Jeudi 2 mars 2023
La séance est ouverte à 17 heures.
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
Mesdames et messieurs, chers collègues, nous reprenons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Nous avons l'honneur d'accueillir Mme la Première ministre, Élisabeth Borne.
Nous vous remercions d'abord d'avoir accepté notre invitation, dans un contexte où l'énergie figure à votre agenda, en même temps que d'autres dossiers particulièrement importants pour les ménages, les entreprises et la Nation.
Le 16 novembre dernier, alors que notre commission d'enquête commençait ses travaux, vous avez renoué avec une tradition qui était, semble-t-il, tombée en désuétude dans son format initial depuis une quinzaine d'années, celle des déclarations du gouvernement dédiées aux questions énergétiques. La situation s'y prêtait, mais vous avez eu le mérite d'en informer le Parlement et de défendre la politique de l'exécutif auprès des députés, en votre qualité de chef du gouvernement. Cette déclaration a permis d'ouvrir de nouvelles perspectives, telles qu'elles avaient été définies par le président de la République à Belfort en février 2022, et sur lesquelles le Parlement aura prochainement l'occasion de se prononcer.
Notre commission d'enquête a pour objet de dresser un constat et de tenter d'expliquer les raisons de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Elle a ainsi procédé à diverses auditions visant à éclairer sur les politiques énergétiques mises en œuvre depuis plusieurs années et sur les conditions dans lesquelles ces orientations ont été définies. À ce titre, notre commission d'enquête a procédé à l'audition d'anciens Premiers ministres et ministres, mais aussi de dirigeants ou responsables, qui se sont succédé à la tête d'entreprises, d'organismes scientifiques ou d'administrations, sans prétendre à mener des travaux totalement exhaustifs, le champ d'investigation étant particulièrement large.
Il nous a paru utile de vous entendre en raison de différentes fonctions qu'il vous est arrivé d'exercer : celles de directrice de cabinet d'une ministre de l'écologie chargée de l'énergie, les fonctions ministérielles que vous avez vous-même exercées lors du quinquennat précédent, en qualité de ministre des transports, puis de ministre de la transition énergétique et solidaire.
Je me limiterai donc, dans ce propos introductif, à relever quelques moments de cette dernière période : la loi Énergie Climat, la remise du « rapport Folz », le projet Hercule de restructuration d'EDF, la publication par Réseau de transport d'électricité (RTE) du schéma décennal de développement du réseau, le confinement lié à la crise sanitaire.
Je vous laisserai la parole pour un propos introductif. Auparavant, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Élisabeth Borne prête serment.)
Comme le président de la République l'a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans son discours de Belfort, et comme j'ai eu l'occasion d'en débattre au Parlement, l'objectif de notre majorité est de conquérir notre souveraineté énergétique. Comme vous l'ont dit tous les spécialistes de l'énergie qui se sont exprimés devant vous, la France contemporaine n'a jamais été souveraine en matière énergétique.
Notre première dépendance, et assurément la plus importante, porte sur les énergies fossiles. Depuis le choc pétrolier dans les années 1970, chaque crise des énergies fossiles a entraîné de forts impacts économiques et sociaux pour nos compatriotes, qu'il s'agisse du chômage ou de l'inflation. En outre, les énergies fossiles sont particulièrement émettrices de gaz à effet de serre et participent activement au dérèglement climatique. Enfin, comme l'a dit le président de la République lors de son discours de Belfort, avant même le début de la guerre en Ukraine, et comme les conséquences de l'agression russe nous l'ont montré une fois de plus, les énergies fossiles nous rendent tributaires des équilibres géopolitiques et des décisions de certaines nations. Elles sont le premier frein à notre souveraineté.
Aussi, nous nous sommes fixé l'objectif ambitieux d'être la première grande nation industrielle à sortir des énergies fossiles. Pour y parvenir, le président de la République a fixé une feuille de route autour de trois piliers : la sobriété, le développement du nucléaire et le développement des énergies renouvelables.
La sobriété est le premier axe majeur de notre action. La sobriété n'est pas la décroissance, qui mettrait à mal notre modèle social : c'est choisir de consommer moins, non pas le temps d'un hiver, mais sur le long terme. C'est allier des gestes du quotidien et des actions de plus en plus structurelles pour faire baisser nos consommations. Je pense notamment à la rénovation des bâtiments ou aux mobilités décarbonées. Nous avons présenté notre plan en la matière au mois d'octobre, pour réduire notre consommation énergétique de 10 % en deux ans grâce à la mobilisation de tous : État, collectivités, entreprises et citoyens.
Nos premiers efforts portent leurs fruits, puisque la consommation de gaz a diminué de plus de 15 % depuis le 1er août 2022 par rapport à l'année précédente. Cela nous a permis de passer l'hiver sans problème, mais cela nous a aussi permis d'atteindre, en 2022, notre objectif de baisser des émissions de gaz à effet de serre. Ces efforts doivent durer, pour que l'on parvienne à baisse notre consommation énergétique de 40 % d'ici 2050. La sobriété est la manière la plus sûre de protéger notre planète, notre pays, et nos concitoyens.
Le deuxième pilier de notre action porte sur le développement du nucléaire. Beaucoup de choses ont été dites, écrites et répétées, mais cette commission d'enquête cherche à établir des faits et à proposer, et en aucun cas à alimenter des polémiques. La stratégie nucléaire se pilote sur le long terme. Elle dépend de choix réalisés, décennie après décennie, par les responsables politiques et les majorités qui se sont succédé. Nous pouvons être fiers collectivement d'être le seul pays d'Europe à avoir tenu le cap du nucléaire. Après Fukushima, beaucoup de pays ont tourné le dos au nucléaire, avec des conséquences majeures sur leur production et leur dépendance. Quand l'Allemagne est passée de 33 à trois réacteurs en état de fonctionnement, et bientôt plus aucun, nous avons maintenu notre parc. Nous avons conservé une très forte puissance de production, avec 55 réacteurs, dans l'attente du démarrage de Flamanville. La question qui se pose est celle de la disponibilité de notre parc, qui reste aujourd'hui mauvaise, et qui nous prive d'une part de notre puissance de production. Plusieurs raisons l'expliquent, d'abord les conséquences d'un sous-investissement dans le nucléaire dans la décennie 2000-2010. Ce sous-investissement a provoqué un certain nombre de problèmes d'entretien sur nos réacteurs, qui ont contribué au vieillissement. Ensuite, nous sommes confrontés à un double retard sur les maintenances. D'une part, les maintenances que nous réalisons pour prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà des quarante ans initialement autorisés et pour intégrer les mesures de renforcement de sécurité post-Fukushima sont plus longues qu'anticipé. D'autre part, le calendrier des maintenances a été fortement perturbé par la Covid. Enfin, le dernier facteur qui explique la faible disponibilité de notre parc est un défaut systémique dit de corrosion sous contrainte, identifié début 2022, que nous devions absolument corriger.
L'ensemble de ces facteurs a conduit à une faible disponibilité de notre parc. La forte mobilisation des équipes d'EDF a permis de remonter la production à 45 gigawatts au plus fort de l'hiver, nous prémunissant ainsi d'un risque de défaillance électrique. Plus généralement, nous œuvrons pour moderniser notre parc. Le premier défi concerne les réacteurs existants. Nous avons engagé les études nécessaires pour les prolonger au-delà de cinquante ans. Ensuite, nous avons engagé, à la demande du président de la République, un vaste programme de développement de nouveaux réacteurs. La construction de six EPR 2 est prévue, dont le premier sera mis en service à l'horizon 2035. Parallèlement, nous étudions la possibilité de construire huit réacteurs supplémentaires. Le projet de loi sur le nucléaire, actuellement en discussion, permettra de faciliter ces programmes et d'aller plus rapidement dans leur développement. Enfin, nous misons sur l'innovation. Avec France 2030, nous investirons un milliard d'euros dans le nucléaire du futur, notamment les SMR, c'est-à-dire les petits réacteurs modulaires. Nous souhaitons en disposer dans moins de dix ans.
Le troisième pilier de notre action porte sur le développement des énergies renouvelables. La souveraineté énergétique consiste aussi à ne pas dépendre d'une source unique d'énergie. Il serait trop risqué de se reposer uniquement sur l'énergie nucléaire, d'autant plus que le nucléaire ne peut répondre à lui seul à la hausse rapide de nos besoins en électricité pour les prochaines années, quand il faut au moins quinze ans pour mettre en service un réacteur. A contrario, un mix 100 % renouvelables n'est pas envisageable, car il serait particulièrement coûteux et sa faisabilité technique n'est pas aujourd'hui avérée. De notre côté, nous faisons le choix résolu du pragmatisme et donc d'un mix énergétique équilibré. Un mix diversifié est un atout et une protection, c'est pourquoi nous voulons avancer sur deux jambes : renouvelables et nucléaire. Cette stratégie implique de développer massivement nos capacités de production d'énergie renouvelable. Ce choix est écologique, car décarboné, et a du sens économiquement, au vu de la baisse des coûts des technologies renouvelables. Il s'agit aussi d'un choix de souveraineté.
Des filières renouvelables en France représentent autant d'énergie que nous n'importons pas. Elles représentent la construction et le développement de filières industrielles, qui créent des emplois qualifiés et démontrent un vrai savoir-faire. Je pense par exemple aux parcs éoliens en mer : notre objectif est d'en construire cinquante d'ici 2050. Je pense à l'hydroélectricité. Nous voulons notamment trouver un nouveau cadre législatif, qui permettra de relancer rapidement les investissements dans les barrages. Je pense aussi au solaire. Je souhaite que nous puissions réinvestir pour installer en France et en Europe la production et l'assemblage de panneaux et développer une nouvelle génération de panneaux solaires. Nous voulons multiplier par dix la production d'énergie solaire dans notre pays d'ici 2050. Par ces mesures, nous voulons doubler nos capacités de production d'énergie d'origine renouvelable d'ici 2030.
Des obstacles subsistaient pour accélérer l'augmentation de nos capacités. La loi sur l'accélération du développement des énergies renouvelables, que vous avez récemment adoptée, a permis d'en lever un certain nombre.
Enfin, assurer la souveraineté énergétique de la France à long terme implique aussi de se positionner sur les vecteurs d'énergie d'avenir les plus prometteurs. Pour faire de la France le leader de l'hydrogène décarboné, nous investissons massivement : neuf milliards d'euros, notamment grâce à France 2030. Nous accompagnons également l'émergence et la montée en puissance d'autres filières, en particulier la géothermie, la biomasse, les biocarburants et le biogaz.
