La séance est ouverte à onze heures.
Mes chers collègues, nous accueillons M. Jérôme Rouillaux, directeur général du centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (Creps) Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.
L'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes :
l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;
l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport
et l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.
Nous avons entendu de nombreuses victimes, sportifs de haut niveau ou non, hommes ou femmes, intervenant dans des disciplines différentes. Elles nous ont décrit les violences qu'ils ont subies principalement lorsqu'elles étaient mineures, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d'autres sportifs manipulés par leur entraîneur. À ces violences, qui semblent particulièrement répandues, s'ajoutent des actes de discrimination fondés sur le sexe ou sur la race. Nous avons aussi auditionné des journalistes d'investigation qui ont dénoncé plusieurs scandales financiers dans le milieu du sport, en particulier dans le football et le rugby.
Pouvez-vous nous indiquer le nombre et la nature des signalements dont le Creps que vous dirigez a eu connaissance au cours des dernières années sur le sujet des violences sexuelles et sexistes et des discriminations ? Quelles suites ont été données à ces signalements ? Pourriez-vous partager avec nous les initiatives prises au sein de votre Creps en matière d'identification des violences sexuelles, physiques ou psychologiques et des discriminations sexuelles et raciales ?
Nous avons recueilli de nombreux témoignages qui font état d'un besoin criant de formation des encadrants, des sportifs et des parents à ces enjeux. Qu'en pensez-vous ? Les formations que vous proposez contiennent-elles systématiquement des modules pédagogiques spécifiquement dédiés aux questions des violences dans le sport et aux discriminations ? Quelle appréciation portez-vous sur l'adéquation de ces formations aux enjeux qui nous intéressent ?
Enfin, du haut de votre expérience de près de vingt ans dans le domaine du sport, quelle appréciation portez-vous sur la gouvernance du sport et son évolution récente ? Sur les sujets qui intéressent notre commission d'enquête, auriez-vous des recommandations à formuler ?
Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jérôme Rouillaux prête serment.)
En préambule, je souhaiterais vous apporter quelques précisions sur l'origine et le fonctionnement des Creps. Ces derniers sont souvent comparés à des établissements scolaires du second degré, mais leur organisation est en réalité très différente de ce modèle. Je voudrais aussi vous faire part de nos principales missions, qui peuvent présenter des risques en rapport avec l'objet de votre commission d'enquête. J'exposerai ensuite quelques exemples illustrant nos relations avec les fédérations sportives. Je pourrai également aborder certains dossiers de harcèlement, violences sexistes ou sexuelles que j'ai été amené à traiter, avec l'ensemble de mes collaborateurs. Enfin, je me tiendrai à votre entière disposition pour répondre à l'ensemble des questions.
Il faut savoir que les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive existent depuis 1945. Ils ont remplacé les centres régionaux d'éducation générale et sportive (Cregs), créés sous le gouvernement de Vichy. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les autorités entendent former des éducateurs sportifs pour reconstruire la nation et redonner de la fierté à la jeunesse française.
En 1984, les Creps cessent de former les professeurs d'éducation physique et sportive (EPS) intervenant dans les établissements scolaires. Les Creps engagent alors un travail de reconstruction de leurs missions. Dans ce cadre, un nouveau corps de fonctionnaires du ministère de la jeunesse et des sports est créé, celui des professeurs de sport. Il s'agit principalement des cadres techniques placés dans les fédérations sportives.
Jusqu'en 1986, la dénomination Creps signifie « centre régional d'éducation physique et sportive ». Avec le décret publié cette même année, les Creps deviennent des « centres d'éducation populaire et de sport ». Ils acquièrent la personnalité morale et sont placés sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des sports. Des agents publics et acteurs associatifs sont alors formés dans tous les secteurs (sport, jeunesse et éducation populaire). Progressivement, des sportifs de haut niveau font leur entrée dans des structures, nommées tour à tour « centres permanents d'entraînement et de formation » ou « centres régionaux ». Les Creps remplissent aussi une mission d'animation sportive régionale, conduisant des actions d'étude et de recherche.
L'année 1995 marque un autre tournant dans l'histoire des Creps. Dans le cadre du parcours d'accession et de préparation au sport de haut niveau, le ministère des sports met en place les « filières du haut niveau ». Celles-ci ont vocation à accompagner un jeune sportif jusqu'au podium des grandes compétitions. Les Creps accueillent alors des « pôles » destinés aux sportifs détectés par les fédérations. En parallèle, ils assurent une mission de formation professionnelle aux métiers du sport et de l'animation.
