La séance est ouverte à seize heures trente.
Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de M. Gautier Arnaud Melchiorre, auteur du rapport « À (h)auteur d'enfants », remis en novembre 2021 au secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles
Chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance. Nous recevons M. Gautier Arnaud Melchiorre, auteur du rapport « À (h)auteur d'enfants », remis en novembre 2021 au secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles.
Durant six mois, vous avez rencontré plus de 1 500 enfants protégés de tout âge et dans différents lieux d'accueil, dans plus de quinze départements, pour recueillir leur parole. Votre rapport établit une sorte de photographie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) à partir de la perception qu'ont les enfants de leur accompagnement, de leur parcours et de leur réalité. Vous allez donc pouvoir éclairer notre commission d'enquête sur les dysfonctionnements de la politique de protection de l'enfance identifiés dans votre rapport.
Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Gautier Arnaud Melchiorre prête serment)
Je vous remercie de vous intéresser à la protection de l'enfance et d'avoir décidé de lancer une commission d'enquête sur ce sujet. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à saluer tous les travailleurs sociaux qui réalisent un très bon travail, ainsi que tous les enfants ont pu l'exprimer au cours de ma mission. Néanmoins, il existe des dysfonctionnements, que la mission que j'ai conduite a pu observer lors de ses déplacements dans une quinzaine de départements. La plupart de ces derniers nous ont d'ailleurs réservé un bon accueil, même si certains ont refusé de nous recevoir. La majorité des départements a essayé de nous présenter, à chaque fois, un panel le plus large possible des modes d'accueil, y compris les pouponnières, en respectant la trame que j'avais construite auparavant pour préparer les visites.
À ce sujet, il existe une réelle difficulté chez les professionnels des pouponnières, qui ne sont pas forcément des professionnels de la protection de l'enfance, mais des auxiliaires de puériculture ou des puéricultrices, et n'ont pas bénéficié à ce titre d'une formation adaptée et spécifique pour répondre à certaines problématiques qui touchent des bébés. Dès le début de la mission, j'ai informé la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) que lorsque je me rendais dans les pouponnières, les professionnelles m'indiquaient être en grande difficulté. Elles sont confrontées à une augmentation du nombre de bébés accueillis qu'elles n'arrivaient pas toujours à prendre en charge dans de bonnes conditions.
La principale recommandation concerne la nuit, qui n'est pas suffisamment évoquée. En effet, en matière de protection de l'enfance, rien ne pourra s'améliorer tant que les enfants ne dormiront pas bien la nuit. Tant que les enfants ne se sentiront pas en sécurité, ils ne pourront pas suffisamment dormir pour bien grandir et aller à l'école. Or le moment de la nuit, où il se passe des choses parfois terribles, a, pour des motifs peut-être économiques, été désinvesti du champ éducatif.
Mon engagement et ma mission n'ont jamais eu pour objet de jeter l'opprobre sur la protection de l'enfance. Cependant, il est indéniable qu'au cours de ma mission, un grand nombre de personnes – parfois de très jeunes enfants, beaucoup d'adolescents ou de jeunes majeurs – ont pu nous confier qu'ils avaient été victimes d'agressions sexuelles dans les établissements. À ce sujet, il est parfois difficile pour les professionnels d'établir une frontière entre ce qui relève du « touche-pipi » et ce qui appartient au registre de l'agression sexuelle. Dans un établissement qui a ensuite fait l'objet d'un signalement à la suite de mon passage et du témoignage de nombreux petits garçons, la directrice atténuait les faits en parlant précisément de simple « touche-pipi ». Pire encore, le directeur général de cette association « la Sauvegarde », devant mon indignation face à la situation de l'établissement, m'a répondu que je n'étais choqué que parce que j'avais dû être moi-même un enfant confié à l'ASE.
