La réunion

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La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir (n° 1321) (M. David Valence, rapporteur).

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La proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir a été déposée par notre collègue Hubert Wulfranc au titre du droit de tirage du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES. Nous devons nous prononcer, non sur son opportunité, mais sur sa recevabilité juridique, conformément à l'alinéa 2 de l'article 140 de notre règlement. Aucun amendement n'est donc recevable.

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La proposition de résolution déposée par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES s'inscrit dans le cadre de l'alinéa 2 de l'article 141 de notre règlement, qui définit une sorte de capacité d'initiative communément appelée « droit de tirage ». En application de l'article 140, le rôle du rapporteur se borne à vérifier que les trois conditions nécessaires à la recevabilité de cette demande sont réunies.

La première de ces conditions est la précision. Il importe que l'objet de la commission d'enquête, tel qu'il est formulé par le groupe qui en a pris l'initiative, soit suffisamment défini. Si l'intitulé de la présente commission d'enquête est large, l'exposé des motifs de la proposition de résolution fournit des éléments permettant de considérer que cette première condition est remplie.

La deuxième condition est qu'aucune commission d'enquête ne doit avoir porté, au cours des douze derniers mois, sur le même objet, qui recouvrirait ainsi l'essentiel du travail susceptible d'être effectué. De fait, aucune commission d'enquête récente n'ayant porté sur le fret ferroviaire, cette condition, que je qualifierais d'« originalité relative », est remplie.

La troisième condition est qu'aucune poursuite judiciaire ne soit en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution. Cette condition est appréciée par les services de la Chancellerie, qui ont confirmé hier aux services de l'Assemblée nationale que tel n'est pas le cas en l'espèce.

Formellement, les trois conditions de recevabilité de la présente proposition de création de commission d'enquête sont réunies. Je vous invite donc à déclarer par votre vote que la proposition de résolution est recevable.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Au nom du groupe La France insoumise-NUPES, je remercie Hubert Wulfranc et ses collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES d'avoir déposé la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir. L'exposé des motifs, très clair, retrace les années de libéralisation de l'activité de fret de la SNCF et ses conséquences sur le recours au fret ferroviaire dans le transport de marchandises en France.

Le constat est sans appel : en France, la part modale du transport ferroviaire de marchandises est de 10 % ; son volume est très amoindri par rapport à 2002, bien loin de nos voisins allemands, de 23 %, ou de la moyenne de l'Union européenne, de 18 %.

Cela a eu pour conséquence directe l'avènement du tout-camion pour le transport de marchandises. Ce secteur émet chaque année plus de 275 millions de tonnes de CO2, soit l'empreinte carbone annuelle de 30 millions de Français. L'ouverture à la concurrence a donc été une ouverture à la pollution et au désossage d'un secteur industriel stratégique, essentiel pour la France, sans parler du licenciement massif de cheminots et du manque d'entretien des infrastructures.

Pour faire la lumière sur les freins au bon développement du fret ferroviaire français et dans l'espoir de rétablir un jour un fret ferroviaire entièrement public, nous soutiendrons la proposition de résolution avec énormément de conviction.

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C'est une procédure de la Commission européenne visant des aides illégales de la France à la filiale Fret SNCF qui nous amène à en débattre. En dépit de la volonté sans doute sincère du ministre, l'État semble réduit à choisir entre une amende record de 5 milliards d'euros, qui tuerait notre numéro un du fret, ou une négociation visant à avaliser la cession du tiers de ses marchés à la concurrence.

Le groupe Les Républicains dénonce ce chantage, sous-tendu par une vision erronée de l'économie libérale. Comme l'a rappelé la Cour des comptes européenne dans un récent rapport, ce n'est pas parce que nous avons créé une diversité factice d'acteurs dans le fret depuis 2006 que sa part a forcément augmenté.