En 2009, le nombre de Creps passe de 24 à 17, suite à la suppression d'établissements, auxquels il faut ajouter les écoles nationales de voile, montagne, d'équitation et l'Insep. Depuis lors, ce nombre est resté constant, avec 17 Creps répartis sur l'hexagone et en Outre-mer où il existe un centre à la Réunion et un centre en Guadeloupe. En 2011, tout en conservant leur acronyme, les Creps deviennent des « centres de ressources, d'expertise et de performance sportive », leur intitulé actuel. En 2016, en application de la loi du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale de l'État (loi NOTRe), la décentralisation partielle des Creps est actée. Jusqu'alors établissements nationaux, ils deviennent des établissements locaux de formation dans les domaines du sport, de la jeunesse et de l'éducation populaire. Leur gouvernance est partagée par l'État et la région.
En 2019, la nouvelle Agence nationale du sport (ANS) prévoit l'accueil, par les Creps, des Maisons régionales de la performance (MRP). Celles-ci sont le bras armé de l'Agence au niveau territorial pour préparer au mieux les sportifs aux grandes échéances sportives. Le responsable de la MRP est placé sous l'autorité hiérarchique du directeur du Creps. En 2022, enfin, un décret sur les Creps vient entériner des dispositions législatives et réglementaires, en particulier la création des comités sociaux d'établissement (CSE) et l'arrivée des MRP.
Ayant eu la chance de diriger un autre Creps pendant huit ans, je peux affirmer que ces établissements font partie intégrante de la vie locale, territoriale. Le grand public connaît le Creps, qui fait office de pilier avec près de 80 ans d'existence.
L'établissement que je dirige est le plus important après l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Il est réparti sur trois sites : Aix-en-Provence, Boulouris/Saint-Raphaël et Antibes. Un directeur adjoint est présent sur chaque implantation. Nous disposons d'un budget de plus de 15 millions d'euros et 38 % de ressources propres. La masse salariale représente 10 millions d'euros, dont 8 millions d'euros pour les agents de l'État et 2 millions d'euros pour les agents de la région – lesquels sont financés par la collectivité. Au total, ce Creps présente un effectif d'environ 188 agents répartis sur les trois sites.
Contrairement aux établissements scolaires, les Creps fonctionnent pratiquement 362 jours par an. Les périodes de vacances scolaires sont pour nous des périodes pleines, avec de nombreux accueils et stages.
Nos missions et notre activité sont déterminées par le décret :
accueil des sportifs de haut niveau ;
formation professionnelle aux métiers du sport et le sport de haut niveau ;
accueil de stages et de regroupements.
S'agissant du sport de haut niveau, il revient aux fédérations sportives, après obtention de l'accord de l'ANS, de valider un projet de performance fédérale. Les pôles sont constitués à partir de ce projet, et les sportifs sont sélectionnés par la fédération, avec l'accord final du chef d'établissement. Une commission de sélection étudie les compétences scolaires et sportives du jeune accueilli.
Les Creps regroupent environ un tiers des pôles, les autres dépendant de structures privées. Au sein de notre Creps, nous suivons 450 sportifs par an dont l'effectif est renouvelé de près de 25 % tous les ans. Nous disposons de 38 structures, avec 250 internes. La moitié des sportifs accueillis sont mineurs dont 60 % sont des garçons et 40 % des filles. La part des filles est d'ailleurs en légère progression cette année.
Notre mission consiste à animer un double projet au profit des jeunes : d'une part le suivi scolaire ou universitaire, et d'autre part, le suivi sportif. S'y ajoute aussi l'accompagnement des sportifs dans leur vie de futur citoyen. Pour ce faire, notre établissement a constitué un écosystème centré sur les jeunes, que nous tâchons d'améliorer au fil des ans. Nous disposons d'un département du sport de haut niveau sur chaque site, mais aussi d'assistants d'éducation, de médecins, de kinésithérapeutes et de psychologues. Nous constatons, en effet, que ces jeunes ont de plus en plus besoin d'encadrement et d'aide. Nous observons aussi que leur condition physique a changé depuis dix ou vingt ans. Certains passent d'un entraînement deux fois par semaine à un entraînement quotidien, ce qui accroît les risques de blessures durant le premier trimestre. Nous nous efforçons donc de préserver leur intégrité physique et psychologique.