Ils ont eu lieu en Loire-Atlantique, département qui avait refusé d'accueillir la mission ; l'association « la Sauvegarde » m'avait finalement accueilli. Je ne peux pas évoquer ces faits plus longuement, dans la mesure où ils font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire. Cette euphémisation de situations dramatiques existe bien ; nombre de jeunes majeurs me l'ont confirmé. En résumé, la nuit doit faire l'objet d'une attention majeure. À l'heure actuelle, les surveillants de nuit ne sont pas formés pour recueillir la parole de ces enfants.
Ensuite, je crois que votre commission aurait tout intérêt à appréhender les enjeux à travers le prisme des droits de l'enfant. Ces petits droits du quotidien, de la vie de tous les jours, sont loin d'être anecdotiques. À travers eux, on fait découvrir à l'enfant qu'il est un sujet de droit ; on lui apprend à être un acteur de ses propres droits et à les exercer. Cette vision constructive ne peut être que vertueuse, car elle permet de regarder l'avenir et de remettre parfois en question des pratiques.
Les enfants que la mission a interrogés partagent tous une demande principale : avoir une enfance normale. À certains égards, l'administration et le législateur sont ainsi responsables de certains dysfonctionnements. Les mots subsistent : on parle encore de « placement » ou d'anciens « enfants placés ». Lors des débats ayant précédé l'adoption de la loi du 5 mars 2007, une parlementaire avait demandé par amendement le retrait du mot « placement » du code de l'action sociale et des familles. La rapporteure du texte, Mme Valérie Pécresse, avait refusé cette modification, considérant que cela serait trop compliqué. Néanmoins, le terme de « placement » exprime réellement des dysfonctionnements, qui stigmatisent la vie de l'enfant. Cela peut paraître anecdotique, mais je pense par exemple aux logos sur les camionnettes qui conduisent ces enfants à l'école et qui les stigmatisent. Il ne coûte rien aux législateurs, aux administrations et aux départements de modifier le lexique désuet qui s'applique toujours à la protection de l'enfance.
L'enfant n'est malheureusement pas toujours un sujet de droit. Je pense notamment à une lettre que j'ai reçue d'un jeune garçon qui me disait : « Je voudrais que le juge m'écoute à propos des visites avec ma maman. Il me force à aller en visite avec maman ». Il ne s'agit pas d'opposer les parents aux enfants, mais de se dire que le droit de visite n'est peut-être pas prévu que dans l'intérêt des parents. Si l'enfant est pleinement sujet de droit, il a le droit de refuser.
S'agissant de la question du quotidien, j'en suis arrivé à élaborer une théorie, « la théorie du radis ». Je m'explique : quand on visite un établissement de protection de l'enfance, on vous montre un parterre où des radis sont cultivés par les enfants, mais ceux-ci n'ont pas le droit de les manger, au même titre que les œufs des poules qu'ils élèvent. Parce que la protection de l'enfance dysfonctionne, on a ainsi tendance à toujours vouloir rajouter des normes qui viennent enserrer la vie de l'enfant. Or, un éducateur a besoin de souplesse pour pouvoir s'adapter à la réalité d'un enfant. Il s'agit d'accepter le risque, d'accompagner un éducateur qui agit dans l'intérêt de l'enfant. De fait, les professionnels ont pu exprimer au cours de la mission qu'ils étaient paralysés par des organisations administratives hiérarchisées qui les empêchent finalement d'être force de proposition.
Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, vous m'interrogez notamment sur le devenir de la charte qui a été rédigée par les enfants. La charte a disparu avec le changement de gouvernement. Au sujet de cette charte, de nombreux enfants interrogés demandaient ainsi un « droit » à être en colère et à être pardonnés. Cette question de la colère me permet d'évoquer celle de la pédopsychiatrie. Je ne suis pas pédopsychiatre, je ne suis pas médecin, je suis juriste de formation. Mais quelque chose m'interroge : quand un adolescent ne va pas très bien parce qu'il a été victime de maltraitance, qu'il s'énerve et qu'il casse une porte, du point de vue de l'ordre public, il commet une infraction pénale. Mais si nous nous plaçons à hauteur d'enfant, ne pouvons-nous pas nous dire qu'il est encore heureux qu'il soit suffisamment en vie pour être en colère et avoir envie de casser cette porte ?
