Lundi 30 janvier 2023
La séance est ouverte à 17 heures 10.
(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)
La commission auditionne Mme Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale des services pénitentiaires Grand-Ouest - Rennes.
Nous auditionnons aujourd'hui Mme Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale des services pénitentiaires Grand Ouest – Rennes, à qui je souhaite la bienvenue.
Madame la directrice, nous avons auditionné la semaine dernière votre collègue responsable de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Sud Est – Marseille, dont relève la maison centrale d'Arles. Nous vous entendons aujourd'hui car, avant son arrivée à Arles, Franck Elong Abé a été détenu au sein du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, placé sous l'autorité de votre direction interrégionale.
En juillet 2019, s'appuyant sur les avis émis par le chef d'établissement d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, la DISP de Rennes avait initié une proposition d'orientation de Franck Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER). Les magistrats du siège et du parquet, de leur côté, avaient émis des avis respectivement « réservé » et « très réservé » sur cette orientation.
Quelle a été la réaction de la DISP face à ces avis, et face à la décision finale de l'administration pénitentiaire de ne pas orienter l'intéressé en QER, fondée sur ces avis ? Leur régularité était en outre sujette à caution, au moins pour ce qui concerne le parquet, qui n'avait pas compétence en matière post-sentencielle pour émettre un avis sur une proposition d'affectation en QER.
Avant son transfèrement à Arles, la DISP de Rennes avait-elle formulé à l'attention de la DISP de Marseille des recommandations particulières, des conseils quant à la gestion de Franck Elong Abé, compte tenu de son profil et de la violence dont il avait pu faire preuve à Alençon-Condé-sur-Sarthe ?
Notre rapporteur vous a adressé un questionnaire pour vous permettre de préparer cette audition. Nous vous remercions de bien vouloir transmettre à la commission ultérieurement les éléments de réponse écrits, ainsi que tout autre élément d'information que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.
Madame Hanicot, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie d'activer votre micro, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».
(Mme Marie-Line Hanicot prête serment.)
La DISP Grand Ouest est un ressort relativement vaste puisqu'il s'étend sur trois régions administratives – la Normandie, la Bretagne et les Pays de la Loire – et sur cinq cours d'appel. Elle comprend 24 établissements pénitentiaires dont celui d'Alençon-Condé-sur-Sarthe et 14 services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), dont celui de l'Orne, qui était en charge de M. Elong Abé pendant une partie de l'année 2019. Ce ressort territorial compte un peu plus de 5 000 agents, 10 585 personnes écrouées et 25 000 personnes suivies en milieu ouvert.
À la date de vendredi dernier, nous comptions 8 668 personnes hébergées, avec un taux d'occupation en quartier maison d'arrêt de 148 %, 311 détenus dormant sur des matelas au sol. À la même date, la DISP assurait le suivi en milieu fermé de 64 détenus TIS – 38 hommes, 26 femmes – et de 76 détenus suivis au titre de la radicalisation.
Les 38 hommes TIS sont répartis sur neuf établissements de l'inter-région, avec une forte concentration sur le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, qui s'explique par la présence d'un quartier de prévention de la radicalisation (QPR), quartier qui accueillait en date de vendredi 13 détenus, dont 8 TIS et 5 radicalisés. Le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe hébergeait également 2 TIS en quartier d'isolement (QI), dont un DPS.
Les 26 femmes TIS sont présentes sur les cinq établissements de l'inter-région qui sont dotés d'un quartier femmes, avec une forte concentration sur un établissement qui comprend un QPR, en l'occurrence le centre pénitentiaire des femmes de Rennes, où 17 de ces 26 femmes TIS sont écrouées, dont 12 dans le QPR.