Les pôles sont encadrés par des cadres techniques sportifs des fédérations. La plupart d'entre eux sont des agents de l'État, mais certains sont des cadres techniques de droit privé, employés par les organes décentralisés des fédérations (ligues, comités). Conformément au contrat d'engagement républicain demandé aux fédérations, tous les cadres ont dû faire l'objet d'un contrôle d'honorabilité. Nous ne sommes pas systématiquement informés. Nous souhaitons inscrire cela dans les conventions qui nous lient avec les fédérations. Ces cadres d'État travaillent sous l'autorité hiérarchique du délégué régional à l'animation, la jeunesse, l'engagement et le sport (Drajes) et sous l'autorité fonctionnelle du directeur technique national (DTN). Pour ma part, je n'ai aucun lien hiérarchique ou fonctionnel avec ces cadres techniques. Nous nous efforçons donc de travailler en bonne entente, ce qui n'est pas toujours facile. Je pense qu'il serait judicieux de prévoir la possibilité que le Creps participe à l'évaluation annuelle du cadre technique, puisque ce dernier travaille toute l'année dans le pôle.
La MRP installée en septembre 2021 au sein de notre établissement compte sept personnes. Elle a vocation à suivre tous les sportifs inscrits sur la liste ministérielle, les médaillables aux Jeux olympiques et paralympiques, sélectionnables, sur tout le périmètre régional. La MRP participe donc au rayonnement du Creps auprès de l'ensemble des partenaires.
En région Paca, ce sont environ 1 700 sportifs qui sont suivis, dont une quarantaine de médaillables, en relation étroite avec les fédérations et les entraîneurs, à qui nous apportons la petite touche, le petit « plus » nécessaire, selon la volonté de Claude Onesta. La MRP s'occupe aussi des questions d'ordre médical (soin, santé, performance), de la montée en compétence de l'encadrement, du suivi socioprofessionnel, et enfin de la préparation physique et de la réathlétisation après blessure.
Le Creps assure aussi des actions de formation professionnelle aux métiers du sport, destinée aux futurs entraîneurs. Dans ce cadre, plusieurs modules portent sur la lutte contre les violences et le harcèlement. Un autre module est consacré à l'enseignement des valeurs de la République, et nous nous efforçons de l'intégrer systématiquement à l'ensemble des formations proposées. Nous touchons près de 2 500 stagiaires par an, dont 80 % sont issus de la région Paca. Nous offrons 45 cursus diplômants et dispensons 150 sessions de formation. Nous sommes donc un gros organisme de formation, dans le champs concurrentiel certes mais avec une force de frappe importante puisque notre Creps peut compter sur des encadrants de qualité. Nous avons une spécificité qui est d'encadrer toutes les spécialités liées aux activités en environnement spécifique, un sujet qui requiert une vigilance particulière.
Le Creps est également investi d'une mission d'accueil, particulièrement active en période de vacances scolaires. Nos trois sites sont d'ailleurs presque toujours pleins, a fortiori dans le contexte de préparation des Jeux olympiques et paralympiques. De nombreuses équipes apprécient l'encadrement et le cadre de vie que nous leur offrons.
Parmi les formations enseignées dans votre établissement, existe-t-il un module dédié aux violences sexuelles et sexistes et aux discriminations ?
Ces modules sont mis en place de manière progressive. Certains sont déjà en place depuis deux ou trois ans. Nous avons organisé les formations « valeurs de la République » et avons élargi le champ. Ces formations sont dispensées en interne, auprès du personnel du Creps et des jeunes des pôles.
Quel est le pourcentage de formations concernant la thématique des violences sexuelles et sexistes et les discriminations ?
Je ne pourrai pas vous indiquer précisément la part de ces formations en durée, car celle-ci dépend des formateurs. Nous mettons à leur disposition une panoplie d'outils qu'ils peuvent choisir en fonction de la formation coordonnée. À titre d'exemple, nous accueillons beaucoup de jeunes ou très jeunes gens sortant de Parcoursup. Cette population est beaucoup plus difficile à encadrer que des jeunes plus âgés, qui ont réellement choisi leur formation. Il nous faut donc adapter notre offre d'enseignement pour qu'elle porte ses fruits auprès de ce public.