Le droit à la colère ne consiste pas à inviter tous les jeunes à casser des portes, mais doit permettre de réfléchir à la manière de donner aux professionnels des outils pour qu'ils puissent accompagner l'expression des émotions et des troubles du comportement qui ne relèvent pas tous du champ de la pédopsychiatrie. Parmi ces outils, l'un d'entre eux n'est pas suffisamment priorisé : l'accès à la culture, à la littérature, aux arts. Cet accès à la culture, cette volonté exprimée par Condorcet de rendre la raison populaire constituent l'essence même de notre idéal républicain. La République n'est pas qu'un projet politique, c'est un ensemble de valeurs, un idéal pour permettre l'émancipation individuelle et à chacun de se forger son opinion. On dit souvent que les enfants de la protection de l'enfance présentent des troubles, mais peut-être faudrait-il aussi s'interroger sur les causes et les réponses qui y sont apportées. En stigmatisant leur vie, en ne leur permettant pas d'aller à l'anniversaire d'un camarade, en les enfermant dans un langage, l'institution ne crée-t-elle pas elle-même un trouble, ou plutôt ne renforce-t-elle pas des troubles qui préexistent ?
Enfin, deux autres thématiques me semblent essentielles. Je pense d'abord à la question des droits et du quotidien, qui me semble être problématique. La chambre de l'enfant doit être envisagée comme un domicile ; on n'y entre pas de n'importe quelle manière. Je pense ensuite à celle de la laïcité, qui ne s'applique qu'aux agents, mais pas aux mineurs. Si les mineurs ont envie de pratiquer une religion, s'ils ont envie d'avoir un régime alimentaire particulier en lien avec leur culture et leurs croyances, avons-nous le droit de leur opposer la laïcité ? S'ils sont pleinement sujets de droit, ne devons-nous pas leur permettre de pratiquer leur religion, dans le respect des autres ?
Notre commission d'enquête porte sur les manquements des politiques publiques dans le domaine de la protection de l'enfance et a pour objectif de tracer des voies d'amélioration. Il ne s'agit pas d'une commission de réparation, même si elle pourra effectuer des demandes en ce sens.
Quand le secrétaire d'État Adrien Taquet vous a remis votre lettre de mission, nous étions à l'époque ravis. Vous avez rendu vos travaux à une date symbolique, celle du 20 novembre 2021. Il s'agit bien d'une lettre de mission et non d'un nouveau rapport destiné à s'ajouter à tous ceux déjà écrits sur la protection de l'enfance. Cette mission a donné lieu à des préconisations vis-à-vis d'enfants sujets de droit. Que sont devenues les préconisations de votre rapport, au-delà de la charte que vous venez d'évoquer ? Quel discours vous a-t-on tenu lors de sa remise ? Quelles ont été les réalisations concrètes découlant de vos préconisations ?
Votre version m'intéresse particulièrement. En effet, ce rapport présentait la singularité de se fonder sur la parole des jeunes qui ont été interrogés. Il est essentiel que cette parole soit suivie d'actes. Or il me semble que cela n'a pas été le cas et j'aimerais être éclairée sur ce sujet avant de vous poser d'autres questions.
Un grand nombre de professionnels de terrain ont profité de ce rapport pour questionner leurs pratiques. De fait, il est étonnant de constater que ces professionnels ont davantage mis en œuvre le rapport que les autorités qui l'ont commandé. Je ne parle pas du secrétaire d'État Adrien Taquet, puisqu'il avait établi une seconde mission qui consistait à promouvoir la diffusion du rapport, mission qui avait été confiée à l'association La Voix de l'enfant, avec laquelle j'ai pu avoir certaines divergences concernant l'avenir du rapport.