Les SPIP interrégionaux assurent le suivi en milieu ouvert de 7 TIS, majoritairement placés sous contrôle judiciaire, et de 16 personnes suivies au titre de la radicalisation. 29 détenus particulièrement signalés (DPS) sont présents sur le territoire de la direction interrégionale de Rennes, dont 6 en maison d'arrêt, les 23 autres étant écroués au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. 6 de ces 23 DPS sont placés à l'isolement, 2 au QPR, et 15 en détention classique. 8 DPS travaillent, quatre en atelier, quatre au service général. L'un des DPS classés aux ateliers est également TIS et travaille au sein de l'atelier rattaché au QPR. Ces huit classements ont fait l'objet d'une information auprès de la direction interrégionale, qui n'a pas formulé d'observation. J'ajoute que l'établissement de Condé-sur-Sarthe héberge un total de 109 détenus.
Il me semble que la DISP de Marseille accueille un peu moins de TIS et de détenus radicalisés, mais les valeurs sont assez proches.
Au cours de nos travaux, un certain nombre de dysfonctionnements et de contradictions sont ressortis. L'agresseur et la victime étaient tous les deux DPS, et leurs parcours sont examinés « en miroir ». La commission pluridisciplinaire unique (CPU) dangerosité de Condé-sur-Sarthe a donné un avis favorable pour un transfèrement en QER, lequel avis a été suivi par la direction de l'établissement. Comme l'Inspection générale de la justice (IGJ) l'a relevé, le juge d'application des peines antiterroriste (JAPAT) et le parquet ont ensuite émis des avis « réservé » et « très réservé ». La direction de l'administration pénitentiaire a suivi ces avis. Ces magistrats avaient certes compétence pour formuler un avis sur le transfèrement mais, comme l'IGJ l'a relevé, ils n'avaient pas de compétence réglementaire en matière post-sentencielle sur la question de l'orientation en QER, et la direction de l'administration pénitentiaire n'était pas liée à ces avis. L'Inspection conclut qu'il aurait fallu ne pas attendre et transférer M. Elong Abé en QER dès 2019.
Avez-vous souvenir de ce moment, notamment des débats contradictoires ayant pu avoir lieu entre l'administration pénitentiaire et les juges et le parquet antiterroristes ? L'avis favorable au passage en QER parle du changement de comportement de M. Elong Abé après l'attentat terroriste du 5 mars 2019. J'aimerais que vous évoquiez ce changement de comportement. Quelle est votre conviction par rapport à cette orientation en QER ?
Étiez-vous en possession d'informations selon lesquelles cet individu était considéré par les services de renseignement comme faisant partie du « haut du spectre » des terroristes islamistes ?
Quand M. Elong Abé est arrivé à Condé-sur-Sarthe, il avait été exclu du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Il a été placé immédiatement en QI. L'objectif de l'établissement de Condé-sur-Sarthe était d'évaluer son comportement et de voir quelle modalité de gestion pouvait être retenue ultérieurement – maintien en QI ou réintégration en détention classique – sachant qu'à Vendin-le-Vieil, M. Elong Abé avait fait un long passage en détention classique, avec un comportement assez correct de février 2017 à l'été 2018.
Pendant un mois, il s'est montré très correct dans son comportement, distant avec les personnels, observateur des pratiques des agents. Un attentat terroriste a ensuite été perpétré au sein de l'établissement de Condé-sur-Sarthe par le détenu Chiolo et son épouse au sein des unités de vie familiale (UVF). Deux agents ont été très grièvement blessés, l'un d'entre eux ne devant son salut qu'à la présence au sein de l'équipe de l'unité sanitaire d'un médecin qui avait œuvré sur théâtre de guerre. S'est ensuivi un mouvement social très dur, durant lequel aucun personnel ne prenait son service, en dehors de quelques officiers de la direction. Des équipes régionales d'intervention et de sécurité sont venues de tout le territoire. Ce mouvement a duré plus de trois semaines et a eu une influence majeure sur la vie des personnes détenues qui se sont retrouvées cloîtrées dans leurs cellules pendant plusieurs semaines.
