La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer
Je me réjouis, un an après ma prise de fonction, de venir devant vous dans le cadre du Printemps de l'évaluation afin de vous présenter les résultats de mon action.
Nos débats portent plus précisément sur l'exécution des crédits budgétaires mais vous souhaitez également échanger sur les moyens consacrés au soutien à l'ingénierie, question en effet essentielle pour la concrétisation des projets dont ont besoin nos territoires d'outre-mer.
En ce qui concerne l'exécution budgétaire, nous avons quelques motifs de satisfaction. En 2022, la totalité des autorisations d'engagement (AE) et des crédits de paiement (CP) de la mission Outre-mer a été consommée, alors que, par le passé, les crédits ont été parfois sous-exécutés. C'est un succès partenarial car la consommation des crédits de la mission est tributaire d'acteurs extérieurs à l'État : les collectivités, s'agissant des contrats de plan et du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI), ainsi que les organismes de logements sociaux, s'agissant notamment de la ligne budgétaire unique.
La mission Outre-mer est toutefois caractérisée par un montant élevé de restes à payer, à hauteur de 2 milliards. Ce montant est en partie lié à la nature même de la mission, qui finance des projets d'investissement s'inscrivant par nature sur plusieurs années, d'où un décalage entre la consommation des AE et des CP. Il traduit également la difficulté à mener à leur terme des projets sur les territoires d'outre-mer, pour de nombreuses raisons : difficultés d'approvisionnement liées à l'éloignement, difficultés à trouver des prestataires sur des marchés locaux étroits, difficultés financières des collectivités, contraintes environnementales et climatiques – souvent mésestimées par l'ensemble des parties prenantes parisiennes, qu'elles soient administratives, politiques ou parlementaires – mais aussi déficit d'ingénierie.
Les moyens de la mission se sont adaptés aux situations d'urgence. La totalité de la réserve de précaution a ainsi été dégelée, ce qui a permis notamment de débloquer une première enveloppe de 10 millions sur le fonds de secours à la suite du passage de la tempête Fiona en Guadeloupe. Bien entendu, cette enveloppe sera à nouveau abondée en fonction de l'avancée des travaux de reconstruction. En loi de finances rectificative, et je n'en suis pas fier, 19 millions ont été ouverts dans le cadre du paquet « pouvoir d'achat » pour financer une aide alimentaire d'urgence dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), comme dans les collectivités d'outre-mer (COM). Je souhaite, évidemment, que cela ne soit plus utile à l'avenir.
S'agissant du logement, 220 millions ont été engagés, soit 94 % des moyens de la loi de finances initiale (LFI). Si l'on prend en compte les AE pour 2023 consommées de façon anticipée en décembre 2022, à hauteur de 23 millions, la consommation de l'année s'élève à 243 millions, soit 104 % des moyens de la LFI. Concrètement, l'an dernier, ce sont ainsi 4 894 constructions neuves et 4 042 réhabilitations qui ont pu être financées dans les Drom. Pour poursuivre cette dynamique, nous pouvons nous réjouir de l'annonce faite par la Première ministre visant à étendre dans le prochain projet de loi de finances le crédit d'impôt pour la réhabilitation des logements sociaux aux opérations situées hors des quartiers prioritaires de la ville, ce qui représente un effort financier de l'État de 20 millions.
S'agissant de l'aménagement du territoire, qui recouvre pour l'essentiel les contrats de plan – ou, pour utiliser la dénomination officielle, les contrats de convergence et de transformation (CCT) – la dynamique a été particulièrement forte pour la dernière année des contrats 2019-2022, avec 217 millions d'engagements, soit bien plus que les moyens prévus en LFI, qui étaient de 209 millions. Tous ministères confondus, le niveau de consommation des contrats de plan est tout à fait honorable, bien que cela recouvre des situations différentes selon les territoires et les programmes : 87 % des montants contractualisés sur la période 2019-2022 ont ainsi été engagés. S'agissant des CP, le taux de consommation est de 44 %. C'est à la fois normal, s'agissant d'opérations d'investissement structurantes qui prennent du temps, et une incitation à accélérer – le soutien à l'ingénierie est à ce titre un outil important.
En ce qui concerne la continuité territoriale, après deux années marquées par la pandémie mondiale, l'activité de L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) est repartie considérablement à la hausse avec 60 000 trajets aidés en 2022, soit davantage qu'avant le covid – 35 000 trajets en 2019. Nous aurons bientôt l'occasion d'échanger sur la poursuite de cette dynamique dans le cadre de la discussion sur la stratégie de Ladom pour 2024.
S'agissant du soutien aux collectivités, nous poursuivons la démarche d'accompagnement à travers la contractualisation, fondée sur un partenariat gagnant-gagnant entre l'État et les collectivités : le contrat de redressement en outre-mer (Corom). C'est un excellent dispositif. En 2022, deux Corom supplémentaires ont été signés. Cette démarche se poursuivra en 2023, avec la signature d'un contrat d'accompagnement renforcé pour le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), et le lancement d'une nouvelle vague de Corom – l'annonce des communes retenues est maintenant imminente.
Le Fonds exceptionnel d'investissement a permis d'accompagner 138 projets d'investissement des collectivités d'outre-mer l'an dernier. En 2022, année pour laquelle j'ai partagé l'attribution avec mon prédécesseur, j'ai choisi de prioriser dans l'enveloppe sous ma responsabilité l'eau et la lutte contre les sargasses, qui sont autant d'investissements structurants. J'ai prolongé ces priorités en 2023 et j'y ai ajouté les déchets et les projets culturels. Je suis favorable à un ciblage des 110 millions du FEI, auxquels s'ajoutent les 97 millions du fonds Vert. Je me félicite d'avoir obtenu de M. Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qu'ils puissent servir à financer la politique d'assainissement dans les Drom, et même récemment dans les COM.
