La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
Présidence de M. Patrick Hetzel, président.
La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne M. Cédric Tranquard, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour nos auditions qui seront, comme nous en avions convenu à l'occasion de notre réunion constitutive, publics et diffusés en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Nous avons souvent souligné, depuis le début de nos travaux, que les manifestations du printemps s'inscrivaient dans le cadre urbain mais aussi, ce qui est plus rare, qu'elles présentaient un volet rural important. Il est clair que ce qui s'est notamment produit autour de projets agricoles entre pleinement dans le périmètre de nos investigations. C'est la raison pour laquelle je suis particulièrement satisfait d'accueillir la délégation de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) conduite par M. Cédric Tranquard, membre du bureau national, dont je précise qu'il est aussi président de la chambre d'agriculture de la Charente-Maritime. Je vous souhaite la bienvenue ainsi qu'aux deux personnes qui vous accompagnent : M. Laurent Woltz, chef du service juridique et fiscal, et M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques.
Les Français ont été saisis par les événements de Sainte-Soline, qui ont donné lieu à des affrontements d'une grande violence entre manifestants et forces de l'ordre, mais aussi à des effets délétères sur un certain nombre de tiers, dont vous allez sans doute nous parler. Nous voulons comprendre ce qui s'est passé, avant et après l'événement, et quelles méthodes ont été employées par les parties en présence. Nous voulons aussi entendre la voix de ceux qui ont eu à subir le déroulement des actions.
Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées de manière exhaustive. Je vous invite par conséquent à communiquer ultérieurement les éléments de réponse par écrit, ainsi que tout élément d'information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête.
Avant de vous faire prêter serment, j'aimerais vous poser deux questions générales pour introduire les débats. En premier lieu, diriez-vous qu'il existe une continuité entre les associations locales de défense de l'environnement, avec lesquelles vous échangez régulièrement, et les manifestants de Sainte-Soline ? Avez-vous constaté un changement de degré dans les revendications ou plus ouvertement un changement de nature ?
En second lieu, comment qualifier les actions et les réactions des autorités publiques face à cette situation ? Diriez-vous qu'elles ont été efficaces, débordées, passives, à l'écoute ? Avez-vous ressenti une différence de positionnement entre la préfecture, l'autorité judiciaire et les élus locaux ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à le faire.
(M. Cédric Tranquard prête serment).
En préambule, je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. Je suis élu au conseil d'administration de la FNSEA et également président de la chambre départementale d'agriculture de Charente-Maritime, qui est une chambre interdépartementale dont relèvent aussi les Deux-Sèvres, le département où se sont déroulés les évènements de Sainte-Soline.
S'agissant de votre première question, les associations de secteur et les collectifs départementaux ont été débordées par des intervenants venus de l'ensemble du territoire national, voire d'autres pays. Telle est, à tout le moins, la vision que nous avons pu en avoir sur le terrain.
Vous avez également évoqué les forces de l'ordre et les préfectures. Elles nous avaient transmis au préalable des informations. Des secteurs avaient été identifiés. Sur ces derniers, il avait été demandé aux agriculteurs de ne pas utiliser de matériel agricole quelques jours avant le rassemblement, ainsi que le jour même de la manifestation par ailleurs interdite. De notre côté, nous avons fait le maximum pour que les agriculteurs concernés restent chez eux et adoptent une attitude calme. Les discussions ont été plutôt faciles à mettre en place, à la lumière du positionnement des forces de l'ordre chargées de défendre une décision démocratique, validée par un tribunal. Je rappelle que le tribunal avait en effet constaté la conformité au droit des constructions à Sainte-Soline et que les agriculteurs ont attendu plusieurs années pour pouvoir bâtir ces réserves de substitution. Ils se sont conformés aux règles démocratiques, qui ont été bafouées ce jour-là. Cela a été particulièrement difficile à vivre, notamment pour ceux qui habitent les villages à proximité des lieux de confrontation.
Le deuxième volet de ma question concernait la manière dont les autorités publiques ont réagi. Avez-vous des commentaires à ce sujet ?
Les autorités publiques ont été à l'écoute. Elles ont suivi les forces de l'ordre et les demandes de la préfecture. Ensuite, la classe politique a été globalement favorable à l'interdiction de cette manifestation. Dans mon département, il n'y a pas eu, à ma connaissance de remise en cause de ce qui avait été établi auparavant.
Je vous remercie d'être venu devant nous : je suis toujours favorable au renforcement de la Nouvelle-Aquitaine à l'Assemblée nationale, étant député de la Gironde. Mes questions seront de trois ordres.
Tout d'abord, comment analysez-vous la présence d'un certain nombre d'élus, y compris nationaux, lors des manifestations de Sainte-Soline ? Quel est votre ressenti à ce sujet ? La FNSEA entretient en effet des liens avec le monde politique, puisqu'elle plaide pour la cause agricole.
Ensuite, avez-vous constaté, à l'occasion de la manifestation de Sainte-Soline ou dans d'autres circonstances, l'existence de liens formels ou informels entre, d'une part, un certain nombre d'organisations, par exemple des associations et, d'autre part, des individus ou des groupes d'individus violents ?
Enfin, il n'est pas possible de vous auditionner aujourd'hui sans évoquer les évènements qui se sont déroulés la semaine dernière dans la région nantaise. Un millier de personnes ont manifesté de manière itinérante et certaines exploitations ont été saccagées. Quelles est votre analyse des actions menées en particulier par les Soulèvements de la Terre, qui n'était d'ailleurs pas seuls en première ligne à cette occasion ?
Il est exact que des élus nationaux ont été vus lors des manifestations. Ils s'y sont rendus de manière volontaire et ils ont en quelque sorte fait preuve de désobéissance civile, puisque celles-ci avaient été interdites par les préfectures.
Ensuite, vous m'avez interrogé sur l'existence de liens entre des associations départementales, voire régionales, et des personnes ou groupes responsables de grandes violences. Je réitère mes propos liminaires : je pense qu'elles ont été débordées par les groupuscules que l'on appelle communément les black blocs. Ces derniers ont agi, ce jour-là, de manière efficace si je puis dire : leurs actions sur le terrain ont été mises en lumière par plusieurs médias, y compris en direct. Ces médias étaient, à mon sens, très proches sur le terrain. Cette couverture médiatique en direct a pu informer les groupuscules du positionnement des forces de l'ordre. Les gendarmes étaient en soutien des agriculteurs, qui voyaient leurs cultures et leurs terrains complètement dévastés. Près de dix-huit hectares de terres agricoles en production ont été pollués ce jour-là. Les dommages causés ont été assez conséquents.