Quel est le pourcentage de jeunes suivant ces modules de formation ? Ces derniers sont-ils facultatifs ? Enfin, sont-ils intégrés au parcours de formation des encadrants ?
Ces modules de formation sont bien évidemment inclus dans le parcours destiné aux encadrants. Si vous le souhaitez, je pourrai vous adresser les rubans pédagogiques précisant de quelle manière ces modules sont introduits.
Pour terminer, je voudrais m'arrêter sur deux sujets auxquels notre établissement accorde une attention particulière.
D'une part, la qualité de vie au travail et les risques psychosociaux ont fait l'objet d'un long travail, qui a débuté avant ma prise de fonctions en 2019. Pour nous accompagner dans cette démarche, nous nous appuyons sur un conseiller de prévention, secondé par un assistant de prévention sur chaque site. Un plan d'action a été mis en place. Il est régulièrement présenté en comité social d'établissement (CSE). Suite à la décentralisation, nous poursuivons cette action en collaboration avec la région Paca. Dans ce cadre, un cahier de signalements a été mis en place qui peut être rempli de manière confidentielle. Il a fait l'objet d'une information auprès de l'ensemble des agents du Creps. Le conseiller de prévention nous relaie les signalements qui peuvent porter sur du harcèlement psychologique, sexuel etc.
D'autre part, la ministre chargée des sports a demandé en 2020 à tous les établissements de se doter d'un plan « éthique et intégrité ». Celui-ci regroupe de nombreux sujets, dont certains traités depuis longtemps tels que la lutte contre le dopage ou le bizutage, l'addiction aux paris, les harcèlements. Notre conseil d'administration a voté un plan éthique et intégrité le 29 novembre 2022, après une présentation en CSE. Le document a été élaboré avec les organisations syndicales.
Par ailleurs, notre établissement a constitué trois groupes qui doivent se réunir en séance plénière une fois par an : un groupe « éthique », un groupe « intégrité » et un groupe « égalité ». Chaque groupe travaille séparément, et apporte sa contribution au plan d'action, qui est révisé tout au long de l'année. Ce plan s'adresse à tous les usagers, qu'il s'agisse des sportifs de haut niveau, des stagiaires de la formation professionnelle, des autres utilisateurs du Creps et, plus largement, de tous les personnels. Je perçois d'ailleurs une dynamique très positive dans ces groupes de travail, qui nous permet de lancer de nombreuses actions.
Nous sollicitons des associations pour des interventions, à la rentrée, sur des thématiques telles que le harcèlement ou le dopage. Nous avons fait intervenir Colosse aux pieds d'argile ou encore les services de la gendarmerie. Nous nous attachons à sensibiliser les jeunes, en veillant à étaler ces enseignements pour ne pas les submerger d'informations. L'établissement est donc entièrement mobilisé sur ces questions, et déploie des sentinelles pour l'aider dans ce rôle. J'ajoute que notre Creps est déterminé à redoubler de vigilance et d'efficacité dans la prévention des problématiques psychologiques. Nous faisons tout notre possible pour traiter au mieux les cas dont nous avons connaissance, et je veux croire que nous y sommes parvenus jusqu'à présent.
Depuis le début de cette commission d'enquête, nous avons auditionné de nombreuses personnes, dont de jeunes athlètes de l'Insep. J'ai noté que votre établissement a engagé un travail sur la prévention des violences sexuelles et sexistes, avec la mise en place de modules de formation sur cette thématique. Nous constatons néanmoins qu'il reste un long chemin à parcourir pour parvenir à réduire drastiquement le nombre de victimes. Pouvez-vous nous expliquer la procédure appliquée dans votre Creps pour traiter ce type de dossiers ?
Lors des auditions, plusieurs sportifs ont évoqué le climat d'omerta régnant dans certains clubs sportifs ou fédérations, mais aussi dans des établissements tels que l'Insep. Avez-vous eu l'occasion de constater cette omerta, cette difficulté pour les victimes à s'exprimer ? Certaines personnes nous ont aussi fait part de leurs craintes de témoigner auprès des interlocuteurs désignés dans les fédérations ou les clubs après avoir constaté que les propos privés tenus à un psychologue avaient été rapportés à leur entraîneur ou leur coach. De telles pratiques entretiennent chez les victimes une défiance envers l'institution, qui les dissuade de déposer un signalement sur Signal-sports ou sur d'autres dispositifs.