Autre grande masse budgétaire, le service militaire adapté (SMA) continue de jouer son rôle en faveur de l'insertion des jeunes, avec un taux d'insertion des volontaires en fin de contrat de 84 %, contre 76 % en 2020 et 82 % en 2021. L'idée est simple : le choix des formations professionnelles est discuté entre militaires et professionnels – chambres des métiers, employeurs, etc. Deux nouvelles compagnies ont été créées, à Hao en Polynésie française et à Mayotte.
Enfin, les compensations des exonérations de cotisations sociales ont connu une dynamique importante en 2022, avec 1,7 milliard consommé pour 1,5 milliard budgété. Bien que la lutte contre le chômage reste l'un des principaux défis de nos territoires d'outre-mer, avec des taux structurellement élevés par rapport à l'Hexagone, on peut néanmoins se réjouir du niveau des créations nettes d'emploi en 2022 : 6 400 à La Réunion, 4 050 en Guadeloupe, 2 600 en Martinique et 2 200 en Guyane.
Je compte orienter les crédits pour 2023 et 2024 en direction de la lutte contre le dépeuplement en Guadeloupe et en Martinique, qui perdent 5 000 habitants chaque année, ce qui est inacceptable. Ce doit être le centre de nos efforts. La population de Saint-Pierre-et-Miquelon est quant à elle passée sous le seuil de 6 000 habitants, ce qui est également inquiétant, Miquelon ne comptant plus que 500 habitants.
Christian Baptiste et moi allons vous présenter le bilan de nos travaux sur l'exécution des crédits de la mission Outre-mer en 2022.
La mission compte deux programmes : le programme 138 Emploi Outre-mer, qui concerne les moyens budgétaires en faveur de l'emploi dans les territoires ultramarins, et le programme 123 Conditions de vie outre-mer, qui a pour objectif de réduire les écarts de niveaux de vie et d'équipement constatés entre les outre-mer et la France hexagonale. Pour les réduire, le programme Conditions de vie outre-mer inclut une majorité de crédits d'intervention, délégués aux collectivités territoriales, et qu'elles peinent à transformer.
La mission Outre-mer ne représente qu'une fraction assez faible – environ 10 % – de l'effort budgétaire de l'État en faveur des territoires ultramarins. En 2022, il était réparti sur 102 programmes et 31 missions. C'est une difficulté que nous avons signalée lors de la discussion du projet de loi de finances, un tel éclatement nuisant selon nous à la compréhension des moyens utilisés par l'État.
S'agissant de la mission Outre-mer, les crédits exécutés en 2022 s'élèvent à 2,8 milliards en AE et 2,7 milliards en CP, des montants respectivement en hausse de 9,8 % et 13,9 % par rapport à 2021. Le taux de consommation des CP est de 98,9 % sur le programme 123 et de 98,3 % sur le programme 138.
Pour entrer dans le détail, j'aimerais porter à votre connaissance les paramètres ayant conduit à inscrire des crédits supplémentaires au programme Emploi outre-mer dans le premier projet de loi de finances rectificative pour 2022.
L'action 1 Soutien aux entreprises pèse plus de 82 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme. Il s'agit de la compensation d'exonérations des charges fiscales patronales, qui sont des dépenses de guichet.
En 2022, un scénario malheureusement connu s'est reproduit : un besoin en financement bien plus important que prévu, induisant une surexécution des crédits et le vote de crédits supplémentaires dans le cadre des deux projets de loi de finances rectificative pour 2022. Certes, le chiffrage de la prévision n'est pas du ressort de la direction générale des outre-mer (DGOM), mais de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Il n'en faut pas moins absolument remédier à ces écarts, qui tendent à se répéter.
Plus généralement, il faut mieux calibrer les montants prévisionnels des dépenses de fonctionnement. Il n'est pas acceptable de constater, année après année, des écarts de l'ordre de un à sept entre prévision et exécution. Il s'agit notamment des besoins de fonctionnement de la DGOM, ce qui nous offre l'occasion de demander un renforcement des moyens matériels et humains de cette direction, indispensable à la coordination des moyens de l'État en faveur des outre-mer.
Les restes à payer de la mission Outre-mer atteignent 2 milliards d'euros. Il s'agit du montant des engagements juridiques effectués sur les exercices passés ou en cours et non encore couverts par des mandatements. Monsieur le ministre, pouvez-vous présenter les travaux menés par votre ministère, avec les services déconcentrés, pour les apurer ?
Par ailleurs, les crédits en faveur de l'emploi du programme Emploi outre-mer doivent, selon nous, être complétés par des mesures favorisant le retour en outre-mer des forces vives. Quels sont vos travaux en cours sur ce point ?
Même si nous examinons l'exécution du budget 2022, je rappelle que l'examen du projet de loi de finances pour 2023 a donné lieu à une séance de nuit particulièrement riche en revendications des députés ultramarins, de manière totalement transpartisane. Au final, nous avons adopté un budget supérieur, de mémoire, de 240 millions d'euros au budget initial.
Même si tout cela a été en partie annulé par le 49.3, l'épisode a démontré les besoins et les insatisfactions, légitimes à mes yeux, des parlementaires ultramarins s'agissant de la situation faite à l'outre-mer par ce gouvernement, et, pour être honnête, par ceux qui se sont succédé avant lui. Cette séance ayant permis d'obtenir des rallonges supplémentaires, elle n'a pas été tenue pour rien, même si elles étaient en deçà de ce qui était attendu.
Pour ma part, je considère que, pour les Drom, le « quoi qu'il en coûte » n'est pas derrière nous. Il y a urgence en matière de cherté de la vie. Monsieur le ministre, vous avez dit ne pas être fier que nous ayons eu besoin de 19 millions d'euros supplémentaires pour le pouvoir d'achat, mais c'est malheureusement une réalité. Avec le cumul de l'inflation et de la cherté de la vie endémique dans les Drom, nos concitoyens prennent de plein fouet la crise inflationniste que l'on connaît.
Il y a aussi urgence en matière de service public de l'eau et de pollution des sols – notamment en Martinique avec le chlordécone – et en matière de coût des billets d'avion, qui est un véritable problème pour nos concitoyens : les protestations montent de partout sur ce point.