À chaque enfant qui a pris la parole, j'ai indiqué que ses propos seraient pris en compte, que des réponses seraient apportées. Les enfants ont adhéré à cette idée ; ils se sont livrés, se sont confiés. À Rouen, j'ai croisé l'ancienne ministre, Mme Charlotte Caubel, que j'ai interrogée, car je souhaitais qu'elle mette en œuvre le rapport, pour les enfants. Quand je lui ai demandé ce qu'elle comptait faire du rapport, elle m'a répondu : « Je le conserve très précieusement sur une étagère de mon bureau pour qu'il puisse m'inspirer ». Elle ne m'a jamais reçu. Pourtant, certaines recommandations étaient simples à mettre en œuvre. Par exemple, j'avais demandé à la direction générale de la santé (DGS) d'établir un protocole de visites importantes pour chaque enfant au cours de son enfance – c'est assez simple à réaliser pour des spécialistes. En effet, certains enfants n'arrivent pas à suivre les cours d'école simplement parce qu'ils ne voient pas bien, mais personne ne s'en est rendu compte. D'autres éprouvent des problèmes d'élocution ou de mastication parce qu'ils souffrent des dents.
J'ai beaucoup axé mes travaux sur la prévention et l'accès à la santé. Or ces aspects ne sont pas connus des enfants et pas toujours perçus par les professionnels de la protection de l'enfance. Certains ne savent pas, par exemple, à quelle fréquence il est nécessaire d'aller chez un dentiste. De la même manière, dans les territoires, le rôle du référent ASE est traité de manière disparate. En effet, chaque département peut décider ce qu'il veut dans ce domaine ; il n'existe pas de cadre commun.
Au-delà de ce rôle mal défini, peut-être votre commission d'enquête pourrait-elle auditionner des enfants ? Lors de ma mission, lorsque je les voyais au ministère après les avoir rencontrés sur leur lieu d'accueil, je leur présentais la carte de France et leur expliquais ce qu'était un département. Je leur détaillais également le rôle du président de département et ses responsabilités à leur égard. À ce moment-là, leurs exigences vis-à-vis des référents ASE n'étaient plus les mêmes. Cependant, dans certains territoires, il n'existe pas de distinction entre le professionnel qui représente le département comme employeur du référent ASE, en raison de moyens insuffisants. Dans ce cas, le même agent du département est à la fois l'autorité hiérarchique ou l'accompagnant de la famille d'accueil, mais aussi le référent ASE de l'enfant. Comment est-il possible de concilier ces deux rôles ?
Le département de l'Isère a mis en place une cellule départementale d'inspection. Pouvez-vous nous en dire plus ? S'agit-il d'une bonne initiative qu'il faudrait dupliquer ?
Ensuite, la recentralisation de l'ASE est aujourd'hui mise en avant par certains. Quelle est votre opinion à ce sujet, en tant qu'acteur de longue date de la protection de l'enfance ? Par ailleurs, dans votre rapport, vous avez notamment indiqué que les enfants devraient être accueillis selon un modèle ressemblant à une maison ou dans de petites unités d'accueil. Or j'ai constaté que souvent, les structures d'accueil n'avaient pas changé en quarante ans. Lors de vos visites dans les quinze départements, avez-vous plutôt observé des grandes structures accueillant des enfants de 0 à 18 ans ou des modèles de type petite maison ?
La cellule d'inspection du département de l'Isère ne s'intéresse pas qu'à la protection de l'enfance, mais à tout ce qui relève du champ de l'action sociale. Elle ne relève pas de la direction chargée de l'enfance et des familles, mais de la direction générale des services ; elle est donc indépendante dans son fonctionnement.
Ensuite, lorsque je les ai interrogés, les professionnels m'ont répondu qu'ils ne sont pas défavorables aux inspections, à condition que celles-ci ne portent pas uniquement sur les lignes comptables ou d'autres modalités de sécurité. Bien souvent, ces inspections s'intéressent peu au travail des professionnels à proprement parler. Or ceux-ci souhaiteraient que ces inspections permettent de les valoriser. De plus, ils sont aussi en attente d'un regard extérieur qui puisse leur donner des clefs pour avancer, face aux difficultés auxquelles ils sont parfois confrontés.