En particulier dans le domaine énergétique, la souveraineté ne s'improvise pas : elle se gagne pas à pas. Tel est le sens de la politique de mon gouvernement, que je viens de vous exposer. Tel est aussi le sens de notre action au niveau européen, car comme nous l'avons vu ces derniers mois, nous sommes plus forts à cette échelle. La solidarité européenne a joué pour permettre à chaque pays de continuer à s'approvisionner dans les meilleures conditions et pour peser face aux marchés. L'action européenne est la manière la plus sûre et la plus efficace de sortir du gaz et du charbon, de réduire notre empreinte carbone ensemble, en Européens. Une stratégie nationale claire et une action européenne ambitieuse sont la méthode de mon gouvernement pour gagner enfin notre souveraineté énergétique.
La politique énergétique est une action du temps long. Je commencerai donc par des questions qui concernent vos fonctions passées avant d'en venir au temps présent. Les travaux de notre commission d'enquête cherchent aussi à contextualiser la façon dont nous prenons et avons pris, par le passé, les décisions énergétiques.
Nous avons reçu hier M. Arnaud Montebourg, ancien ministère du Redressement productif, et il y a quelques semaines Mme Ségolène Royal, ancienne ministre de l'écologie chargée de l'énergie, dont vous avez été la directrice de cabinet, à une époque où l'introduction dans la loi du plafonnement de la capacité de production nucléaire a été actée et où la programmation pluriannuelle de l'énergie a fixé pour la première fois à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique français comme horizon à atteindre.
Vous aviez à l'époque, comme directrice de cabinet, produit une liste de 24 réacteurs à fermer dans la décennie suivant cette prise de décision. Pouvez-vous nous en détailler les modalités d'élaboration et les ambitions initiales ?
J'ignore qui vous a dit que j'avais produit une liste de 24 réacteurs à fermer. L'accord entre le PS et les Verts de 2012 contenait effectivement une liste de 24 réacteurs à fermer. Cet accord politique n'a rien à voir avec mes fonctions de directrice de cabinet. Nous étions à l'époque dans le cadre du mandat de M. François Hollande, qui n'avait pas retenu cet objectif de fermeture, contenu dans l'accord Vert-PS de l'époque, Mme Martine Aubry étant Première secrétaire. Il avait en revanche gardé un objectif de 50 % du nucléaire dans la production d'électricité en 2025. Que des listes aient circulé à l'époque à la suite de l'accord Vert-PS de 2012 est tout à fait possible.
Nous avons débattu dans le cadre de la loi de transition énergétique de la manière dont il était possible, y compris juridiquement, de prolonger les réacteurs au-delà de quarante ans. En effet, ces réacteurs ont été conçus sur la base d'une durée de vie de quarante ans et des débats juridiques portaient sur le fait que les enquêtes publiques menées lors de la réalisation des centrales nucléaires annonçaient cette durée d'exploitation. Certains, notamment les écologistes, qui faisaient partie de l'accord de gouvernement dans ce quinquennat, prônaient un arrêt administratif des centrales nucléaires au terme de ces quarante ans, ce à quoi je me suis opposée et qui n'a pas été retenu. De ce fait, des questions se posaient sur la façon de les prolonger au-delà de quarante ans, sur le plan de la sûreté nucléaire, mais aussi sur le plan juridique. Dans mon souvenir, nous avions retenu l'idée d'un débat public ou d'une consultation publique sur le principe de la prolongation et non d'exiger une nouvelle autorisation administrative. À cette époque, les modalités du plafonnement du nucléaire étaient aussi en débat, puisque le président François Hollande avait retenu l'objectif de 50 %, mais n'avait pas ciblé Fessenheim. La question de la centrale destinée à s'arrêter était donc débattue à l'époque.
Fessenheim n'était pas ciblée. Pour autant, vous comptiez dans vos équipes un délégué interministériel chargé de la fermeture de Fessenheim. Comment avez-vous construit, en 2014-2015, le choix de Fessenheim, qui est un choix politique et administratif, avec la création de ce poste de délégué interministériel ?
Comme vous l'avez indiqué, ce choix a été politique. Pour mémoire, le sujet était celui du plafonnement, à une époque où l'on imaginait le démarrage de Flamanville beaucoup plus tôt. Pendant longtemps, l'idée a été que la puissance équivalente s'arrêterait lors du démarrage de Flamanville. Dans mon souvenir, EDF a été questionné pour savoir s'il existait un meilleur choix que celui de Fessenheim, mais EDF n'a jamais voulu proposer d'autre choix. Fessenheim a été la première centrale à avoir été construite et possède des caractéristiques très particulières qui ont rendu le processus d'arrêt irréversible, ne serait-ce qu'en raison des spécificités du combustible utilisé.
Le choix politique de l'époque était donc fondé sur des éléments qui ne relevaient pas de ma fonction de directrice de cabinet à l'époque, mais étaient sans doute en lien avec son statut de première centrale nucléaire construite, avec des sujets d'éventuel risque sismique et autres.
Douze gigawatts de capacité de production électrique pilotable ont été fermés en France au cours des dix dernières années. Ces choix se fondent notamment sur des scénarios produits alors par RTE, qui prévoient des baisses substantielles du besoin électrique en France dans les années à venir. Comment recevez-vous ces scénarios au sein du ministère de l'environnement chargé de l'énergie ?
En 2014, les informations à ma disposition étaient les bilans prévisionnels de RTE. Ils indiquaient que la problématique de la pointe était résorbée, vu de l'époque, et constataient que le solde exportateur de la France était important, avec plus de 40 térawattheures. Les bilans prévisionnels de RTE de l'époque, en lien sans doute avec les hypothèses de maîtrise de l'énergie et de réduction des consommations énergétiques, prévoyaient une évolution de la consommation d'électricité stable ou en baisse. Ces scénarios ont depuis été complètement réévalués, en lien notamment avec l'électrification des usages. À l'époque, aucune alerte ne pesait sur un quelconque risque sur la sécurité d'approvisionnement.
Je peux assez bien comprendre la lecture de RTE en 2014, alimentée par une situation économique post-crise financière, qui constate l'effet sur la consommation des politiques en matière d'économies d'énergie. Je peux donc comprendre une analyse technique de RTE qui tende à la baisse. En revanche, je comprends moins bien la manière dont le ministère peut recevoir ces analyses techniques, car il devrait avoir une vision plus large prenant en compte les éventuels transferts d'usage et les évolutions de société. La question du transfert d'usage vers l'électricité est aujourd'hui omniprésente dans le débat public. Je peine à imaginer qu'on ne pense pas à ces transferts d'usage au ministère autour de 2015.
On peut regretter le manque de capacité prospective des administrations. Nous étions également peu avant l'Accord de Paris : nous ne nous donnions alors pas les mêmes ambitions de réduction de gaz à effet de serre. La loi de transition énergétique ne mentionne d'ailleurs pas la neutralité carbone : nous étions alors sur le facteur quatre. Donc je pense que l'on n'avait pas les mêmes objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et du coup pas les mêmes ambitions en matière d'électrification. La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), dont c'est la responsabilité, n'a jamais contesté ni émis de doute sur les scénarios de RTE. Cela rend modeste sur les prévisions.
J'en viens aux fonctions que vous avez exercées ensuite, notamment en 2020. Si comme directrice de cabinet de Mme Ségolène Royal, vous avez lancé le processus de fermeture de Fessenheim, vous en avez en quelque sorte assuré la boucle comme ministre de l'écologie en février et en juin 2020. Vous avez, à cette occasion, affirmé que l'on pouvait se réjouir de l'arrêt des deux réacteurs et qu'il marquait ainsi le premier pas vers l'objectif à atteindre de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique. Considérez-vous que cet objectif doive encore être poursuivi ?
Nous ne raisonnons plus de la même façon, puisque nous avons désormais une vision beaucoup plus ambitieuse sur la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et donc sur nos besoins de production en électricité. Il faut aujourd'hui déterminer le meilleur chemin pour répondre à nos besoins d'approvisionnement en électricité, ce qui a conduit le président de la République à annoncer le lancement des six nouveaux EPR. Cela nous conduit à demander à l'ASN d'étudier les modalités de prolongation au-delà de cinquante ans de nos réacteurs nucléaires et à proposer au Parlement le projet de loi voté sur l'accélération des énergies renouvelables et le projet de loi en cours de discussion sur l'accélération des projets de nouveaux réacteurs nucléaires.
Pour autant, même les scénarios étudiés par RTE qui envisagent la plus forte part de nucléaire visent un niveau proche de 50 %, notamment du fait de nos capacités à mettre en service des réacteurs dans les prochaines années : quand on décide un réacteur nucléaire, on peut espérer le mettre en service dans les quinze ans. Il faudra évidemment tirer toutes les leçons des retards pris sur Flamanville. Entre-temps, nous avons absolument besoin de développer des énergies renouvelables. En ce sens, nous avançons sur nos deux jambes. Les scénarios de RTE montrent qu'il faut accélérer, sans attendre, la mise en service des futurs réacteurs nucléaires, nos capacités d'énergies renouvelables. Sur cette même base, nous nous situerons sans doute autour d'une production d'électricité à 50 % d'origine renouvelable et à 50 % d'origine nucléaire.
J'essaie de comprendre les propos sur la politique énergétique que vous avez tenus à l'occasion de votre discours devant nos bancs en novembre dernier. À l'occasion de ce discours, vous avez affirmé travailler à identifier avec EDF et l'Autorité de sûreté nucléaire les réacteurs qui seront arrêtés à cinquante ans. Ce choix de formulation contraste avec ce que vous venez de dire sur les travaux pour identifier la manière de leur faire passer les cinquante ans. Votre logique a-t-elle légèrement changé depuis novembre ?
Je relirai ce que j'ai dit en novembre, mais la logique que je porte n'a pas changé. Elle est celle qui était indiquée par le président de la République dans son discours de Belfort, c'est-à-dire que nous prolongeons les réacteurs autant que possible, au regard des enjeux de sûreté nucléaire, d'abord au-delà de quarante ans, leur durée initialement envisagée, puis au-delà de cinquante ans. Nous avons pu avoir des échanges récemment à ce sujet. Sans doute la marche à cinquante ans est-elle moins « transformante », dans les opérations de maintenance qu'elle appellera, que la marche à quarante ans. Quand je mentionnais les retards que nous avons pu prendre dans les opérations de maintenance pour passer les quarante ans, il faut avoir en tête qu'il s'agissait de la durée de vie initialement envisagée. Personne ne s'était projeté au-delà de quarante ans dans la conception des réacteurs. Un énorme travail a donc dû être réalisé pour passer ce cap, d'autant qu'il a été mené parallèlement au relèvement des exigences de sûreté post-Fukushima. Nous pouvons être confiants dans le fait que la démarche pour passer les cinquante ans ne sera pas de la même nature que celle réalisée pour passer les quarante ans. Je pense avoir dit que nous prolongerions au-delà de quarante ans, de cinquante ans, voire au-delà de soixante ans les réacteurs qui le peuvent, sur le plan de la sûreté. En tout cas, telle était l'intention.