Par ailleurs, les précédentes manifestations n'avaient pas connu un tel degré de violence. Des dégradations étaient intervenues mais les protagonistes avaient tendance à quitter rapidement les lieux lorsque les forces de l'ordre arrivaient sur place. Ça n'a pas été le cas cette fois. À mon sens, la journée de Sainte-Soline avait été préparée largement en amont par des groupuscules compte tenu de leur efficacité vis-à-vis des forces de l'ordre qui ont été, selon moi, héroïques. Elles ont agi comme elles ont pu au cours de cet évènement, que je qualifie de bataille.
Enfin, vous avez évoqué les évènements de la semaine dernière dans la région nantaise. Des attaques se sont reproduites et elles étaient mal orientées puisqu'elles se sont portées sur des zones où avaient lieu des essais sur du muguet et des salades. Ces expériences visaient à réduire l'irrigation et l'adjonction d'intrants dans le but de faire progresser l'agriculture et de lui permettre d'évoluer vers un modèle plus performant et pérenne. Encore une fois, des fausses informations ont été transmises, sans que je sache si cela a été effectué de manière volontaire ou non. Quoi qu'il en soit, il est regrettable que ces essais conduits pour l'avenir de l'agriculture aient été détruits, sans raison valable, par des personnes en partie à visage découvert. J'espère que ces actes ne resteront pas impunis et que ceux qui les ont perpétrés seront sanctionnés.
Vous avez indiqué que dix-huit hectares ont été pollués à Sainte-Soline. Pouvez-vous fournir des détails sur cette pollution ? Ensuite, vous avez salué l'action des forces de l'ordre, qui ont été selon vous héroïques. Pouvez-vous nous donner quelques exemples qui vous permettent d'attester de cet héroïsme ?
Ces dix-huit hectares de terres agricoles vouées à la production sont jonchés de plastique, de morceaux de grenades lacrymogènes, de barres de fer et d'autres éléments ayant servi de part et d'autre à tenir les positions. Je ne crains pas de le dire : ces terrains ont été saccagés. Ils font et feront l'objet d'opérations de ramassage mises en place par les groupes FNSEA du secteur. Le nettoyage aura pour objet de les remettre le plus possible en état.
La plus grande partie, la moins polluée, qui représente une douzaine d'hectares, a déjà été nettoyée. Mais je n'ai pas en tête le volume de plastique et de métal enlevé par bennes entières. Ces douze hectares sont un peu éloignés de la réserve de substitution. Je pourrai vous faire parvenir ces informations.
Ensuite, l'héroïsme des forces de l'ordre a été réel. Une partie d'entre elles ont aidé à défendre des exploitations agricoles situées à proximité de la zone de la réserve de substitution, qui faisaient l'objet d'attaques visant à les dégrader rapidement. Les forces de l'ordre ont ainsi empêché les activistes d'aller dans les cours de ferme voire de pénétrer dans les habitations. Cette action nous a permis de retenir les agriculteurs qui commençaient à perdre patience et qui étaient prêts, au bout d'un moment, à intervenir pour ne pas laisser faire.
À la vue de ces forces de l'ordre qui étaient sur place, établissaient une défense et expliquaient à ceux qui se trouvaient otages dans ces petites communes qu'ils étaient là pour les protéger, les agriculteurs et les habitants ont gardé confiance. Cette présence a peut-être permis d'éviter des affrontements plus graves entre les agriculteurs et les opposants.
J'ai cru comprendre ce que vous vouliez dire au sujet de certaines associations ou manifestants, mais je souhaiterais que vous le confirmiez. Vous avez indiqué qu'un certain nombre de personnes issues d'organisations institutionnalisées ou associatives ont pu, par leur comportement ou par d'autres voies – c'est à vous de le préciser – transmettre des informations sur la localisation des forces de l'ordre sur le terrain. Est-ce bien cela ?
Vous avez évoqué la pollution qui a affecté les dix-huit hectares de terres agricoles. Une estimation des dégâts économiques, matériels et humains sur les exploitations a-t-elle été effectuée ? La chambre d'agriculture a-t-elle produit une évaluation, notamment pour des motifs d'assurance ou de déclaration de sinistre ?
Les évaluations sont en cours à la suite de demandes déposées auprès des assurances. Ce sujet pose question aujourd'hui et on peut redouter un bras de fer entre les assureurs et l'État afin de déterminer si les actes peuvent être qualifiés de vandalisme, auquel cas ils sont normalement couverts par l'assurance responsabilité civile. S'il s'agit de terrorisme, quoique le mot me semble fort, les assurances pourraient considérer ne pas être concernées.
Enfin, nous étions proches de la zone d'affrontement ce jour-là et nous suivions certaines chaînes d'information en direct. Les manifestants devaient faire de même. Nous avons pu avoir l'impression que les positions des gendarmes avaient été évoquées par les médias.
Vous avez déjà répondu à certains éléments de nos questionnements, mais nous avons besoin d'éléments précis. Selon vous, quels sont les liens entre les agriculteurs présents sur le site au moment de la manifestation ? Avez-vous dû retenir des personnes venant d'autre départements ? Comment vous êtes-vous organisés ? Vous avez indiqué que certains habitants avaient eu le sentiment d'une prise d'otage. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles ont été vos relations avec les forces de l'ordre et les élus ?
Des agriculteurs venant d'autres départements ont effectivement envisagé mener une action en réponse aux manifestants. Je ne pensais pas, et je ne pense toujours pas, qu'il s'agissait d'une bonne solution. En compagnie de mes collègues présidents de chambre départementale, nous avons fait tout notre possible pour éviter un affrontement entre les agriculteurs favorables à la réserve et les groupuscules violents. Il ne faut pas oublier que des gens au comportement pacifique participaient également au rassemblement. Je rappelle également que des enfants étaient présents.
Les manifestants ont été dépassés par une forme de violence émanant de groupes venus de France et de l'étranger. De notre côté, nous nous sommes efforcés d'empêcher les agriculteurs d'aller à l'affrontement. Cette modération nous a fait passer pour des « rigolos » aux yeux de certains. Mais je le redis : je suis fier d'avoir empêché la confrontation, qui aurait pu avoir des conséquences terribles.
Nous avons reçu l'aide d'élus de tous horizons, y compris ceux qui étaient opposés aux systèmes de substitution. Ils nous ont fait part de leur soutien, mais aussi de la nécessité de ne pas intervenir. Certains élus ont peut-être été vus avec les activistes mais je n'en ai pas eu connaissance, dans le secteur où je me trouvais.
En résumé, aucun agriculteur n'a été au contact. Encore une fois, nous craignions que l'irréparable ne se produise. Le résultat de cette journée n'est pas forcément exceptionnel mais nous avons évité le pire, en coordination avec les personnes qui nous ont aidés, qu'il s'agisse de la préfecture, des députés ou des sénateurs présents sur place.