Dans mon rapport, je souligne qu'à force de se concentrer sur « l'économie générale de l'accueil », on manque parfois l'essentiel, c'est-à-dire que les enfants soient heureux où ils sont, même si d'autres aspects matériels sont perfectibles. À ce sujet, votre commission pourrait auditionner avec intérêt Mme Gwenaëlle Fiori, que j'ai rencontrée dans le Vaucluse. En effet, dans ce département, j'ai pu visiter un établissement qui était à mon sens parfait, d'autant plus qu'il n'était pas totalement prévenu de ma venue. Or quelques années auparavant, cet établissement présentait un fonctionnement catastrophique, jusqu'à ce que cette agente du département retravaille l'ensemble du projet avec les équipes. En conséquence, elle dispose d'une grande expérience professionnelle, qu'elle pourrait partager avec vous.
Ensuite, je serais favorable à la recentralisation si j'étais convaincu qu'elle permettrait de changer la situation pour les enfants. Je rappelle en effet que si la recentralisation ne constitue pas une mauvaise idée en elle-même, le secteur est porté par les associations. Ensuite, le continuum entre prévention et protection me semble incontournable. Si l'on recentralise, peut-être à juste titre, l'accompagnement des enfants confiés à l'ASE dans le cadre d'une mesure judiciaire, que ferons-nous de l'enfant qui bénéficie d'une mesure administrative ? Le lien qui aurait pu être tissé avec une famille pourrait ainsi être interrompu si l'on passe à une autre forme d'accompagnement, sous l'égide de l'État. Plus largement si la protection de l'enfance est ôtée aux départements, que leur restera-t-il ? Je rappelle en effet qu'il s'agit d'une de leurs missions principales. Mais il est exact que la qualité de la prévention est assez disparate selon les territoires, en fonction des ressources des départements.
Je vous remercie pour votre intervention ; j'ai bu vos paroles. J'ai compris que, pour vous, le principal objectif consistait à s'intéresser à l'enfant en tant que sujet. Ces mots sont très importants. En effet, l'enfant doit avant tout se sentir considéré dans ses besoins, y compris dans la colère. J'espère que nous, députés membres de cette commission d'enquête, pourrons tirer les enseignements de vos travaux.
Vous avez estimé que l'enfant n'est pas reconnu comme sujet. Je le confirme : lorsque j'étais avocate, j'ai rencontré des enfants qui se plaignaient de ne pas être partie au procès en matière civile. Ne faudrait-il pas leur donner ce statut de sujet pouvant s'opposer à une décision judiciaire et ainsi estimer que leur consentement est important ? En effet, il me semble nécessaire de conduire une réflexion dans ce domaine, afin qu'ils puissent éventuellement s'opposer à des visites qui les feraient souffrir.
Ensuite, je partage complètement les propos que vous avez tenus concernant la nuit. Il est très important, pour l'équilibre des enfants, qu'ils se sentent en sécurité et, effectivement, de ne pas se voiler les yeux sur de possibles agressions, soit entre enfants, soit par un adulte. Il est tout autant exact qu'un veilleur de nuit n'est pas formé à s'occuper des enfants. Que pensez-vous de doter les parlementaires d'un droit de visite inopinée ? S'agit-il selon vous d'une bonne ou d'une mauvaise décision ? Enfin, parmi les enfants que vous avez auditionnés, certains se sont-ils plaints que leur parole n'était pas assez prise en compte, notamment dans le cadre de démarches judiciaires ?
Je vous remercie pour vos paroles authentiques et pour la singularité de votre rapport. Celui-ci fait d'ailleurs écho à la démarche de l'association des Oubliés de la République, qui propose à chaque député de participer à l'opération « Chaque pas compte ». Elle consiste notamment à discuter régulièrement dans l'année avec des jeunes issus de l'ASE ou des oubliés d'une façon générale. J'ai le plaisir d'y participer dans ma ville et j'y retrouve un grand nombre des éléments dont vous avez fait mention.