Un besoin de soixante milliards d'euros a été annoncé suite au dernier Conseil de politique nucléaire pour financer le nouveau nucléaire, ainsi que cinquante milliards pour le grand carénage. En revanche, on n'entend pas le chiffre sur le besoin de financement pour les énergies renouvelables dans les années qui viennent. Avez-vous une idée du montant financier qu'il nous faudra mobiliser pour construire les capacités de production en énergies renouvelables ?
Je n'ai pas ce chiffre en tête. Il faudra le regarder dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie. L'un des acquis de la loi de transition énergétique est de nous doter de deux outils, la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone. Ces deux outils ont maintenant fait leurs preuves. Nous avons lancé un débat public sur la filière nucléaire, mais aussi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie. Dans ce cadre, nous aurons à définir notre mix énergétique et les moyens qui doivent l'accompagner, classiquement des soutiens dans le cadre d'appels d'offres, mais aussi, compte tenu de la maturité des technologies, beaucoup de formes d'énergies renouvelables qui ne nécessitent plus de financements publics aujourd'hui.
EDF a rendu son bilan de l'année 2022. Souhaitons qu'il reste exceptionnel et qu'EDF puisse redresser la barre dans les années qui viennent. L'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) semble être l'un des éléments explicatifs. Comment envisagez-vous l'évolution de cet outil ? Lors de nos auditions, nous avons entendu des voix indiquant que lors du vote de la loi NOME en 2010, des mécanismes d'actualisation des tarifs de l'Arenh étaient prévus, ainsi que des mécanismes de sortie de l'Arenh, en cas de situation anormale. Avez-vous pensé mobiliser ces outils pour préserver EDF ?
La situation financière d'EDF résulte d'abord du fait que, par le passé, il produisait de l'ordre de 400 térawattheures. Compte tenu de l'indisponibilité de son parc, il a connu une chute drastique de sa production. On peut imputer les difficultés financières à un enjeu de tarif, mais le premier enjeu est de production. J'espère comme vous que la situation de production se redressera et qu'elle s'améliorera par rapport à ce qu'elle a été en 2022. Cette trajectoire est importante pour les finances d'EDF, mais surtout pour notre pays et pour sa souveraineté énergétique. Je voudrais à nouveau saluer la mobilisation des équipes d'EDF, qui nous ont permis de remonter jusqu'à 45 gigawatts au plus fort de l'hiver, ce qui nous a évité d'avoir tous de grosses difficultés.
J'entends toutes sortes de critiques sur l'Arenh. Chacun doit avoir en tête que l'enjeu porte sur la protection de nos concitoyens, de nos collectivités et de nos entreprises. Nous avons la chance d'avoir en France une énergie décarbonée, nucléaire, avec un coût de revient relativement bas. L'Arenh est l'un des mécanismes permettant aux consommateurs français, ménages, collectivités et entreprises, de bénéficier de ce coût de production bas. Nous pourrions avoir un autre système, où EDF vendrait son électricité sur le marché. Les consommateurs paieraient beaucoup plus cher. Nous pourrions mettre en place des mécanismes comme ceux que nous avons instaurés sur d'autres producteurs d'énergie pour capter la rente et tenter de la rendre aux consommateurs. Toutefois, ce mécanisme est un enjeu majeur quand on veut renforcer notre souveraineté industrielle. Je suis assez surprise d'entendre parfois les mêmes demander l'extension des tarifs réglementés de vente à tous et la suppression de l'ARENH. On ne voit pas bien ce qui, entre les deux, peut permettre au consommateur d'avoir des prix bas et au producteur de vendre à des prix de marché élevés.
Je reformule ma question. M. Luc Rémont, à l'occasion de son audition cette semaine, a affirmé qu'il fallait désormais envisager que les revenus du nucléaire permettent d'abord de financer les enjeux et les défis auxquels le nucléaire aura à faire face. La presse économique l'a d'ailleurs repris. N'est-ce pas là une critique en sous-main de ce mécanisme ?
EDF est une entreprise détenue à 100 % par la Nation. Ses stratégies doivent être définies par nous tous, comme actionnaires d'EDF. Le calcul de l'Arenh ou le calcul d'un autre mécanisme – et la question d'un autre mécanisme se posera – renvoie plus généralement à ce que nous appelons tous, je pense, de nos vœux, à savoir la réforme du marché européen de l'électricité, précisément pour mettre en place des contrats pour différence ou des contrats de long terme. Il s'agit d'un enjeu de pouvoir d'achat pour tous les Français et de compétitivité pour notre économie.
Quand on définit une régulation des prix pour les producteurs d'électricité, il faut bien évidemment couvrir les coûts de production, de renouvellement et de maintenance des outils de production. Nous devons prendre le temps de réfléchir au modèle de financement du nouveau nucléaire, si c'est ce que vous avez en tête. Nous aurons certainement l'occasion d'en redébattre. Ce peut aussi être un choix de financer différemment. Il peut très bien ne pas y avoir de convergence parfaite entre EDF comme entreprise, qui pourrait vouloir maximiser les prix de vente de son électricité, et l'intérêt du consommateur français. Le gouvernement se préoccupera de l'intérêt du consommateur français et de la compétitivité de notre économie et de nos industries.
Ma question se rapporte à la période où vous étiez directrice de cabinet de la ministre chargée de l'écologie, puisque nous avons auditionné de très nombreuses personnes qui nous ont parlé de cette période et du processus décisionnel qui a mené à cette loi. Je souhaiterais avoir votre éclairage sur un certain nombre de points.
Le premier est celui avancé par Mme Ségolène Royal, selon lequel, quand elle arrive aux responsabilités en 2014, le cadrage global de la loi est pris et arrêté : les 50 %, la fermeture progressive de réacteurs et le rééquilibrage du mix énergétique à court terme à l'horizon 2025. Mme Ségolène Royal a expliqué qu'elle aurait bataillé pour décaler cet objectif à 2030. Le tout s'inscrit dans un contexte où les personnes en charge dans les administrations à l'époque nous ont fait part des réserves qu'elles avaient sur la faisabilité technique de ce double objectif de 50 % et de 2025. M. Arnaud Montebourg nous a signifié hier avoir, entre 2012 et 2014, fait part de ses inquiétudes via les administrations de Bercy et de ses alertes, à la fois sur la compétitivité industrielle du secteur énergétique et sur la faisabilité technique.
Vous souvenez-vous, vous aussi, d'une grande conflictualité interministérielle sur l'objectif ? L'essentiel de la décision est-il pris quand vous arrivez aux responsabilités avec la ministre en charge de l'écologie ou de nouveaux arbitrages sont-ils rendus entre 2014 et 2015 ?
L'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire à l'horizon 2025 figurait dans le programme du président de la République de l'époque, M. François Hollande. Cet enjeu programmatique a été inscrit dans la loi de transition énergétique, en renvoyant les modalités aux outils également créés par la loi, c'est-à-dire la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone. Ce choix politique a donc été fait dans la campagne de M. François Hollande en 2012.
Le président Schellenberger a posé une question sur les éventuels risques liés à l'arrêt de Fessenheim, seul objectif mordant de la loi de transition énergétique. Je rappelle que les bilans prévisionnels de RTE étaient assis sur des bases totalement différentes de celles sur lesquelles on raisonne aujourd'hui.
J'en viens à la période 2019-2020. Nous avons essayé dans les précédentes auditions de retracer le processus décisionnel qui a conduit, avec en 2017 l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement et d'un nouveau président, sur la base d'une loi à 50 %, avec la fermeture programmée de nombreux réacteurs à 2025, au discours dit Belfort en 2022, avec une relance très forte d'un nouveau nucléaire. Un certain nombre de jalons sont apparus au cours des auditions.
Vous succédez à deux ministres qui étaient assez ouvertement favorables à la sortie du nucléaire, à des horizons de temps plus ou moins importants. Ils avaient notamment – nous n'avons pas interrogé monsieur de Rugy – été récipiendaires du fameux « rapport d'Escatha-Collet Billon ». Nous essayons de comprendre quel a été le processus, entre 2017 et aujourd'hui – en particulier lorsque vous étiez aux responsabilités –, qui a permis d'instruire la décision dans un contexte où M. Jean-Martin Folz vous remet un rapport pour faire le bilan du chantier de l'EPR. Un certain nombre de questions se posent alors, j'imagine, sur la faisabilité de lancer un nouveau chantier alors que l'EPR précédemment lancé n'est pas encore entré en fonction.
Quels sont les éléments à votre disposition sur ce sujet quand vous arrivez aux responsabilités ? Quelles informations supplémentaires demandez-vous à avoir pour avancer dans cette prise de décision ?
Nous avons, pendant plusieurs années, souhaité avoir le retour d'expérience et donc le démarrage de Flamanville avant de prendre la décision de lancer de nouveaux réacteurs. La décision annoncée par le président de la République à Belfort revient à dire qu'on ne peut plus tarder et qu'il faut engager la réalisation de six nouveaux réacteurs nucléaires, sans attendre le retour d'expérience de Flamanville. Tous les rapports dont nous avons pu disposer mettaient effectivement en lumière une perte de compétences de la filière. Elle reste, pour moi, assez étonnante, alors même que la nécessité de mener tous les investissements dits de grand carénage est connue depuis des années. Il est donc manifeste depuis des années que la filière aura des besoins d'investissement considérables et qu'il faut former des compétences d'ingénierie et de réalisation.
Vous avez, j'imagine, de nombreux échanges avec EDF quand vous arrivez aux responsabilités. Vous recevez aussi le rapport dit Folz qui dresse le bilan des années de chantier de l'EPR. Il décrit aussi, en creux, la capacité d'EDF à mener des projets. Les responsables actuels et passés d'EDF nous en ont parlé : la disponibilité de la main-d'œuvre, les effectifs, la qualité des compétences. Quelle image en avez-vous quand vous arrivez aux responsabilités ? Est-ce très préoccupant ? Quelles demandes formulez-vous, auprès d'EDF notamment ?
Nous avons pu, depuis un certain temps, faire le constat d'une perte de compétences dans la filière. EDF a été sollicité pour remonter en compétences, y compris dans son organisation de conduite générale de projets. Je ne doute pas qu'EDF soit mobilisé pour répondre à ces défis.
La période a été un peu particulière lorsque j'ai été aux responsabilités, puisque nous avons été affectés par l'épidémie de Covid. Il a été éclairant de constater que les maintenances durant cette période ont été fortement perturbées pour deux raisons. D'une part, mener une opération importante de maintenance dans une centrale nucléaire implique de concentrer un nombre de salariés très important. Les circonstances liées à la crise sanitaire ne permettaient pas de réaliser des travaux impliquant un grand nombre de salariés dans un espace confiné, alors que nous n'avions pas de vaccin ni suffisamment de masques. D'autre part, les équipes d'ingénierie nécessaires pour mener ces opérations de maintenance n'étaient, pour une part apparemment non négligeable, pas françaises. Quand on parle de souveraineté, il faut s'assurer que l'ingénierie est présente sur notre territoire pour mener les opérations de maintenance et les opérations de construction de nouveaux réacteurs. Il faut parvenir à former y compris les soudeurs, les chaudronniers et les électriciens dont nous avons besoin pour mener à bien nos opérations de maintenance. Cela fait partie des priorités de mon gouvernement.
Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie a été publié en janvier 2019. Vous arrivez aux responsabilités à un moment où les grands traits sont mis en place : le report à 2035 de l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire, la mise en arrêt de quatorze réacteurs nucléaires, dont les deux de Fessenheim. Quel regard portez-vous sur cette révision de la PPE, qui peut sembler, avec le recul, un pivot à mi-chemin entre les orientations de 2015 et celles annoncées par votre gouvernement et le président de la République pour la prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) ?
Cette PPE, dont j'ai signé le décret, était la première fondée non pas sur un objectif programmatique, notamment celui de la campagne de M. François Hollande, mais sur un objectif documenté et instruit, notamment l'hypothèse que 50 % des réacteurs pouvaient passer la cinquième visite décennale et 50 % la visite suivante.
Cette nouvelle PPE a été établie sur la base de ce qui pouvait paraître comme des hypothèses statistiquement crédibles quant à la capacité à franchir les différentes visites décennales. Ces sujets méritent évidemment d'être instruits en profondeur. Nous menons le retour d'expérience des premières quatrièmes visites décennales sur les réacteurs et nous avons demandé d'instruire, sans attendre, les conditions des cinquièmes visites décennales. On est forcément amené, dans les programmations pluriannuelles de l'énergie, à faire des hypothèses sur le nombre de réacteurs capables de passer ces visites décennales. En tout cas la PPE de 2019 est la première à résulter d'une démarche rationnelle et non d'un objectif politique.
Après remise du rapport et instruction en interne de la possibilité de lancer le chantier de nouveaux réacteurs, pourquoi cet objectif n'était-il pas inscrit dans cette PPE ? Était-il trop tôt pour prendre une telle décision, du point de vue technique ? Cette éventualité a-t-elle été réfléchie, examinée et simplement décalée ou bien n'y avait-il pas, à ce stade, de volonté politique de construire de nouveaux réacteurs ?
Dans une approche qu'on peut qualifier de scientifique, nous avons souhaité mener l'instruction la plus précise possible des différents choix de mix énergétique. Il s'agissait de sortir de positions un peu dogmatiques pour entrer dans des choix fondés sur des scénarios instruits. Il a donc été demandé à RTE d'instruire différents scénarios pour examiner quels étaient les choix devant nous, sur le plan technologique, de la souveraineté, des coûts de réalisation, de compétitivité et de prix de l'électricité. Ces exercices étaient en cours. Par ailleurs, les retours d'expérience étaient en cours, sur les décalages en coûts et en calendrier de l'EPR de Flamanville. Nous souhaitions en disposer avant de prendre une décision raisonnée, fondée sur des faits, de politique énergétique sur les prochaines décennies.
Mme Ségolène Royal est venue devant notre commission avec une coupure de presse signalant que vous aviez demandé à EDF d'examiner un scénario 100 % renouvelables, semblant impliquer que vous auriez soutenu un tel scénario. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
Nous sommes dans des domaines où l'on peut se tromper, comme l'a montré le bilan prévisionnel de RTE. Il est donc responsable d'examiner tous les scénarios, pour faire les choix en toute connaissance de cause. En l'occurrence, l'étude menée par RTE a montré qu'un scénario 100 % renouvelable n'était pas soutenable, tant sur le plan économique que de sécurité d'approvisionnement. Cet élément est important et utile pour tous ceux qui pensent que le débat public doit se tenir sur la base de faits.
Vous avez déclaré fonder la PPE 2019 sur l'hypothèse rationnelle que la plupart des réacteurs passeraient les VD4 et 50 % les VD5. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ?
J'ai mentionné 50 % de fermetures à cinquante ans et 50 % de fermetures à soixante ans.
Parmi les réacteurs qui doivent passer les cinquante ans, 50 % y parviennent. Les anciens réacteurs doivent passer les soixante ans. Je ne pense pas que l'on puisse faire le ratio que vous faites.
Factuellement, les hypothèses retenues sont qu'au passage de la cinquième visite décennale, un sur deux peut le faire, et qu'à la sixième visite décennale, un sur deux la passera.
Vous avez évoqué, au tout début de votre propos, la politique énergétique. Vous en avez cité les trois piliers, en premier lieu la sobriété. Dans son audition il y a quelques jours, M. Nicolas Hulot, a également évoqué les objectifs de sobriété, quand il était en fonction comme ministre de la transition énergétique et solidaire. Pourriez-vous nous dérouler, au travers de toutes vos fonctions, comment ces objectifs de sobriété ont été pris en compte et mis en avant, ou non, dans les années précédentes ?
Le sujet est vaste. Les objectifs de sobriété, comme ministre des transports, ont d'abord consisté à donner à tous nos concitoyens la possibilité d'avoir des solutions alternatives à l'usage individuel de la voiture thermique. J'ai fait une loi d'orientation des mobilités sur cette base. La réforme de la SNCF et les moyens supplémentaires que nous avons pu apporter depuis le précédent quinquennat visent aussi à donner des solutions alternatives et donc à permettre à nos concitoyens de se passer davantage de l'usage individuel d'une voiture thermique. De même, les outils que nous avons pu développer sur les réseaux de bornes de recharge dans les logements et dans l'espace public visent à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les enjeux de sobriété sont aussi à l'origine de la création de MaPrimeRénov´, qui refond toutes les aides à la rénovation énergétique.
Nous ne sommes pas pour autant au bout du chemin. J'attends des ministres en charge qu'on continue d'améliorer les dispositifs pour accélérer la rénovation énergétique des logements. Il s'agit d'un enjeu majeur à la fois en matière d'émissions de gaz à effet de serre, de réduction de nos consommations énergétiques et de pouvoir d'achat pour les Français. C'est l'un des volets que j'ai pu porter comme ministre de la transition écologique. Le choc de la guerre en Ukraine et les risques pesant sur l'approvisionnement de notre pays ont montré qu'au-delà de tous ces outils qu'il faut continuer à développer, nous avons tous une partie de la solution sur la sobriété. Je mentionnais les baisses de la consommation de 15 % sur le gaz et autour de 10 % sur l'électricité. Cela montre à quel point il y a les politiques publiques, il y a les soutiens à la rénovation, il y a les primes à la conversion, il y a les bonus pour l'achat de véhicules électriques, il y a le développement de solutions alternatives à l'usage de la voiture thermique et il y a ce que chacun d'entre nous – État, collectivités, entreprises et citoyens – peut aussi faire.
Vous avez choisi d'axer votre propos uniquement sur vos responsabilités dans la situation de la production d'électricité. Vous n'avez pas fait mention de votre bilan, comme directrice de cabinet, ministre, puis Première ministre, sur la situation du pétrole et du gaz, deux domaines particulièrement importants et édifiants sur le manque de souveraineté énergétique de la France. Quels sont vos commentaires sur les stratégies que vous avez conseillées depuis au moins huit ans ?
Mme Royal a notamment mis en place une taxation sur le diesel, le fioul et le gaz depuis maintenant huit ans. Quel bilan tirez-vous de cette politique sur la réduction de la consommation des énergies fossiles en France, en particulier pour les ménages modestes et moyens ? Estimez-vous que cela a limité notre exposition à la dépendance envers ces énergies fossiles, compte tenu du déficit commercial et énergétique record que nous enregistrons aujourd'hui, avec des prix du baril de pétrole qui ne sont pas, eux, records, par rapport à d'autres années que nous avons connues par le passé, même s'ils sont à un niveau élevé ?
Sur le gaz, je n'ai pas retrouvé, mais c'est une question ouverte, de position de votre part sur l'exposition du continent européen et donc indirectement de la France à la Russie, notamment des positions de votre part ou de madame Royal sur la mise en place de Nord Stream 1 et 2. Aux responsabilités, avez-vous manifesté et conseillé des politiques pour limiter cette exposition de nos alliés allemands et, d'une manière générale, de l'Europe à la Russie ?
Sur la production d'électricité, vous avez énormément mentionné le rôle de RTE et de ses prévisions dans les choix politiques qu'a fait la France, des choix que vous avez, soit conseillés, soit mis en place, tout en disant, je cite, regretter le manque de capacités prospectives de nos administrations : « Cela rend modeste sur les prévisions ». Or, vous continuez à faire reposer votre politique uniquement ou essentiellement sur les prévisions de RTE. Vous les opposez généralement au Parlement comme une référence incontestable, qui se suffit à elle-même, comme un argument d'autorité.
Or, vous venez de dire sous serment qu'il ne s'agit pas d'un argument d'autorité. Je ne conteste pas que ces scénarios existent et soient fondés sur des experts et des personnes qui méritent le respect, mais ce n'est, si je comprends bien, pas une référence incontestable. Par ailleurs, ce n'est pas non plus une référence incontestée. Il est faux de dire que face aux prévisions de RTE, d'autres experts, y compris au sein des administrations, d'EDF et des oppositions politiques, n'aient pas toujours contesté les prévisions de RTE.
La raison est simple : quand vous établissez le rôle du traité de Paris dans un changement de politique climatique et environnementale, vous dites vous-même que nous sommes passés du facteur quatre à l'objectif zéro carbone. Certes, mais il n'est pas besoin de faire Polytechnique pour savoir que, même avec un facteur quatre, cela enclenche des changements de modes de chauffage, de modes de production industrielle et de mobilités qui impliquent une électrification massive, sauf si vous avez une autre solution que j'ignore. Elle est certes d'un ordre moindre que le zéro carbone, mais elle n'est pas négligeable. Je ne comprends donc pas, vous qui parlez de manque de capacité prospective, comment, comme conseillère puis décideuse, vous ne pouvez pas savoir que cela nécessite plus de production d'électricité bas carbone.
Par ailleurs, je n'ai pas compris comment vous pouvez éviter l'effet falaise dès les années 2010 sans lancer de manière plus rapide des programmes nucléaires. Vous indiquez un délai minimal de quinze ans, mais les experts disent tous que ce délai peut malheureusement être plus long. Est-il de bonne politique de ne pas avoir lancé plus tôt un programme pour renouveler tout ou partie du parc nucléaire ?
La question sur l'Allemagne m'étonne venant de votre part, car nous sommes tous dans des États souverains. Je me garderai de lancer des leçons à l'Allemagne. Je n'ai pas défini sa politique énergétique et la France n'est pas partie au gazoduc Nord Stream entre la Russie et l'Allemagne. Il faut respecter la souveraineté de chacun des États membres de l'Union européenne.
