étudié, tant il serait porteur d'espoir pour les Ukrainiens, mais aussi dans la perspective de l'adhésion du pays à l'Union européenne. Je suis convaincu que notre soutien collectif à l'Ukraine renforce également notre Union.
Il y a quelques jours, la Commission a rendu un rapport oral d'évaluation du chemin d'intégration de l'Ukraine à l'Union. Pouvez-vous nous fournir votre analyse de ce rapport et des efforts que nos amis ukrainiens et moldaves doivent encore accomplir sur le chemin de l'adhésion ?
Enfin, ce Conseil européen a été marqué par la tentative de la Hongrie et de la Pologne de remettre en cause l'accord intervenu au Conseil le 8 juin dernier sur deux textes importants composant le pacte asile et migration, qui prévoit notamment la répartition des migrants entre les États membres. Un consensus assez large a été établi, y compris avec les pays de première entrée comme la Grèce, l'Italie ou l'Espagne, dont les gouvernements ont pourtant des sensibilités politiques extrêmement différentes. Il est très important de mettre le plus de capital politique possible pour que ce pacte soit finalisé dans les prochains mois, tant il est nécessaire.
Bien d'autres sujets ont été évoqués par le Conseil européen, comme la situation au Kosovo ou la réponse européenne à l' Inflation Reduction Act (IRA). Mais mes collègues reviendront certainement sur ces questions.
C'est un plaisir de me retrouver devant vous afin de vous présenter, comme de coutume, les principaux résultats du Conseil européen des 29 et 30 juin. Ce Conseil européen a tout d'abord permis de faire le point sur la situation en Ukraine et notamment sur le rôle que joue actuellement l'Union européenne en matière de défense et sécurité. Les chefs d'État et de gouvernement ont ainsi commencé le Conseil européen avec un échange avec le Secrétaire général de l'OTAN, en préparation du Sommet des 11 et 12 juillet à Vilnius. Les États-membres se sont engagés collectivement à ce que l'UE et chacun de ses États membres puissent contribuer aux futures garanties de sécurité qui aideront l'Ukraine à se défendre dans la durée. Il s'agit - collectivement et individuellement - de soutenir l'Ukraine afin qu'elle soit en mesure de dissuader toute agression ou tentative de déstabilisation. Le Président avait évoqué cette question dans son discours à Bratislava le 31 mai dernier et il était important que les chefs d'État puissent en discuter à 27 avant le Sommet de Vilnius.
Sur le plan des équipements, vous le savez, la situation est évolutive sur le terrain. Afin de répondre aux besoins ukrainiens dans la durée, tout en couvrant les nôtres, il nous faut accélérer le passage à une économie de guerre. À court terme, l'Union européenne a doublé la capacité de soutien militaire à l'Ukraine à travers la Facilité européenne pour la paix. C'est une mesure essentielle mais nous devons faire plus : les chefs d'État ont ainsi poursuivi les discussions sur la mise en œuvre de l'agenda de Versailles et particulièrement des priorités stratégiques au plan européen en matière de défense. Il s'agit de construire une industrie de défense européenne, capable de répondre à ces priorités, en y consacrant les moyens européens nécessaires.
Nous avons demandé à la Commission de nous présenter des propositions concrètes, d'ici la fin de l'année dans le cadre du Programme européen d'investissement dans la défense (Edip). Enfin, la stabilité du continent ne sera assurée durablement qu'avec une famille européenne unie. Le Conseil européen a donc été l'occasion d'échanger sur la progression de l'Ukraine et de la Moldavie sur leur chemin vers l'adhésion à l'UE. Nous pouvons en tirer plusieurs leçons : une reconnaissance formelle des progrès accomplis ; un grand consensus des États membres pour accompagner les États candidats sur la voie européenne ; la tenue d'un rendez-vous important à Grenade au mois d'octobre où un rapport formel sera rendu.