Je souhaite évoquer le coût des dégradations. J'ai bien noté que vous nous fournirez ultérieurement des estimations plus précises. Mais selon vous, quel est l'impact du saccage des terrains sur les cultures à venir ? Dans quel état ces terres se trouvent-elles aujourd'hui ? Est-il possible d'y travailler rapidement ? Les impacts se feront-ils sentir sur plusieurs années ?
L'impact direct a été immédiat : une partie des terrains était dédiée à la culture de blé et une autre devait accueillir une culture de lentilles. En prévision de la manifestation, l'agriculteur n'avait pas semé sur une partie du terrain, ce qui pourrait d'ailleurs lui poser problème s'il souhaite bénéficier des subventions de la politique agricole commune. Les terrains à proximité qui étaient pollués ne seront pas récoltables avec certitude en 2023 : il est trop risqué d'y placer des matériels ou des animaux. La perte financière est donc sèche et directe. Mais nous espérons pouvoir remettre en culture l'année prochaine. Une remise en état d'ici le mois d'octobre ne semble pas forcément vraisemblable, mais celle-ci pourrait se faire d'ici le printemps prochain, en souhaitant que de mauvaises découvertes n'aient pas lieu dans l'intervalle.
Je vous remercie pour votre intervention et je souhaite vous poser plusieurs séries de questions.
Comment, personnellement, mais aussi au nom la FNSEA, qualifieriez-vous ces groupuscules violents ? Vous avez émis quelques réserves à employer le terme de terroristes. Il semble pourtant approprié en l'espèce puisque ces gens ont semé et alimenté la terreur.
Ensuite, je m'interroge au même titre que le rapporteur. Considérez-vous ces éléments violents soutenus, délibérément activés et idéologiquement nourris par des partis politiques ? Plus largement, se nourrissent-ils d'un dénigrement de l'agriculture banalisé depuis un certain nombre d'années ? Je pense notamment à certains antispécistes, à certaines personnes critiques vis-à-vis de l'élevage ou de la consommation de viande. Sont-ils alimentés par ce type d'idéologie ?
Au-delà des coûts financiers, je m'interroge sur les dégâts humains et sociaux éprouvés par les agriculteurs du territoire. Quelles sont les conséquences pour la pérennité de leur activité ? Vous avez salué leur esprit de responsabilité, qui les a conduits à refuser l'affrontement. Ce refus porte-t-il également les signes d'une résignation de la part de ceux qui constatent que les pouvoirs publics sont, quelque part, impuissants ou tardent à apporter une réponse régalienne ?
Ma dernière réflexion porte sur le temps long. Elle concerne le changement de nature de ces opérations depuis une vingtaine d'années, qui semblent avoir atteint un point de rupture. Je rappelle que les opérations étaient alors plutôt folkloriques. Nous nous souvenons de José Bové et des opérations d'arrachage d'organismes génétiquement modifiés, qui étaient relativement pacifiques. Selon vous, quel est l'élément qui a conduit à un changement de nature ? Désormais, les opérations sèment le chaos. Elles sont ultraviolentes. Elles s'en prennent directement à des agriculteurs ou elles visent à tuer parmi les forces de l'ordre. Nous avons le sentiment qu'il n'existe plus de prise sur ces mouvements et que les possibilités de dialogue sont devenues impossibles.
Vous avez évoqué des partis politiques qui incitent des groupuscules à agir. Je pense que certains d'entre eux n'ont mêmes pas besoin d'être activés. Ils agissent de leur propre chef. Ensuite, j'ignore si un parti politique digne de ce nom serait en mesure d'accepter ce qui s'est passé à Sainte-Soline. J'espère que ce n'est pas le cas. Peut-être suis-je naïf ? Cependant, sur le terrain, nous n'avons repéré aucun drapeau ou signe distinctif d'un parti politique lors de l'affrontement. Des partis auraient-ils incité des manifestants à passer à l'acte et à adopter des comportements violents ? Je ne peux pas vous répondre à ce sujet, que je ne connais pas suffisamment.
Ensuite, vous avez mentionné un dénigrement systématique de l'agriculture. Je le pense désormais complètement dépassé. Il porte ou portait sur l'agriculture conventionnelle. Mais lorsque de tels affrontements surviennent, on parle uniquement d'idéologie, qui vise la destruction pure et simple d'une agriculture qui cherche à évoluer. Selon moi, nous n'avions jamais connu un tel niveau de violence, qui a atteint ce jour-là un point de non-retour.
Les dégâts psychologiques que vous avez mentionnés sont réels. Mais il n'existe pas de sentiment de résignation. Si tel était le cas, cela signifierait que la violence l'a emporté. Nous continuerons ces projets parce que la loi les autorise. Or, nous sommes de culture légaliste. Nous respectons la loi. Je rappelle que le premier projet a été rejeté et que nous l'avons accepté : nous n'avions pas construit de réserve. Nous avons ensuite amélioré les techniques et nous nous sommes conformés à ce qui nous avait été demandé par l'État, la loi et les décrets. Nous sommes parvenus à un consensus satisfaisant le plus grand nombre, qui a conduit à démarrer des travaux qui continueront. Je le redis : la résignation n'est pas de mise car il s'agirait là du pire signal à envoyer. Nous ne pouvons nous y résoudre.
Les dégâts humains sont omniprésents. Des agriculteurs peuvent éprouver des difficultés à conduire leurs enfants à l'école le lundi matin, des enfants qui ont entendu leurs parents qualifiés de destructeurs de l'environnement et de la nature. De fait, comme nous le savons tous, la violence subie par les enfants peut être très prononcée et laisser des traces indélébiles.
S'agissant du mode opératoire, il existe une indéniable montée en puissance des phénomènes de violence. À l'occasion de ces manifestations, nous avons atteint les limites du droit, ce qui est fort dommageable. Il y a une vingtaine d'années, lorsque je me suis installé, des actions étaient conduites par des agriculteurs ou par leurs opposants, mais elles cessaient immédiatement lorsque les forces de l'ordre arrivaient. Aujourd'hui, l'affrontement n'est plus craint, ce qui implique un changement de paradigme.
Vous avez mentionné un élément particulier : la présence de groupes venus de l'étranger. Selon vous, quelle proportion représentaient-ils au sein des manifestants ? Les violences exercées étaient-elles plutôt liées à des individus isolés qui pouvaient agir de concert ou cela relevait-il dès le départ d'un plan collectif préparé ?
Ensuite, vous avez indiqué qu'une décision judiciaire avait été prise dans le respect des règles du droit concernant les bassines de Sainte-Soline. Les recours avaient été effectués par les opposants, qui ont perdu en justice. Force doit rester à la loi. À quel moment la rupture est-elle intervenue selon vous ?