À mon avis, nous sommes loin du compte. Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, je porte sur les budgets successivement adoptés un regard critique, tout en saluant votre lucidité sur plusieurs points.
La cherté de la vie en outre-mer est un vrai sujet. Si la réalité du problème est incontestable, je rappelle, car on ne le dit pas assez, que l'inflation outre-mer est moins forte qu'en France hexagonale, sur tous les postes de dépenses. Quand je suis en déplacement, je dis parfois à mes conseillers, pour plaisanter, de prendre des bidons parce que l'essence est moins chère !
Veillons donc à ne pas affaiblir le discours que l'on doit tenir sur la vie chère avec des inexactitudes. Ce qui est vrai, c'est que la cherté de la vie – notion plus adéquate – pèse sur une population qui n'a pas le même niveau de revenu moyen que celle de l'Hexagone. Mais il n'y a pas d'inflation exponentielle en outre-mer.
Sur plusieurs points, nous pouvons agir. Je rappelle que le Gouvernement, par ma voix, a émis un avis favorable sur la création de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution – tout le monde se demandait ce que j'allais dire. C'est signe que nous nous en préoccupons. Je serai auditionné après-demain par la commission d'enquête.
Nous cherchons des solutions. Pour l'instant, elles sont ponctuelles. Sur l'électricité, j'ai obtenu le plafonnement de la hausse de son prix à 15 % pour les gros consommateurs que sont les mairies, notamment les services des eaux, les services publics et quelques usines. Cette disposition spécifique aux outre-mer est à mes yeux une victoire considérable, qui a évité une catastrophe générale. Comme c'est un succès, personne n'en parle.
Nous avons obtenu, et je repartirai à l'assaut cette année, un blocage de l'évolution des loyers à 2,5 % plutôt que 3,5 %.
Nous avons travaillé sur le bouclier qualité prix (BQP), que j'évoquerai en détail devant la commission d'enquête, et qui permet de plafonner le prix de centaines d'articles.
Le prix de l'eau, outre-mer, est un sujet compliqué, en raison de règles européennes complexes. Il a fallu que je me fâche pour obtenir la possibilité d'apporter de l'eau de l'île Maurice à Mayotte. Actuellement, je me bats pour que l'on puisse importer de l'eau de la partie hollandaise de Saint-Martin à la partie française. Les règles européennes sont un peu complexes mais les questions sanitaires doivent primer.
Le transport aérien fait partie de mes soucis en matière d'exécution budgétaire. J'ai proposé au Gouvernement, qui m'a suivi, de passer par le truchement de L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, qui a pour mission de travailler avec les collectivités locales. Son directeur général travaille avec chaque président. Elle travaille avec les dotations budgétaires mais aussi avec les crédits européens. Elle peut gérer la situation un peu mieux que la façon dont elle a été gérée jusqu'à présent. Mon objectif est d'obtenir le doublement de ses crédits en deux ans, sans renoncer à faire des économies, pour que tout cela fonctionne. Sur les transports, mon objectif, pour l'heure, est d'avoir des compagnies qui transportent des gens, ce qui n'est pas du tout évident.
Sur les charges sociales, ma position diffère de celle de M. Baptiste. Je suis très content qu'on se trompe si on se trompe dans le bon sens. Chaque année, le montant des exonérations de charges est supérieur à celui qui était prévu ; je serais vraiment fâché dans le cas contraire. Sur ce point, si nous pouvions nous tromper chaque jour, j'en serais très content !
L'emploi, outre-mer, est positif. Certains expliquent les chiffres par le fait que des gens ne se réinscrivent plus à France Travail, mais moi, je mesure l'emploi aux exonérations de charges sociales. Les gens n'ont pas décidé de ne plus s'inscrire à France Travail parce que je suis arrivé ! Certains ne s'inscrivent plus, d'autres trouvent du travail ; et ceux-ci, à en juger par la hausse des exonérations de charges sociales, sont nombreux.
L'action du ministre délégué chargé des outre-mer ne se réduit pas, c'est vrai, à son budget, qui n'atteint pas 3 milliards sur les 20 milliards que l'État dépense en tout pour les outre-mer. Tout le travail du ministre consiste à aller chercher l'argent là où il est, en demandant à ses collègues de la santé ou de l'énergie d'en faire plus. C'est un endroit où l'on est chargé de trouver des moyens pour aider douze territoires.
Sur le manque de postes à la DGOM, je suis entièrement d'accord avec M. Baptiste. Mon ministre de tutelle m'a dit d'en demander plus. Vérifications faites, je vais lui proposer un budget à quinze postes supplémentaires, ce qui, sur 170 postes, représente quand même une hausse de près de 9 %. Sinon, je n'y arrive pas. J'ai honte, mais je dois convoquer des réunions le dimanche à dix heures du soir.
Il manque des postes dans quelques préfectures. Je dois voir le ministre Attal dans la première quinzaine de juin. Je supprimerai certaines choses inutiles pour réaliser les économies qu'il demande à chaque membre du Gouvernement, mais je lui demanderai les moyens d'obtenir les postes nécessaires – une quinzaine au ministère et une petite dizaine bien répartie outre-mer.
Je ne peux pas commencer mon intervention sans déplorer la faible affluence en commission aujourd'hui. Il est regrettable qu'aucun membre des groupes Renaissance et Les Républicains ne soit présent ; et, hormis le président et les rapporteurs spéciaux, la NUPES est absente. C'est dommage. J'y vois un manque de considération pour le travail des rapporteurs spéciaux, pour celui du ministre délégué et pour nos outre-mer en général.
Pour la mission Outre-mer, les crédits exécutés en 2022 atteignent 2,73 milliards. À ces dépenses budgétaires s'ajoutent des dépenses fiscales près de deux fois et demie supérieures : en 2022, leur montant s'établit à 6,9 milliards, pour trente dispositifs différents.