Quand vous me demandez quelle est ma politique sur les énergies fossiles, je répondrai que nous avons, avec une grande constance, le même objectif depuis des années : sortir des énergies fossiles. Nous l'avons même renforcée au vu des conséquences de la guerre Ukraine, encore très fortes pour notre pays et pour nos concitoyens. Compte tenu des évolutions technologiques, non seulement il faut conserver cet objectif de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, mais on peut se donner pour but d'en sortir. Je n'ai pas très bien compris vos questions s'agissant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Dans la loi de transition énergétique, nous avons pu revoir les modalités de la fiscalité sur les carburants. Nous avons également mis en place le chèque énergie, qui est une grande innovation. Quand vous me parlez de la situation de nos concitoyens les plus modestes, je pense que le chèque énergie marque une avancée très importante dont ils peuvent bénéficier. Elle donne lieu par ailleurs à des chèques énergie exceptionnels lors de périodes comme nous en avons connues ces derniers mois, avec une hausse exceptionnelle des prix de l'énergie. Cet outil fait donc la démonstration de sa flexibilité et de son efficacité.
Vous dites que j'aurais pu savoir qu'en divisant par quatre nos émissions de gaz à effet de serre, nous aurions forcément une augmentation telle que désormais prévue par RTE de notre consommation électrique. Entre les deux, monsieur le député, se trouve quelque chose qui s'appelle la sobriété, dont nous venons de parler. Il peut y avoir à la fois des réductions globales de notre consommation énergétique, que nous continuons à garder comme objectif, et en même temps, un déplacement entre des énergies fossiles et des énergies décarbonées.
L'évolution des perspectives sur ces différents volets explique sans doute pourquoi les scénarios prévisionnels de RTE ont évolué dans les proportions que j'ai mentionnées. Toutefois, je ne suis pas l'expert de RTE. Vous avez sans doute eu l'occasion de les questionner. Ils pourront vous répondre mieux que moi. Nous ne nous sommes pas cantonnés à questionner RTE. Nous avons eu l'occasion aussi d'interroger notamment l'Agence internationale de l'énergie, qui est une structure de référence dans le monde en matière d'énergie. Nous essayons en effet d'éclairer les décisions. Cela me paraît de bonne démarche. Il survient parfois des éléments imprévus : guerre en Ukraine, crise Covid. La meilleure chance à faire est de questionner les meilleurs experts – en France évidemment RTE, la DGEC, l'Agence internationale de l'énergie – et de balayer les différentes hypothèses. C'est ce que je me suis efforcée de faire dans mes différentes fonctions.
Je souhaiterais vous poser une question relative à la demande insistante et récurrente de l'Union européenne d'ouvrir à la concurrence nos concessions hydroélectriques. Cette perspective ne manque pas de susciter l'émoi des élus de ces territoires, que la perspective de démantèlement de ces chaînes hydroélectriques inquiète. Je pense à la vallée du Lot ou à la Dordogne. Vous avez indiqué dans votre propos introductif vouloir vous doter d'un nouveau cadre pour relancer les investissements dans les barrages. Doit-on comprendre qu'on pourrait nourrir l'espoir d'un abandon définitif de ce projet d'ouverture à la concurrence, qui est en partie responsable du gel de ces investissements ?
Je pense que madame la députée Battistel pourrait aussi soulever ce type de question.
J'ai eu l'occasion de le mentionner : l'un des sujets auxquels la loi de transition énergétique a voulu répondre est précisément ce cadre de concession hydroélectrique, qui n'est pas très courant en Europe. Dans d'autres pays, les producteurs d'électricité sont propriétaires de leurs ouvrages, ce qui permet d'éviter cette question de l'échéance de la concession. Dans le cadre de la loi de transition énergétique, nous avons réussi à prolonger un certain nombre de ces concessions hydroélectriques, notamment avec des regroupements par vallée et avec différentes techniques. Nous avons par ailleurs pu poser les bases pour prolonger la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Le travail se poursuit, avec l'objectif de ne pas être les seuls pénalisés par un modèle auquel nous sommes attachés et qui permet par ailleurs d'avoir une gestion globale de la ressource en eau et de maximiser l'intérêt pour les territoires et les habitants de ces ouvrages hydroélectriques. Nous continuons de travailler en ce sens. Je ne peux pas vous donner la réponse aujourd'hui, mais je peux vous assurer que cela reste l'objectif de mon gouvernement.
Je voudrais poser une question plus de géopolitique et de souveraineté – au-delà de la souveraineté nationale, de la souveraineté européenne de l'énergie. Peut-être ai-je eu de mauvaises informations, mais, si je comprends bien comment vous engagez la France dans la souveraineté énergétique, ce que nous soutenons bien évidemment, j'ai des questionnements sur les autres pays européens et notamment l'Allemagne. On dit que pour produire de l'hydrogène vert, elle passera des contrats avec le Qatar et le Maroc, ce qui créera une nouvelle dépendance vis-à-vis de puissances étrangères, alors qu'elle sort elle-même d'une dépendance très forte au gaz russe.
J'ai deux questions à cet égard : arriverons-nous à avoir une définition commune de l'hydrogène vert ou de l'hydrogène bas carbone, alors que très certainement l'utilisation des SMR nous permettra de produire de l'hydrogène bas carbone ou décarboné sur notre territoire ? Au vu des besoins d'électricité que nous aurons, cela nous permettra effectivement de compenser les manques éventuels et les importations que nous devrions faire d'hydrogène vert. Comment la France peut-elle agir au niveau des 27 pays européens pour aboutir à un schéma commun qui nous évite de chercher de l'hydrogène « vert » ? Vu les transports qu'il faudra faire et toute la technologie qu'il faudra embarquer pour transporter cet hydrogène vert depuis le Qatar et le Maroc vers l'Europe, il n'aura de vert que le nom.
Nous travaillons à éviter toute discrimination défavorable à l'hydrogène produit à partir d'énergie nucléaire. J'ai eu l'occasion de l'évoquer très récemment avec la présidente de la Commission. On peut accepter que la terminologie ne soit pas la même, mais les bénéfices doivent, pour nous, être exactement les mêmes entre l'hydrogène produit à partie d'énergies renouvelables et l'hydrogène produit à partir d'énergie nucléaire. Je pense que nous sommes en train d'en trouver le chemin au niveau européen. Nous le faisons notamment en rassemblant autour de nous les pays qui continuent à croire à l'énergie nucléaire. J'ai eu l'occasion de le dire dès le départ : post-Fukushima, un certain nombre d'États en Europe – l'Allemagne, l'Autriche – ont tourné le dos au nucléaire. Le Luxembourg l'a fait depuis un certain temps déjà. La ministre de la transition énergétique, en sommet européen en début de semaine, a pu regrouper onze États, de mémoire, qui croient au nucléaire et sont déterminés à défendre toute la place de cette énergie dans le mix énergétique européen.
S'agissant du choix allemand, je ne commenterai pas publiquement, mais je partage des interrogations. J'avais eu l'occasion, quand j'étais ministre chargée de l'énergie, de partager avec mon homologue. J'ai eu l'occasion de partager récemment avec le chancelier. Je pense que ces enjeux de souveraineté sont cruciaux. Post-crise Covid et post-conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, se donner pour objectif de ne pas dépendre de l'énergie venant d'une partie du monde qui peut par ailleurs être soumise à des soubresauts géopolitiques me semble un enjeu majeur. En tout cas, c'est au cœur de notre stratégie.
Si je m'accorde, sur la période de votre prise de fonction au cabinet de Mme Ségolène Royal, à la fois sur la ligne politique qui était déjà définie et sur la préparation et le vote de la loi de transition, j'aurais deux blocs de questions. Si monsieur le président en est d'accord, je propose de procéder en deux fois.
Le premier bloc de questions porte sur l'Arenh, qui occupe beaucoup de nos travaux. Pouvez-vous me confirmer que la question du relèvement du prix ne se posait pas à cette époque-là, au regard de la situation du prix sur les marchés ? Je parle de la période où vous étiez au cabinet de Ségolène Royal pour cette première partie.
Toujours sur l'Arenh, la situation plus récente, c'est-à-dire des dernières années, liée à la corrosion sous contrainte, a entraîné une réduction importante de la production nucléaire, passée de 400 à 300 térawattheures. Le plafond de l'Arenh était à 100 térawatts-heures, ce qui représentait 25 % d'Arenh sur la production nucléaire. Quand nous nous sommes retrouvés avec 300 térawattheures et qu'on prélevait 100 térawattheures, et potentiellement 120 térawattheures et plus, avec le relèvement du plafond, nous sommes arrivés à 35 % de la production. Avez-vous eu, à ce moment-là, une réflexion sur la proportionnalité de la ponction de l'Arenh sur la production nucléaire ? Elle aurait pu être révisée au regard de la diminution de la production. Nous avons eu une discussion à l'époque sur le relèvement du plafond, ce qui aggravait encore la ponction.
Avez-vous pensé à suspendre l'Arenh au regard de la situation, ce qui est prévu par la loi en cas de situation particulière, comme plusieurs personnes nous l'ont confirmé ? Cela permettrait d'alléger la charge pesant sur EDF.
Enfin, avez-vous connaissance d'une veille, au ministère ou à la DGEC, sur les moyens de production développés par les fournisseurs alternatifs ?
Il existe deux façons de considérer l'Arenh. Vu d'EDF, l'Arenh est une contrainte qui l'empêche de maximiser son chiffre d'affaires et ses revenus. Un autre point de vue consiste à y voir une très puissante protection des consommateurs français face à des fluctuations des prix de l'électricité très importantes ces derniers mois. Je nous invite à regarder ces deux volets de l'Arenh. Un certain nombre de nos voisins considèrent qu'il s'agit d'une forme de soutien, auquel ils souhaiteraient pouvoir accéder pour leur industrie. C'est un outil majeur de soutien à la compétitivité de nos industries et pour éviter d'exposer les consommateurs français à des fluctuations du prix de l'électricité.
Cela étant dit, certains points ne sont évidemment pas satisfaisants dans le mécanisme actuel. Quand j'étais ministre de l'énergie, pendant l'épidémie de Covid, les prix de marché étaient passés sous les prix de l'Arenh. Les clients ont rendu de l'Arenh à EDF, qui n'avait pas anticipé la vente de ces volumes et a été pris de court. Cette situation a certainement été préjudiciable pour EDF.
L'Arenh n'est donc pas un mécanisme parfait. Il comporte des enjeux de symétrie. Les gouvernements successifs ont montré qu'ils étaient aux côtés d'EDF quand l'entreprise a rencontré des difficultés financières. Il faut avoir en tête la situation financière d'EDF, l'importance cruciale de cette entreprise pour notre pays, la nécessité de s'assurer qu'elle a bien tous les moyens de son développement. En même temps, cela ne doit pas nous conduire à renoncer à ce qui est un outil, sans doute à améliorer, réformer ou adapter, mais un outil majeur pour la compétitivité de notre économie, de nos industries et pour la protection des ménages français.