Par ailleurs, comment diffusez-vous l'information sur la cellule Signal-sports ? Des sportifs de l'Insep nous ont indiqué ne pas avoir connaissance de l'existence de ce service. D'après eux, aucun affichage ni information ne sont effectués sur ce sujet. Laurent Blanc lui-même avait déclaré qu'il ignorait l'existence de cette cellule du ministère.
Ancien sportif de haut niveau, j'ai étudié à l'Insep de nombreuses années. Avant cette problématique, le monde sportif était confronté à une autre réalité catastrophique : le dopage. J'ai découvert cette pratique au bataillon de Joinville. Je n'aurais jamais imaginé l'étendue du problème. J'idéalise sans doute le monde sportif, et c'est pourquoi le dopage, le harcèlement ou les paris truqués me paraissent inconcevables. J'ai eu la chance d'avoir été en contact avec des formateurs qui m'ont conforté dans cette vision. Je me réjouis de pouvoir continuer à travailler dans le domaine sportif, qui est ma passion, et d'y véhiculer des valeurs.
Depuis mon arrivée à la direction du Creps Paca, j'ai tout mis en œuvre pour éviter le moindre soupçon d'omerta. Lorsque je suis arrivé au Creps de Bordeaux, j'ai été confronté à des faits de bizutage, qu'on pourrait requalifier en faits de harcèlement psychologique, dans un pôle de football. Trois mois après ma prise de fonctions, j'ai exclu définitivement quatre sportifs, eu égard à la gravité des faits.
Si je comprends bien, ces faits étaient antérieurs à votre arrivée. Faut-il en conclure que vos prédécesseurs ne sont pas intervenus ?
La particularité de notre discipline tient au fait que chaque année, une catégorie d'âge sort tandis qu'une nouvelle promotion fait son entrée. Les nouveaux arrivants font l'objet de bizutage ou de harcèlement, et reproduisent ces actions l'année suivante. Je précise que sur les huit ans passés à Bordeaux, je n'ai presque jamais eu affaire à des agissements de ce type. Ce problème a été réglé en relation étroite avec le directeur technique national, que je connaissais bien pour avoir travaillé longtemps dans le mouvement sportif. Dans les commissions de discipline, j'ai surtout rencontré des difficultés avec les parents : ma décision d'exclure leur enfant m'a presque valu des insultes de leur part.
Dans le Creps Paca, j'ai été informé de plusieurs cas. Certains concernaient des sportifs mineurs et avaient été découverts par les assistants d'éducation ou par les médecins de haut niveau ou souvent par le médecin du Creps. Celle-ci dans la minute m'appelait et elle déposait immédiatement un signalement auprès du Bureau du procureur pour la protection des mineurs. Simultanément, nous adoptions une mesure conservatoire pour mettre à l'écart le jeune de l'internat et des entraînements, tout en le laissant poursuivre son cursus scolaire. Le dossier était ensuite instruit par la fédération. Une des difficultés tient à l'existence de plusieurs procédures : procédure judicaire, procédure mise en place par la fédération et procédure mise en œuvre par notre établissement qui décide systématiquement d'une mesure conservatoire pour écarter les personnes.
C'est bien l'auteur qui est écarté de l'internat et des entraînements. Dans le même temps, nous accompagnons de près les victimes. Certaines décident de rentrer chez leur famille pendant plusieurs semaines ou mois, voire de quitter définitivement le pôle.
Il faut savoir que les Creps sont de petites structures à dimension humaine, qui créent une forte proximité entre les sportifs et les agents techniques.
Il nous faut avoir un détecteur car il peut arriver qu'on ne l'ait pas. Peu avant mon arrivée au Creps Paca, des sportifs avaient enfreint les règles de l'établissement en se rendant à une soirée. L'entraîneur, qui était présent à l'événement, avait décidé de les exclure du pôle. En tant que direction du Creps, il nous appartient de sensibiliser les entraîneurs à ces problématiques. Ils travaillent dans notre structure tout au long de l'année, et n'ont donc pas toujours la possibilité de suivre des formations dans leur fédération ou à la direction régionale.
Un autre dossier, survenu en 2022, porte sur l'un des formateurs de notre établissement. Ce dernier a fait l'objet d'un signalement de la part d'une stagiaire de formation professionnelle adulte. En présence des formateurs et du groupe, elle a pris la parole pour rapporter les faits subis. L'agresseur présumé était lui-même présent à cette occasion. En entendant la stagiaire, d'autres sportives ont fondu en larmes. On a compris qu'il y avait eu d'autres agissements sur ces jeunes femmes.