Deux dispositifs de défiscalisation visent à favoriser l'investissement outre-mer, pour un manque à gagner d'environ 700 millions, ce qui nous semble relativement faible à l'aune des besoins en matière d'emplois et de création de richesse en outre-mer. Il s'agit de la réduction d'impôt sur le revenu au titre des investissements productifs outre-mer d'une part, et du crédit d'impôt au titre des investissements effectués dans le secteur du logement social dans les départements d'outre-mer avant le 31 décembre 2025 d'autre part.
La Cour des comptes déplore, depuis plusieurs années, l'absence d'évaluation de l'efficacité des dépenses fiscales outre-mer, que nous appelons de nos vœux. Il ne s'agit pas de remettre en cause la défiscalisation en outre-mer dans son ensemble, mais d'analyser précisément l'efficacité des dispositifs afférents.
Avec Marine Le Pen, en 2022, nous proposions leur évaluation tous les trois ans, en mettant l'accent sur les investissements, pour ajuster au mieux les dispositifs et éviter les effets d'aubaine. La Cour des comptes note que le coût de quatre dépenses fiscales n'est toujours pas chiffré et que, pour sept d'entre elles, seul un ordre de grandeur est disponible.
Monsieur le ministre délégué, j'appelle votre attention et vous demande des réponses sur la relative faiblesse de l'effort de défiscalisation sur l'investissement productif, sur le manque d'évaluation des dispositifs afférents et sur la nécessaire refondation de la défiscalisation pour la concentrer notamment sur l'investissement productif.
Je regrette moi aussi qu'il y ait si peu de députés présents – autant que de rapporteurs spéciaux !
J'ai commencé à suivre le sujet des outre-mer en 2009 à titre professionnel, en travaillant pour Business France. Sur le budget des outre-mer comme sur d'autres, il a fallu faire preuve, en 2022, de flexibilité, notamment en matière d'indemnisation du chômage partiel et de compensation des exonérations des cotisations de charges patronales, qui participent de notre volonté de soutenir l'emploi, en particulier en cette période de covid.
L'accumulation des restes à payer atteint près de 2 milliards. Pouvez-vous évoquer quelques projets emblématiques ayant fait l'objet d'autorisations d'engagement mais pas de crédits de paiement ? Faut-il s'attendre à ce que certaines de ces autorisations d'engagement ne se transforment jamais en crédit de paiement ?
La première convention conclue entre Business France et le ministère des outre-mer, en 2010, prévoyait de soutenir les entreprises ultramarines en leur offrant des prestations à l'étranger. Nous avons réalisé de belles opérations. Par exemple, six entreprises de La Réunion ont exposé leurs activités au pavillon d'honneur de la France à la Foire de Hanovre, qui est le plus grand salon industriel du monde.
Cette convention était financée, de mémoire, par une enveloppe de 1 million d'euros. Elle a perduré pendant au moins une dizaine d'années. Existe-t-elle toujours ? Est-elle incluse dans le budget de l'action Soutien aux entreprises ? A-t-elle été fondue dans le budget de l'Agence française de développement (AFD) consacré aux outre-mer ? Certes, elle bénéficie pour l'essentiel à La Réunion, qui est pratiquement la seule île ayant une capacité exportatrice. Il n'en faut pas moins maintenir cet accompagnement. Faire de l'export est plus difficile depuis La Réunion que depuis Bordeaux, Toulouse, Marseille ou Paris.
Au nom du groupe socialiste, je souligne que si l'inflation est effectivement moindre dans les territoires d'outre-mer, ils connaissent des surcoûts. Certains subissent une triple insularité : c'est le cas, dans ma circonscription, de La Désirade. Il y a des problèmes de transports, d'infrastructures, d'ingénierie. La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Erom, doit être appliquée. Alors le fait que l'inflation soit plus élevée dans l'Hexagone ne peut en aucune façon servir d'argument. Cela ne nous console en rien !
J'aimerais connaître les modalités de calcul du taux d'insertion du SMA : quelle est la durée de contrat de travail prise en compte pour estimer qu'un jeune a été inséré ? Il me semble que la période considérée est trop courte pour ouvrir des droits aux allocations chômage : dès lors, je ne suis pas sûre qu'on puisse vraiment parler d'insertion.
En matière de créations d'emploi, nos territoires sont effectivement dynamiques, mais notre taux de chômage reste bien supérieur à celui de l'Hexagone. Le groupe Gauche démocrate et républicaine estime qu'il est difficile de s'en féliciter.
La Martinique était le département le plus jeune de France il y a quelques années, elle va bientôt devenir le département qui compte le plus de seniors. Cet exode est préoccupant.
Concernant l'inflation, certains produits sont jusqu'à deux fois plus chers chez nous que dans l'Hexagone : même une augmentation moindre en pourcentage se traduira par une augmentation plus élevée dans l'absolu. En outre, le taux de pauvreté est plus fort dans les départements d'outre-mer. Le bouclier qualité prix (BQP) n'est pas suffisant, même s'il a été étendu aux produits de bricolage à La Réunion.
Effectivement, nous sommes très peu nombreux. Certes, cette réunion a été reportée deux fois, et les rapporteurs spéciaux représentent aussi leur groupe, ce qui relativise l'absence de la NUPES, mais c'est évidemment un problème. Cela explique peut-être aussi pourquoi la surmobilisation des députés ultramarins lors de la discussion du budget a été si efficace.
Madame la rapporteure spéciale, le taux d'insertion du SMA est observé après six mois.
Il faut un CDI ou un CDD de plus de six mois.
J'ai obtenu que les règles de l'assurance chômage ne changent pas cette année. C'est aussi une façon de reconnaître que la situation n'est pas bonne.
Le BQP recouvre des produits qui représentent un panier de consommation familiale satisfaisant, des produits de première nécessité. Ces produits n'augmentent pas. On peut vouloir l'étendre encore ! Depuis que je suis arrivé au ministère, nous essayons chaque mois de rajouter des produits. Air Caraïbe a ainsi décidé de réduire le prix de ses billets d'avion vers les Antilles pour une partie des passagers. Nous discutons de ces sujets tous les jours, et non une seule fois par an ; c'est la grande nouveauté.