Il était simple d'observer que des groupes venaient de l'étranger : nous avons vu circuler des véhicules dont les plaques d'immatriculation étaient européennes, notamment des Allemands et des Hollandais. En revanche, je ne dispose pas d'éléments permettant de les quantifier précisément. Les préfectures seraient sans doute plus à même de vous répondre sur cet aspect précis.
Ensuite, nous estimons que les décisions de justice ont été bafouées. En effet, le dernier jugement nous a donné raison, la partie adverse n'a pas fait appel et les travaux ont pu commencer. À partir de ce moment-là, la contestation ne s'est plus déroulée de manière légale. La violence a succédé aux recours judiciaires. Selon moi, le signal envoyé est très mauvais. Je crains que cela ne crée un précédent regrettable, certains pouvant penser que la violence peut se substituer à la justice, au nom de je ne sais quelle idéologie ou légitimité.
La manifestation dont nous parlons a eu lieu le samedi 25 mars dernier à Sainte-Soline. En tant que responsable agricole local, à partir de quel moment avez-vous perçu le risque de violence ? Était-ce le jour même ?
Cette perception s'est manifestée dans les deux à trois jours précédant la manifestation, lorsque nous avons tenu une réunion tripartite avec les préfectures de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres. À cette occasion, on nous a annoncé que les renseignements territoriaux avaient transmis l'information selon laquelle des groupuscules violents étaient en route pour se positionner dans le secteur. Le soir même, nous avons organisé une réunion entre les chambres d'agriculture, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la Coopérative de l'eau. Nous nous sommes dit que le seuil de risque avait changé de dimension, que nous devions être particulièrement raisonnables et responsables. C'est à ce moment-là que la décision de rester chez nous a été prise.
Lorsque l'on nous a annoncé le lendemain le nombre de forces de l'ordre mobilisées pour la manifestation, la prise de conscience a été encore plus affermie. N'ayant jamais connu une telle situation, nous avons préféré l'apaiser au plus vite plutôt que de jeter de l'huile sur le feu.
Je n'ai pu assister au début de votre intervention et je vous prie de m'excuser par avance si les questions que je m'apprête à poser ont déjà été formulées. Vous avez indiqué avoir fait le choix de vous comporter collectivement de manière raisonnable, compte tenu de la montée de la mobilisation chez les opposants de Sainte-Soline. Vous n'avez donc pas appelé à une contre-manifestation. Il y a malgré tout eu quelques réactions individuelles de la part d'agriculteurs présents sur place. Ainsi, des intimidations ont pu avoir lieu des deux côtés.
Ensuite, je souhaite revenir sur les risques pesant sur les terres situées à proximité de la bassine. De quels risques s'agit-il ? S'agit-il de risques de pollution due au matériel utilisé par les forces de l'ordre ? Des risques d'explosion de déchets laissés sur place ? Pouvez-vous nous apporter plus de précisions ?
Par ailleurs, je souhaite revenir sur la question de la légalité et de son respect. Il existe bien malgré tout des réserves édifiées sans autorisation. On peut ainsi parler de fait accompli : certains agriculteurs construisent des bassines sans autorisation. C'est d'ailleurs le cas dans le Val d'Oise. Quel est votre avis concernant ces pratiques ?
Enfin, vous avez déploré que la violence se substitue aux règles de droit. Je suis d'accord avec ce point de vue. Mais je m'interroge également sur les méthodes que la FNSEA peut employer. Je pense notamment à des intimidations, à des graffitis sur des permanences de parlementaires ne partageant pas le point de vue d'une agriculture productiviste. Plusieurs députés de mon groupe parlementaire ont vu leurs locaux murés ou détériorés. De même, les manifestations organisées par la FNSEA ou les Jeunes agriculteurs font parfois l'objet de débordements. Cela a notamment été le cas à Clermont-Ferrand, ville dont je suis élue. Quelle est votre position sur ces modes d'action, qui dépassent le cadre de la légalité ?
Des risques demeurent sur les terrains. Une zone reste justement protégée par les forces de l'ordre car il semble y subsister des grenades ou des objets incendiaires. L'accès à cette zone reste donc interdit, ce qui m'apparaît normal. Ensuite, si le risque n'était que mécanique, cela resterait raisonnable. Mais en réalité, il est également alimentaire en cas de pollution de la récolte par des métaux et des produits plastiques. Si tel était le cas, le danger serait réel. C'est ce risque qu'il convient surtout d'éviter aujourd'hui.
Ensuite, vous avez évoqué le cas de réserves de substitution construites sans autorisation. De mon côté, je connais la situation de celles situées dans mon département et dans celui des Deux-Sèvres. Elles ont été construites avec autorisation et elles ont pu être démontées par la suite, car les autorisations ont été retirées.
Vous avez mentionné les méthodes de la FNSEA et, en particulier, des manifestations s'étant déroulées à Clermont-Ferrand. Je précise que ces manifestations ont été déclarées et qu'elles n'ont pas fait l'objet d'interdiction préfectorale. Elles se sont déroulées comme prévu même si des débordements ont pu effectivement avoir lieu, ce que nous regrettons tous. Comme je l'ai indiqué au début de mon audition concernant Sainte-Soline, les organisateurs peuvent être parfois débordés par des éléments incontrôlables. Cela peut être le cas de la FNSEA. De notre côté, nous nous efforçons de gérer le mieux possible nos manifestations afin de respecter les biens d'autrui. Or, à Sainte-Soline, cela n'a pas été le cas.
Dans mon département, des permanences ont pu être taguées et murées. Les graffitis mentionnaient par exemple la FNSEA, les Jeunes agriculteurs ou la Coordination rurale. Mais nous cherchons encore les auteurs de ces dégradations. En réalité, j'espère et je pense qu'ils n'étaient pas de chez nous. Je fais partie de ceux qui cherchent à combattre les intimidations et qui promeuvent l'ouverture, la discussion. Les idées peuvent être débattues mais les dégradations ne peuvent être que regrettables. Le bureau et le conseil d'administration de la FNSEA partagent ce point de vue.
Vous avez souligné qu'un certain nombre de familles d'agriculteurs se sont senties menacées lorsqu'il a été annoncé qu'une manifestation de grande ampleur allait se dérouler. Savez-vous si certains agriculteurs, notamment lors de la journée du 25 mars, ont craint pour leur vie ?
Cette crainte a été réelle, au départ, c'est-à-dire quelques jours avant la survenue de la manifestation. Ensuite, la présence des forces de l'ordre a permis de rassurer ceux qui, agriculteurs ou non, étaient les plus proches des lieux, dans les villages. En effet, ils se sentaient protégés. À mesure que la date de la manifestation se rapprochait, les forces de l'ordre étaient plus nombreuses sur le terrain. Les familles se sont senties préservées et également considérées.