Avec mon adjointe et en relation étroite avec la direction des sports, nous avons mis en œuvre tous les moyens à notre disposition. J'ai averti immédiatement ma supérieure hiérarchique, Fabienne Bourdais. Notre première préoccupation était d'éviter absolument un vice de procédure. Comme je le disais, l'une des difficultés dans ce genre de situation est qu'il y a trois procédures quasiment en parallèle. Bien entendu j'ai alerté le procureur de la République, et j'ai découvert qu'il avait lancé une enquête. En outre, j'ai lancé une procédure par le biais du service départemental à la jeunesse, l'engagement et au sport pour vérifier que la personne mise en cause dispose d'une carte professionnelle et stopper le processus si c'est en cours.
Enfin, il m'a fallu diligenter une enquête administrative interne. Il s'agit d'un travail très lourd, à la fois chronophage et psychologiquement éprouvant. J'ai eu à cœur de mener cette démarche de la manière la plus juste possible, en veillant à préserver l'agresseur présumé. Nous avons tenu 35 auditions dans ce cadre et rédigé un rapport, qui a été transmis à la direction des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale.
Un conseil de discipline a été convoqué, et une sanction exemplaire de 18 mois de suspension, dont 12 mois avec sursis, a été prononcée.
Le temps de la justice est parfois bien plus long que celui des enquêtes administratives internes. Je retiens de vos propos que l'agresseur pourrait bientôt reprendre son poste.
Il sera effectivement autorisé à réintégrer son poste dans 6 mois. Mais il est bien évident que ses faits et gestes seront suivis de près. La moindre erreur lui serait extrêmement préjudiciable.
Cette question demeure tout de même très préoccupante, d'autant que la suspension est limitée à six mois. Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour écarter l'agresseur de potentielles victimes ?
Il nous a aussi été rapporté que les sanctions prononcées pouvaient être annulées pour des vices de forme, en cas de recours. Les personnels du Creps sont-ils formés aux procédures disciplinaires internes, pour éviter autant que possible ce risque ?
Nous ne recevons pas de formation spécifique sur ce point. Cependant, depuis la création de la plateforme Signal-sports, de nombreuses actions ont été déployées – au point qu'il était parfois difficile de s'orienter. Nous étions un peu perdus. Depuis, l'information est beaucoup plus claire. En novembre 2022, le ministère a publié un guide de l'audition en enquête administrative pour des faits de violence sexuelle et sexiste dans le champ du sport. En février 2023, un vade-mecum Mieux repérer et réagir face aux violences à caractère sexuel dans le champ du sport a été diffusé. De plus, nous avons accès à différents modules dans le cadre de la formation professionnelle continue.
Avez-vous connaissance du nombre de personnes ayant sollicité ces formations ?
Pourriez-vous également nous préciser les faits qui se sont déroulés dans votre établissement ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Combien de temps ont-ils duré ?
En ce qui concerne les jeunes sportifs, le problème a été rapidement dévoilé dès le premier passage à l'acte. Une sportive va dans sa chambre chercher quelque chose, elle se trouve enfermée puis… En revanche, dans l'affaire impliquant un formateur, plusieurs épisodes se sont succédé. Il s'agissait de harcèlement à caractère sexiste, et non sexuel. Fort heureusement, la jeune stagiaire a eu le courage de prendre la parole, ce qui a incité d'autres victimes à s'exprimer. L'une d'entre elles nous a expliqué qu'elle craignait de dénoncer les faits, de peur de ne pas trouver de travail. Avec mon adjointe, nous sommes parvenus à la convaincre de témoigner, et ses déclarations ont eu un rôle important sur le jugement.
Il y a quelques années, nous avons déposé un signalement à l'encontre d'un entraîneur pour harcèlement psychologique. À l'époque, les sportives avaient refusé de s'exprimer tant que la sélection aux Jeux olympiques de Tokyo n'était pas décidée. Les sportifs de haut niveau sont parfois prêts à tolérer des rapports inhabituels avec leur entraîneur pour réussir. Je me suis moi-même révolté intérieurement, mais il était très difficile de faire plus, par crainte de se trouver relégué. Fort heureusement, la situation a évolué depuis.