Tout le monde se préoccupe du prix des billets d'avion entre Paris et les Antilles, ou Paris et La Réunion. Mais la double ou triple insularité dont vous parliez, monsieur le rapporteur spécial, concerne d'abord les petits territoires. Il faut des avions qui les desservent. Je travaille tous les jours avec Air France pour qu'ils fassent plus de vols vers Saint-Martin. Il faut davantage de vols vers Saint-Pierre, ce qui nous coûte 8 millions par an. Il faut des vols entre Wallis et Futuna – cela nous coûte 2 à 3 millions par an – mais aussi vers Wallis, où la situation est mauvaise depuis qu'Aircalin a supprimé son escale. Il est parfois difficile de maintenir des vols directs : quand il y aura moins de 6 000 habitants à Saint-Pierre-et-Miquelon, il sera très compliqué de trouver des compagnies – j'en reçois une la semaine prochaine. C'est cela ma préoccupation principale.
Il faut aussi essayer de sauver les compagnies existantes : Air Austral nous a coûté 130 millions ; il y a deux ans, nous avons dépensé 100 millions pour Corsair, ils nous en demandent 140 aujourd'hui ; l'existence même d'Air Guyane est en jeu. Nous devons trouver des solutions pérennes.
Ensuite, il y a la double insularité : entre Wallis et Futuna ; entre Saint-Pierre et Miquelon ; entre Saint-Pierre et Halifax ; entre Cayenne, Maripasoula – où la collectivité territoriale de Guyane a pris à sa charge les travaux de réfection de la piste – et Saint-Laurent-du-Maroni… La délégation de service public doit être revue pour augmenter les vols internes à la Guyane de vingt et un à vingt-huit. De la même façon, pour développer le tourisme à Marie-Galante, il faut des liaisons plus fréquentes, tant marines qu'aériennes ; je suis en contact avec le président Losbar sur ce point. Les solutions qui seront trouvées pour Marie-Galante pourront être étendues facilement à La Désirade.
C'est le caractère même de la République de faire en sorte que ces dessertes existent. Il faut agir, et je compte sur la représentation nationale pour m'aider à obtenir les crédits nécessaires.
S'agissant des restes à payer et de notre capacité à dépenser ce qui est prévu, les crédits directs sont élevés, et ils sont dépensés. Les subventions, ou plutôt la participation à l'action des collectivités locales, sont aussi élevées ; nous avons ici un problème d'assistance technique : c'est ma priorité.
Vous m'interrogez sur l'évolution des dépenses fiscales. À ma demande, le ministre de l'intérieur et celui de l'économie ont diligenté une mission sur les exonérations fiscales, notamment le dispositif Girardin, qui représentent 600 millions d'euros par an. Cette somme doit être dépensée de la façon la moins ahurissante possible – car il y a des situations pour le moins originales : on subventionne la construction d'un hôtel, mais on refuse d'exonérer la réhabilitation de la parcelle juste à côté… Nous cherchons aussi à éviter autant que possible les défiscalisations de confort. Nous devons concentrer nos efforts de défiscalisation sur la création de valeur et la culture.
Les conclusions de cette mission seront essentielles pour l'ensemble de la fiscalité outre-mer – octroi de mer, TVA, droits d'accise, etc. Je propose une réforme globale. Les défiscalisations doivent être utiles, comme les exonérations de cotisations sociales. Ces dernières augmentent très vite : faut-il y toucher ? Nous en parlerons avec les élus.
En 2023, nous essayons de mener une opération vérité sur le budget, notamment les restes à payer.
Nous sommes en train de négocier le budget pour 2024. J'essaierai d'être bon élève et de réduire les dépenses inutiles. En ce qui concerne le contrat de convergence et de transformation, que je continue à appeler contrat de plan, j'espère avoir bientôt de très bonnes nouvelles à annoncer, même si nous nous bagarrons encore avec le ministère des transports. Je vous en reparlerai aux alentours du 3 juillet.
Tout le problème de la continuité territoriale, lorsqu'on est en situation d'insularité, parfois double ou triple, est lié aux surcoûts. Quand on part de La Désirade, on doit payer le transport, mais aussi un hébergement car il est souvent impossible de rentrer le jour même. L'amélioration des liaisons maritimes comme des liaisons aériennes pourrait faire baisser les coûts.
Pour conforter votre argumentation, moi qui utilise toujours des avions de ligne, j'ai dû demander un avion de l'État pour aller à Saint-Pierre : sans cela, le voyage durait deux jours et demi !
La commission en vient à l'examen de la thématique d'évaluation : les dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines
Le déficit en ingénierie des collectivités territoriales ultramarines est malheureusement une difficulté récurrente, constatée dans la quasi-totalité des territoires.
L'ingénierie, ce sont les capacités d'expertise, par exemple pour la mise en œuvre d'un projet concret, mais aussi des capacités à maîtriser des processus administratifs – règles de la commande publique et bon usage des subventions par exemple.
Ce n'est pas un sujet propre aux outre-mer : l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) apporte son aide à toutes les collectivités. Mais toutes les personnes auditionnées ont insisté sur l'importance de ce sujet dans les outre-mer.
Le manque de capacités d'ingénierie constitue l'origine principale des difficultés de mise en œuvre des projets planifiés par les collectivités au sein de leur programmation pluriannuelle des investissements. Au sein du programme 123 Conditions de vie outre-mer, l'immense majorité des crédits sont des crédits d'intervention ; autrement dit, ce n'est pas l'État qui dépense directement l'argent. Ces transferts sont majoritairement des transferts aux collectivités territoriales. Or on constate que les projets tardent à sortir de terre.
Pendant la discussion du projet de loi de finances, vous avez dit, monsieur le ministre délégué, que l'argent est bien là, que ce n'est pas cela le problème. C'est vrai, mais nous estimons que pour atteindre l'objectif de convergence fixé par la loi Erom, l'État doit aider les collectivités territoriales ultramarines à dépenser ces crédits. Sinon, nous ne progresserons pas.
