Pour prononcer une dissolution administrative, qui est une mesure de police administrative, nous devons convaincre que nous nous inscrivons bien dans le champ de la disposition, comme la provocation à des agissements violents, l'incitation à la haine et à la discrimination ou des agissements de nature terroriste. Nous devons administrer la preuve. Pour y parvenir, nous disposons d'un certain nombre d'outils. Il peut s'agir d'informations émanant des services de renseignement, concernant des captures d'écran ou la présence des membres d'une association dans des manifestations violentes. En sources ouvertes, nous effectuons également des recherches pour connaître les communications et les mots d'ordre des associations, les agissements violents auxquels elles ont appelé et leurs revendications, les condamnations de leurs membres.
L'article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure sanctionne l'absence de désolidarisation de l'association vis-à-vis des agissements de leurs membres. Quand elles ont été informées de comportements répréhensibles, si les associations ne s'en sont pas désolidarisées ou n'ont pas pris de sanction, elles sont réputées partager le message. Cet élément existait déjà dans la jurisprudence et j'avais pu obtenir la dissolution de certaines associations sur ce motif. Je pense notamment au Centre Zahra France à Grande-Synthe. Sur des réseaux sociaux liés à ce centre étaient tenus des propos antisémites, les commentaires comportant des messages du type « rallumer les fours ». L'association gestionnaire du centre n'avait ni modéré, ni supprimé, ni condamné ces messages. Elle n'avait pas non plus exclu les membres qui les avaient rédigés. Le Conseil d'État avait à juste titre considéré que, puisqu'elle ne s'était pas désolidarisée de ces propos, ils lui étaient imputables. Nous avons depuis intégré cet élément dans le droit positif, ce qui permet de clarifier la situation : les associations sont prévenues. Elles peuvent toutefois adopter un comportement de façade, par exemple en excluant officiellement un membre pour attester de leur bonne foi.
L'imputation des agissements de ses membres à une association constitue donc une première difficulté. La deuxième difficulté à laquelle nous sommes confrontés est relative à la suppression des messages. En effet, nous nous insérons dans une procédure contradictoire en notifiant un certain nombre de motifs à la partie adverse. Ce faisant, nos arguments sont connus. Nos adversaires savent qu'une des parades à leur disposition consiste à supprimer les messages en feignant de les découvrir. Nous ignorons forcément si cette attitude est sincère. Par conséquent, nous n'avons pas toujours pu dissoudre certaines associations qui soutenaient être rentrées dans le rang. Le Conseil d'État leur a donné raison.
Une autre difficulté concerne la traçabilité des membres. Par exemple, les black blocs ne sont pas des associations, mais des groupements de fait. Certains chefs ou membres sont identifiés car interpellés et parfois condamnés. Cependant, ces mouvances sont fluctuantes et se construisent sur un mode d'organisation international. Il est difficile de donner un effet utile aux dissolutions, ces groupements pouvant se reconstituer facilement. Je rappelle également que le délit de reconstitution d'association dissoute implique l'existence d'une communauté d'objet, de dirigeants, d'organisation et de mots d'ordre. Or si nous ne connaissons pas les membres de la première association, il est forcément difficile d'établir un lien avec la seconde.
En conclusion, nous sommes confrontés à une adaptation permanente des méthodes de ces associations, organisées pour répliquer dans le domaine juridictionnel. Elles disposent de juristes. Elles organisent des cours de cours de droit et des ateliers juridiques pour expliquer que faire et ne pas faire afin de ne pas donner prise à des mesures d'entrave individuelles ou collectives.