Il ne s'agissait pas à proprement parler de violences, mais plutôt d'une manière de s'adresser à nous. Il m'est aussi arrivé, ayant demandé pour quelles raisons je n'avais pas été sélectionné, de m'entendre répondre : « Ça ne te regarde pas ! »
En tant qu'entraîneur, j'ai toujours veillé à ne pas adopter ce comportement. J'ai eu aussi la chance d'être bien formé à l'Insep, dans mon cursus de professeur d'EPS. Dans mon club, j'ai été en contact avec des entraîneurs extraordinaires, qui m'ont toujours soutenu dans les difficultés. Ces personnalités m'ont forgé et m'ont transmis certaines valeurs que j'ai à cœur de porter à mon tour, en tant que directeur de Creps.
Je souhaite aussi vous faire part d'un autre cas pour illustrer certaines difficultés. Un stagiaire de la formation professionnelle a fait l'objet d'un signalement de la part du président d'un club où il effectuait son stage. Nous avons pris une mesure conservatoire et écarté le stagiaire, mais le dossier a été classé sans suite par le procureur. Cela s'est retourné contre nous. Le stagiaire a décidé de porter plainte contre le Creps mais le plaignant a été débouté. Le Creps n'a pas eu à s'acquitter de dommages et intérêts puisqu'il avait appliqué strictement la procédure.
Ce risque d'attaque en justice freine-t-il les signalements, d'après vous ? Plusieurs victimes nous ont informées qu'elles avaient été attaquées en justice pour diffamation, suite à leurs plaintes. Elles ont très mal vécu leur convocation au commissariat.
En tout état de cause, mon équipe de direction et moi-même ne reculerons pas devant ce risque. Nous ne pouvons céder à des intimidations.
Merci, monsieur Rouillaux. N'hésitez pas à revenir vers nous si vous souhaitez nous faire part d'autres informations susceptibles d'intéresser cette commission d'enquête.
Je me permettrai de vous adresser le plan stratégique de respect de l'éthique et de l'intégrité dans le sport, que nous avons conçu. Sans être parfait, ce support est un exemple des actions que nous menons. Je vous transmettrai également le descriptif des modules de formation.
Je voudrais tout de même aborder un autre point important. Nous recrutons des assistants d'éducation, mais nous ne disposons pas d'un accès direct au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Nous avons accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire mais pas au Fijaisv. Nous sommes donc contraints de saisir les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports pour obtenir ces informations. Cela me paraît dommageable, d'autant plus que tout accès au document est identifié.
Enfin, je suis d'avis que nous devrions avoir de plus grandes responsabilités à l'égard des cadres techniques des fédérations travaillant au quotidien dans nos établissements. Ce lien pourrait se matérialiser sous forme d'entretien annuel ou d'évaluation. Le fait est qu'en l'état, ces cadres n'ont pas vraiment de comptes à nous rendre.
Ce sujet a aussi été soulevé à propos des fédérations. En effet, il n'existe pas de lien hiérarchique entre la fédération et le DTN mis à sa disposition.
Pouvez-vous nous préciser sous quels délais vous obtenez les informations relatives au Fijaisv auprès des services départementaux ? Vous arrive-t-il de procéder à des recrutements alors que les informations sollicitées ne vous ont pas encore été communiquées ?
Je vous avoue que cette année, nous n'avons pas saisi les services départementaux sur les recrutements, en raison de la lenteur du processus.
Je comprends que les personnes recrutées cette année par le Creps Paca n'ont pas fait l'objet de contrôles préalables.
Je ne crois pas. Il est heureux que nous ayons accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire des candidats. De fait, nous avons déjà été amenés à annuler un recrutement à la lumière des informations contenues dans ce bulletin.
Au Creps de Bordeaux, qui est implanté dans un campus universitaire, de nombreux assistants d'éducation étaient de jeunes étudiants, âgés de 20 à 25 ans. Au Creps Paca, en revanche, certains assistants d'éducation ont 35 ans ou plus.
Elle ne constitue pas une obligation, mais il serait souhaitable qu'elle soit systématique.
Merci de nous avoir aidé à identifier certaines failles. Je pense que le sport a d'abord vocation à véhiculer des valeurs. Il est important de le rappeler.
La séance s'achève à douze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Roger Chudeau, Mme Sophie Mette, M. Julien Odoul, Mme Sabrina Sebaihi
Excusée. – Mme Claudia Rouaux