Enfin, un consensus a vu le jour sur la nécessité de transformer notre Union pour l'arrivée de nouveaux États membres. Vous le savez, j'ai lancé avec mon homologue allemande un groupe de travail pour nourrir cette discussion. Ces travaux seront rendus à l'automne. Je me réjouis que vous ayez mis cette question à l'ordre du jour de votre réunion avec la commission du Bundestag en mai dernier. Ces réflexions ne manqueront pas d'alimenter leurs travaux, tout comme ceux des États membres.
Ce Conseil européen a également été l'occasion de faire le suivi sur un autre pilier de la souveraineté européenne : les enjeux de compétitivité et de sécurité économique. Le Commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, a eu l'occasion de vous en faire une présentation détaillée lors de son audition le mois dernier. Encore une fois, nous avons beaucoup progressé en quelques mois.
Tout d'abord, la réforme du marché de l'électricité nous aidera à offrir des prix plus bas et plus stables, et d'investir encore plus dans les sources décarbonées. Les chefs d'État et gouvernement se sont accordés pour achever ces négociations bien avant la fin de l'année. Ensuite, la réforme de nos règles budgétaires européennes permettra d'encourager les investissements nécessaires pour la transition écologique et aider à une croissance durable, tout en favorisant les conditions de soutenabilité de nos finances publiques.
Enfin, nous allons accélérer la réindustrialisation du continent et assurer son leadership dans l'innovation. Depuis le dernier Conseil européen ont été soumis aux États membres le cadre temporaire pour les aides d'État, un règlement européen sur les semi-conducteurs, un règlement sur les matières premières critiques et la législation sur l'industrie net-zéro. C'est à la fois un choc de simplification bureaucratique et une politique industrielle moderne pour les secteurs les plus importants pour la transition énergétique et climatique.
Enfin, comme la France l'avait réclamé, la Commission européenne a présenté une proposition pour créer le fonds de souveraineté qui viendra soutenir les investissements stratégiques dans toute l'Union. Il pourra offrir le complément de financement nécessaire aux investissements essentiels et les simplifications que de nombreux acteurs attendent pour déployer des projets industriels stratégiques pour notre Union.
Il y a aussi un pan de souveraineté que tous les Français attendent, notamment depuis la crise Covid : la santé. Il s'agit d'assurer sur le sol européen la production de médicaments essentiels. Pour cela, des objectifs de production sur le sol européen seront fixés avec les instruments financiers et réglementaires nécessaires pour les atteindre, comme nous le faisons par exemple sur les puces électroniques.
Sur la question de la sécurité économique européenne, il s'agit de protéger le marché intérieur contre la concurrence déloyale, d'exiger la réciprocité en matière d'ouverture des marchés publics, de nous prémunir contre des achats d'entreprises stratégiques sur notre sol ou d'investissements qui nuiraient à notre souveraineté - je pense, par exemple, à la protection de nos données - tout en se fixant des règles sur les transferts technologiques. Il s'agit là encore de consolider la souveraineté de l'Union européenne.
Enfin, les chefs d'État ont consacré une partie de nos échanges aux migrations. Nous avons fait des progrès notables pour ce qui concerne la dimension interne : l'accord trouvé sur les deux textes majeurs du Pacte asile et migration, que nous avions fortement portés lors de la présidence française du Conseil de l'Union, l'année dernière, est une avancée importante, la première sur un sujet qui était bloqué depuis dix ans. Ces textes permettent d'équilibrer responsabilité et solidarité, de renforcer les frontières extérieures, tout en traitant plus rapidement les demandes d'asile, et assurant plus efficacement notre sécurité.
Si le travail accompli conjointement sous Présidence suédoise, et depuis la Présidence française, est à saluer, les discussions entre chefs d'État n'ont pas permis d'adopter de conclusions consensuelles sur les sujets migratoires. Cela est regrettable, car il faut être clair : le sujet migratoire doit plus que jamais être traité à 27, et aucun État membre ne peut faire face seul à ces enjeux. L'adoption du Pacte asile migration, d'ici la fin de la mandature, doit rester un de nos objectifs majeurs, sans que les positions d'aucun État membre ne soient ignorées.
Sur la dimension externe des migrations, nous allons poursuivre les travaux dans la ligne des progrès avec la Tunisie, que nous gagnerons à reproduire avec d'autres pays de la région.
