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Intervention de Élisabeth Borne

Réunion du jeudi 2 mars 2023 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Élisabeth Borne, Première ministre, ancienne ministre de la transition écologique et solidaire (2019-2020) :

Comme le président de la République l'a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans son discours de Belfort, et comme j'ai eu l'occasion d'en débattre au Parlement, l'objectif de notre majorité est de conquérir notre souveraineté énergétique. Comme vous l'ont dit tous les spécialistes de l'énergie qui se sont exprimés devant vous, la France contemporaine n'a jamais été souveraine en matière énergétique.

Notre première dépendance, et assurément la plus importante, porte sur les énergies fossiles. Depuis le choc pétrolier dans les années 1970, chaque crise des énergies fossiles a entraîné de forts impacts économiques et sociaux pour nos compatriotes, qu'il s'agisse du chômage ou de l'inflation. En outre, les énergies fossiles sont particulièrement émettrices de gaz à effet de serre et participent activement au dérèglement climatique. Enfin, comme l'a dit le président de la République lors de son discours de Belfort, avant même le début de la guerre en Ukraine, et comme les conséquences de l'agression russe nous l'ont montré une fois de plus, les énergies fossiles nous rendent tributaires des équilibres géopolitiques et des décisions de certaines nations. Elles sont le premier frein à notre souveraineté.

Aussi, nous nous sommes fixé l'objectif ambitieux d'être la première grande nation industrielle à sortir des énergies fossiles. Pour y parvenir, le président de la République a fixé une feuille de route autour de trois piliers : la sobriété, le développement du nucléaire et le développement des énergies renouvelables.

La sobriété est le premier axe majeur de notre action. La sobriété n'est pas la décroissance, qui mettrait à mal notre modèle social : c'est choisir de consommer moins, non pas le temps d'un hiver, mais sur le long terme. C'est allier des gestes du quotidien et des actions de plus en plus structurelles pour faire baisser nos consommations. Je pense notamment à la rénovation des bâtiments ou aux mobilités décarbonées. Nous avons présenté notre plan en la matière au mois d'octobre, pour réduire notre consommation énergétique de 10 % en deux ans grâce à la mobilisation de tous : État, collectivités, entreprises et citoyens.

Nos premiers efforts portent leurs fruits, puisque la consommation de gaz a diminué de plus de 15 % depuis le 1er août 2022 par rapport à l'année précédente. Cela nous a permis de passer l'hiver sans problème, mais cela nous a aussi permis d'atteindre, en 2022, notre objectif de baisser des émissions de gaz à effet de serre. Ces efforts doivent durer, pour que l'on parvienne à baisse notre consommation énergétique de 40 % d'ici 2050. La sobriété est la manière la plus sûre de protéger notre planète, notre pays, et nos concitoyens.

Le deuxième pilier de notre action porte sur le développement du nucléaire. Beaucoup de choses ont été dites, écrites et répétées, mais cette commission d'enquête cherche à établir des faits et à proposer, et en aucun cas à alimenter des polémiques. La stratégie nucléaire se pilote sur le long terme. Elle dépend de choix réalisés, décennie après décennie, par les responsables politiques et les majorités qui se sont succédé. Nous pouvons être fiers collectivement d'être le seul pays d'Europe à avoir tenu le cap du nucléaire. Après Fukushima, beaucoup de pays ont tourné le dos au nucléaire, avec des conséquences majeures sur leur production et leur dépendance. Quand l'Allemagne est passée de 33 à trois réacteurs en état de fonctionnement, et bientôt plus aucun, nous avons maintenu notre parc. Nous avons conservé une très forte puissance de production, avec 55 réacteurs, dans l'attente du démarrage de Flamanville. La question qui se pose est celle de la disponibilité de notre parc, qui reste aujourd'hui mauvaise, et qui nous prive d'une part de notre puissance de production. Plusieurs raisons l'expliquent, d'abord les conséquences d'un sous-investissement dans le nucléaire dans la décennie 2000-2010. Ce sous-investissement a provoqué un certain nombre de problèmes d'entretien sur nos réacteurs, qui ont contribué au vieillissement. Ensuite, nous sommes confrontés à un double retard sur les maintenances. D'une part, les maintenances que nous réalisons pour prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà des quarante ans initialement autorisés et pour intégrer les mesures de renforcement de sécurité post-Fukushima sont plus longues qu'anticipé. D'autre part, le calendrier des maintenances a été fortement perturbé par la Covid. Enfin, le dernier facteur qui explique la faible disponibilité de notre parc est un défaut systémique dit de corrosion sous contrainte, identifié début 2022, que nous devions absolument corriger.