Vous n'avez pas totalement répondu à mes questions. Avant de poser la dernière, rapidement, trouvez-vous inopportun de caler le montant du plafond de l'Arenh à la production effective à un moment donné ? Si je comprends votre raisonnement sur la question de la protection des consommateurs, il me semble qu'avant le dispositif de l'Arenh, les Français ont toujours été protégés par les tarifs réglementés de vente – à la fois les consommateurs particuliers, les entreprises et les collectivités.
Une autre question portait sur les moyens de production qu'ont pu développer les fournisseurs alternatifs. Il entrait bien dans l'esprit de la loi NOME que de leur permettre, en leur donnant accès à des tarifs préférentiels, d'en faire bénéficier leurs clients, mais en même temps de développer les outils de production, ce qui a été moyennement fait. J'aurais dit « absolument pas » il y a quelques années, mais certains se sont développés.
Ma dernière question est beaucoup plus rapide. Pensez-vous que dans ce contexte un peu particulier, la Commission européenne puisse être plus à l'écoute et moins arc-boutée sur son dogme de la concurrence ? Ne peut-on profiter de cette occasion pour régler à la fois la question de la construction du prix sur le marché de l'électricité et celle du renouvellement des concessions hydroélectriques, qui contribuent aussi à assurer la souveraineté énergétique de notre pays ? Nous l'avons vu dans les moments un peu difficiles : le soutien hydroélectrique a aussi été important.
Je n'ai en effet pas répondu à votre question sur le prix de l'Arenh. Ce sujet n'en était pas en 2015. Plus le temps passe, avec un prix de l'Arenh qui n'a pas été ajusté, plus il en devient un.
S'agissant du volume, je ne sais pas s'il faut tirer des généralités d'une situation dont nous espérons tous qu'elle soit atypique. Cette situation se caractérisait l'an dernier par une très faible disponibilité de notre parc nucléaire, avec non seulement un allongement des durées de maintenance, pour les raisons que j'ai évoquées, mais en plus une douzaine de réacteurs arrêtés suite à ce défaut de corrosion sous contrainte. Nous espérons tous que cela ne se reproduira pas. Ne bâtissons peut-être pas l'avenir sur une situation atypique.
Vous évoquez les fournisseurs et la nécessité qu'ils développent leurs propres capacités de production. Comme vous l'avez dit, certains le font. Dans le cadre de la réflexion sur le marché européen de l'électricité, nous portons le souhait d'avoir des exigences prudentielles plus fortes sur les fournisseurs d'électricité, pour qu'ils soient moins exposés et que, de ce fait, ils exposent moins leurs clients aux prix spot ou aux prix des marchés à terme à quelques mois. Ainsi, ils auraient une partie de leur approvisionnement de long terme, ce qui rejoint un autre dispositif que vous connaissez bien, je pense : les marchés de capacités.
Nous avons tous intérêt à ce qu'il y ait peu, voire pas d'opérateurs qui fassent du trading, et au contraire plus de fournisseurs avec des capacités d'approvisionnement sur des marchés de long terme, qui peuvent par ailleurs sécuriser le développement de capacités de production. Dans les réflexions que nous pouvons avoir sur la réforme du marché européen de l'électricité, il faut redonner toute leur place aux contrats de long terme, qui sécurisent les industriels qui en bénéficient et les producteurs qui signent ce type de contrat. Nous devons par ailleurs avoir des mécanismes de régulation plus perfectionnés que l'Arenh, en tout cas pour sécuriser des capacités de production et éviter d'exposer les consommateurs à des fluctuations de prix de marché. Nous portons effectivement cette préoccupation.
La Commission est-elle plus ouverte après les turbulences de ces derniers mois sur les marchés de l'énergie européens ? Très clairement, la présidente de la Commission est plus ouverte. Ensuite, on retrouve sans doute l'administration telle qu'en elle-même, mais il existe sans doute une volonté partagée avec la présidente de la Commission de faire évoluer les choses.
Le bilan électrique 2022 de RTE nous rappelle qu'on a consommé en France 460 térawattheures d'électricité, que nous en avons produits 445 et que, donc, tout cela mis bout à bout, nous en avons grosso modo importé 16,5. Nous avons donc importé 4 % de notre consommation. EDF vend 120 térawattheures de son électricité en Arenh à des fournisseurs alternatifs. Il fournit à peu près autant sur du tarif réglementé. C'est donc EDF qui, essentiellement, achète de l'électricité à l'import au prix spot, donc le décuple du tarif habituel. Pourtant, ce sont les fournisseurs alternatifs qui augmentent leurs tarifs, notamment auprès des TPE et PME, alors qu'ils bénéficient de l'accès à l'Arenh.
EDF a, en effet, été amené à importer de l'électricité, parce que quand on ne produit pas ce qu'on devait produire, on est dans une forme de défaut. Nous souhaitons que cela ne se reproduise pas et je nous invite tous à ne pas construire notre vision des règles du marché de l'électricité sur la base de ce que j'espère être une année exceptionnelle par la faible disponibilité circonstancielle de notre parc nucléaire. En effet, EDF s'est certainement retrouvé à devoir acheter l'électricité sur laquelle il comptait et qu'il n'a pas produite.
Je pense que nous avons tous rencontré des TPE et des PME qui subissaient une augmentation de leur facture d'électricité alors même que leur fournisseur était EDF. Il n'y a pas d'un côté des fournisseurs alternatifs qui auraient augmenté leurs prix et EDF qui n'aurait pas augmenté ses prix. À la fin, dans le prix de référence qui a été donné par la CRE à partir du début de l'automne, la part d'Arenh est bien prise en compte. Quand nous avons demandé, y compris à l'ensemble des fournisseurs, de revenir à 280 euros du MWh, nous tenons compte du fait qu'ils disposent tous d'une certaine part d'Arenh. Je ne partage pas la vision que tous les fournisseurs gagneraient beaucoup d'argent pendant qu'EDF en perdrait. Je crois que c'est plus complexe.
Vous avez parlé tout à l'heure de la politique du gouvernement et de notre majorité en matière énergétique, à savoir conquérir notre souveraineté et notre indépendance. Ma question porte en la matière sur les compétences. Vous le savez mieux que personne, il n'est pas d'indépendance sans compétence. Vous avez également été ministre du travail. Vous avez obtenu un certain nombre de succès en la matière ; je pense notamment au développement de l'apprentissage.
En la matière, donc, quelles sont les orientations que vous et votre gouvernement pouvez donner ou donnez aux compétences dans la filière nucléaire, que vous avez évoquées tout à l'heure, pour que la France forme suffisamment de techniciens, d'ingénieurs – on parle souvent des soudeurs, des chaudronniers et bien d'autres – qui seraient disponibles pour la filière nucléaire dans les années à venir ?
Nous avons un enjeu général de former plus d'ingénieurs. Je peux vous assurer que la ministre de l'enseignement supérieur s'emploie à accroître nos capacités de formation et à mobiliser tous nos établissements d'enseignement supérieur pour former plus d'ingénieurs. Nous avons également besoin de former plus de techniciens et plus de jeunes aux métiers de l'industrie.
La réforme de l'apprentissage portée dans le précédent quinquennat permet précisément de donner de l'agilité aux centres de formation des apprentis, pour développer des formations qui répondent aux besoins de l'économie, et notamment les besoins importants dans le domaine de l'énergie, et spécifiquement de l'énergie nucléaire. Comme vous le savez, nous réfléchissons aussi à une réforme du lycée professionnel, pour pouvoir adapter beaucoup mieux nos cartes de formation en tenant compte des besoins de notre tissu économique et spécifiquement industriel.
Nous avons un autre enjeu, qui est ensuite que les jeunes s'orientent vers ces filières, notamment les jeunes femmes. J'ai eu l'occasion de le dire : nous avons prévu de mettre en place 10 000 parcours d'accompagnement pour des jeunes filles, pour essayer de leur donner toutes leurs chances, pour avoir demain de jeunes femmes dans les métiers scientifiques et techniques et notamment pour répondre aux énormes besoins de compétences que nous aurons dans notre filière nucléaire. Nous aurons l'occasion d'en parler avec les ministres demain, puisque je réunis un conseil national de la refondation (CNR) jeunesse aussi pour parler des sujets d'orientations. Nous continuons, dans notre pays, à très mal connaître ces métiers, à très mal connaître les possibilités de rémunération quand on est soudeur ou chaudronnier, à très mal connaître les perspectives d'évolution professionnelle. Nous avons un énorme défi, qui est non seulement de mettre en place les formations dont nous avons besoin, mais ensuite de remplir, si je puis dire, un certain nombre de centres de formation d'apprentis. Les lycées professionnels nous le disent : les jeunes ne vont pas encore spontanément vers ces filières, donc nous avons un très gros défi, qui est de faire connaître ces métiers, d'en faire la promotion, pour que les jeunes aillent effectivement dans ces métiers.
Dans cette commission d'enquête, nous cherchons à identifier les raisons de la perte d'indépendance et de souveraineté énergétiques de notre pays. Pouvez-vous nous expliquer en quoi l'appartenance de la France au marché européen de l'énergie renforce l'indépendance et la souveraineté énergétiques de notre pays ? À partir du moment où nous ne sommes plus souverains pour déterminer les prix de l'énergie, bien évidemment à partir du coût de production en France – on ne peut pas déterminer des prix comme cela – et que nous sommes dépendants d'autres énergies venant d'autres pays, en quoi est-ce que cela participe du renforcement de notre indépendance et de notre souveraineté énergétique ? D'autant plus que vous faites payer cette décision aux ménages et à l'ensemble des TPE-PME qui aujourd'hui paient des factures énergétiques ahurissantes.
Le deuxième sujet sur lequel je souhaite vous interroger est un sujet sur lequel j'ai interrogé M. Arnaud Montebourg hier, dans le cadre de nos auditions. L'avenir d'EDF est bien évidemment indissociable de l'indépendance énergétique du pays. Début juillet 2022, vous avez annoncé la nationalisation intégrale du groupe EDF, et c'est une bonne nouvelle, mais la question que l'on peut se poser est : pour quoi faire ? Heureusement, vous avez a priori abandonné le projet Hercule de restructuration, qui visait entre autres à démanteler, en tout cas à disperser, si vous préférez ce terme, les activités du groupe EDF. Suite à l'arrivée du nouveau PDG d'EDF, M. Luc Rémont, vous lui avez adressé une feuille de route pour lui demander, d'ici l'été 2023, quelle est sa vision de la réorganisation, voire restructuration du groupe EDF.
Sans avoir encore, je suppose, les conclusions de M. Luc Rémont, pouvez-vous assurer la représentation nationale que votre gouvernement exclura toute proposition de restructuration qui vise à une cession ou une scission des activités du groupe EDF ? Je pense notamment à une scission entre les activités du nucléaire et d'énergies renouvelables.