À l'issue de ce mouvement, les personnels du QI ont constaté que M. Elong Abé n'avait plus du tout le même comportement. Il s'est positionné de façon contestataire sur le fonctionnement du QI, souhaitant absolument en sortir et venant au contact de détenus qui manifestaient leur mécontentement vis-à-vis des règles de sécurité mises en œuvre à la suite de l'attentat. M. Elong Abé contestait notamment la mise en œuvre de fouilles par palpation pratiquées sur les familles se rendant au parloir. Le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe est le seul à pratiquer ces palpations sur les visiteurs. C'est moins le cas aujourd'hui puisqu'un portique à ondes millimétriques a été installé et ce n'est que pour une levée de doute que ces palpations sont pratiquées.
Nous avons constaté une alliance avec certains détenus des quartiers de maison centrale classiques qui s'étaient retrouvés au quartier disciplinaire pour contestation. C'est là qu'ont commencé les incidents, avec d'abord un tapage qui l'a conduit au quartier disciplinaire. Durant tout l'été 2019, nous avons fait face à des incendies de cellule, dont sept commis par M. Elong Abé, et à des destructions de cellule.
Le 2 septembre, M. Elong Abé fait une tentative de suicide par pendaison. Le médecin qui l'a examiné a indiqué qu'il était en crise suicidaire majeure, aigüe, et a tenté d'obtenir son hospitalisation en unité hospitalière de sécurité aménagée (UHSA) ; toutefois cela n'a pas été possible en raison du manque de place. Par ailleurs, compte tenu du profil des détenus de Condé-sur-Sarthe, le centre psychiatrique de proximité refuse de les prendre en charge, y compris lorsqu'ils sont en crise aigüe. Un deuxième épisode suicidaire a eu lieu le 10 septembre. M. Elong Abé comparaissait devant le tribunal judiciaire d'Alençon pour les dégradations et incendies de cellule. Au moment des réquisitions du parquet, il s'est tapé la tête contre les murs du box de la salle d'audience. Extrait de celle-ci, il a été réintégré à sa cellule vidée de tout objet qu'il aurait pu utiliser pour mettre fin à ses jours. Il a ensuite refusé un traitement oral et s'est à nouveau cogné la tête contre les murs de sa cellule. Il a alors fait l'objet d'un traitement sous contention au sein de l'unité sanitaire.
L'établissement de Condé-sur-Sarthe a demandé son départ juste après l'incident du 12 juillet – il y en aura neuf autres par la suite. L'objectif était d'obtenir son départ, mais également de préconiser une évaluation en QER. Celle-ci se justifiait par le parcours de M. Elong Abé, par la nature de sa condamnation, par l'absence d'une évaluation antérieure, par son changement de comportement, par son intolérance à la frustration, par les propos morbides qu'il tenait et par l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le binôme de soutien de mener une évaluation. En effet, après un premier contact avec l'éducateur, M. Elong Abé a refusé tout entretien avec le binôme formé de l'éducateur et du psychologue, le binôme de soutien ayant notamment pour mission d'évaluer la radicalisation des personnes détenues.
Selon moi, l'orientation en QER aurait permis de déterminer précisément les facteurs de risque, ainsi que les mesures de protection à mettre en œuvre pour une prise en charge la plus adaptée possible de M. Elong Abé au niveau de la détention. De plus, nous étions à quatre ans de la sortie, et il semblait intéressant à l'équipe que l'évaluation intervienne à ce moment. Il faut noter que le détenu était favorable à cette orientation en QER puisqu'il l'avait indiqué au conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation qui le suivait. Il faut également souligner que M. Elong Abé souhaitait quitter Condé-sur-Sarthe ; il avait bien compris qu'une orientation en QER aurait peut-être permis un départ plus rapide qu'une affectation dans un établissement classique de type maison centrale.