L'ensemble de ces facteurs a conduit à une faible disponibilité de notre parc. La forte mobilisation des équipes d'EDF a permis de remonter la production à 45 gigawatts au plus fort de l'hiver, nous prémunissant ainsi d'un risque de défaillance électrique. Plus généralement, nous œuvrons pour moderniser notre parc. Le premier défi concerne les réacteurs existants. Nous avons engagé les études nécessaires pour les prolonger au-delà de cinquante ans. Ensuite, nous avons engagé, à la demande du président de la République, un vaste programme de développement de nouveaux réacteurs. La construction de six EPR 2 est prévue, dont le premier sera mis en service à l'horizon 2035. Parallèlement, nous étudions la possibilité de construire huit réacteurs supplémentaires. Le projet de loi sur le nucléaire, actuellement en discussion, permettra de faciliter ces programmes et d'aller plus rapidement dans leur développement. Enfin, nous misons sur l'innovation. Avec France 2030, nous investirons un milliard d'euros dans le nucléaire du futur, notamment les SMR, c'est-à-dire les petits réacteurs modulaires. Nous souhaitons en disposer dans moins de dix ans.

Le troisième pilier de notre action porte sur le développement des énergies renouvelables. La souveraineté énergétique consiste aussi à ne pas dépendre d'une source unique d'énergie. Il serait trop risqué de se reposer uniquement sur l'énergie nucléaire, d'autant plus que le nucléaire ne peut répondre à lui seul à la hausse rapide de nos besoins en électricité pour les prochaines années, quand il faut au moins quinze ans pour mettre en service un réacteur. A contrario, un mix 100 % renouvelables n'est pas envisageable, car il serait particulièrement coûteux et sa faisabilité technique n'est pas aujourd'hui avérée. De notre côté, nous faisons le choix résolu du pragmatisme et donc d'un mix énergétique équilibré. Un mix diversifié est un atout et une protection, c'est pourquoi nous voulons avancer sur deux jambes : renouvelables et nucléaire. Cette stratégie implique de développer massivement nos capacités de production d'énergie renouvelable. Ce choix est écologique, car décarboné, et a du sens économiquement, au vu de la baisse des coûts des technologies renouvelables. Il s'agit aussi d'un choix de souveraineté.

Des filières renouvelables en France représentent autant d'énergie que nous n'importons pas. Elles représentent la construction et le développement de filières industrielles, qui créent des emplois qualifiés et démontrent un vrai savoir-faire. Je pense par exemple aux parcs éoliens en mer : notre objectif est d'en construire cinquante d'ici 2050. Je pense à l'hydroélectricité. Nous voulons notamment trouver un nouveau cadre législatif, qui permettra de relancer rapidement les investissements dans les barrages. Je pense aussi au solaire. Je souhaite que nous puissions réinvestir pour installer en France et en Europe la production et l'assemblage de panneaux et développer une nouvelle génération de panneaux solaires. Nous voulons multiplier par dix la production d'énergie solaire dans notre pays d'ici 2050. Par ces mesures, nous voulons doubler nos capacités de production d'énergie d'origine renouvelable d'ici 2030.

Des obstacles subsistaient pour accélérer l'augmentation de nos capacités. La loi sur l'accélération du développement des énergies renouvelables, que vous avez récemment adoptée, a permis d'en lever un certain nombre.

Enfin, assurer la souveraineté énergétique de la France à long terme implique aussi de se positionner sur les vecteurs d'énergie d'avenir les plus prometteurs. Pour faire de la France le leader de l'hydrogène décarboné, nous investissons massivement : neuf milliards d'euros, notamment grâce à France 2030. Nous accompagnons également l'émergence et la montée en puissance d'autres filières, en particulier la géothermie, la biomasse, les biocarburants et le biogaz.

En particulier dans le domaine énergétique, la souveraineté ne s'improvise pas : elle se gagne pas à pas. Tel est le sens de la politique de mon gouvernement, que je viens de vous exposer. Tel est aussi le sens de notre action au niveau européen, car comme nous l'avons vu ces derniers mois, nous sommes plus forts à cette échelle. La solidarité européenne a joué pour permettre à chaque pays de continuer à s'approvisionner dans les meilleures conditions et pour peser face aux marchés. L'action européenne est la manière la plus sûre et la plus efficace de sortir du gaz et du charbon, de réduire notre empreinte carbone ensemble, en Européens. Une stratégie nationale claire et une action européenne ambitieuse sont la méthode de mon gouvernement pour gagner enfin notre souveraineté énergétique.

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