À ma connaissance, certaines personnes ont eu très peur le jour même, lors des affrontements, et ont redouté que les forces de l'ordre ne soient débordées. Ce moment a pu durer une heure avant que la situation ne soit rétablie. Quoi qu'il en soit, la présence des gendarmes a été essentielle pour la protection des personnes sur le territoire.
Je me permets de revenir sur l'existence de drapeaux au cours de la préparation de la manifestation. Je précise vouloir éviter tout type d'amalgame : je ne prétends pas que ceux qui étaient présents lors de cette préparation ont participé aux violences. Cependant, pouvez-vous nous détailler le type de bannières que vous avez pu y voir ? À quels types d'organisations étaient-elles rattachées ?
Je ne fais pas non plus d'amalgame au sujet des drapeaux vus sur les lieux de préparation de cette manifestation, qui était interdite. À ce moment précis, l'atmosphère était plutôt calme, les agriculteurs et les représentants des chambres d'agriculture avaient été invités à s'exprimer. Je précise que nous n'y sommes pas allés, conformément à ce qui nous avait été dit.
De mon côté, je ne les ai pas aperçus personnellement, mais certains ont vu des drapeaux de la Confédération paysanne, des Soulèvements de la Terre, de « Bassines non merci ! », de la Ligue pour la protection des oiseaux et de France nature environnement. Des drapeaux de La France insoumise ont également été distingués. Mais une fois encore, je ne suis pas en mesure de dire si les personnes qui tenaient ces drapeaux ont participé aux actions violentes.
Les images diffusées permettent également de distinguer des drapeaux de « No Tav », un groupe italien qui était bien ce jour-là au cœur de l'action.
Au cœur de l'action figuraient effectivement différents drapeaux. Mais ils n'émanaient pas de partis politiques ou de groupes connus en France. Par exemple, des drapeaux de l'association Extinction Rebellion ont été brandis au moment des attaques, au même titre que ceux des Soulèvements de la Terre. C'est la raison pour laquelle ces groupuscules ont pu faire l'objet de demandes de dissolution.
Je vous remercie d'avoir répondu aux questions de la commission d'enquête. Nous serons conduits à rester en contact avec vous afin d'obtenir des précisions écrites, notamment en réponse au questionnaire qui vous a été adressé.
La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne ensuite Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), ministère de l'intérieur.
Nous continuons nos travaux en recevant Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur. Nous allons donc nous intéresser au point de vue technique et juridique après avoir vu les aspects opérationnels avec les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales. Madame la directrice, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la commission d'enquête. Comme vous le savez, nous cherchons à comprendre les éclats de violence qui ont émaillé les manifestations de ce printemps. Nous nous demandons qui sont les délinquants, voire les criminels, et nous cherchons à savoir ce que nous pourrions faire pour que les citoyens puissent exercer leur liberté de manifester sans avoir à subir un environnement violent.
Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées oralement aujourd'hui. Je vous invite par conséquent à communiquer ultérieurement vos réponses écrites ainsi que tout élément d'information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête.
Je vous poserai deux premières questions. En premier lieu, quel bilan tirez-vous de la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations ? Ses mesures phares sur l'interdiction judiciaire de manifester, les zones dessinées par réquisitions du procureur, la pénalisation des manifestants qui masquent leur visage, ont-elles produit les effets attendus ? Faut-il remettre l'ouvrage sur le métier en ce qui concerne l'interdiction administrative de manifester ?
En second lieu, on parle souvent d'une internationale des black blocs qui se transporterait dans les différents pays dès que l'occasion se présente. Sans exagérer le phénomène, avez-vous eu à le traiter ? Si tel est le cas, dans la mesure où la « menace grave pour l'ordre public » qu'exige la loi apparaît manifeste, avez-vous procédé à des expulsions et à des interdictions administratives de territoire ? Le cas échéant, à combien s'établit le nombre d'individus concernés ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à le faire.
(Mme Pascale Léglise prête serment).
, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Vous m'avez interrogée sur le bilan de la loi du 10 avril 2019, qui comprend essentiellement des dispositions pénales. Je ne dispose pas de suffisamment de recul sur les infractions verbalisées. Cependant, si la création de la contravention de quatrième classe de participation à une manifestation interdite est intéressante, elle reste utilisée avec parcimonie. En effet, elle suppose les forces de l'ordre interrompent le maintien de l'ordre pour verbaliser les personnes en infraction.
L'article 78-2-5 du code de procédure pénale permet, sur réquisitions du procureur de la République, de procéder aux inspections visuelles de bagages sur les lieux de la manifestation et à ses abords immédiats, et éventuellement de procéder à des fouilles. Cette mesure permet de prévenir le port et le transport de matériels pouvant s'avérer dangereux en manifestation. Je rappelle ainsi qu'à Sainte-Soline, des armes par nature et par destination ont été découvertes par les forces de l'ordre. Les inspections ont permis de désarmer un certain nombre de personnes qui se présentaient munis d'un matériel aucunement approprié pour une manifestation. Le fait de participer à une manifestation avec une arme est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Ensuite, le fait pour une personne au sein et aux abords immédiats d'une manifestation de voie publique de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime est réprimé par l'article 431-9 du code pénal. Cette infraction est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Il existe donc un motif d'interpeller des individus masqués participant à un groupe violent du seul fait de cette dissimulation de leur visage, sans avoir à leur imputer des faits de violence.
La peine complémentaire d'interdiction de participer à une manifestation doit être mentionnée. On s'étonne que des personnes ayant un comportement récidiviste en matière d'agissements violents ne soient pas plus souvent interdites de paraître au sein de manifestations. Il n'existe pas de disposition administrative équivalente.
Vous avez évoqué la possibilité de discuter à nouveau d'une interdiction administrative de paraître dans les manifestations, qui figurait dans la proposition de loi à l'origine de la loi du 10 avril 2019 et qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Cette censure ne portait pas sur le principe, mais sur certaines des modalités.
D'une part, le champ d'application n'était pas suffisamment précis. Celui-ci peut effectivement être affiné, afin que les agissements violents soient bien imputables à la personne concernée.
D'autre part, la proposition a également été censurée car elle permettait une durée d'application et une portée de la mesure plus large qu'une simple manifestation. L'objectif consistait à empêcher les personnes décidées à en découdre déjà interdites d'une manifestation en un lieu précis de prendre part à un autre défilé poursuivant le même objet en un autre lieu. Une personne interdite de manifestation à Paris aurait pu l'être à Nantes ou à Rennes. Nous savons que les individus en question ne sont pas des manifestants comme les autres. Ils cherchent les situations où agir violemment. Nous pensions que leur interdire toute manifestation sur le territoire national au même moment réglait la question. Le Conseil constitutionnel a considéré cette approche trop large. Nous en avons pris acte.