Il arrive assez fréquemment que les magistrats ne partagent pas l'avis du personnel pénitentiaire. Quand ils sont décisionnaires, nous sommes là pour les éclairer dans leurs décisions. Lorsque nous sommes décisionnaires, il s'agit d'un avis. Il était normal que les magistrats émettent un avis. Je ne me prononcerai pas sur la décision prise par l'administration centrale, n'étant pas compétente en la matière. En revanche, je souhaite indiquer qu'au moment où l'établissement de Condé-sur-Sarthe formule une demande de départ avec une préconisation d'orientation en QER – le dossier est instruit le 16 juillet –, seuls deux incidents se sont produits. S'ensuivront sept incendies de cellule entre juillet et août et deux tentatives de suicide ; M. Elong Abé n'est donc pas tout à fait dans les mêmes dispositions qu'au moment de l'instruction du dossier.
Quand M. Elong Abé est entré à Alençon-Condé-sur-Sarthe, saviez-vous qu'il était classé dans le « haut du spectre » ?
Nous ignorions cette classification, mais nous savions qu'il avait été arrêté en Afghanistan aux côtés d'Al Qaeda sur des zones de combat, sans avoir de détails sur son implication.
Vous avez décrit de manière assez détaillée le parcours de M. Elong Abé, notamment à Conde-sur-Sarthe. Vous venez de nous indiquer que vous disposiez d'informations parcellaires sur ses activités en Afghanistan. Eu égard à ce que vous et la direction de Condé-sur-Sarthe aviez eu à connaître, quels conseils, quels avis avez-vous communiqués à la direction de la maison centrale d'Arles au moment du transfèrement de M. Elong Abé ? Avez-vous souvenir d'avoir eu un échange à son sujet, même si j'imagine que son dossier mentionnait l'ensemble des incidents qui s'étaient produits sous votre responsabilité ?
Il n'y a pas eu de contact entre la direction interrégionale de Rennes et la maison centrale d'Arles, puisque cela se fait entre pairs. A fortiori sur des profils de cette nature, je ne doute pas que le chef d'établissement de Condé-sur-Sarthe ait contacté son homologue d'Arles, même si le contact passe aussi parfois par les chefs de détention.
Je n'ai pas contacté mon homologue. Mon service département sécurité détention (DSD) a transmis un certain nombre d'éléments au DSD de Marseille, dont la décision d'affectation de l'administration centrale et le dossier d'orientation et de transfert (DOT) rempli par la direction de Condé-sur-Sarthe, qui fait état d'un certain nombre d'éléments : arrestation en Afghanistan, prise d'otage perpétrée à Lille, dégradation de son comportement suite aux événements du 5 mars, contestation du fonctionnement du QI, communication entre Lionel Dumont et Franck Elong Abé au QI – la direction ayant eu le sentiment, qui ne peut pas être prouvé, que le premier exerçait une influence sur le second –, contestation des mesures de sécurité mises en œuvre après l'attentat de mars 2019. Ont également été transmises les observations quotidiennes formulées sous Genesis par les agents du QI du 12 février au 16 septembre 2019 – avec une interruption pendant le mouvement social qui a suivi l'attentat. A également été transmise la décision de maintien au répertoire des DPS du 29 mai 2019, qui mentionne son potentiel de dangerosité et son instabilité. A aussi été communiquée la liste des incidents divers commis à Vendin-le-Vieil avec des dégradations multiples, mais également une menace de prise d'otage suite à un refus de cantine de glace… C'est un détail, mais cela montre que M. Elong Abé a du mal à gérer ses émotions.
Au départ de Condé-sur-Sarthe, celui-ci s'est retrouvé à l'isolement de façon transitoire, pendant près d'un mois, au sein du quartier maison d'arrêt de Nantes, dans l'attente qu'une place se libère à Arles ou qu'une permutation puisse s'opérer. Ce passage n'a pas posé de difficulté dans la mesure où, je pense, M. Elong Abé était satisfait de quitter Condé-sur-Sarthe et attendait avec impatience une affectation dans un nouvel établissement dans lequel il aurait pu, à terme, reprendre un parcours de détention plus classique, sachant qu'il avait émis le souhait de travailler quand il était au QI. Il avait indiqué qu'en raison de l'inactivité, le seul investissement de l'espace qu'il pouvait avoir était celui de la prière, ce qui est intéressant quant à sa façon de voir les choses. Il avait demandé à pouvoir être classé au poste d'auxiliaire du QI si celui-ci venait à se libérer.
