Ils ont eu lieu en Loire-Atlantique, département qui avait refusé d'accueillir la mission ; l'association « la Sauvegarde » m'avait finalement accueilli. Je ne peux pas évoquer ces faits plus longuement, dans la mesure où ils font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire. Cette euphémisation de situations dramatiques existe bien ; nombre de jeunes majeurs me l'ont confirmé. En résumé, la nuit doit faire l'objet d'une attention majeure. À l'heure actuelle, les surveillants de nuit ne sont pas formés pour recueillir la parole de ces enfants.
Ensuite, je crois que votre commission aurait tout intérêt à appréhender les enjeux à travers le prisme des droits de l'enfant. Ces petits droits du quotidien, de la vie de tous les jours, sont loin d'être anecdotiques. À travers eux, on fait découvrir à l'enfant qu'il est un sujet de droit ; on lui apprend à être un acteur de ses propres droits et à les exercer. Cette vision constructive ne peut être que vertueuse, car elle permet de regarder l'avenir et de remettre parfois en question des pratiques.
Les enfants que la mission a interrogés partagent tous une demande principale : avoir une enfance normale. À certains égards, l'administration et le législateur sont ainsi responsables de certains dysfonctionnements. Les mots subsistent : on parle encore de « placement » ou d'anciens « enfants placés ». Lors des débats ayant précédé l'adoption de la loi du 5 mars 2007, une parlementaire avait demandé par amendement le retrait du mot « placement » du code de l'action sociale et des familles. La rapporteure du texte, Mme Valérie Pécresse, avait refusé cette modification, considérant que cela serait trop compliqué. Néanmoins, le terme de « placement » exprime réellement des dysfonctionnements, qui stigmatisent la vie de l'enfant. Cela peut paraître anecdotique, mais je pense par exemple aux logos sur les camionnettes qui conduisent ces enfants à l'école et qui les stigmatisent. Il ne coûte rien aux législateurs, aux administrations et aux départements de modifier le lexique désuet qui s'applique toujours à la protection de l'enfance.
L'enfant n'est malheureusement pas toujours un sujet de droit. Je pense notamment à une lettre que j'ai reçue d'un jeune garçon qui me disait : « Je voudrais que le juge m'écoute à propos des visites avec ma maman. Il me force à aller en visite avec maman ». Il ne s'agit pas d'opposer les parents aux enfants, mais de se dire que le droit de visite n'est peut-être pas prévu que dans l'intérêt des parents. Si l'enfant est pleinement sujet de droit, il a le droit de refuser.
S'agissant de la question du quotidien, j'en suis arrivé à élaborer une théorie, « la théorie du radis ». Je m'explique : quand on visite un établissement de protection de l'enfance, on vous montre un parterre où des radis sont cultivés par les enfants, mais ceux-ci n'ont pas le droit de les manger, au même titre que les œufs des poules qu'ils élèvent. Parce que la protection de l'enfance dysfonctionne, on a ainsi tendance à toujours vouloir rajouter des normes qui viennent enserrer la vie de l'enfant. Or, un éducateur a besoin de souplesse pour pouvoir s'adapter à la réalité d'un enfant. Il s'agit d'accepter le risque, d'accompagner un éducateur qui agit dans l'intérêt de l'enfant. De fait, les professionnels ont pu exprimer au cours de la mission qu'ils étaient paralysés par des organisations administratives hiérarchisées qui les empêchent finalement d'être force de proposition.
Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, vous m'interrogez notamment sur le devenir de la charte qui a été rédigée par les enfants. La charte a disparu avec le changement de gouvernement. Au sujet de cette charte, de nombreux enfants interrogés demandaient ainsi un « droit » à être en colère et à être pardonnés. Cette question de la colère me permet d'évoquer celle de la pédopsychiatrie. Je ne suis pas pédopsychiatre, je ne suis pas médecin, je suis juriste de formation. Mais quelque chose m'interroge : quand un adolescent ne va pas très bien parce qu'il a été victime de maltraitance, qu'il s'énerve et qu'il casse une porte, du point de vue de l'ordre public, il commet une infraction pénale. Mais si nous nous plaçons à hauteur d'enfant, ne pouvons-nous pas nous dire qu'il est encore heureux qu'il soit suffisamment en vie pour être en colère et avoir envie de casser cette porte ?
Le droit à la colère ne consiste pas à inviter tous les jeunes à casser des portes, mais doit permettre de réfléchir à la manière de donner aux professionnels des outils pour qu'ils puissent accompagner l'expression des émotions et des troubles du comportement qui ne relèvent pas tous du champ de la pédopsychiatrie. Parmi ces outils, l'un d'entre eux n'est pas suffisamment priorisé : l'accès à la culture, à la littérature, aux arts. Cet accès à la culture, cette volonté exprimée par Condorcet de rendre la raison populaire constituent l'essence même de notre idéal républicain. La République n'est pas qu'un projet politique, c'est un ensemble de valeurs, un idéal pour permettre l'émancipation individuelle et à chacun de se forger son opinion. On dit souvent que les enfants de la protection de l'enfance présentent des troubles, mais peut-être faudrait-il aussi s'interroger sur les causes et les réponses qui y sont apportées. En stigmatisant leur vie, en ne leur permettant pas d'aller à l'anniversaire d'un camarade, en les enfermant dans un langage, l'institution ne crée-t-elle pas elle-même un trouble, ou plutôt ne renforce-t-elle pas des troubles qui préexistent ?
Enfin, deux autres thématiques me semblent essentielles. Je pense d'abord à la question des droits et du quotidien, qui me semble être problématique. La chambre de l'enfant doit être envisagée comme un domicile ; on n'y entre pas de n'importe quelle manière. Je pense ensuite à celle de la laïcité, qui ne s'applique qu'aux agents, mais pas aux mineurs. Si les mineurs ont envie de pratiquer une religion, s'ils ont envie d'avoir un régime alimentaire particulier en lien avec leur culture et leurs croyances, avons-nous le droit de leur opposer la laïcité ? S'ils sont pleinement sujets de droit, ne devons-nous pas leur permettre de pratiquer leur religion, dans le respect des autres ?