Des dispositifs existent déjà, bien entendu. Ce problème est identifié depuis plusieurs années. L'État, par ses services déconcentrés et ses opérateurs, met beaucoup en œuvre, et pas seulement dans le cadre de la mission Outre-mer. Nous avons donc voulu expertiser ce qui existe et échanger avec les exécutifs locaux pour connaître leur sentiment.
Nous avons ainsi auditionné les préfets de nos territoires respectifs, la Guadeloupe et La Réunion, ainsi que ceux de Mayotte et de la Guyane pour leurs deux plateformes d'ingénierie à caractère précurseur. Nous avons également entendu des associations de maires. De plus, nous avons auditionné l'Agence française de développement, qui gère le fonds outre-mer grâce à des crédits de la mission Outre-mer, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, et le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement). Nous avons également entendu le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour évoquer les questions de formation.
Voici nos conclusions.
Premièrement, le besoin de renforcement de l'aide en ingénierie fait consensus parmi toutes les institutions auditionnées. Les collectivités ultramarines présentent des fragilités : un problème d'attractivité dans certains territoires, comme Mayotte ; un turnover important ; une surreprésentation fréquente des catégories C et B ; un encadrement intermédiaire souvent insuffisant. On nous a même signalé un phénomène de concurrence entre collectivités pour le recrutement de personnels bénéficiant de compétences techniques et administratives. Or, nous l'avons constaté, les procédures sont très complexes ; le montage de dossiers pour répondre aux appels d'offres est particulièrement ardu.
Deuxièmement, l'offre est vaste, mais mérite des aménagements. Il faut impérativement mieux la coordonner et l'organiser. Nous avons constaté avec un grand étonnement qu'il n'en existait pas pour l'instant de répertoire général. Les maires l'ont déploré. L'ANCT est en train de faire ce travail ; nous nous en réjouissons, car il apportera plus de clarté.
Troisièmement, il y a encore des manques. Les maires nous disent ainsi que le caractère technique des appels à projets rend nécessaire une aide plus en amont. Il manque aussi une aide au plus long cours, destinée à permettre à la collectivité de développer ses capacités internes.
Ce constat étant fait, nous vous proposons une douzaine de recommandations.
Mais, en préambule, deux remarques. Premièrement, l'aide apportée par des opérateurs ou par les services déconcentrés de l'État ne doit en aucun cas entraver la libre administration des collectivités territoriales et se substituer à leur capacité décisionnaire. Or les associations de maires auditionnées nous ont indiqué que la frontière est parfois ténue.
Deuxièmement, lors des auditions, nous avons entendu de la part de la Cour des comptes quelque chose comme « il faut arrêter de mettre de l'argent là où on sait qu'il ne sera pas dépensé ». Pour nous, ce n'est pas comme cela qu'il faut voir les choses. Les territoires ont besoin de ces crédits ; je ne vais pas vous énumérer leurs retards par rapport à l'Hexagone, leurs besoins en logements sociaux, ou en écoles à Mayotte, où les classes sont partagées entre deux niveaux, matin et après-midi, faute de mieux. L'État a un devoir d'accompagnement des territoires. Il faut tout faire pour renforcer cet accompagnement afin que les dispositifs soient connus et correctement utilisés.
Voici nos principales recommandations.
Premièrement, mieux coordonner les moyens existants. Les élus nous disent qu'il y en a beaucoup, mais pas assez ordonnés, et qu'ils ne savent pas toujours vers qui se tourner. La coordination doit se faire autour des services de la préfecture. Pour nous, cela va de pair avec une généralisation des plateformes, qui proposent à la fois de l'ingénierie de projet et de l'ingénierie technique et qui savent orienter les collectivités vers les opérateurs qui peuvent les soutenir.
Ce n'est pas parce qu'une enveloppe n'est pas consommée qu'elle est inutile : peut-être les crédits ne sont-ils pas adaptés – il en a été question à propos du montage de dossiers. Les élus nous disent que l'offre n'est pas tout à fait adaptée à leurs besoins. Il existe certes une assistance à maîtrise d'ouvrage, mais pour candidater aux financements ou à l'envoi d'un chargé de mission dans le cadre du fonds outre-mer, il faut constituer un dossier qui nécessite déjà de l'ingénierie ! C'est assez kafkaïen, vous en conviendrez. Nous recommandons donc également un approfondissement de l'aide au tout début du projet.
Nous appelons aussi à mieux faire connaître les offres de formation du CNFPT, et nous encourageons les démarches des préfets qui instaurent des formats innovants dans leur territoire pour favoriser la transmission de compétences.
J'en viens aux contrats de convergence et de transformation (CCT) qui s'achèvent – les prochains, pour 2024, seront bientôt lancés. Pour nous, c'est le moment ou jamais de mieux les utiliser pour des actions d'ingénierie. Les derniers n'ont pas été entièrement consommés, loin de là ; plusieurs intervenants nous ont dit que certaines actions étaient trop complexes, sans ingénierie adaptée. Peut-être a-t-on mis la charrue avant les bœufs ; il faut corriger ce défaut pour les prochains CCT.
Parmi nos recommandations figure aussi l'ouverture urgente d'une réflexion sur le retour dans les territoires des forces vives qui les ont quittés pour se former dans l'Hexagone. Cette question, qui dépasse le sujet de l'ingénierie, est, elle aussi, primordiale.
Où en sont les discussions interministérielles en vue d'autoriser une participation d'Expertise France, filiale de l'AFD, aux programmes d'ingénierie ? Plusieurs intervenants nous ont signalé qu'Expertise France pourrait utilement compléter l'offre de l'AFD, par exemple pour le fonds outre-mer.
Pouvons-nous espérer que, dans le cadre de la prochaine discussion budgétaire, des crédits iront au déploiement généralisé des plateformes d'accompagnement territorial ?
Les données récentes de l'exécution budgétaire sont encourageantes, mais le montant des restes à payer de la mission pose la question de la capacité à concrétiser les projets engagés – il s'agit de notre capacité collective, celle des collectivités locales comme de l'État, puisque nous définissons les projets ensemble. Le même problème se pose, au-delà de la mission Outre-mer, pour l'ensemble des dispositifs des autres ministères, mais aussi pour la gestion des fonds européens – le cas de Mayotte est tout à fait symbolique.