À votre connaissance, M. Elong Abé a-t-il émis des préférences ? A-t-il émis le souhait d'être transféré à Arles plus spécifiquement ?
Le seul moment où il a émis un souhait est celui où a été évoquée son orientation en QER. Il a indiqué au conseil pénitentiaire d'insertion et de probation qu'il était favorable à cette orientation et qu'il avait une préférence pour le QER de Vendin-le-Vieil et, à défaut, pour celui de Fleury-Mérogis ou celui d'Osny.
Vous avez indiqué que M. Elong Abé avait participé à des mouvements concertés. Avec quels détenus s'était-il concerté ?
Il s'agissait de quatre détenus affectés dans un quartier maison centrale classique qui contestaient les mesures de palpation des familles à l'entrée des parloirs, et qui avaient fait l'objet de placements en quartier disciplinaire. M. Elong Abé s'est retrouvé au quartier disciplinaire à la suite d'un tapage, et c'est à partir de ce moment qu'il s'est allié à eux, sachant que ces autres détenus souhaitaient partir eux aussi. M. Elong Abé a été entendu par les personnels dans une position de meneur, annonçant par exemple : « Ce soir, on va mettre le feu ». Il poursuivait avec ces autres détenus un objectif commun : celui de faire céder l'administration aux fins de quitter l'établissement. Cela a duré pendant tous les mois de juillet et août. Les personnels de ce secteur en ont « bavé », mais ils ont tenu.
Pendant sa détention à Condé-sur-Sarthe, a-t-on retrouvé des objets interdits en détention en la possession de M. Elong Abé ?
À Condé-sur-Sarthe, non ; à Vendin-le-Vieil, une clé USB a été retrouvée par deux fois. Je précise que M. Elong Abé ne recevait malheureusement pas de visites. Depuis plusieurs années, il n'a plus de nouvelles de sa mère, qui est retournée au Cameroun. Cela le soucie, car il craint qu'elle ne soit décédée et n'arrive pas à avoir d'informations. Sa sœur est en rupture avec lui.
Vous avez indiqué que sur l'ensemble des TIS, pas un n'était pas allé en QER. Vous avez également dit qu'il pouvait être usuel que le parquet donne un avis, même sur ce pour quoi il n'est pas compétent. Le fait que vous ne disposiez que d'informations parcellaires est un problème, et l'écart entre la dangerosité avérée par les services de renseignement et l'appréhension par l'administration pénitentiaire crée un débat.
Dans le cas qui nous occupe, l'avis de la CPU dangerosité était unanime sur le transfert en QER. M. Elong Abé lui-même y était favorable, tout comme la direction de l'établissement. Face à cette chaîne de décisions unanimes, les magistrats du siège et du parquet ont émis des avis réservés. Avez-vous déjà eu connaissance de cas de figure similaires ?
Je ne saurais vous le dire. Il faudrait que je reprenne toutes les orientations transmises à l'administration centrale. Je n'ai pas souvenir d'avoir été confrontée à ce type de décisions, sauf parfois à propos de personnes radicalisées : une orientation peut être recommandée, qui peut donner lieu ensuite à une évaluation différente et, surtout, à une priorisation, car l'administration centrale n'a pas à gérer uniquement les propositions formulées par la DISP de Rennes. Chaque session QER ne pouvant accueillir qu'un nombre limité de détenus, des choix doivent parfois être faits. Je ferai une recherche et mentionnerai ces éléments dans ma réponse écrite.
Merci. Surtout concernant les TIS, car c'est ce qui nous occupe. Par ailleurs, participiez-vous au groupe d'évaluation départemental de la radicalisation islamiste (GED) ?