Les chefs d'État ont abordé d'autres sujets d'importance lors de ce Conseil européen : notre relation avec la Chine, à la fois pour l'engager à jouer un rôle constructif s'agissant de la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, et en ce qui concerne nos échanges économiques - qui doivent être équilibrés et sans nuire à nos intérêts stratégiques. Une discussion porte aussi sur l'implication qui doit être celle de l'Union européenne pour le règlement de la question chypriote, les tensions entre le Kosovo et la Serbie, ainsi que la préparation du sommet qui se tiendra en juillet entre l'Union, les États latino-américains et Caraïbes.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, voilà en quelques mots les résultats de ce Conseil européen. Mais je ne doute pas que vos questions me fourniront l'occasion de revenir plus en détail sur l'un ou l'autre point.
Ce Conseil européen a été essentiellement consacré aux questions de sécurité et de défense, comme vous l'avez souligné. Nous nous satisfaisons du rappel par les États européens de la condamnation de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Nous avons également appris que l'UE a déjà fourni plus de 77 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine sous forme de soutien militaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette aide concrète, notamment en armement ? Sur le volet judiciaire, nous nous satisfaisons que l'UE rappelle que les responsables de cette guerre devront un jour être jugés. Qu'en est-il des travaux de l'Union sur cet aspect ?
Au point 42 des conclusions du Conseil européen, sont mentionnées les relations avec la Turquie. Le Haut représentant et la Commission européenne doivent présenter un rapport sur le futur des relations avec ce pays. Pouvez-vous là aussi nous fournir quelques détails supplémentaires ?
Enfin, lors de votre prise de fonction, je vous avais interrogé sur l'avancée du dossier Osmose, lié au nouveau bâtiment du Parlement européen à Strasbourg. La presse locale s'est fait écho de la possibilité d'un achat du bâtiment par les autorités françaises, qui le reloueraient ensuite au Parlement, de la même manière que ce qui avait été fait en 1999 lors de l'acquisition du bâtiment Louise Weiss. Qu'en est-il de l'avancée de ce dossier ?
Tout d'abord, permettez-moi de réaffirmer notre soutien à la sécurité et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous devons continuer à condamner cette agression qui viole le droit international.
S'agissant de la question de la livraison d'armes offensives à l'Ukraine, nous devons prendre en compte les conséquences potentielles et les répercussions sur les tensions dans la région. Une telle décision pourrait entraîner une escalade du conflit et une détérioration de la situation sécuritaire, dont personne ne voudra assumer les conséquences. Il semble essentiel de favoriser le dialogue et de promouvoir une solution pacifique basée sur le principe de la diplomatie. Nous devons travailler en collaboration avec nos partenaires internationaux pour soutenir les efforts de médiation et de résolution du conflit.
Nous appelons de nos vœux l'organisation d'une conférence pour la paix le plus rapidement possible, réunissant en France l'ensemble des parties prenantes. Mme la ministre, quelle est la position française sur le risque d'envoi d'armes offensives à l'Ukraine et celui d'un retour illégal de ces armes en Europe de l'ouest ?
Ensuite, le pacte européen sur l'immigration suscite de nombreuses interrogations en Europe. Il revêt une signification particulière, offrant une opportunité de définir une politique migratoire ferme et plus efficace dans l'ensemble de l'Europe, dans un contexte marqué une explosion de l'immigration clandestine sur le continent. Il souligne l'importance d'une coopération renforcée en matière d'immigration, à laquelle vous refusez d'adhérer. Le limogeage du directeur français de Frontex l'atteste d'ailleurs. Quelle est la position française sur ce pacte européen, alors que de nombreux pays, notamment la Hongrie et la Pologne, ne l'ont pas accepté ? Ayez le courage d'organiser un référendum en France sur ce sujet, comme la Pologne a annoncé le faire. Je suis plutôt convaincu que les Français n'accepteront pas une répartition forcée des migrants dans notre pays, comme vous souhaitez l'organiser au sein de l'UE.