Face à cette situation, le diagnostic me semble partagé : il faut renforcer les moyens d'ingénierie mis à la disposition des territoires d'outre-mer, afin de permettre à ces derniers de mener à bien les opérations structurantes nécessaires à leur développement. Il s'agit d'une problématique d'ensemble, qui nécessite d'agir à plusieurs niveaux. La solution, in fine, ne viendra pas de l'État, mais du fait que chacun se prenne en main.
Premièrement, le déficit d'ingénierie est lié à des difficultés intrinsèques à beaucoup de collectivités ultramarines. Le faible taux d'encadrement limite la capacité de nombre d'entre elles à concevoir les projets et à les mettre en œuvre. Les difficultés financières de beaucoup de collectivités, liées à une masse salariale trop élevée par rapport à leurs recettes – pour des raisons dont nous pourrions discuter, mais qui ne soulèvent pas de désaccords – les empêchent de recruter les agents de catégorie A dont elles ont besoin. Les effectifs dans les hôpitaux de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France en fournissent une illustration parfaite – mais la réintégration et le départ volontaire se passent bien.
Une première solution à ce problème résultera de l'amélioration de la situation financière des collectivités. C'est le sens, en particulier, des Corom, qui incluent un volet d'assistance technique pour aider les communes signataires à améliorer leur gestion et à retrouver des marges. Cette année, grâce au vote de votre assemblée, nous augmenterons le nombre de bénéficiaires des Corom, au-delà du SMGEAG, d'une petite dizaine ; les négociations sont en cours.
Dégager des marges financières pour recruter des agents plus qualifiés est la première condition, mais elle n'est pas suffisante. Le vivier en matière d'ingénierie est aujourd'hui trop limité. Il faut à mon sens agir sur la formation des agents des collectivités. De beaux parcours de progression des catégories C à B, et B à A, sont possibles. Le CNFPT a un rôle essentiel à jouer dans la promotion et la formation des agents sur place ; je souhaite signer avec lui un contrat fort, quitte à y mettre un peu d'argent – que vous me donnerez lors de la discussion budgétaire…
Deuxièmement, l'offre privée d'ingénierie peine à émerger. Une partie de l'explication réside dans les difficultés financières du principal client, les collectivités, dont les délais de paiement fragilisent leurs prestataires. Nous essayons – c'est difficile, mais je pense y arriver au sein du comité interministériel des outre-mer – de créer un système d'affacturage inversé : tout titulaire d'une créance sur une collectivité locale pourrait se retourner vers un organisme ad hoc et celui-ci, dont les créances seraient garanties par le ministère, se retournerait vers le débiteur. Cela peut rassurer des sociétés privées et des fournisseurs des collectivités comme des hôpitaux.
Il est également nécessaire de recourir à des politiques d'attractivité pour faire venir dans les territoires d'outre-mer les cadres qualifiés du public comme du privé. Nous en discuterons dans le cadre de la proposition de loi visant à renforcer le principe de la continuité territoriale en outre-mer. Je travaille avec le nouveau directeur général de Ladom et les présidents de collectivités pour permettre le retour des compétences. J'espère doubler le financement de Ladom, je l'ai dit, en deux ou trois ans. Ce serait une sorte de Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) inversé ! En revanche, les dispositifs d'aide à l'installation devront émaner des collectivités, dont c'est la compétence.
L'État, quant à lui, intervient par le dispositif Cadres d'avenir, encore récent mais qui donne de premiers résultats prometteurs : des étudiants et des professionnels à fort potentiel sont sélectionnés et accompagnés financièrement pour effectuer une formation universitaire, à condition de revenir exercer ensuite dans leur territoire. Tous les territoires sauf deux sont couverts. Je souhaite par ailleurs, dans le cadre de la redéfinition des missions de Ladom, que l'agence se positionne concernant une aide à l'installation pour les porteurs de projets créateurs de valeur en outre-mer.
Enfin, l'État propose des outils d'assistance technique… qui sont à peu près incompréhensibles. Leur finalité est double : combler le déficit d'ingénierie pour mener à bien les projets d'aujourd'hui, mais aussi former les agents des collectivités pour qu'ils puissent conduire les projets de demain. L'assistance technique a permis d'atteindre des résultats encourageants, mais insuffisants, notamment dans le cadre du fonds outre-mer, l'outil de mon ministère en la matière, doté de 10 millions par an.
Ces dispositifs d'assistance technique sont nombreux et leur coordination pourrait être améliorée. Le renforcement des moyens d'ingénierie des collectivités est un axe de la politique que j'entends, avec Gérald Darmanin, mener sur l'ensemble du territoire. Elle prend de l'ampleur grâce à la création récente de l'ANCT, qui a vocation à jouer un rôle de chef de file, mais dont le positionnement ne me semble pas adapté aux problématiques d'outre-mer. Elle propose en effet une offre d'ingénierie pour l'amont des projets, sur des durées courtes. Or, en outre-mer, le besoin en ingénierie se situe aussi bien en amont, au stade de la conception des projets, qu'en aval, au stade de leur mise en œuvre et des financements, et concerne plutôt des prestations longues, tirant profit de l'inclusion des personnels sur place.
Les dispositifs existants se heurtent en outre à des problèmes de recrutement. J'essaye d'obtenir, et je pense l'emporter même si le ministère des affaires étrangères n'y est pas favorable, que l'on crée des centres d'Expertise France, dotés de moyens en personnel pérennes – trois ans au minimum – par l'AFD ou le Cerema, au moins en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, pour assurer une offre d'ingénierie sans appels d'offres, afin de ne pas perdre de temps. Ainsi, les dispositifs seraient sur place, mobilisables librement à la demande des collectivités. C'est une proposition forte du comité interministériel des outre-mer. Les réflexions et les arbitrages sont en cours. Je comprends assez mal les interrogations du ministère des affaires étrangères à ce sujet, puisque mon ministère paierait tout. Mais mes derniers échanges avec Matignon me laissent bon espoir d'y parvenir. Je pense que c'est la solution. Si on me suggère de la mettre en œuvre à titre expérimental quelque part pendant deux ans, je m'y opposerai : ce sera partout ou nulle part. C'est un vrai combat.