La troisième difficulté concerne la nécessité de notifier les interdictions 48 heures avant le début de la manifestation pour permettre aux personnes faisant l'objet de la mesure d'agir en référé liberté et d'obtenir une ordonnance en temps et heure pour prendre part au défilé. Pourquoi cette disposition est-elle plus rédhibitoire ? Elle suppose de trouver ces personnes. Or, le délai de 48 heures transforme l'exercice en un jeu du chat et de la souris : les jours précédant la manifestation, il suffit de se rendre injoignable pour subitement réapparaître au moment où l'autorité administrative ne peut plus agir. Par exemple, lors de la vingt-et-unième Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 21), qui se déroulait durant l'état d'urgence en 2015, nous avions assigné à résidence des individus dont nous savions qu'ils allaient commettre de graves troubles à l'ordre public. Le Conseil d'État avait estimé cela possible. Nous ne les avons pas trouvés : ils avaient organisé leur disparition. Les forces de l'ordre les ont cherchés pour leur notifier administrativement leur interdiction. Mais les personnes recherchées avaient compris l'astuce : elles s'étaient rendues introuvables et elles sont ensuite réapparues le jour de la manifestation.
Cette proposition de loi, à laquelle le Gouvernement avait contribué à travers des amendements, visait à distinguer deux systèmes : celui des manifestations déclarées et celui des manifestations non déclarées. Lorsqu'une manifestation n'était pas déclarée et que les personnes ne s'étaient conformées à la règle du jeu, nous pouvions notifier l'interdiction à tout moment, y compris lors de la manifestation. L'arrêté devenait alors immédiatement exécutoire. En effet, des physionomistes savent très bien identifier les personnes incriminées. Sans recours à l'intelligence artificielle, ils connaissent et reconnaissent certains meneurs. Le Conseil constitutionnel a estimé qu'il s'agissait là d'une atteinte déraisonnable au droit au recours effectif justifiant la censure de cette disposition.
Il serait possible de rédiger plus strictement l'interdiction administrative en précisant le champ d'application de la mesure et en renonçant à une application au-delà d'une simple manifestation – du point de vue spatial comme temporel. Il faudrait aussi s'en tenir à un délai de notification inférieur à 48 heures. Cela constituerait déjà une avancée. Cependant, je crains qu'une partie des individus violents n'utilisent des stratagèmes nous empêchant de notifier en temps utile l'arrêté en question. Tel est le constat que nous tirons de cette décision, qui laisse penser que nous pourrions aménager l'interdiction de paraître même si, de ce fait, elle ne serait pas aussi efficace que celle qui avait été imaginée en 2019.
La deuxième question porte sur les black blocs et la manière dont vous traitez ce phénomène, qui semble exister à l'international.
Nous assistons effectivement depuis quelques années à une transformation des types de manifestations. Auparavant, elles pouvaient dégénérer du fait de leur objet ou de leurs participants, c'est-à-dire les manifestants mais aussi parfois des contre-manifestants qui recherchaient l'affrontement. Désormais, certaines personnes viennent se greffer à un cortège, quel que soit son objet, pour en découdre avec les forces de l'ordre et remettre en question le système capitaliste ainsi que les valeurs des pays européens. Ils agissent en marge de la manifestation et leur but essentiel consiste à affronter les forces de sécurité pour contester l'ordre établi.
Les services de renseignement nous indiquent ainsi qu'en marge des manifestations, des participants de pays étrangers procèdent à des contestations radicales. Dans un premier temps, nous essayons de les empêcher d'accéder au territoire français au moyen d'une interdiction administrative du territoire, qui peut être opposée à toute personne constituant une menace grave pour l'ordre public. La mesure implique que ces personnes ne soient pas encore présentes sur le sol français : si elles sont déjà entrées, elle est illégale.
Nous prenons donc des interdictions administratives du territoire, ce qui permet de stopper certains agitateurs à la frontière. Mais elles ne peuvent concerner les personnes présentes sur le territoire européen, puisqu'il n'y a pas de contrôle aux frontières au sein de l'espace Schengen. Si nous les repérons sur le territoire national, nous leur notifions la mesure d'interdiction administrative du territoire et nous pouvons les raccompagner à la frontière. Mais cela ne les empêche pas d'entrer. L'instrument est donc utile, mais il ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la lutte contre ces éléments étrangers.
Par ailleurs, nombre des fauteurs de trouble détiennent la nationalité française. Nous ne pouvons donc pas empêcher leur présence sur le sol français. Lors des dernières manifestations, sur la période couverte par votre commission d'enquête, nous avons pris quatorze interdictions administratives du territoire. Nous en envisageons d'autres pour les futures manifestations. Les services de renseignement nous ont déjà mis en alerte, mais encore faut-il connaître l'identité précise de ces personnes et le moment où elles entrent sur le territoire, ce qui est loin d'être aisé.
Je vous remercie de votre présence devant cette commission d'enquête. Je souhaite revenir sur un point précis, qui résulte de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Nous avions modifié la procédure de dissolution des structures associatives ou des groupements de fait. L'objectif consistait à élargir son champ d'application. Rapporteur général de ce texte, je me souviens que cela avait suscité à l'époque d'assez vifs débats au sein de l'hémicycle. D'après ce que j'ai compris, cet élargissement est le support des initiatives du ministre de l'intérieur pour des dissolutions à venir. D'un point de vue juridique, quelle est l'efficacité du dispositif après quelques années d'application ? Quels en ont été les réussites et les échecs ?
Vous me démentirez si je me trompe mais, concernant un autre volet de cette loi, il me semble que nous avions élaboré un mécanisme spécifique de lutte contre les agissements de membres d'associations dont le comportement vise à violer les principes de la République. Celui-ci permettait d'affecter la responsabilité d'actes individuels à la structure associative. Pouvez-vous tirer le bilan de cette disposition appliquée aux situations auxquelles nous nous intéressons dans la présente commission d'enquête ? Quelles en seraient les évolutions nécessaires ?
Nous avions effectivement souhaité moderniser l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qui remontait à 1936 et qui était donc daté à différents égards. La rédaction permettait de dissoudre les associations et groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Ce sont des mots d'un autre temps. Nous avons notamment ajouté aux « manifestations armées » un critère consistant en des « agissements violents ». Nous avions malgré tout utilisé l'ancienne disposition au préalable. Pour dissoudre les associations d'ultra droite comme Troisième Voie et les Jeunesses nationalistes, nous nous étions fondés sur la disposition de provocation à des manifestations armées dans la rue.
Mais les termes essentiels « dans la rue » ou « espaces publics » ne permettaient pas de décider d'une dissolution à la suite d'agissements violents contre les personnes et les biens dans des lieux privés, comme des bars associatifs ou des salles de réunion. C'est la raison pour laquelle il était apparu nécessaire de modifier cette disposition pour ajouter « contre les personnes et les biens » et supprimer « dans la rue » pour pouvoir attraire des situations différentes. Nous savons que ces associations se battent avec d'autres groupuscules dans d'autres lieux que la rue.