Pour finir, je souhaite souligner notre opposition ferme à la suppression du principe d'unanimité au Conseil de l'Union. Il est essentiel de préserver notre souveraineté nationale et d'assurer une prise de décision équilibrée. Il reste fondamental que chaque État membre puisse exprimer son point de vue et protéger ses intérêts nationaux quand cela est nécessaire.
Le Conseil européen des 29 et 30 juin a vu la Pologne et la Hongrie procéder à un blocage en règle des conclusions du Conseil, afin de faire valoir qu'elles trouvaient l'inhumain compromis sur le Pacte asile et migration insuffisamment inhumain.
S'il y a une leçon à retenir de cet épisode, c'est qu'il est sans doute vain de vouloir complaire à l'extrême-droite dans l'espoir de se la rallier. Je tiens à rappeler votre complaisance coupable à l'égard des gouvernements de ces deux pays, lorsque, par exemple en 2020, la France a consenti à suspendre l'application du mécanisme de conditionnalité lié à l'État de droit, alors même qu'il avait été régulièrement adopté par les colégislateurs, ou encore lorsque sous présidence française de l'Union européenne, vous avez fait traîner en longueur les procédures relatives à l'article 7.
Manifestement, à l'échelon national comme à l'échelon européen, vous faites les yeux doux à l'extrême-droite, et de barrage que vous croyez être, vous finissez marchepieds. Les violations répétées de l'État de droit par la Hongrie posent une question cruciale : celle de sa capacité à assumer la présidence du Conseil de l'Union européenne au deuxième semestre 2024, soit à un moment crucial, après les élections européennes et au moment de la formation de la future Commission européenne.
Début juin, le Parlement européen, dont votre délégation et votre groupe Renew, a adopté une résolution demandant au Conseil de « trouver une solution adaptée » au problème de la présidence hongroise. Je vous interroge donc, Madame la ministre : quelle solution la France entend-elle mettre sur la table pour répondre à la demande du Parlement européen ?
J'aimerais également vous entendre sur un autre point. La proposition de révision du cadre financier pluriannuel n'a été que brièvement abordée lors du dernier Conseil européen. Elle est néanmoins cruciale, d'autant plus que Viktor Orban a profité de la réunion du Conseil européen pour se livrer à une attaque en règle contre la proposition de la Commission.
Madame la ministre, ne nous mentons pas. La proposition de la Commission de rajouter 66 milliards d'euros au budget pluriannuel est d'une insuffisance criante. Aucun relèvement budgétaire n'est prévu pour la politique agricole commune, alors que les revenus des agriculteurs sont minés par l'inflation. De même, il n'est prévu aucun rehaussement des crédits dédiés à l'action environnementale de l'Union, alors que la crise écologique atteint des proportions record.
Par ailleurs, la proposition de la Commission est un véritable camouflet pour votre gouvernement. Où est le fonds de souveraineté annoncé par Emmanuel Macron et censé rivaliser avec les 369 milliards de dollars de subventions que les États-Unis ont décidé d'allouer à leurs industries ? Il a été évacué au profit d'une « plateforme des technologies stratégiques pour l'Europe », doté de la somme impressionnante et colossale de 10 milliards d'euros. De qui se moque-t-on ?
Ce n'est pas la première fois que la France subit un camouflet budgétaire de cette nature. Ma question est simple, Madame la ministre : jusqu'à quand votre Gouvernement continuera-t-il à faire de notre pays le dindon de la farce budgétaire européenne ?
Depuis plusieurs années, de nombreuses pharmacies font face à la pénurie de médicaments. Cette situation met en péril la situation de nombreux Français, notamment en milieu rural. Le Conseil des 29 et 30 juin dernier s'est notamment intéressé à la sécurité économique dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine, mais aussi en raison de la guerre en Ukraine. Dans ces conditions, la question des médicaments a été évoquée. Il y a vraiment urgence. Quelles actions seront-elles mises en place dans les prochains mois pour réduire notre dépendance en matière de médicaments ?