Votre rapport concerne des paroles d'enfants, qu'il n'est pas toujours simple de transformer en préconisations. Cependant, vous y évoquez aussi la question des mesures judiciaires, du rôle du juge et de l'avocat. De multiples exemples sont évoqués pour regretter le manque d'écoute des avocats et des magistrats. Pouvez-vous développer un peu plus ces aspects ? Estimez-vous nécessaire que des avocats spécialisés soient systématiquement mobilisés ?
Enfin, à la fin de votre rapport, vous évoquez la question des sorties, sujet qui me semble essentiel. Nous savons en effet que les enfants issus de l'ASE sont surreprésentés dans les jeunes à la rue, soit environ 16 %. Je me suis beaucoup mobilisé sur cette question, mais j'ignore si vous avez pu rencontrer de nombreux jeunes majeurs susceptibles d'apporter leurs témoignages. Cet aspect me semble en effet particulièrement problématique. Quand l'État se substitue dans toutes ses dimensions au rôle des parents, il devient plus maltraitant. Pouvez-vous évoquer cet aspect ?
Je vous remercie à mon tour pour votre témoignage. Je souhaite évoquer les contrôles effectués dans les familles d'accueil. Je me souviens ainsi avoir reçu une famille d'accueil qui avait été obligée de changer un enfant de chambre, car celle qu'il occupait était un mètre carré trop petite, alors même que l'enfant s'y plaisait bien. Certains départements déploient-ils des pratiques innovantes ? Certains territoires écoutent-ils davantage l'enfant ? Les personnes qui y effectuent les contrôles sont-ils appuyés par des professionnels formés ?
Vous avez évoqué la question de l'institution, qui peut engendrer des troubles par différents types de privations et d'absences de considération de l'enfant. Nous recevons malheureusement des retours plus graves concernant des violences, notamment dans le cadre des maisons d'enfants ou des foyers, des structures collectives. Dans ce cadre, il ne s'agit plus de petites privations du quotidien, mais d'une exposition à des profils d'enfants violents, en raison des contraintes d'accueil, notamment d'accueil en urgence. Simultanément, les éducateurs sont de moins en moins formés. Lors des travaux préparatoires à votre rapport, avez-vous été alerté sur des comportements de ce genre, dont nous entendons malheureusement les échos ?
S'agissant de la recentralisation, j'ai particulièrement apprécié le risque que vous avez pointé de rupture de continuum entre prévention et politique sociale. De notre côté, nous observons également que les décisions de justice ne sont pas forcément appliquées et que les juges ne disposent pas forcément de suivi sur l'exécution effective de leurs mesures. De même, le volet sanitaire peut faire défaut en raison du manque immense de pédopsychiatres. Il apparaît en effet que de nombreux enfants, apparemment placés dans les institutions, présentent de plus en plus de troubles psycho-cognitifs.
Enfin, il convient évidemment de mentionner la question épineuse des financements des départements, dans la mesure où il leur est plus difficile que l'État de s'endetter.
Quelle est votre position sur ces différents sujets ?
Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Vous avez conduit un travail de terrain. Vous avez recueilli la parole des enfants, mais vous avez aussi fréquenté de nombreux départements. Avez-vous constaté des disparités flagrantes entre départements dans les politiques mises en place en faveur de la protection de l'enfance ? Pouvez-vous également commenter ces disparités ?
Ensuite, dans vos recommandations, vous évoquez la nécessité de lutter contre les violences institutionnelles. Pouvez-vous nous préciser de quelles violences il s'agit ?
Enfin, vous préconisez de mieux préparer les enfants à l'autonomie du quotidien. Selon vous, en sortie d'ASE, l'impréparation condamne-t-elle des enfants à l'échec au moment de leur entrée dans l'autonomie ?