Non. Je ne participe pas aux GED dans la mesure où je gère 14 départements. Les représentants de l'administration pénitentiaire sont au nombre de trois, voire quatre, dans les GED : le chef d'établissement ou son représentant, le directeur du SPIP ou son représentant, le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP), et, dans des GED importants, comme c'est le cas dans l'Orne, un membre de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (Cirp), qui n'est pas un service de la direction interrégionale – c'est pour cela que je vous indique que la direction interrégionale elle-même n'est pas présente en GED.
Néanmoins, ce sont des outils de décloisonnement entre certains services de renseignement, mais aussi entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement. Quelle est la fréquence de ces réunions ?
Les GED ont lieu mensuellement, en tout cas dans des départements comme l'Orne. Dans de plus petits départements, où les TIS et les radicalisés sont moins présents, les fréquences peuvent être un peu plus espacées. À ma connaissance, dans l'Orne, les échanges sont riches, du fait du public accueilli à Condé-sur-Sarthe.
De manière tout à fait logique, un individu comme M. Elong Abé a été régulièrement analysé en GED.
De façon systématique, la situation des TIS est évoquée. S'agissant des radicalisés, ce sont davantage les éléments nouveaux, communiqués par l'administration pénitentiaire, qui sont évoqués, sachant qu'il y a des échanges avec les services de renseignement extérieurs à l'administration pénitentaire. Dans le GED de l'Orne, il était fréquemment question des visiteurs, puisque la concentration de terroristes dans un établissement pénitentiaire amène aussi la venue de familles, dont certains membres peuvent faire l'objet d'un suivi par les services de renseignement classiques.
À ma connaissance, oui.
J'en viens aux relations entre le chef d'établissement, et l'administration pénitentiaire en général, avec le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) et les DLRP, même si nous savons qu'il s'agit d'un service de renseignement à part entière, avec une hiérarchie qui lui est propre. Vous avez parlé du logiciel Genesis, via lequel les agents font remonter un certain nombre d'éléments. Outre le GED, les échanges entre DLRP et chefs d'établissement sont-ils plutôt fluides et réguliers ? Ou existe-t-il parfois des problèmes de cloisonnement trop important ?
Globalement, le lien est fluide, d'autant plus dans un établissement comme celui de Condé-sur-Sarthe, parce que la densité de profils suivis par le service du renseignement et par l'établissement le nécessite, sachant que le suivi en renseignement ne concerne pas que les TIS, mais aussi le grand banditisme, les condamnés pour des faits de terrorisme autre qu'islamiste, les évadés, les grands violents, et tous les publics DPS.
À ma connaissance, la CPU de Condé-sur-Sarthe fonctionne très bien. Il arrive parfois que les DLRP préfèrent échanger certaines informations en direct avec le chef d'établissement et pas forcément devant tous les professionnels. Il en va de même à mon niveau avec la Cirp : nous avons des contacts, et des synthèses nous sont transmises régulièrement. La Cirp a bien évidemment été destinataire de tous les incidents commis par M. Elong Abé durant l'été. Je dirais que la communication est fluide d'un côté comme de l'autre.
L'établissement de Condé-sur-Sarthe a été marqué par l'attentat du 5 mars, commis par un détenu radicalisé. Les personnels ont battu froid à leurs collègues du renseignement pénitentiaire, estimant qu'ils devaient savoir et qu'ils ne leur avaient rien dit. Vivre de telles choses incite à travailler de manière solidaire et de façon fluide et transparente, toujours dans le respect du besoin d'en connaître, évidemment.
Avez-vous eu connaissance de relations entre Smaïn Ait Ali Belkacem et Franck Elong Abé, par voie écrite ou autre ?
Cela ne me dit rien. Dans les éléments que j'ai étudiés pour préparer l'audition, je n'ai rien vu de tel.
Je vous remercie. Nous avons eu toutes les informations nous permettant de poursuivre nos travaux.
La séance s'achève à 18 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Ségolène Amiot, M. Jocelyn Dessigny, M. Laurent Marcangeli.
Excusé. – M. Meyer Habib.