Par conséquent, l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure débute désormais de la manière suivante : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (…) »
Vous m'avez également interrogée sur le bilan. Depuis 2021, nous avons dissous onze associations sur ce fondement. Comme vous l'avez souligné, nous avons rencontré des réussites, mais aussi des difficultés. Le principal obstacle à surmonter concerne la mention « qui provoquent à ». En effet, il n'est pas toujours facile d'utiliser cette notion. Certaines associations visent explicitement à provoquer des agissements violents. Cependant, la plupart du temps, la provocation est implicite, indirecte et presque subliminale. Mais tant pour l'émetteur que pour le récepteur, elle est évidente. Il suffit pour s'en convaincre de lire les commentaires qui succèdent à la parution du message provocateur sur internet ou les réseaux sociaux. Notre travail consiste donc à convaincre le Conseil d'État qu'il n'existe pas uniquement de la provocation directe, mais aussi la provocation implicite et indirecte. Celle-ci est d'ailleurs admise par la jurisprudence judiciaire et par la Cour de cassation, qui considère la provocation à des agissements violents comme une incrimination pénale. Naturellement, il faut agir au cas par cas, pour effectuer un décryptage précis des agissements de l'association
Le fait qu'une association en félicite une autre sur internet parce qu'elle a mis le feu à un commissariat en Corse constitue-t-il une provocation indirecte aux yeux du juge ? De notre côté, nous considérons qu'il s'agit d'une provocation, certes maline. On peut lire par exemple des commentaires comme le suivant : « Un poulet grillé, vous pouvez faire mieux. La semaine prochaine on vous amènera des frites ». Nous essayons de nourrir les dossiers afin de convaincre que les dissolutions répondent bien à de la provocation à des agissements violents.
Ensuite, se pose la question de la violence contre les biens alors que cette disposition a été souvent utilisée pour sanctionner les agissements violents contre les personnes. Ici aussi, la jurisprudence doit être sollicitée. Dans la dernière affaire que nous avons plaidée, au sujet de la dissolution du Bloc lorrain, le Conseil d'État nous a suivis en considérant que la publication de vidéos « illustrant des violences commises par des manifestants à l'égard des forces de l'ordre » constitue bien une provocation « eu égard au nombre et à la récurrence de ces publications », compte tenu de la « volonté explicite de légitimer les violences à l'égard des forces de l'ordre ».
Nous essayons de faire progresser la jurisprudence afin que les provocations retenues ne soient pas seulement explicites. La seule publication de vidéos de policiers en feu ou victimes de graves atteintes doit suffire, selon nous, à qualifier la provocation. Notre travail consiste à solliciter les textes et à les faire évoluer. Dans le cas du Bloc lorrain, le Conseil d'État a retenu « des écrits ou des communications, par leur caractère répété ou systématique, qui légitiment la violence dans les manifestations revendicatives en la présentant comme unique voie du militantisme et apportant son soutien à des personnes interpellées pour violences ». Il y avait débat sur la question de savoir si des messages avec un pouce levé ou un « bravo » pouvaient être caractérisés comme de la provocation. Il a fallu ferrailler pour convaincre, mais nous y sommes parvenus. Nous tentons de persuader le Conseil d'État du bien-fondé de nos mesures vis-à-vis d'autres associations, pour lesquelles le décret de dissolution avait été suspendu en référé.
La disposition est positive dès lors le champ d'application est explicite. Cependant, il est nécessaire de disposer d'une définition commune : le terme « provocation » doit être cerné en droit de la police administrative.
Lorsque vous envisagez la dissolution d'une association, rencontrez-vous des difficultés pour mobiliser l'arsenal juridique à votre disposition ? Si tel est le cas, quelles sont-elles ?
Pour prononcer une dissolution administrative, qui est une mesure de police administrative, nous devons convaincre que nous nous inscrivons bien dans le champ de la disposition, comme la provocation à des agissements violents, l'incitation à la haine et à la discrimination ou des agissements de nature terroriste. Nous devons administrer la preuve. Pour y parvenir, nous disposons d'un certain nombre d'outils. Il peut s'agir d'informations émanant des services de renseignement, concernant des captures d'écran ou la présence des membres d'une association dans des manifestations violentes. En sources ouvertes, nous effectuons également des recherches pour connaître les communications et les mots d'ordre des associations, les agissements violents auxquels elles ont appelé et leurs revendications, les condamnations de leurs membres.
L'article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure sanctionne l'absence de désolidarisation de l'association vis-à-vis des agissements de leurs membres. Quand elles ont été informées de comportements répréhensibles, si les associations ne s'en sont pas désolidarisées ou n'ont pas pris de sanction, elles sont réputées partager le message. Cet élément existait déjà dans la jurisprudence et j'avais pu obtenir la dissolution de certaines associations sur ce motif. Je pense notamment au Centre Zahra France à Grande-Synthe. Sur des réseaux sociaux liés à ce centre étaient tenus des propos antisémites, les commentaires comportant des messages du type « rallumer les fours ». L'association gestionnaire du centre n'avait ni modéré, ni supprimé, ni condamné ces messages. Elle n'avait pas non plus exclu les membres qui les avaient rédigés. Le Conseil d'État avait à juste titre considéré que, puisqu'elle ne s'était pas désolidarisée de ces propos, ils lui étaient imputables. Nous avons depuis intégré cet élément dans le droit positif, ce qui permet de clarifier la situation : les associations sont prévenues. Elles peuvent toutefois adopter un comportement de façade, par exemple en excluant officiellement un membre pour attester de leur bonne foi.
L'imputation des agissements de ses membres à une association constitue donc une première difficulté. La deuxième difficulté à laquelle nous sommes confrontés est relative à la suppression des messages. En effet, nous nous insérons dans une procédure contradictoire en notifiant un certain nombre de motifs à la partie adverse. Ce faisant, nos arguments sont connus. Nos adversaires savent qu'une des parades à leur disposition consiste à supprimer les messages en feignant de les découvrir. Nous ignorons forcément si cette attitude est sincère. Par conséquent, nous n'avons pas toujours pu dissoudre certaines associations qui soutenaient être rentrées dans le rang. Le Conseil d'État leur a donné raison.
Une autre difficulté concerne la traçabilité des membres. Par exemple, les black blocs ne sont pas des associations, mais des groupements de fait. Certains chefs ou membres sont identifiés car interpellés et parfois condamnés. Cependant, ces mouvances sont fluctuantes et se construisent sur un mode d'organisation international. Il est difficile de donner un effet utile aux dissolutions, ces groupements pouvant se reconstituer facilement. Je rappelle également que le délit de reconstitution d'association dissoute implique l'existence d'une communauté d'objet, de dirigeants, d'organisation et de mots d'ordre. Or si nous ne connaissons pas les membres de la première association, il est forcément difficile d'établir un lien avec la seconde.
