La difficulté d'imputation à une association est en réalité liée à la difficulté de connaître ses membres. La plupart du temps, les individus sont juste qualifiés de sympathisants par les structures, qui réfutent leur appartenance en tant que membres.
Par exemple, je me souviens avoir plaidé la dissolution de l'association de supporteurs de football Ferveur parisienne. Elle prétendait ne pas connaître une personne incriminée. Nous disposions de photos où on la voyait plastronner avec un drapeau aux couleurs de l'association. En outre, elle était systématiquement présente lors des rassemblements. À cette occasion, j'ai donc pu démontrer le bien-fondé de notre décision.
Il nous revient d'établir des preuves, de la manière la plus méthodique possible. Dans le cas d'espèce, nous disposions de photos, mais ce n'est pas toujours le cas. Nous devons veiller à l'imputabilité, par la méthode du faisceau d'indices, en fournissant le plus d'éléments possible. Ensuite, il s'agit de convaincre le juge. Ces faisceaux d'indices sont de différents ordres : témoignages, notes des services de renseignement, photos. Quand nous parvenons à multiplier ce genre d'informations, il devient compliqué pour l'association de nier connaître ces individus.
Dans l'affaire Troisième Voie, un des motifs que nous soulevions concernait un salut nazi effectué par un des membres du mouvement, qui avait été photographié. La photo était parue dans Paris Match. En outre, l'association ne s'était pas désolidarisée et n'avait pas exclu la personne en question, prétextant qu'elle n'en avait jamais fait partie. Les services de renseignement avaient cependant démontré que des membres de l'association étaient présents lors de ce salut nazi.
Parfois, les désolidarisations semblent factices. Je pense notamment à Génération identitaire et à un de ses responsables, Aurélien Verhassel. Il avait été identifié comme un des tenanciers d'un bar associatif, La Citadelle, dans lequel se passaient des choses peu recommandables. Génération identitaire l'a rayé de ses cadres. Mais on ignore si cette exclusion officielle est sincère et réelle.
Ensuite, vous m'avez demandé ce que le législateur pourrait faire de plus. Nous vivons selon des règles de droit. On ne peut pas renverser la charge de la preuve. C'est à nous, autorité de police administrative portant atteinte à la liberté fondamentale d'association, de démontrer la nécessité de la mesure, comme dans toute décision de police administrative. Nous devons convaincre que l'association cautionne, provoque et suscite ce type de comportements. Le plus souvent, nous y parvenons. Il y a eu peu d'échecs. Depuis 2013, nous avons dissous dix-neuf associations pour seulement deux suspensions en justice. En outre, ces suspensions sont intervenues en référé, le jugement au fond n'ayant pas encore été prononcé.
Dans les cinq dissolutions intervenues en 2012, un bar associatif Envie de rêver était le quartier général de deux associations, Troisième Voie et Jeunesses nationalistes. Troisième Voie était la tête pensante et Jeunesses nationalistes sa milice, qui faisait le coup de poing dans la rue. Dans ce bar, les membres préparaient leurs plans de manifestations armées, délivraient les médailles. Nous avions dissous les trois associations en considérant que le bar associatif était consubstantiel au fonctionnement des deux autres organisations. Mais comme l'objet officiel du bar était la valorisation des terroirs, ils ont réussi à convaincre les juges qu'il s'agissait de leur seule activité. Moyennant trois conférences sur la cuisine béarnaise ou bretonne, ils n'ont pas été dissous. En soi, cela n'a pas été très grave puisque les deux autres associations avaient été dissoutes, l'activité de quartier général du bar associatif avait de fait disparu. Mais c'est l'illustration de la difficulté de convaincre le juge car les associations font état d'une version qu'il nous est difficile de combattre.
S'agissant des échecs, l'un est lié au fait que l'association avait supprimé l'ensemble des messages incriminés entre la phase contradictoire et la phase de contentieux. Le juge avait considéré que la dissolution n'était plus nécessaire. Je ne considère pas qu'il s'agisse d'un échec : notre initiative a rempli son office puisque l'association ne tient plus sur internet ses propos virulents. Néanmoins, elle reste sous surveillance et, si elle devait récidiver, nous réagirions de la même manière.
L'autre échec concerne la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale). Le juge du fond ne s'est pas encore prononcé. Nous allons devoir apporter plus d'éléments pour prouver qu'en l'espèce, la provocation, même indirecte, demeure une provocation. Nous attendons que le Conseil d'État tranche et nous avons besoin de son éclairage. De manière plus générale, nous essayons de solliciter sa jurisprudence en lui donnant à juger des affaires nouvelles pour cerner les inflexions. Si le Conseil maintient la même vision, il faudra peut-être modifier le texte pour inclure les termes de « provocation directe et indirecte ».