Le deal accepté par le Gouvernement est d'autant plus intolérable qu'amputer Fret SNCF de certaines parts de marché ne profitera pas nécessairement à ses rivaux. Bien souvent, c'est à la route que bénéficie le report de clientèle. Par ailleurs, est-il pertinent de déshabiller l'opérateur majoritaire alors même que l'on autorisera ses concurrents à faire appel à lui comme sous-traitant, faute de pouvoir eux-mêmes assurer le service ?

Les axes d'investigation de la commission d'enquête sont intéressants. Il y a sûrement matière à s'interroger sur les vertus de la concurrence s'agissant d'un monopole naturel comme le fret ferroviaire. Limiter les aides d'État sur un marché qui en a tant besoin pour survivre risque de faire peser l'équilibre du système sur l'usager, donc sur des montants de péage jugés prohibitifs, alors même qu'il serait si sain de faire financer ce secteur vert et vertueux par le contribuable.

Quoi qu'il en soit, un problème de gestion du système ferroviaire demeure. Les pesanteurs de la SNCF sont régulièrement dénoncées par ses clients. Nous nous félicitons que la présente commission d'enquête permette de comprendre pourquoi, alors même que l'État semble avoir renfloué une filiale de la SNCF pendant des années, ni la fiabilité, ni la ponctualité, ni la qualité de service n'ont été au rendez-vous.

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La présente proposition de commission d'enquête tombe très bien, dans un contexte où le fret ferroviaire doit rester – et même être renforcé dans ce rôle – une solution alternative aux autres modes de transport pour garantir une véritable transition. Réfléchir à la libéralisation ou au maintien dans le service public de tel ou tel grand sujet relatif aux transitions, notamment en matière de transports, amènera une clarification indubitablement utile.

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Chacun connaît Barbe-rouge – je ne parle pas de la barbe de notre collègue Hubert Wulfranc, que je remercie de son initiative –, le pirate des Aventures d'Astérix qui saborde son propre navire : c'est exactement ce que le Gouvernement s'apprête à faire, anticipant la confrontation avec la Commission européenne, susceptible d'exiger le remboursement des aides versées à l'opérateur public Fret SNCF. Le ministre des transports préfère le liquider, en abandonnant vingt-trois services à ses concurrents, dont une partie de l'activité la plus rentable que sont les trafics dédiés, tels que les transports internationaux d'Arcelor-Mittal et la liaison Perpignan-Rungis. Au total, 20 % du chiffre d'affaires, 30 % de l'activité, 40 % des actifs immobiliers et une partie du matériel roulant de Fret SNCF seront transférés au secteur privé.

Le secteur du transport pèse 30 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), hors transport aérien international. Hérésie écologique, alors même que le fret ferroviaire émet dix fois moins de GES que le fret routier, 85 % des marchandises sont acheminées par camion contre 9 % seulement par le train ! Contrairement au fret routier, le fret ferroviaire doit assumer des coûts de maintenance et d'entretien de ses infrastructures ; c'est pourtant le fret routier que l'on soutient massivement par des exonérations de taxe pétrolière, des tarifs de péage sans rapport avec l'usure de la route par les camions et le recours aux travailleurs détachés.

La séparation des activités de réseau et d'exploitation ainsi que la mise en concurrence de l'exploitation du fret ferroviaire devait améliorer, disait-on, la compétitivité du secteur. Un réseau ferroviaire victime d'un sous-investissement chronique et de comportements non coopératifs qui ont mis par terre les synergies qui prévalaient auparavant : tel est le bilan de la libéralisation. La liquidation de Fret SNCF sur l'autel du dogme concurrentiel est le coup de grâce. Dans la précipitation, ses concurrents ne seront pas en capacité de reprendre tous les flux abandonnés. Il y aura d'autant plus de camions sur les routes.

Inspirons-nous de ce qui marche en Suisse, où, grâce à une taxe routière élevée et à des investissements d'ampleur dans le réseau ferroviaire, la part modale du fret ferroviaire représente 72 % du trafic de marchandises !