Vous m'avez notamment interrogé sur le rôle de l'avocat. Dans mon rapport, je me suis efforcé de reproduire le plus fidèlement possible les propos des enfants interrogés. Ma position personnelle sur la place de l'avocat diffère de celle que j'ai pu retranscrire dans le rapport. En effet, lorsque je leur demandais s'ils voulaient un avocat, la première réaction des enfants était de dire qu'ils n'en avaient pas besoin, parce qu'ils n'avaient rien commis de répréhensible. Ensuite, je leur expliquais qu'ils avaient des droits – ce qu'ils ignoraient – et que les avocats avaient pour fonction de les protéger. Dans ce rapport, j'ai ainsi voulu indiquer que si les enfants avaient bénéficié auparavant d'une meilleure information sur le rôle de l'avocat et sur ce qu'il pouvait apporter, leurs réponses auraient sans doute été différentes.
Dans le domaine de la protection de l'enfance, on a souvent tendance à réfléchir de manière manichéenne, selon des mouvements de balancier. Aujourd'hui, on estime par exemple qu'il ne faut absolument pas séparer les fratries, mais il faut nuancer cette vision, en réfléchissant au cas par cas. Il faudrait que l'avocat soit effectivement plus présent et peut-être obligatoirement désigné en tant que spécialiste, mais en laissant le choix à l'enfant de décider s'il veut y recourir ou non.
Quoi qu'il en soit, il convient d'approfondir la réflexion sur la présence de l'avocat en matière d'assistance éducative, surtout dans les cas de violences. Les situations divergent tellement, entre une famille en situation de très grande précarité, mais qui n'est pas malveillante, et une autre où le père est incestueux et la mère ferme les yeux. Il n'existe pas de bonne ou de mauvaise réponse dans l'absolu, mais il est certain que l'avocat doit être plus présent, au moins pour informer les enfants, mais aussi les professionnels, qui ne savent pas eux-mêmes qu'un enfant doté de discernement peut avoir un avocat s'il en fait la demande.
Ensuite, vous avez estimé que le législateur devrait mener une réflexion complète sur le contenu de l'autorité parentale. Je ne dispose pas de réponse définitive en la matière, mais il existe bien là un véritable enjeu de société concernant les contours de la parentalité. Je vous laisse souverainement apprécier cette question, mais il est exact que ce débat n'est pas souvent conduit, ce qui peut placer en difficulté la protection de l'enfance, dans la mesure où sa mise en œuvre reflète les choix et tolérances de la société. De même, l'autorité parentale renvoie aussi à l'intime. Revient-il au législateur de déterminer ce qu'est un bon ou un mauvais parent ? Il me semble nécessaire de mener un débat sérieux pour approfondir ce sujet et y apporter des réponses.
En outre, les enfants qui ont le plus évoqué les violences institutionnelles n'étaient pas dans des lieux d'accueil collectif, mais le plus souvent dans des familles d'accueil. Ici aussi, il importe de ne pas généraliser. J'ai rendu par exemple visite à des familles d'accueil formidables, dans lesquelles les enfants étaient heureux. Cependant, de nombreux jeunes majeurs ont témoigné de violences liées à des différences de traitement par rapport aux propres enfants de la famille d'accueil. Cela ne signifie pas que les violences n'existent pas dans les structures collectives, mais celles-ci permettent néanmoins une circulation des acteurs et donc une détection plus rapide des situations de violence. D'autres enfants sont capables de me parler de leur « prix de journée », c'est-à-dire de ce qu'ils coûtent aux familles d'accueil, ce qui signifie qu'on leur en parle.
Vous m'avez également interrogé sur l'accueil dans les maisons et les petits lieux. Je pense que votre commission d'enquête devrait également s'intéresser aux lieux de vie, dont le régime juridique n'est pas celui des maisons d'enfants à caractère social (Mecs). Certains lieux de vie fonctionnent très bien. Mais il existe également des personnes qui profitent du système et qui maquillent des Mecs en lieux de vie, en en positionnant plusieurs, proches les unes des autres, sur un même territoire. De ce fait, certaines associations ne supportent pas les charges financières qui incombent aux Mecs et prennent en charge des adolescents plus complexes, ce qui leur permet d'émettre des factures plus importantes.
En résumé, s'agissant des lieux de vie, il existe de très belles initiatives, qui tiennent à la qualité des personnes qui sont présentes sur place, notamment la nuit.