En conclusion, nous sommes confrontés à une adaptation permanente des méthodes de ces associations, organisées pour répliquer dans le domaine juridictionnel. Elles disposent de juristes. Elles organisent des cours de cours de droit et des ateliers juridiques pour expliquer que faire et ne pas faire afin de ne pas donner prise à des mesures d'entrave individuelles ou collectives.
Je souhaiterais obtenir un complément d'information sur les propos que vous avez tenus en matière d'imputation des actes accomplis par des individus. Il semble exister des difficultés pour obtenir que des actes individuels violents commis à l'occasion de rassemblements licites ou illicites soient attribués à une structure associative. J'ai en tête certains exemples précis, que vous connaissez certainement. Des évolutions sont-elles nécessaires ?
Par ailleurs, j'ai bien compris votre explication sur la notion de provocation implicite et indirecte. Nous pouvons peut-être y réfléchir, en tant que législateur.
Ensuite, vous avez évoqué le nombre de onze associations dissoutes depuis 2021. Combien de procédures avez-vous engagées sur le motif de la commission d'actes violents lors de rassemblements, quelle que soit leur forme ? Quel a été votre taux de succès ?
La difficulté d'imputation à une association est en réalité liée à la difficulté de connaître ses membres. La plupart du temps, les individus sont juste qualifiés de sympathisants par les structures, qui réfutent leur appartenance en tant que membres.
Par exemple, je me souviens avoir plaidé la dissolution de l'association de supporteurs de football Ferveur parisienne. Elle prétendait ne pas connaître une personne incriminée. Nous disposions de photos où on la voyait plastronner avec un drapeau aux couleurs de l'association. En outre, elle était systématiquement présente lors des rassemblements. À cette occasion, j'ai donc pu démontrer le bien-fondé de notre décision.
Il nous revient d'établir des preuves, de la manière la plus méthodique possible. Dans le cas d'espèce, nous disposions de photos, mais ce n'est pas toujours le cas. Nous devons veiller à l'imputabilité, par la méthode du faisceau d'indices, en fournissant le plus d'éléments possible. Ensuite, il s'agit de convaincre le juge. Ces faisceaux d'indices sont de différents ordres : témoignages, notes des services de renseignement, photos. Quand nous parvenons à multiplier ce genre d'informations, il devient compliqué pour l'association de nier connaître ces individus.
Dans l'affaire Troisième Voie, un des motifs que nous soulevions concernait un salut nazi effectué par un des membres du mouvement, qui avait été photographié. La photo était parue dans Paris Match. En outre, l'association ne s'était pas désolidarisée et n'avait pas exclu la personne en question, prétextant qu'elle n'en avait jamais fait partie. Les services de renseignement avaient cependant démontré que des membres de l'association étaient présents lors de ce salut nazi.
Parfois, les désolidarisations semblent factices. Je pense notamment à Génération identitaire et à un de ses responsables, Aurélien Verhassel. Il avait été identifié comme un des tenanciers d'un bar associatif, La Citadelle, dans lequel se passaient des choses peu recommandables. Génération identitaire l'a rayé de ses cadres. Mais on ignore si cette exclusion officielle est sincère et réelle.
Ensuite, vous m'avez demandé ce que le législateur pourrait faire de plus. Nous vivons selon des règles de droit. On ne peut pas renverser la charge de la preuve. C'est à nous, autorité de police administrative portant atteinte à la liberté fondamentale d'association, de démontrer la nécessité de la mesure, comme dans toute décision de police administrative. Nous devons convaincre que l'association cautionne, provoque et suscite ce type de comportements. Le plus souvent, nous y parvenons. Il y a eu peu d'échecs. Depuis 2013, nous avons dissous dix-neuf associations pour seulement deux suspensions en justice. En outre, ces suspensions sont intervenues en référé, le jugement au fond n'ayant pas encore été prononcé.
Dans les cinq dissolutions intervenues en 2012, un bar associatif Envie de rêver était le quartier général de deux associations, Troisième Voie et Jeunesses nationalistes. Troisième Voie était la tête pensante et Jeunesses nationalistes sa milice, qui faisait le coup de poing dans la rue. Dans ce bar, les membres préparaient leurs plans de manifestations armées, délivraient les médailles. Nous avions dissous les trois associations en considérant que le bar associatif était consubstantiel au fonctionnement des deux autres organisations. Mais comme l'objet officiel du bar était la valorisation des terroirs, ils ont réussi à convaincre les juges qu'il s'agissait de leur seule activité. Moyennant trois conférences sur la cuisine béarnaise ou bretonne, ils n'ont pas été dissous. En soi, cela n'a pas été très grave puisque les deux autres associations avaient été dissoutes, l'activité de quartier général du bar associatif avait de fait disparu. Mais c'est l'illustration de la difficulté de convaincre le juge car les associations font état d'une version qu'il nous est difficile de combattre.
S'agissant des échecs, l'un est lié au fait que l'association avait supprimé l'ensemble des messages incriminés entre la phase contradictoire et la phase de contentieux. Le juge avait considéré que la dissolution n'était plus nécessaire. Je ne considère pas qu'il s'agisse d'un échec : notre initiative a rempli son office puisque l'association ne tient plus sur internet ses propos virulents. Néanmoins, elle reste sous surveillance et, si elle devait récidiver, nous réagirions de la même manière.
L'autre échec concerne la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale). Le juge du fond ne s'est pas encore prononcé. Nous allons devoir apporter plus d'éléments pour prouver qu'en l'espèce, la provocation, même indirecte, demeure une provocation. Nous attendons que le Conseil d'État tranche et nous avons besoin de son éclairage. De manière plus générale, nous essayons de solliciter sa jurisprudence en lui donnant à juger des affaires nouvelles pour cerner les inflexions. Si le Conseil maintient la même vision, il faudra peut-être modifier le texte pour inclure les termes de « provocation directe et indirecte ».
Nous vous remercions d'avoir apporté vos lumières aux travaux de notre commission d'enquête. Nous resterons en contact pour la fourniture d'éléments juridiques qui seront utiles pour la rédaction du rapport que rédigera notre rapporteur.
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La réunion se termine à dix-neuf heures cinq.
Présences en réunion
Présents. – M. Florent Boudié, M. Aymeric Caron, M. Romain Daubié, Mme Félicie Gérard, M. Patrick Hetzel, Mme Patricia Lemoine, Mme Sandra Marsaud, Mme Marianne Maximi, M. Ludovic Mendes, M. Julien Odoul, M. Éric Poulliat, M. Alexandre Vincendet
Excusées. – Mme Aurore Bergé, Mme Emeline K/Bidi