Merci aux deux rapporteurs spéciaux de leur rapport très concret – qui explique peut-être le caractère également concret des réponses du ministre, dont je salue l'absence de langue de bois, qu'il s'agisse de la généralisation des plateformes d'ingénierie ou des mesures incitant à l'installation, voire au retour d'agents publics dans leur territoire ou département d'origine. Je suis également satisfait du rôle que vous proposez pour le Cerema. S'il faut vous aider dans vos relations avec les autres ministères, la commission des finances pourra toujours servir de médiateur !
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Le rapport est en effet de très bonne qualité. Il est exact qu'il faut mettre l'accent sur la formation au niveau local : avant de penser à faire revenir les agents, rapprocher la formation des territoires est essentiel si l'on veut disposer du volant d'effectifs nécessaire pour répondre aux besoins.
Vous proposez des mesures incitatives pour faciliter l'installation des agents publics dans les territoires ultramarins rencontrant des problèmes d'attractivité. Vu les besoins, c'est tout à fait compréhensible, mais cette mesure n'englobe-t-elle pas déjà votre autre recommandation de « réfléchir à un dispositif facilitant le retour des forces vives des outre-mer dans leur territoire d'origine ». Il me semble que les agents qu'il s'agit d'inciter à s'installer sont notamment ceux qui, originaires des outre-mer, vivent actuellement dans l'Hexagone et que la précision n'est pas indispensable. En métropole, on ne trouverait pas pertinent d'inciter une personne originaire d'un département à retourner y travailler. Mais je ne connais pas toutes les contraintes propres à l'outre-mer.
La commission des finances est particulièrement intéressée par la question de l'ingénierie, car c'est la loi de finances pour 2021 qui a créé les Corom, dotés d'une enveloppe de 30 millions sur trois ans, non seulement pour redresser les finances publiques, mais aussi pour apporter un appui technique, grâce à l'envoi d'experts, et une ingénierie. Trois contrats ont été signés dès 2021 et une dizaine supplémentaire vient d'être mentionnée par le ministre. En matière d'ingénierie, le besoin d'une offre privée, notamment, est fondamental. Or les délais de paiement sont de ce point de vue un obstacle. L'État pourrait-il réorienter dès à présent le fonctionnement des Corom pour remédier à ce problème ?
Quand on manque de têtes bien formées et rompues aux procédures administratives et de financement, les opportunités manquées sont nombreuses, même lorsque la volonté et les idées sont là. Comment le programme Petites Villes de demain fonctionne-t-il en outre-mer ? Quelles sont exactement les « conditions privilégiées » de sa mise en œuvre par l'ANCT, évoquées par nos rapporteurs spéciaux ? Répondent-elles aux besoins locaux ? Combien de villes sont concernées ? Quelle forme les plateformes d'appui aux collectivités locales prennent-elles, et comment les renforcer pour permettre un meilleur accès à l'information, la différenciation claire des acteurs et un accompagnement de la conception du projet à sa réalisation ?
La non-consommation des crédits – ou l'absence d'avancement des projets – est un sujet fréquent de reproches à propos des territoires dits d'outre-mer. Or le manque d'ingénierie est l'une des causes principales de cette situation. Il existe une multitude d'accompagnements, de plateformes, d'agences, de guichets, mais il faut les mutualiser et les coordonner.
En outre-mer, le programme Petites Villes de demain comporte des spécificités.
Au delà de la formation, il importe de faire en sorte que nos agents de catégorie B puissent progresser et avoir des responsabilités.
Selon tous les économistes, même le département d'outre-mer le plus développé accuse un retard de quinze ans par rapport à l'Hexagone. Voilà pourquoi il nous paraissait important de parler d'ingénierie.
La question de la formation s'est imposée d'emblée : rapprocher les formations de nos territoires, c'est éviter nombre de déplacements et de déracinements pour notre jeunesse. D'où l'audition du CNFPT.
La question de l'attractivité et des processus qui la favorisent ne se pose pas de la même façon dans les territoires ultramarins qui souffrent d'un dépeuplement, comme la Martinique, par exemple, et à l'inverse à La Réunion, qui n'a pas de problème d'attractivité mais compte très peu de cadres A réunionnais en responsabilité. Les travaux de l'Insee montrent que ces forces vives sont sous-employées par rapport à leur niveau de diplôme. Voilà pourquoi nous avons insisté sur le retour des travailleurs ultramarins dans leur territoire d'origine.
Tout le monde est d'accord pour dire que l'aide à l'ingénierie n'est pas suffisante. Beaucoup font des efforts, mais les dispositifs sont trop difficiles à comprendre, les missions trop nombreuses, trop diverses. Il faut d'abord faire attention à la manière dont l'assistance technique proposée est reçue – elle fonctionne très bien au SMGEAG, mais les choses ont été un peu compliquées au début. Il faut ensuite développer la capacité locale d'ingénierie par la formation, notamment le programme Cadres d'avenir.
La seule solution, je le répète, ce sont des plateformes d'Expertise France, sans appels d'offres, animées par des agents de l'AFD et du Cerema installés localement et chargés de former les cadres locaux qui leur succéderont.
La commission autorise, en application de l'article 146, alinéa 3, du Règlement de l'Assemblée nationale, la publication du rapport d'information de M. Christian Baptiste et Mme Karine Lebon, rapporteurs spéciaux.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du lundi 5 juin 2023 à 14 heures
Présents. - M. Christian Baptiste, M. Mickaël Bouloux, M. Frédéric Cabrolier, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, Mme Perrine Goulet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, Mme Karine Lebon, M. Pascal Lecamp, M. Mathieu Lefèvre, Mme Lise Magnier, M. Emeric Salmon, M. Charles Sitzenstuhl
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. Jean-Paul Mattei
Assistait également à la réunion. - Mme Véronique Louwagie