, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Vous m'avez interrogée sur le bilan de la loi du 10 avril 2019, qui comprend essentiellement des dispositions pénales. Je ne dispose pas de suffisamment de recul sur les infractions verbalisées. Cependant, si la création de la contravention de quatrième classe de participation à une manifestation interdite est intéressante, elle reste utilisée avec parcimonie. En effet, elle suppose les forces de l'ordre interrompent le maintien de l'ordre pour verbaliser les personnes en infraction.
L'article 78-2-5 du code de procédure pénale permet, sur réquisitions du procureur de la République, de procéder aux inspections visuelles de bagages sur les lieux de la manifestation et à ses abords immédiats, et éventuellement de procéder à des fouilles. Cette mesure permet de prévenir le port et le transport de matériels pouvant s'avérer dangereux en manifestation. Je rappelle ainsi qu'à Sainte-Soline, des armes par nature et par destination ont été découvertes par les forces de l'ordre. Les inspections ont permis de désarmer un certain nombre de personnes qui se présentaient munis d'un matériel aucunement approprié pour une manifestation. Le fait de participer à une manifestation avec une arme est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Ensuite, le fait pour une personne au sein et aux abords immédiats d'une manifestation de voie publique de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime est réprimé par l'article 431-9 du code pénal. Cette infraction est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Il existe donc un motif d'interpeller des individus masqués participant à un groupe violent du seul fait de cette dissimulation de leur visage, sans avoir à leur imputer des faits de violence.
La peine complémentaire d'interdiction de participer à une manifestation doit être mentionnée. On s'étonne que des personnes ayant un comportement récidiviste en matière d'agissements violents ne soient pas plus souvent interdites de paraître au sein de manifestations. Il n'existe pas de disposition administrative équivalente.
Vous avez évoqué la possibilité de discuter à nouveau d'une interdiction administrative de paraître dans les manifestations, qui figurait dans la proposition de loi à l'origine de la loi du 10 avril 2019 et qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Cette censure ne portait pas sur le principe, mais sur certaines des modalités.
D'une part, le champ d'application n'était pas suffisamment précis. Celui-ci peut effectivement être affiné, afin que les agissements violents soient bien imputables à la personne concernée.
D'autre part, la proposition a également été censurée car elle permettait une durée d'application et une portée de la mesure plus large qu'une simple manifestation. L'objectif consistait à empêcher les personnes décidées à en découdre déjà interdites d'une manifestation en un lieu précis de prendre part à un autre défilé poursuivant le même objet en un autre lieu. Une personne interdite de manifestation à Paris aurait pu l'être à Nantes ou à Rennes. Nous savons que les individus en question ne sont pas des manifestants comme les autres. Ils cherchent les situations où agir violemment. Nous pensions que leur interdire toute manifestation sur le territoire national au même moment réglait la question. Le Conseil constitutionnel a considéré cette approche trop large. Nous en avons pris acte.
La troisième difficulté concerne la nécessité de notifier les interdictions 48 heures avant le début de la manifestation pour permettre aux personnes faisant l'objet de la mesure d'agir en référé liberté et d'obtenir une ordonnance en temps et heure pour prendre part au défilé. Pourquoi cette disposition est-elle plus rédhibitoire ? Elle suppose de trouver ces personnes. Or, le délai de 48 heures transforme l'exercice en un jeu du chat et de la souris : les jours précédant la manifestation, il suffit de se rendre injoignable pour subitement réapparaître au moment où l'autorité administrative ne peut plus agir. Par exemple, lors de la vingt-et-unième Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 21), qui se déroulait durant l'état d'urgence en 2015, nous avions assigné à résidence des individus dont nous savions qu'ils allaient commettre de graves troubles à l'ordre public. Le Conseil d'État avait estimé cela possible. Nous ne les avons pas trouvés : ils avaient organisé leur disparition. Les forces de l'ordre les ont cherchés pour leur notifier administrativement leur interdiction. Mais les personnes recherchées avaient compris l'astuce : elles s'étaient rendues introuvables et elles sont ensuite réapparues le jour de la manifestation.
Cette proposition de loi, à laquelle le Gouvernement avait contribué à travers des amendements, visait à distinguer deux systèmes : celui des manifestations déclarées et celui des manifestations non déclarées. Lorsqu'une manifestation n'était pas déclarée et que les personnes ne s'étaient conformées à la règle du jeu, nous pouvions notifier l'interdiction à tout moment, y compris lors de la manifestation. L'arrêté devenait alors immédiatement exécutoire. En effet, des physionomistes savent très bien identifier les personnes incriminées. Sans recours à l'intelligence artificielle, ils connaissent et reconnaissent certains meneurs. Le Conseil constitutionnel a estimé qu'il s'agissait là d'une atteinte déraisonnable au droit au recours effectif justifiant la censure de cette disposition.
Il serait possible de rédiger plus strictement l'interdiction administrative en précisant le champ d'application de la mesure et en renonçant à une application au-delà d'une simple manifestation – du point de vue spatial comme temporel. Il faudrait aussi s'en tenir à un délai de notification inférieur à 48 heures. Cela constituerait déjà une avancée. Cependant, je crains qu'une partie des individus violents n'utilisent des stratagèmes nous empêchant de notifier en temps utile l'arrêté en question. Tel est le constat que nous tirons de cette décision, qui laisse penser que nous pourrions aménager l'interdiction de paraître même si, de ce fait, elle ne serait pas aussi efficace que celle qui avait été imaginée en 2019.