Quand M. Elong Abé est arrivé à Condé-sur-Sarthe, il avait été exclu du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Il a été placé immédiatement en QI. L'objectif de l'établissement de Condé-sur-Sarthe était d'évaluer son comportement et de voir quelle modalité de gestion pouvait être retenue ultérieurement – maintien en QI ou réintégration en détention classique – sachant qu'à Vendin-le-Vieil, M. Elong Abé avait fait un long passage en détention classique, avec un comportement assez correct de février 2017 à l'été 2018.
Pendant un mois, il s'est montré très correct dans son comportement, distant avec les personnels, observateur des pratiques des agents. Un attentat terroriste a ensuite été perpétré au sein de l'établissement de Condé-sur-Sarthe par le détenu Chiolo et son épouse au sein des unités de vie familiale (UVF). Deux agents ont été très grièvement blessés, l'un d'entre eux ne devant son salut qu'à la présence au sein de l'équipe de l'unité sanitaire d'un médecin qui avait œuvré sur théâtre de guerre. S'est ensuivi un mouvement social très dur, durant lequel aucun personnel ne prenait son service, en dehors de quelques officiers de la direction. Des équipes régionales d'intervention et de sécurité sont venues de tout le territoire. Ce mouvement a duré plus de trois semaines et a eu une influence majeure sur la vie des personnes détenues qui se sont retrouvées cloîtrées dans leurs cellules pendant plusieurs semaines.
À l'issue de ce mouvement, les personnels du QI ont constaté que M. Elong Abé n'avait plus du tout le même comportement. Il s'est positionné de façon contestataire sur le fonctionnement du QI, souhaitant absolument en sortir et venant au contact de détenus qui manifestaient leur mécontentement vis-à-vis des règles de sécurité mises en œuvre à la suite de l'attentat. M. Elong Abé contestait notamment la mise en œuvre de fouilles par palpation pratiquées sur les familles se rendant au parloir. Le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe est le seul à pratiquer ces palpations sur les visiteurs. C'est moins le cas aujourd'hui puisqu'un portique à ondes millimétriques a été installé et ce n'est que pour une levée de doute que ces palpations sont pratiquées.
Nous avons constaté une alliance avec certains détenus des quartiers de maison centrale classiques qui s'étaient retrouvés au quartier disciplinaire pour contestation. C'est là qu'ont commencé les incidents, avec d'abord un tapage qui l'a conduit au quartier disciplinaire. Durant tout l'été 2019, nous avons fait face à des incendies de cellule, dont sept commis par M. Elong Abé, et à des destructions de cellule.
Le 2 septembre, M. Elong Abé fait une tentative de suicide par pendaison. Le médecin qui l'a examiné a indiqué qu'il était en crise suicidaire majeure, aigüe, et a tenté d'obtenir son hospitalisation en unité hospitalière de sécurité aménagée (UHSA) ; toutefois cela n'a pas été possible en raison du manque de place. Par ailleurs, compte tenu du profil des détenus de Condé-sur-Sarthe, le centre psychiatrique de proximité refuse de les prendre en charge, y compris lorsqu'ils sont en crise aigüe. Un deuxième épisode suicidaire a eu lieu le 10 septembre. M. Elong Abé comparaissait devant le tribunal judiciaire d'Alençon pour les dégradations et incendies de cellule. Au moment des réquisitions du parquet, il s'est tapé la tête contre les murs du box de la salle d'audience. Extrait de celle-ci, il a été réintégré à sa cellule vidée de tout objet qu'il aurait pu utiliser pour mettre fin à ses jours. Il a ensuite refusé un traitement oral et s'est à nouveau cogné la tête contre les murs de sa cellule. Il a alors fait l'objet d'un traitement sous contention au sein de l'unité sanitaire.
L'établissement de Condé-sur-Sarthe a demandé son départ juste après l'incident du 12 juillet – il y en aura neuf autres par la suite. L'objectif était d'obtenir son départ, mais également de préconiser une évaluation en QER. Celle-ci se justifiait par le parcours de M. Elong Abé, par la nature de sa condamnation, par l'absence d'une évaluation antérieure, par son changement de comportement, par son intolérance à la frustration, par les propos morbides qu'il tenait et par l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le binôme de soutien de mener une évaluation. En effet, après un premier contact avec l'éducateur, M. Elong Abé a refusé tout entretien avec le binôme formé de l'éducateur et du psychologue, le binôme de soutien ayant notamment pour mission d'évaluer la radicalisation des personnes détenues.
Selon moi, l'orientation en QER aurait permis de déterminer précisément les facteurs de risque, ainsi que les mesures de protection à mettre en œuvre pour une prise en charge la plus adaptée possible de M. Elong Abé au niveau de la détention. De plus, nous étions à quatre ans de la sortie, et il semblait intéressant à l'équipe que l'évaluation intervienne à ce moment. Il faut noter que le détenu était favorable à cette orientation en QER puisqu'il l'avait indiqué au conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation qui le suivait. Il faut également souligner que M. Elong Abé souhaitait quitter Condé-sur-Sarthe ; il avait bien compris qu'une orientation en QER aurait peut-être permis un départ plus rapide qu'une affectation dans un établissement classique de type maison centrale.
Il arrive assez fréquemment que les magistrats ne partagent pas l'avis du personnel pénitentiaire. Quand ils sont décisionnaires, nous sommes là pour les éclairer dans leurs décisions. Lorsque nous sommes décisionnaires, il s'agit d'un avis. Il était normal que les magistrats émettent un avis. Je ne me prononcerai pas sur la décision prise par l'administration centrale, n'étant pas compétente en la matière. En revanche, je souhaite indiquer qu'au moment où l'établissement de Condé-sur-Sarthe formule une demande de départ avec une préconisation d'orientation en QER – le dossier est instruit le 16 juillet –, seuls deux incidents se sont produits. S'ensuivront sept incendies de cellule entre juillet et août et deux tentatives de suicide ; M. Elong Abé n'est donc pas tout à fait dans les mêmes dispositions qu'au moment de l'instruction du dossier.