Dès lors que nous devons décarboner le transport, il faut soutenir le fret ferroviaire, aujourd'hui exsangue, et sortir de la logique libérale. Le groupe socialiste s'associe pleinement à la commission d'enquête prévue par la présente proposition de résolution.

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Je remercie le rapporteur de juger recevable notre requête et nos collègues de la soutenir. La commission d'enquête devra s'intéresser à la situation de Fret SNCF dans les années 2000, à l'aube de la politique européenne de libéralisation, puis au processus même de libéralisation, qui s'est étendu de 2004, année de l'adoption du deuxième paquet ferroviaire, à 2009, lorsque la Commission européenne autorise l'État à verser une aide d'un montant de 1,5 milliard d'euros à la branche fret de la SNCF. Nous devrons étudier les termes de cet accord ainsi que ses conséquences. Nous nous pencherons également sur la manière dont la libéralisation s'est accélérée entre 2010 et 2017, à la suite de l'arrivée des opérateurs privés mais aussi de l'ouverture de la SNCF au routier et à des activités annexes.

Enfin, nous devrons essayer de comprendre pourquoi, après les premiers recours intentés par les opérateurs privés contre Fret SNCF en 2016, la Commission européenne a engagé une procédure d'examen contre la France portant sur les conditions de financement de l'activité de fret de la SNCF entre 2007 et 2019.

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Le fret ferroviaire, qui a connu une longue traversée du désert, accuse un retard considérable par rapport à nos voisins européens. Nous sommes nombreux à tirer la sonnette d'alarme depuis des années en demandant qu'on lui donne enfin des moyens suffisants et pérennes pour lui permettre de sortir la tête de l'eau. Hélas, même si depuis deux ans environ, les acteurs du secteur montrent quelques signes d'optimisme, de nombreux éléments nous incitent à rester vigilants. Je pense au long silence du Gouvernement face à la hausse des prix de l'énergie qui a fragilisé la filière, au rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) qui ne préconise pas de dédier un quelconque investissement au fret, aux mesures qui continuent à favoriser le secteur routier par rapport au rail, alors que ce dernier souffre du manque d'entretien et de l'absence d'harmonisation des règles entre les pays. Certes, les annonces successives d'investissement sont d'une ampleur sans précédent, mais elles ne se concrétisent jamais dans les plans de long terme.

L'ultime coup de massue a été infligé par la Commission européenne qui réclame pas moins de 5 milliards d'euros à Fret SNCF, ce qui équivaut à une mise à mort.

Notre groupe, profondément européen, comprend mal que l'Europe puisse ainsi priver la France d'un acteur clé de sa transition énergétique, alors même qu'elle ne cesse de lui assigner des objectifs environnementaux toujours plus ambitieux. C'est un non-sens. En réponse, le Gouvernement décide de démanteler Fret SNCF pour le faire ensuite renaître de ses cendres, mais à quel prix ? Est-ce la bonne solution ? Rien n'est moins sûr. Le manque de stratégie de long terme risque de causer des dégâts irréparables, notamment pour l'emploi. Dès lors, nous partageons l'objectif de cette commission d'enquête : dresser enfin le bilan des plans qui se sont succédé ces dernières années pour le fret ferroviaire, lesquels ont, au mieux, accouché d'une souris, au pire l'ont condamné.

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La Commission européenne a engagé une procédure formelle d'examen contre la France concernant le financement de l'activité de fret de la SNCF entre 2007 et 2019. Cette procédure est basée sur des règles européennes qui visent à garantir l'équité concurrentielle. Le fret ferroviaire est un service public essentiel qui contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à désengorger les routes. Il est vital pour notre économie et notre environnement. Cependant, la Commission européenne semble privilégier une approche strictement fondée sur la concurrence, ce qui met en péril le développement du fret ferroviaire en France. Cette fuite en avant libérale est alarmante. La libéralisation totale du fret ferroviaire risque de favoriser les grands opérateurs privés au détriment de SNCF qui joue un rôle essentiel dans le maintien d'un service de qualité et l'aménagement du territoire. Il faut préserver le caractère public du fret ferroviaire et garantir des conditions équitables pour tous les acteurs du secteur. La Commission européenne devrait prendre en compte les spécificités de chaque pays ainsi que les enjeux économiques, sociaux et environnementaux liés au transport ferroviaire.