Troisième sujet, vous avez cité, au tout début de votre audition, les trois piliers qui forment votre politique énergétique et notamment vous avez cité le premier d'entre eux, qui est la stratégie de sobriété que vous avez adoptée. Vous êtes aujourd'hui auditionnée sous serment. Dites sincèrement à la représentation nationale si cette stratégie de sobriété est une véritable volonté de votre part de réduire les consommations. Dans ce cas, cela m'inquiéterait beaucoup pour un gouvernement qui se dit pro- business, avec une volonté de développer la croissance, l'innovation et l'économie.
Je suis élu d'une circonscription qui est particulièrement industrielle et je peux vous assurer que bon nombre de PME, bon nombre d'ETI – beaucoup d'entreprises, et notamment des verreries et tant d'autres secteurs d'industrie – paniquent totalement quant à la possibilité qu'il y ait pu avoir des délestages cet hiver et qu'il puisse y en avoir dans les prochaines années. Cette stratégie de sobriété ne vise-t-elle pas, finalement, à dissimuler tout simplement une pénurie d'électricité et une incapacité du pays, à cause de l'abandon de la filière nucléaire, à répondre aux besoins dignes d'une puissance mondiale ?
Quatrième sujet sur lequel je souhaite vous interroger, suite aux pénuries d'électricité que nous avons traversées et que nous traversons : l'Assemblée nationale examine un projet de loi qui vise à accélérer l'installation de nouveaux réacteurs nucléaires. Ce projet de loi va dans le bon sens, dans son idée en tout cas. Toutefois, malgré la volonté de votre gouvernement de construire six nouveaux réacteurs dans les prochaines années, vous avez confirmé tout à l'heure ce qu'a annoncé Mme Pannier-Runacher ces derniers jours : a priori, votre gouvernement ne sait toujours pas comment il va financer ces cinquante milliards d'euros au moins qui sont nécessaires à la construction de six réacteurs nucléaires. Quelles pistes envisagez-vous, même si elles ne sont toujours pas arrêtées, pour financer ces plus de cinquante milliards d'euros qui permettront la construction des nouveaux réacteurs nucléaires ? Je m'inquiète de leurs répercussions économiques. Quelles garanties apporterez-vous pour que cet argent, je suppose essentiellement issu de la poche du contribuable, bénéficie en priorité aux emplois et aux entreprises françaises et n'aillent pas subventionner des groupes étrangers ? Cela nous empêcherait, bien évidemment, de relocaliser certaines activités que nous avons pu perdre.
Encore une fois, j'ai l'exemple dans ma circonscription de plusieurs entreprises qui souhaiteraient participer à ce programme de nouveau nucléaire, mais qui malheureusement, du fait de l'arrêt programmé de la filière nucléaire ces dernières années, se sont retrouvées à réduire leurs capacités et leurs ressources humaines. Elles ne seront évidemment pas compétitives face aux entreprises étrangères. Elles ont besoin de temps pour se développer.
Dernier sujet...
Monsieur Loubet, nous nous étions mis d'accord sur la sobriété dans la formulation des questions.
Je serai très sobre pour la dernière.
Pour assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du pays, votre gouvernement a annoncé en juin dernier, une semaine après les élections législatives, la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold. Cette centrale à charbon a été fermée le 31 mars 2022, soit un mois avant l'élection présidentielle. Dans l'entre-deux tours de l'élection présidentielle, le candidat que vous avez soutenu, M. Emmanuel Macron, a affirmé que cette élection était un référendum pour ou contre l'écologie. Vous aviez affirmé que Mme Marine Le Pen voulait rouvrir des centrales à charbon, ce qui était faux. Or, une semaine après les élections législatives, vous annoncez la réouverture d'une centrale à charbon. Les salariés avaient entendu parler de cette réouverture pendant l'élection présidentielle et avant même la fermeture de mars 2022.
Lors de la fermeture de la centrale à charbon, en mars 2022, pouvez-vous m'assurer que le gouvernement dont vous faisiez partie n'envisageait pas de la rouvrir dans les mois qui suivraient ? Le cas échéant, pouvez-vous m'indiquer quand votre gouvernement, dont vous étiez Première ministre, a pris la décision de redémarrer cette centrale à charbon de Saint-Avold ? Et enfin, question que se posent tous les élus, salariés et l'industriel, avez-vous de la visibilité sur le nombre de saisons et d'années d'exploitation de cette centrale à charbon ? Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir laissé le temps de cette question.
Je pense que nous ne nous convaincrons pas mutuellement sur notre vision du marché européen. Je note simplement que, la plupart du temps, nous sommes contents qu'EDF puisse vendre son électricité sur les marchés européens, et à des prix significatifs, ce qui permet de renforcer notre opérateur national. Cette année, nous avons été heureux qu'EDF et la France puissent acheter de l'électricité sur les marchés européens, ce qui a évité de mettre nos concitoyens et nos entreprises en difficulté. Ma conviction, qui n'est pas la vôtre, est que nous avons besoin d'un marché européen de l'électricité.
Ensuite, une fois qu'on a posé ce point, il faut bien évidemment en définir des règles, et c'est toute l'ambition que nous portons dans la réforme du marché européen de l'électricité, qui protège nos consommateurs, notamment en leur permettant de bénéficier des coûts contenus de l'électricité nucléaire. Est-ce que cela renforce notre souveraineté ? Oui, je pense que cela nous renforce effectivement, de pouvoir vendre de l'électricité, la plupart du temps à nos voisins, et de bénéficier de leur solidarité quand nous en avons besoin. Cela peut aussi nous renforcer d'avoir, par le passé, importé du gaz de l'Est de l'Europe et d'avoir servi de point d'entrée pour en exporter dans les périodes que nous avons connues ces derniers mois. Je pense que, par ailleurs, face aux crises mondiales, l'Europe est plus forte dans un monde en pleine turbulence, y compris pour défendre les valeurs auxquelles nous sommes attachés, face à l'agression russe en Ukraine. Mais je pense que nous ne partageons pas ce point et que nous ne nous convaincrons pas ce soir.
Je peux vous dire et redire ce que mes ministres, ce que les précédents gouvernements du précédent quinquennat ont eu l'occasion de dire sur EDF : nous voulons impérativement conserver l'intégrité du groupe EDF. Tel est le projet de mon gouvernement. C'est dans ce cadre que le président d'EDF est amené à réfléchir à la meilleure organisation de son groupe.
Vous me demandez si la sobriété n'est qu'un habillage pour masquer la pénurie d'électricité et si les industriels ont des raisons de s'inquiéter. Je pense que les industriels sont heureux que nous les ayons accompagnés pour baisser leur facture énergétique. Je peux vous assurer que les cinquante sites les plus émetteurs que nous accompagnerons avec quatre milliards d'euros d'investissements pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sont contents. Le président de la République a même évoqué la possibilité de mettre quatre millions d'euros de plus s'ils pouvaient rehausser leurs ambitions dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Je pense que, de façon générale, les entreprises sont heureuses qu'on les accompagne sur la sobriété énergétique, parce que, quand on baisse ses consommations, on fait des économies et on est plus rentable, quand on est une entreprise. Nous ne devons donc pas croiser les mêmes entreprises.
Je ne vais pas vous exposer aujourd'hui les modèles de financement du nouveau nucléaire, mais, largement, la production d'électricité est une activité économique qui a vocation à se financer par la vente d'électricité. Ensuite, je l'ai dit, à la fois pour les consommateurs comme pour les producteurs, il est important d'avoir des outils tels que les marchés de long terme ou ce qu'on appelle des contrats pour différence, qui permettent d'éviter des fluctuations trop importantes et de sécuriser le producteur comme le consommateur. Nous aurons l'occasion d'en reparler plus longuement, j'imagine, quand nous aurons approfondi cette réflexion.
Vous me demandez quelle décision a été prise au début du printemps 2022. J'étais ministre du travail, donc je ne suis pas en mesure de vous répondre sur Saint-Avold.
Lorsque vous arrivez au ministère de l'écologie en 2019, c'est de façon à peu près contemporaine à l'abandon du programme Astrid. M. François Jacq nous a expliqué que la vision à ce moment-là du potentiel de disponibilité d'uranium est telle qu'il n'y a pas urgence à mobiliser la ressource que constitue l'uranium appauvri et donc à mettre en œuvre de façon trop précipitée le projet Astrid.
Vous avez, dans vos propos, plusieurs fois mentionné l'humilité qui doit être celle des décideurs publics face à des circonstances qui parfois changent. Avez-vous le sentiment qu'entre 2019 et aujourd'hui, 2022, l'environnement mondial du besoin prévisionnel en matière d'uranium ait changé ? Considérez-vous qu'avec le renouveau du nucléaire qui se joue aujourd'hui, nous pourrions avoir plus, qu'en 2019, besoin d'accélérer la mobilisation de l'uranium appauvri comme ressource de production d'électricité ?
Astrid était un prototype de réacteur à neutrons rapides. Le projet a connu un dérapage considérable de ses coûts, sans que l'on ait de garantie que les dérapages annoncés soient les derniers. Étant entendu qu'aujourd'hui, la technologie sur la base de laquelle nous allons fonder notre nouveau nucléaire est l'EPR et non des réacteurs à neutrons rapides, nous nous sommes dit que la priorité n'était pas de poursuivre le développement de ce prototype de réacteurs à neutrons rapides, mais de poursuivre la recherche sur une future génération, après les EPR2 que nous lançons, pour être mieux armés dans le développement d'un réacteur à neutrons rapides.
Sur l'uranium de retraitement, c'est sans doute de cela que vous parlez...
Non, je parle d'Astrid – on devient technicien après 150 heures d'auditions. Si j'ai bien compris, l'intérêt du réacteur à neutrons rapides est de mobiliser l'uranium appauvri largement disponible en France. Le point de vue que nous a expliqué M. François Jacq, qui a justifié l'abandon d'Astrid, est de dire que nous n'aurons pas besoin de mobiliser ce stock d'uranium appauvri aussi vite qu'on a pu l'imaginer dans les années 1990 ou 2000, du fait du ralentissement mondial de la demande prévisionnelle d'uranium, suite notamment à Fukushima. Imaginez-vous que nous aurons aujourd'hui besoin plus rapidement que pensé en 2019 de mobiliser des stocks d'uranium appauvri ?
Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'Astrid est la façon la plus directe de mobiliser les stocks d'uranium appauvri. Astrid est un prototype de réacteur à neutrons rapides. En retombées, il peut permettre de mobiliser de l'uranium appauvri, à supposer que l'on se mette à généraliser les réacteurs à neutrons rapides, ce qui n'a jamais été un projet existant. C'est une technologie sur laquelle on a sans doute voulu aller trop vite en voulant passer au stade du prototype, sur lequel il faut continuer la recherche et le développement. Au-delà, nous devons réfléchir à la façon de mieux assurer notre souveraineté sur toutes les technologies de traitement et sur toutes les filières industrielles. Nous devons poursuivre la réflexion pour renforcer notre souveraineté dans ce domaine.