Ma seconde interrogation porte sur les pratiques de concurrence déloyale. En effet, l'Europe déploie une politique industrielle. Je me félicite à titre personnel de l'implantation dans ma circonscription d'une gigafactory de panneaux photovoltaïques, comme l'a annoncé le Président de la République. Cependant, dans ce domaine comme dans d'autres, nous sommes en concurrence avec des États où le droit social est parfois inexistant. Que faire pour soutenir nos industries face aux industries de pays sans normes sociales ? Aujourd'hui, nous tenons de plus en plus compte de l'impact environnemental de certaines activités, mais qu'en est-il de l'impact en matière sociale ?
Mme la Ministre, je souhaite pouvoir échanger avec vous sur les réglementations européennes en matière environnementale, et singulièrement sur la récente proposition de règlement relative à la restauration de la nature. Ce texte a fait l'objet d'un avis politique adopté en mai dernier par notre commission. L'examen de ce texte a connu un parcours complexe au Parlement européen, démontrant une nouvelle fois la difficulté de concilier nos ambitions environnementales avec la réalité économique des secteurs impactés. Ce vote fragilise l'ambition du pacte vert, qui doit conduire à la neutralité carbone de l'UE à l'horizon 2050.
Pourtant, ce pacte comportait des avancées importantes pour garantir la préservation de la biodiversité, dans la droite ligne de la position portée par la France à la COP15. Le Conseil de l'environnement du 20 juin avait également validé cette orientation, en apportant son soutien à l'ambition globale portée par ce règlement. Mme la Ministre, à l'heure où certains réclament une pause dans l'édiction de nouvelles normes, quels échanges avez-vous pu avoir avec cos homologues européens sur les réglementations environnementales à venir ?
Enfin, tout en préservant notre ambition en la matière, comment la France peut-elle porter un discours visant à mieux prendre en compte les inquiétudes par rapport à l'accumulation de normes environnementales ?
Je vous remercie pour ces questions extrêmement complètes. Le soutien militaire à l'Ukraine appelle trois points principaux. Le premier concerne l' Act in Support of Ammunition Production (Asap), le deuxième l'industrie et la capacité à produire des équipements militaires avec l'Edip et le troisième la formation.
L'Asap est le plan de soutien à l'Ukraine en matière de munitions pour augmenter les capacités de production des industriels et tenir dans la durée. Nous allons pousser en faveur de cette proposition ambitieuse de la Commission à l'Union, tout en étant attentifs à ce que soient respectées les compétences des États membres et préservés les intérêts de nos industriels.
Sur le volet des munitions, il convient d'évoquer le programme européen d'investissement dans la défense. Il faut changer la donne en matière de coopération industrielle européenne dans le domaine de la défense, c'est-à-dire investir davantage dans la R&D, réduire nos dépendances stratégiques et accélérer la production et la réindustrialisation dans ce domaine.
Nous allons insister pour que l'Asap dispose d'un budget suffisant, mais il faut également promouvoir les investissements privés. À cet effet, nous allons devoir adapter la réglementation européenne et notamment intégrer la défense dans les politiques économiques et industrielles de l'UE, ce qui constitue une nouveauté depuis l'agenda de Versailles.
La formation des soldats ukrainiens doit aussi être mentionnée. D'ici à la fin de l'année, 30 0000 soldats ukrainiens auront été formés sur le sol européen. Il faudra continuer, afin qu'ils puissent tenir dans la durée.
S'agissant d'Osmose et du Parlement européen, la situation progresse. Des échanges sont en cours avec le Parlement sur la manière d'utiliser le bâtiment. Nous respectons les procédures internes en cours. Les quatre collectivités signataires du contrat triennal sont associées à toutes ces discussions. Je me tiens à votre disposition pour vous fournir plus de détails au fil des évolutions.
M. François, vous avez évoqué l'Ukraine, mais aussi le pacte asile-immigration. Le Président de la République a été très clair : la paix se fera aux conditions de l'Ukraine, quand celle-ci aura décidé que le moment est venu de s'asseoir à la table des négociations. Nous suivons avec attention le type de garanties que l'Europe, ses États membres et les États-Unis peuvent offrir à l'Ukraine, afin de dissuader des pays hostiles de réattaquer ou de soutenir une attaque envers l'Ukraine.