Nous devons rester vigilants face à la mainmise de la Commission européenne sur la libéralisation du fret. Il convient de défendre le rôle essentiel du service public français dans le secteur ferroviaire et de veiller à ce que les décisions prises préservent l'intérêt général et la durabilité de notre système de transport. Le fret ferroviaire ne doit pas être sacrifié sur l'autel de la concurrence débridée. Nous sommes donc favorables à la création de cette commission d'enquête.

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Plusieurs des orateurs ont établi un lien entre la libéralisation et la baisse continue de la part modale du fret ferroviaire dans le transport de marchandises – du moins jusqu'à une date récente car ce n'est plus le cas aujourd'hui. Si l'on compare notre situation à celle d'autres pays, le lien n'est pas avéré. Le travail de la commission d'enquête permettra sans doute de cerner les conséquences de la libéralisation, en particulier sur la part modale du fret ferroviaire, mais il serait prématuré de lier systématiquement l'un et l'autre. Ce serait aller vite en besogne, ne partons pas de ce postulat. Du reste, l'état du réseau ainsi que la tarification du gestionnaire d'infrastructure en France, financièrement plus avantageuse pour le transport de voyageurs que de marchandises, expliquent en partie l'effondrement de la part modale du fret ferroviaire, sans parler du coût pour les entreprises, plus élevé que celui du transport routier, même si la tendance s'inverse après 400 kilomètres.

Monsieur Bricout, le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) s'est penché sur la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. On a souvent en tête le rapport, que j'appellerai de programmation, que nous avons rendu à Mme la Première ministre le 24 février dernier, sur le modèle de celui rendu sous la présidence de Philippe Duron en 2018, mais le COI a rendu deux rapports entre-temps, dont une évaluation de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire telle qu'elle était prévue par le Gouvernement. Ce fut pour nous l'occasion de rappeler la nécessité de donner une définition précise des aides apportées dans la durée, en particulier l'aide à la pince et l'accompagnement des aides à l'investissement. Lorsqu'une entreprise décide de recourir au fret ferroviaire, elle ne s'engage pas pour seulement deux ou trois ans : elle a besoin de visibilité. Le COI ne s'est pas du tout désintéressé du fret. Au contraire, dans notre dernier rapport, nous avons insisté sur la nécessité de consacrer une part de l'effort financier supplémentaire de 1,5 milliard d'euros par an durant quatre quinquennats, au ferroviaire, en particulier à sa modernisation. Je sais que le COI a parfois été critiqué, notamment au sujet de sa proposition pour le Lyon-Turin, même si, en l'espèce, celle-ci a sans doute été mal interprétée. En tout état de cause, le ferroviaire n'est pas oublié.

J'ai bien noté votre intérêt pour cette commission d'enquête. Je ne doute pas que vous serez nombreux à vouloir en faire partie. Loin de n'être que technique, la libéralisation du fret ferroviaire est un sujet de politique publique dont les enjeux sont cruciaux, en particulier celui de la décarbonation des transports de marchandises.

La commission déclare recevable la proposition de résolution.

Informations relatives à la Commission

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a désigné comme rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances pour 2024 :

(sous réserve de son dépôt)

– pour la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

Recherche dans le domaine du développement durable

M. Nicolas Thierry

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 27 juin 2023 à 17 heures

Présents. - M. Damien Adam, M. Guy Bricout, M. Sylvain Carrière, Mme Annick Cousin, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, M. Hubert Ott, Mme Christelle Petex-Levet, M. Bertrand Petit, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi

Excusés. - Mme Pascale Boyer, M. Yannick Haury