Je suis désolé, mais je n'ai eu que pas ou peu de réponses à mes premières questions. Elles étaient visiblement mal formulées, donc je vais en reformuler une partie.
La seule politique que j'ai perçue quand vous étiez directrice de cabinet, ministre, puis Première ministre aujourd'hui, pour baisser notre dépendance aux importations de pétrole et de gaz, était la politique fiscale. Estimez-vous que la politique fiscale qui consiste à pénaliser de manière semblable les ménages sur l'utilisation d'énergies fossiles soit une bonne politique, après près de trente ans de cette politique et une amplification depuis huit ans ? Je ne vois pas en quoi les éléments que vous m'avez apportés répondaient à cette question.
Sur le rôle du gaz avec nos partenaires européens, vous avez fait une pirouette souverainiste. Soit. Il se trouve qu'Engie est exposé à hauteur d'un milliard d'euros dans le capital de Nord Stream 2. Il a mené cette opération alors que l'État était son actionnaire entre 20 % et 30 %. Donc l'État français a laissé une entreprise dont il était largement actionnaire avoir un intérêt dans Nord Stream 2. Cela a-t-il été porté à votre connaissance ? Oui ou non, cela vous a-t-il semblé un problème à l'époque ?
Troisième point, je n'ai pas compris votre réponse au président sur Astrid. Le principe d'un prototype n'est pas de faire une exposition dans un showroom, mais de le faire fonctionner et de le généraliser. Un tel prototype serait-il utile, oui ou non, pour employer notre stock d'uranium appauvri et cesser notre dépendance aux importations d'uranium étrangères ?
Je n'ai pas eu de réponse sur le rapport RTE. Vous avez à plusieurs reprises, sauf erreur, indiqué que c'était la source essentielle de vos décisions et que cela le restait. Vous avez parlé de l'Agence internationale de l'énergie, mais sauf erreur de ma part, cette agence ne s'occupe pas des prévisions d'électricité nécessaire en France. Elle donne des recommandations générales sur le mix, sur ce qu'il est possible de faire, mais elle ne pilote pas ce genre d'outil. Vous n'en avez d'ailleurs jamais parlé auparavant.
Une fois de plus, les prévisions de RTE sont votre outil principal. Vous dites qu'il est défaillant. Un exemple récent : vous dites aujourd'hui que le fait que RTE n'ait pas étudié un rapport où le poids du nucléaire est plus important est lié aux limites, affirmées sans preuve dans ce rapport, de la filière nucléaire. Votre ministre en charge, Mme Pannier-Runnacher, a indiqué hier dans Les Echos qu'elle demanderait à la filière si elle était capable de faire plus. Soit Mme Pannier-Runnacher se trompe, c'est-à-dire que la question a été posée et il lui a été répondu que la filière ne pouvait pas faire plus, soit la question ne lui a pas été posée et Mme Pannier-Runnacher va lui répondre. Le fait que RTE n'ait pas fait de scénario est-il lié, oui ou non, à une réalité de la filière, ou est-elle est liée à une posture politique ?
Je pense que vous n'étiez pas là au début, mais j'ai essayé d'exposer ma vision de la politique en matière d'énergie. Du reste, je l'avais fait lors d'un débat organisé en application de l'article 50-1 de la Constitution. Je pense avoir expliqué comment nous traduisions en actes notre ambition de sortir des énergies fossiles. Je peux recommencer l'exposé et vous expliquer comment, comme ministre des transports, je me suis efforcée de proposer des alternatives à l'usage individuel de la voiture thermique, comment, comme ministre de l'écologie, je me suis efforcée de proposer des dispositifs plus efficaces pour réduire les consommations des bâtiments, comment aujourd'hui nous sommes en train de travailler dans le cadre de la planification écologique, pour réduire nos consommations...
Je ne comprends pas votre question.
Ce n'est pas la question que vous m'avez posée. Vous me demandez si la politique fiscale est le seul instrument pour baisser notre dépendance aux énergies fossiles. Je vous renvoie donc au début de mon intervention et à mon intervention dans le cadre du débat 50-1 sur la façon dont je conçois la politique énergétique de mon pays.
Je suis à votre écoute, si vous voulez reformuler.
La question que je vous ai posée n'est pas : la politique fiscale sur les énergies fossiles est-elle la seule politique possible ? Je vous ai demandé si, à la lumière de l'expérience de plusieurs années, vous estimez que cette politique fiscale sur les ménages fonctionne.
Si votre question est de savoir si le seul instrument est la politique fiscale, clairement, non. Je pense que c'était strictement votre question. Donc, la réponse est non.
Est-il aujourd'hui pertinent d'augmenter la fiscalité sur les énergies fossiles, avec le niveau de prix de ces énergies ? Je ne pense pas. Quand nos concitoyens paient le litre d'essence ou de diesel près de deux euros, le gouvernement n'envisage pas d'augmenter la fiscalité sur les énergies fossiles. Le gouvernement essaie de répondre aux difficultés de nos concitoyens, par exemple en accélérant sur les solutions alternatives, avec un grand plan de cent milliards d'euros d'ici 2040 sur le ferroviaire, en soutenant nos concitoyens, en leur proposant un véhicule électrique grâce à un leasing à moins de cent euros par mois. Ce sont tous les outils sur lesquels nous sommes en train de travailler pour baisser notre dépendance aux énergies fossiles.
Sur les autres questions, je n'étais pas en responsabilité au moment où Engie a pu s'impliquer dans Nord Stream.
Sur Astrid, vous pouvez dire qu'il n'y a qu'à généraliser le prototype, mais quand les coûts du prototype sont en train de déraper, notre responsabilité, comme responsables des finances publiques de notre pays, n'est pas d'accélérer.
Pour faire le lien avec les propos de M. Tanguy, si l'amendement que j'ai porté et qui a été adopté tout à l'heure en commission des affaires économiques sur la possibilité de construire davantage que quatorze réacteurs à l'horizon 2050 est adopté en séance, nous aurons le loisir d'avoir des réponses de la filière, de manière encore plus importante.
Nous avons peu parlé d'énergies renouvelables. Pouvons-nous avoir votre sentiment ainsi que les mesures que vous avez prises ou que vous comptez prendre aujourd'hui, en prospectif, sur les énergies renouvelables hors électricité ? On parle souvent peu d'énergies renouvelables, mais on parle encore moins des énergies renouvelables dites thermiques, notamment. Je sais qu'un certain nombre de propositions sont encore dans le débat public sur la géothermie et sur le gaz renouvelable. Sans pouvoir transférer tous les usages vers l'électricité, on comprend que c'est aussi une manière de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.
Avez-vous le sentiment, notamment, que le pays a des filières industrielles suffisamment robustes en la matière et, si ce n'est pas le cas, qu'il faut les renforcer pour avoir à la fois cette sortie des énergies fossiles et en plus d'avoir les filières françaises qui permettent d'y parvenir ?
Sur les énergies renouvelables, et les échanges que j'avais récemment avec la présidente de la Commission le montrent, nous avons tous été choqués de voir que notre pays a raté la marche du photovoltaïque. Nous avons également raté la marche de l'éolien terrestre. Je peux vous assurer de la détermination de mon gouvernement à être bien présents sur les énergies d'avenir.
J'ai mentionné l'hydrogène. Je pense que les neuf milliards d'euros que nous allons mobiliser sont cruciaux pour soutenir une filière complète dans le domaine de l'hydrogène. Dans le domaine de l'éolien marin, il est crucial d'être présents sur cette filière. Sur la géothermie, c'est une forme d'énergie que nous avons sans doute insuffisamment mobilisée par le passé. Quelques mauvaises expériences il y a très longtemps avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) nous ont peut-être détournés de l'intérêt de la géothermie. Nous sommes décidés à mobiliser ces sources d'énergie. Vous parlez aussi des biogaz : ils sont une source d'énergie importante, car nous aurons besoin de gaz. Il est donc important de pouvoir produire du biogaz. Il est important d'avoir des filières françaises pour le faire. C'est important en création de richesses dans les territoires, en complément de revenus aussi dans les territoires ruraux. Sur tous ces champs, nous souhaitons avancer.
Nous aurons évidemment une très forte vigilance à développer simultanément ces nouvelles énergies et en même temps les filières industrielles qui les accompagnent. Je l'ai évoqué aussi sur les futures générations de panneaux photovoltaïques et notre volonté de retrouver notre souveraineté sur ces filières pour l'avenir.
En prenant la décision de sortir du moteur thermique, ne sommes-nous pas en train de nous empêcher de gravir une marche technologique ? Le sujet n'est pas de dire qu'il faut conserver des hydrocarbures fossiles dans nos moteurs thermiques, mais peut-être avons-nous des moyens de décarboner le moteur thermique par des carburants de cycle carbone neutre. En interdisant le moteur thermique, ne sommes-nous pas en train d'organiser le ratage de cette marche ?
Quand on discute avec eux, nos industriels de l'automobile alertent aussi sur la soutenabilité pour eux de poursuivre toutes les hypothèses technologiques. On pourrait se dire : continuons à réfléchir sur l'amélioration des rendements des moteurs thermiques dans la perspective d'avoir demain des carburants de synthèse. Dans les débats au niveau européen sur les futures normes d'émissions de polluants pour les véhicules Euro 7, nos industriels nous disent aussi : « Nous avons le défi des véhicules batterie. Nous avons le défi des véhicules hydrogène. Nous avons encore à gérer des technologies hybrides. Ne nous demandez pas, dans le même temps, de continuer à investir pour optimiser le moteur thermique. » La décision que prend la Commission européenne de se recentrer sur les technologies autres que thermiques répond aussi à un appel de nos industriels, de dire : « On ne peut pas mobiliser des financements de R&D en courant tous les lièvres à la fois. ».
Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas aussi à réfléchir, le cas échéant, à des carburants de synthèse, notamment si nous développons toutes les technologies de capture de carbone. Si l'on peut avancer sur cette technologie, ce sera bienvenu pour participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, parallèlement au développement de solutions alternatives à la voiture individuelle et à l'électrification du parc. Il existe aussi une question de soutenabilité dans la palette des technologies que nos industriels peuvent continuer à développer.
Je vous remercie de votre disponibilité devant notre commission d'enquête parlementaire. Je crois que les réponses que vous nous avez apportées seront utiles à nos travaux. Il s'agissait de la dernière audition de notre commission d'enquête dans son format habituel. Nous entendrons également les deux anciens présidents de la République dans deux semaines, mais sous un autre format, eu égard aux règles habituelles de séparation des pouvoirs.
La séance s'achève à 19 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Vincent Descoeur, Mme Olga Givernet, M. Alexandre Loubet, M. Bruno Millienne, M. Charles Rodwell, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy.
Excusée. – Mme Valérie Rabault.
Assistait également à la réunion. – M. Hervé de Lépinau.