S'agissant du pacte asile-immigration, on ne fera jamais entièrement plaisir ni à l'extrême droite, ni à l'extrême-gauche. Nous œuvrons à une solution humaine, équilibrée et responsable, qui fait preuve de solidarité. Cela fait dix ans que ces discussions patinent. Mais nous sommes parvenus à trouver un accord qui renforce à la fois les frontières extérieures et la solidarité intérieure : nous ne pouvons pas laisser les pays de première entrée être les seuls à recevoir les demandeurs d'asile. Les traitements de demandes d'asile vont être accélérés et les procédures de retour ou d'intégration le seront également. Humanité, solidarité et responsabilité sont nos piliers. Comme je l'ai dit, cela ne satisfera aucun des extrêmes, et cela ne satisfait d'ailleurs pas les gouvernements d'extrême-droite entre eux, puisque des débats ont agité la Pologne, la Hongrie et l'Italie.
M. Bompard, la réponse à l'IRA ne se réduit pas au fonds de souveraineté. Le volant simplification, qui passe par des aides d'État accélérées et simplifiées, bénéficiera essentiellement aux grands pays ; raison pour laquelle la France a demandé un fonds de souveraineté pour que les financements puissent aussi bénéficier à des plus petits pays. Il n'y a donc pas seulement 10 milliards, mais aussi des aides d'État, ainsi que la flexibilité que nous demandons dans l'usage des fonds NextGenerationEU pour de nombreux pays. Au total, il s'agit de 400 milliards, face aux 367 milliards américains.
S'agissant de la révision du cadre financier pluriannuel, il s'agit d'une révision de mi-parcours. La visibilité sur les sept prochaines années a été fournie aux agriculteurs. Des marges de manœuvre ont été prévues pour faire face à des crises et nous avons demandé à la Commission comment elle comptait utiliser le fonds de réserve précisément en cas de crise, afin de faire face à l'inflation.
La procédure de l'article 7 se poursuit et je rappelle que la Hongrie n'a pas touché la plupart des fonds auxquels elle pourrait prétendre si elle respectait l'État de droit et si elle n'était pas sous le mécanisme de conditionnalité. Rien ne l'empêche à ce stade d'assurer la présidence tournante du conseil et il existe des garde-fous, puisque la continuité dans les trios se poursuit. Nous exigerons qu'elle respecte son impartialité et qu'elle favorise un consensus entre les États membres.
M. Seitlinger, vous avez raison : nous devons produire en Europe les médicaments essentiels dont nous avons besoin. Dans l'agenda de compétitivité et de sécurité économique figure la réindustrialisation dans le domaine de la santé. Des usines ont ouvert, dont deux en France et une en Autriche. Le processus se poursuivra.
La protection du marché intérieure est essentielle pour s'assurer que des États tiers ne prennent pas de parts de marché parce qu'ils subventionneraient de manière excessive la production chez eux. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, nous ne reproduirons pas les erreurs commises pour les panneaux photovoltaïques. Des procédures sont en cours pour nous assurer que les États qui subventionnent leurs entreprises de manière excessive seront poursuivies et que les entreprises utilisant le dumping seront taxées ou verront leurs exportations vers l'UE limitées.
Ensuite, dans chaque accord commercial, nous demandons que les pays avec lesquels nous contractons respectent nos normes sociales et environnementales. C'est le cas de l'accord avec la Nouvelle Zélande. Mais l'UE n'a pas signé l'accord avec la Chine, qui était en cours de négociation.
Mme Gérard, nous avons soutenu le compromis adopté par le Conseil, puisqu'il donne un cadre solide, flexible et ambitieux pour restaurer les écosystèmes terrestres, marins, urbains, forestiers et agricoles, les polinisateurs et la connectivité des rivières. L'orientation générale a été adoptée et nous espérons qu'elle fournira un signal assez fort pour les députés européens qui doivent à nouveau voter sur le texte dans quelques jours.
La Turquie est importante pour permettre l'exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire. Ce pays a un rôle clef dans le cadre de l'élargissement de l'OTAN à la Suède, mais aussi pour la stabilité en Méditerranée orientale ou dans le Caucase. Ces trois sujets sont des conditions à toute reprise de discussions plus poussées avec ce pays.