Je pense par exemple au réseau La Bonde, qui déploie trois lieux de vie peu éloignés, ce qui ressemble à un accueil de Mecs déguisé. Il importe donc d'accorder une attention particulière aux lieux de vie, sans pour autant établir un cadre complètement restrictif qui viendrait éroder les belles initiatives qui peuvent voir le jour. Deux lieux de vie m'ont particulièrement plu : la maison des lézards à Nîmes et un lieu de vie près d'Angers, une maison accueillant des enfants souffrant de troubles du neuro-développement. Dans cette maison, il existe par exemple dans le jardin un petit espace carré dans lequel les enfants peuvent exprimer leur colère et dire des gros mots.
Par ailleurs, il n'existe pas vraiment de grandes disparités entre territoires lorsque l'on s'intéresse à la vie de l'enfant dans son quotidien. Les Mecs de Caen et d'Avignon sont confrontées aux mêmes difficultés dans le quotidien de l'enfant. En revanche, j'ai pu observer de grandes disparités dans le cadre de la sortie des dispositifs de l'ASE. Certains territoires investissent ainsi sur ses sorties, quand d'autres n'y prêtent pas vraiment attention. Les disparités sont aussi intra-territoriales, au sein d'un même département. Par exemple, les enfants ont souvent indiqué que lorsqu'ils étaient accueillis dans une petite maison, ils se sentaient mieux. Je rappelle que certains établissements accueillent par exemple plus de 100 enfants. Dans ce cadre, l'écran associatif pourrait sans doute jouer un rôle utile. En effet, le référent ASE est là pour veiller au projet de l'enfant, et non pour représenter le département en tant qu'employeur. Lorsque l'écran associatif existe, il permet à une association spécialisée d'accompagner les familles d'accueil et, partant, de bien distinguer les rôles.
En revanche, j'ai été frappé par le fait que certaines familles d'accueil sont spécialisées dans l'accueil d'urgence, en comparaison avec des familles « classiques ». J'ai interrogé les familles d'accueil spécialisées, qui m'ont indiqué que leur rôle consiste à observer l'enfant et à formuler des recommandations sur le meilleur accueil possible. Mais les délais administratifs et les méandres de la vie étant ce qu'ils sont, un enfant peut rester plus d'un an dans une famille d'accueil d'urgence, avant qu'il n'aille dans une autre famille d'accueil. Dans ces circonstances, comment s'étonner ensuite que l'enfant finisse par « exploser » et ne plus accorder sa confiance ? En résumé, plus les rôles sont spécialisés, plus la situation peut être compliquée.
Dans le rapport, au sujet de l'accueil et de son inconditionnalité, je me demande si l'enfant doit être celui qui, dans son quotidien, porte la responsabilité du dysfonctionnement de l'organisation. Les grands établissements d'urgence ne dysfonctionnent pas tous. Des enfants peuvent s'y sentir bien, mais on leur a indiqué qu'ils ne pourraient pas y rester, car il s'agit d'une solution supposément temporaire. De fait, il est frappant de voir que dans les établissements d'urgence, les chambres d'adolescents ne sont pas décorées, dans la mesure où ils attendent qu'on leur dise où ils iront finalement. Mais comme il n'existe pas de place ailleurs, les adolescents ne partent pas et s'attachent aux éducateurs. Ceux-ci sont placés en porte-à-faux car ils savent que ces enfants peuvent partir du jour au lendemain si une place devait finalement se libérer ailleurs. À un moment donné, il faudrait permettre à l'enfant d'exercer un recours, en tant que sujet de droit. S'il se sent bien quelque part, ce n'est pas à lui, mais à l'administration de s'adapter.
Enfin, je ne peux que vous inviter à établir un droit de visite, dans la mesure où la représentation nationale doit aller à la rencontre des enfants, que vous pouvez par ailleurs inviter à l'Assemblée nationale.
La séance s'achève à dix-sept heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Alma Dufour, M. Charles Fournier, M. David Guiraud, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac
Excusés. – Mme Anne-Laure Blin, Mme Béatrice Descamps