En raison du contexte international, les sujets de la défense et de la sécurité ont été au cœur des débats du dernier Conseil européen. La France pousse les Européens à s'affirmer comme puissance militaire. Au sein de l'Assemblée Parlementaire Franco-Allemande, nous nous sommes également emparés de ce sujet. Nous avons mis en place un groupe de travail dont les travaux porteront sur la politique étrangère et la sécurité. Cela traduit la nécessité de construire une Europe de la défense en Franco-Allemands et en Européens.
Le Conseil européen invite la Commission à présenter une proposition de programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, dans le but de renforcer la capacité et la résilience de la base industrielle et technologique de défense européenne, y compris nos PME. Ainsi, pouvez-vous nous fournir plus de précisions sur les objectifs spécifiques de ce programme d'investissement ? Plus précisément, de quelle manière nos entreprises seront-elles incluses dans ce programme ? Quelles sont les étapes prévues pour la mise en œuvre concrète de ce programme au niveau européen ?
Le Conseil européen a souhaité réaffirmer qu'il entendait poursuivre son dialogue stratégique avec la République populaire de Chine, ainsi que son approche stratégique multiformes, considérant ce pays comme un partenaire, un concurrent et un rival.
Dans son relevé de conclusion, le Conseil européen insiste sur le fait que les relations « constructives et stables » avec la Chine soient « ancrées dans le respect de l'ordre international fondé sur des règles, un dialogue équilibré et la réciprocité ».
Dans le point 36, consacré à Taïwan, c'est la première fois à ma connaissance que la situation dans les mers de Chine orientale et méridionale est citée aussi précisément, avec le rappel de leur importance stratégique pour la prospérité et la sécurité régionales et mondiales. Il y est indiqué que l'Union européenne est préoccupée par la montée des tensions dans le détroit de Taïwan et qu'elle s'oppose à toute tentative unilatérale de modifier le statu quo par la force ou la coercition. Faut-il y voir là l'annonce d'un momentum particulier dans la relation entre l'UE et la République populaire de Chine, mais également dans l'attention portée par l'UE à Taïwan ? Est-ce annonciateur d'une nouvelle configuration de relations entre l'UE et Taïwan ?
Je souhaite vous interroger sur le volet économique du Conseil européen. Le 16 août 2022 était promulguée aux États-Unis l'IRA, qui prévoit de soutenir la politique industrielle verte américaine à hauteur de 370 milliards de dollars. Trois éléments posent problème : l'incitation à acheter américain, les subventions à la production et les allègements fiscaux pour les entreprises produisant localement.
En début d'année, la présidente de la Commission publiait un plan en réponse à ce dispositif et se rendait en mars à la rencontre du Président Joe Biden. Dans ses conclusions du 30 juin, Le Conseil invite la Commission, avec l'appui des États membres, à évaluer l'incidence de l'IRA sur l'investissement ainsi que l'efficacité des mesures prises en réaction par l'Union européenne et ses États membres. Pouvez-vous faire état des principaux effets actuels et escomptés de l'IRA pour les entreprises françaises ? Quelle est l'efficacité de la réaction européenne à cet égard ?
La Première ministre estonienne Kaja Kallas est intervenue dans Politico sur la création potentielle d'un fonds européen de soutien à la défense. Elle évoque le chiffre de 100 milliards en utilisant comme précédent le fonds NextGenerationEU. Quelle la position de la France et de ses partenaires sur cette initiative, qui me semble bienvenue ?
Ensuite, quelle est votre position sur la situation entre le Kosovo et la Serbie ? Quelles sont les initiatives françaises et européennes pour apaiser la situation et trouver une solution diplomatique ?
Enfin, des discussions sont en cours entre la France et l'UE au sujet du rapport de la Cour des comptes européenne, qui souligne que France n'atteint pas ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. La situation est surréaliste, puisque nous sommes l'un des pays européens dont le mix énergétique est le plus décarboné, notamment grâce au nucléaire. Pourtant, nous ferions face à des sanctions parce que nous ne serions pas au même niveau en termes d'énergies renouvelables. Comment la France compte-t-elle trouver une solution avec Bruxelles ?
Mme Klinkert, deux discussions sont en cours, à la fois sur le règlement Asap et sur le programme européen d'investissement dans la défense. Ceux-ci doivent nous permettre de capitaliser pour décliner la construction de cette industrie de la défense. Asap est doté de 500 millions d'euros, mais il s'agit surtout d'un cap politique important franchi : pour la première fois, on mobilise le budget européen pour renforcer les capacités de production de munitions et de missiles. L'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa) a fait l'objet d'un accord en trilogue fin juin, pour permettre le soutien à l'acquisition conjointe auprès de l'industrie européenne.
À travers ces deux instruments, nous souhaitons que la Commission présente à l'automne une proposition pour avoir un instrument d'investissement de long terme dans la défense européenne, en tirant partie de l'expérience d'Asap, et qui permette de faire levier sur l'industrie de défense existante au niveau national.
Mme Le Grip, un dialogue important est effectivement intervenu sur la Chine et sur Taïwan. Quand on pense sécurité économique et résilience des chaînes de production, on constate que Taïwan concentre une immense partie de la production de semi-conducteurs. Il est donc nécessaire d'accélérer, notamment en réponse à l'IRA, la production stratégique de semi-conducteurs, de manière coordonnée.
Nous avons déjà débuté des investissements significatifs : nous avons ouvert des usines de fabrication de puces, de batteries et d'autres technologies stratégiques en France, comme dans tous les pays de l'UE. La réponse européenne a été rapide, notamment grâce à la clause de transparence, mais nous devons accélérer cette mise en œuvre : la simplification doit être drastique et il nous faut débloquer plus de financements. Le fonds de souveraineté est une étape et nous devrons aller plus vite dans les autorisations de détail de flexibilité des fonds. À cet égard, il faut rajouter la réforme du marché de l'électricité, qui sera essentielle pour disposer de prix de l'énergie compétitifs, soit un socle pour conserver les entreprises sur le sol européen.
M. Haddad, la proposition de la Première ministre Kallas est effectivement intéressante. Il me paraît très clair que la question du financement et donc d'un emprunt européen se posera. S'agissant du Kosovo et de la Serbie, le Président de la République française, le chancelier allemand et Josep Borrell ont eu des discussions très poussées pendant le sommet de la Communauté politique européenne. L'idée consiste à faire en sorte que chacune des parties mette en place les engagements qui avaient été pris dans le cadre des accords de l'UE précédents. Nous suivons ce dossier au jour le jour, et son évolution est d'autant plus importante que les Balkans ont une perspective européenne.
S'agissant des énergies renouvelables, la situation est effectivement paradoxale. Nous passons une grande partie de notre temps à promouvoir le nucléaire, dans la mesure où 70 % de notre énergie est décarbonée. Aujourd'hui, nous négocions pour faire reconnaître l'importance de l'effort français pour développer les énergies renouvelables et pour que tous les textes européens reconnaissent la part stratégique du nucléaire, puisqu'elle permet de décarboner notre électricité. L'alliance des pays du nucléaire doit nous aider à faire levier.
Pouvez-vous faire un point sur la position de l'exécutif quant à l'acte sur l'intelligence artificielle ?
Nous souhaitons développer une approche assez équilibrée. Il s'agit à la fois de bénéficier des développements et de l'innovation qu'apporte l'intelligence artificielle, tout en établissant un cadre pour sécuriser les conséquences que pourraient avoir un développement que nous ne maîtriserions pas nécessairement. Cet équilibre est difficile à trouver, mais nous voulons atterrir rapidement, à la fois pour ne pas freiner cette innovation, mais aussi pour nous assurer que les effets négatifs soient limités. Quoi qu'il en soit, cette technologie devra faire l'objet de régulations fréquentes.
La séance est levée à 14 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Manuel Bompard, M. Thibaut François, Mme Félicie Gérard, M. Benjamin Haddad, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Lysiane Métayer, M. Christophe Plassard, M. Vincent Seitlinger, M. Charles Sitzenstuhl
Excusées. – Mme Pascale Boyer, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye