La commission entend M. Alain de Serres, directeur adjoint de la branche des études de politique économique de l'OCDE sur les questions de conjonctures économiques internationale et nationale.
Éric Coquerel. Nous auditionnons à présent M. Alain de Serres, directeur adjoint de la branche des études de politique économique de l'OCDE sur les questions de conjonctures économiques internationale et nationale. Nous poursuivons donc nos travaux portant sur la conjoncture économique, après l'audition du directeur de la Banque de France il y a quelques semaines et celle du directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ce matin.
L'OCDE a eu l'occasion de publier en mars ses perspectives économiques intermédiaires, dans lesquelles elle considère que nous sommes dans une période de reprise économique fragile à l'échelle mondiale. Vous avez la parole.
Puisque nous disposons à présent de la totalité des chiffres pour l'année 2022, je pensais vous dresser un bilan au regard des perspectives que nous avions établies à l'échelle globale et pour les trois zones principales : Asie, États-Unis et zone euro.
Je souhaitais également vous donner un aperçu des forces qui soutiennent la tendance de l'activité et évoquer les principaux risques et les implications pour les politiques publiques macro-économiques.
La croissance mondiale s'est établie à 3,2 % en 2022, ce qui constitue un ralentissement assez net par rapport à l'année 2021, qui a connu une croissance de 6 %. De plus, la croissance se situe bien en deçà du niveau attendu au début de l'année et a été freinée par l'impact de la guerre en Ukraine, la crise du coût de la vie et le ralentissement de l'activité en Chine.
Cependant, les signes plus positifs qui ont commencé à apparaître nous amènent à revoir favorablement nos prévisions de novembre dernier. Nous notons ainsi un début d'amélioration de la confiance des entreprises et des consommateurs, une baisse des prix des produits alimentaires et de l'énergie plus rapide que prévu ainsi que la réouverture complète de l'économie chinoise. Pour autant, ces signes ne sont pas uniformes à travers les grandes régions et le constat reste celui d'une reprise fragile, avec des risques qui sont peut-être un peu moins orientés à la baisse, mais qui ne sont tout de même pas équilibrés.
La croissance mondiale devrait rester inférieure à son niveau tendanciel en 2023 et 2024, pour s'établir à 2,6 % et 2,9 % respectivement, alors que le resserrement des politiques monétaires et fiscales continuera de produire ses effets. Néanmoins, une amélioration progressive est prévue en 2023 et 2024, parallèlement à l'atténuation des conséquences produites par les prix élevés de l'énergie.
Aux États-Unis, la croissance annuelle devrait continuer à ralentir jusqu'à 1,5 % en 2023 et même moins de 1 % en 2024, la politique monétaire modérant les tensions liées à la demande.
La croissance dans la zone euro sera également modeste en 2023, mais les effets de la baisse des prix de l'énergie et de celle de l'inflation devraient l'aider à s'accélérer à 1,5 % en 2024, contre 0,8 % en 2023. Le creux arrive donc un peu plus tôt dans la zone euro comparé au profil des États-Unis, ce qui devrait également amener une amélioration dès 2024.
Un profil de croissance similaire est prévu pour la France, avec des taux de 0,7 % en 2023 et de 1,3 % en 2024, relativement faibles, bien qu'en légère amélioration. Ces taux sont en train d'être révisés : ils ne devraient pas connaître d'importantes modifications, si ce n'est une très légère amélioration.
En Chine, la croissance devrait rebondir pour atteindre 5,3 % cette année et près de 5 % en 2024, après un maigre résultat de 3 % en 2022. Par conséquent, les résultats dans les principaux pays émergents d'Asie devraient rester relativement solides, aidés par la réouverture complète de l'économie chinoise.
L'inflation globale diminue, mais l'inflation sous-jacente demeure élevée, sous l'effet de fortes hausses des prix des services, de l'augmentation des marges dans certains secteurs et de pressions à la hausse exercées sur les coûts, en raison de la situation tendue des marchés du travail. L'impact sur l'inflation est donc moins important pour les facteurs qui ont été à l'origine de cette dernière, c'est-à-dire la hausse du coût de l'énergie et des matières premières. Cependant, les effets d'inflation se sont déplacés vers d'autres secteurs, comme les services. L'inflation sous-jacente montre donc une certaine résistance, ce qui oblige à maintenir les politiques mises en place.
L'inflation devrait se modérer progressivement en 2023 et 2024, tout en restant supérieure aux objectifs des banques centrales jusqu'au second semestre de 2024. À la fin de l'année 2024, les taux d'inflation devraient revenir au niveau généralement visé par les banques centrales.
Quelles sont les forces qui soutiendront l'amélioration de l'activité dans les dix-huit mois à venir ? Notons tout d'abord que les prix de l'énergie, en particulier ceux du gaz et du pétrole, sont bien redescendus par rapport à leur pic de l'an dernier, même s'ils restent assez largement au-dessus de leur niveau d'avant la guerre en Ukraine. Même si les prix à la pompe sont à nouveau en hausse, cette redescente représente une atténuation du choc d'offre et de pouvoir d'achat intervenu en 2022
La réouverture de la Chine est susceptible d'avoir un impact positif sur la demande globale, bénéficiant d'abord à l'Asie, qui pourrait retrouver son dynamisme après un moment délicat fin 2022, mais aussi à l'Europe et à l'Amérique. La réouverture de la Chine peut aussi contribuer à réduire les tensions sur certaines chaînes de valeurs ou de production et donc à relâcher légèrement les contraintes d'offre et atténuer ainsi les pressions inflationnistes sur certains produits. Ces deux phénomènes conjugués peuvent en partie expliquer la remontée que l'on constate d'ores et déjà dans les indices de confiance des ménages et des entreprises. Ainsi, plus de la moitié des entreprises s'attend à une augmentation de l'activité. De plus, le marché du travail reste très dynamique à peu près partout, montrant des effets positifs sur les salaires, même si pour beaucoup de travailleurs, le salaire reste en décalage par rapport aux hausses de prix. Si nous ne constatons pas encore de hausse des salaires réels, nous observons néanmoins un rattrapage en cours, qui pourrait amener la situation à s'inverser.
De plus, la marge d'épargne existant encore chez les ménages pourrait contribuer à maintenir la consommation, notamment en France.
Pour ce qui est de l'inflation, la baisse des prix de l'énergie et des matières premières devrait continuer à se refléter dans les indices des mois à venir. Une baisse de l'inflation globale est donc attendue. Entre temps, la hausse plus soutenue des prix s'est généralisée à l'ensemble des biens et services. C'est la raison pour laquelle l'inflation sous-jacente reste élevée et mettra un peu plus de temps à redescendre. En outre, cette hausse empêche les banques centrales d'opérer une baisse des taux d'intérêt trop rapidement.
Quels sont les principaux risques ? L'amélioration des perspectives reste fragile. Les risques demeurent orientés à la baisse. En effet, l'incertitude qui entoure l'évolution de la guerre en Ukraine et ses conséquences dans leur globalité constitue un sujet de préoccupation majeure. En outre, des tensions pourraient réapparaître sur les marchés mondiaux de l'énergie, se traduisant par de nouvelles flambées des prix et une augmentation de l'inflation. Une forte remontée de l'activité en Chine et en Asie, qui constitue pourtant une bonne nouvelle, pourrait aussi amener de nouvelles tensions sur les marchés du gaz et du pétrole. S'agissant du gaz, la situation affecterait en premier lieu l'Europe, qui est plus vulnérable en matière d'approvisionnement.
L'éventuelle détérioration de la sécurité alimentaire dans les économies émergentes et en développement représente également un risque connexe. Malgré les baisses récentes, les prix des denrées alimentaires et des engrais restent en effet bien au-dessus des niveaux observés avant la pandémie. Ces marchés alimentaires restent ainsi vulnérables à la fois à une nouvelle perturbation des expéditions de céréales en provenance d'Ukraine et aux phénomènes météorologiques extrêmes, qui sont devenus plus fréquents.
Les tensions liées au commerce demeurent également préoccupantes : la couverture cumulée des restrictions à l'importation imposées par les économies du G20 continuant d'augmenter, par ailleurs plusieurs pays qui ne sont pas membres du G7 ont introduit de nouvelles restrictions à l'exportation de denrées alimentaires. Il s'ensuit une baisse de l'activité commerciale ayant des impacts sur l'économie.
La force de l'impact des changements de politique monétaire constitue une autre préoccupation majeure, qu'il est difficile d'évaluer, en particulier après une longue période de taux d'intérêt très bas. Les récentes turbulences à l'œuvre pour les banques américaines et européennes pourraient avoir des effets plus abrupts sur le ralentissement, via le canal de prêts aux entreprises, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Les banques ont en effet nettement resserré les conditions de prêts à cette catégorie d'entreprises, en réaction aux récentes turbulences financières. Ainsi, ce qui semblait frapper en premier lieu les ménages pourrait avoir un impact significatif sur les entreprises.
Enfin, s'agissant des implications pour les politiques monétaires, nous restons sur l'idée que les banques centrales ont terminé leur travail d'ajustement des taux d'intérêt visant à maîtriser le profil de l'inflation au regard des objectifs fixés. Néanmoins, si un resserrement rapide des conditions financières était observé, c'est-à-dire un accès plus contraint aux prêts pour les entreprises et les ménages, cette situation pourrait conduire à une augmentation moindre des taux d'intérêt que précédemment ou même à une baisse plus rapide que celle établie dans nos prévisions.
Nous attendons également un resserrement des politiques budgétaires, mais de manière plus modeste. Ce resserrement reflète essentiellement le fait que la baisse des coûts de l'énergie ouvre une fenêtre pour ralentir les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. Néanmoins, ce ralentissement visant à ramener les déficits vers des niveaux plus compatibles avec la soutenabilité des finances publiques devrait rester modéré et graduel.
L'OCDE juge dans son rapport sur les perspectives économiques que l'amélioration reste fragile et que des tensions peuvent réapparaître sur les marchés de l'énergie, via une nouvelle flambée des prix. De ce point de vue, considérez-vous que la France se distingue par une situation particulière ? Les risques mondiaux ont-ils dans notre pays une traduction différente de celle des autres pays de l'OCDE ?
Vous venez d'ailleurs de décrire une tendance mondiale : le marché du travail reste très dynamique. Or l'Insee a montré qu'une baisse de création d'emplois était attendue pour 2023 en France. Considérez-vous qu'il existe une différence entre la France et les autres pays en matière d'emploi ou intégrez-vous la situation française dans le dynamisme que vous décrivez ?
Vous évoquiez le risque que les prix de l'énergie s'envolent de nouveau lors de l'hiver prochain. Les prévisions de croissance pour 2024 seraient-elles à réviser dans cette hypothèse et dans quelle proportion ?
Enfin, nous observons qu'à l'inflation causée par l'augmentation des prix de l'énergie se substitue progressivement une augmentation, que je décrirais selon une logique de prix-profit et non selon une logique de salaire. Certains parleront du maintien des marges des entreprises. Cette inflation, qui se traduit notamment par une inflation sous-jacente, ne risque-t-elle pas de devenir endémique dans les années à venir ? Cela se traduirait par un problème de demande, notamment en raison de la hausse des taux d'intérêt qui peut avoir des impacts sur la question de l'immobilier.
Je vous remercie de rappeler au sein de votre rapport que la France n'est pas une île. Il s'agit d'un rappel essentiel.
Vous saluez « les mesures prises en 2022 pour réduire l'impact de l'inflation sur les ménages et les entreprises, qui ont permis d'atténuer des baisses de revenus réelles, en particulier sur les ménages les plus pauvres ». Vous préconisez également dans le cadre de votre politique structurelle une relance des réformes réduisant les contraintes sur le marché du travail, tout en stimulant la productivité. Les démarches initiées en France vous semblent-elles aller dans ce sens ?
Je voudrais également saluer le fait que vous aussi avez rehaussé votre prévision de croissance pour la France en 2023, comme la Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI). Nous ne sommes donc plus très loin de la croissance de 1 %, qui constitue notre hypothèse de base, même si nous n'y sommes pas encore.
Je vous poserai quatre autres questions.
En matière de politique industrielle, il existe entre les États-Unis et la Chine une compétition dans le soutien aux investissements. Les mesures mises en place ne sont-elles pas en train de créer des barrières à l'entrée des marchés entre les pays ?
Comment le sujet des piliers 1 et 2 de la réforme fiscale mondiale a-t-il avancé dans la période récente ?
L'OCDE observe que le resserrement de la politique monétaire des grandes banques centrales semble particulièrement rapide en comparaison d'autres épisodes antérieurs de hausses de taux d'intérêt. Ces décisions de politique monétaire sont-elles pertinentes ? Les mesures ne sont-elles pas mises en place trop rapidement ?
Pouvez-vous revenir sur la situation de l'économie russe, qui alimente les polémiques ?
Le profil de la France présente des similarités avec les autres pays de la zone euro, mais aussi des différences importantes. Le fait que le soutien à la consommation ait été plus important en France constitue une différence notable. Cette démarche a permis d'aider davantage la croissance que dans beaucoup d'autres pays, là où la faiblesse persistante de l'investissement reste une énigme.
Le mix énergétique de la France et l'importance du nucléaire la distingue également, notamment de l'Allemagne. Pour autant, la vulnérabilité française au coût de l'énergie reste assez élevée, puisque l'impact sur le revenu des ménages a été sensiblement le même qu'ailleurs.
Le marché du travail s'est un peu démarqué, notamment en raison du taux de chômage, qui n'a pas baissé autant qu'à l'étranger. Notons que le marché du travail reste dynamique dans beaucoup de pays, étant donné que les postes ouverts sont plus nombreux que les demandeurs d'emploi. Néanmoins, on s'attend à un ralentissement de la croissance de l'emploi, notamment aux États-Unis, sous l'effet du ralentissement économique observé actuellement.
En matière de politique industrielle, nous constatons effectivement un regain d'utilisation des subventions. S'agissant des États-Unis, on peut y voir un reflet de la décarbonation de l'économie liée aux enjeux climatiques. Dans ce cadre, ce soutien à une économie décarbonée ne passe pas essentiellement par des prix sur le carbone, mais par des subventions. Si le niveau de celles-ci est également élevé en Europe, certaines clauses imposant des contenus domestiques posent effectivement problème pour le commerce. Ainsi, l'OCDE s'intéresse à la question des subventions, dans la mesure où elles-mêmes peuvent contribuer à la surcapacité. Nous avons pu l'observer en Chine dans certains secteurs, notamment l'acier, où les subventions ont abouti à des surcapacités finissant par créer des distorsions pour le commerce et la production mondiale. Nous n'en sommes pas là, mais le risque existe, si l'on en venait à cibler des industries particulières à coups de subventions.
Il faut dire aussi que permettre le développement de nouveaux produits qui contribueront à la transformation de l'économie grâce à des subventions ne constitue pas forcément une démarche néfaste. Comme pour l'éolien ou le solaire, ce sont les pouvoirs publics qui ont permis de faire baisser les coûts et de rendre ces produits compétitifs. Un équilibre délicat doit donc être trouvé, afin de ne pas mettre en place des mesures qui entraîneraient des distorsions sur le commerce, ce qui risquerait d'avoir des effets sur les coûts et de rendre les dépenses publiques inefficaces.
S'agissant de la taxation des multinationales, je peux seulement vous dire que le pilier concernant le taux minimum est en meilleure position que celui visant à réallouer des taxations, puisque ce sujet suscite des désaccords sur certaines modalités.
J'ai très peu à vous dire sur la Russie, en dehors des chiffres que nous avons indiqués. Ce point fera possiblement l'objet de la prochaine réunion de notre comité des politiques économiques, qui pourra déboucher sur des prévisions.
En ce qui concerne le resserrement de la politique monétaire, les événements qui ont concerné récemment les banques américaines constituent finalement une alerte salutaire, c'est-à-dire sans trop de dommages produits. S'il existait des raisons spécifiques qui ont créé ces difficultés, ces problèmes auraient dû faire l'objet d'une réglementation. Ainsi, la définition même des institutions financières systémiques ou non systémiques a ses limites et comporte des risques. Pour répondre à votre question, si on observe actuellement une plus grande prudence de la part des banques centrales, il est possible qu'une augmentation des taux d'intérêt plus rapide que prévu permette d'éviter le recours à des hausses supplémentaires. Il est néanmoins encore trop tôt pour en juger.
Je vous remercie de cette présentation qui intervient dans un contexte où l'inflation globale demeure bien supérieure aux objectifs des banques centrales.
Vous observez que les mesures prises l'an passé dans de nombreux pays ont permis d'amortir l'impact sur les ménages et les entreprises, avec pour certaines plus de 2 % du produit intérieur brut (PIB), comme c'est le cas en France. Pouvez-vous confirmer que le retrait progressif de ces mesures se justifie et que l'effort de soutien doit désormais se poursuivre de manière ciblée ?
Vous considérez corrélativement que le recours massif au plafonnement des prix ou aux baisses de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est coûteux et affaiblit les incitations à réduire la consommation. Pouvez-vous nous indiquer les exemples internationaux sur la base desquels vous étayez ce constat ?
S'agissant des politiques structurelles, vous incitez à mettre en œuvre davantage de réformes permettant de réduire les contraintes sur le marché du travail et stimuler la productivité. Pourriez-vous nous préciser quels seraient selon vous les obstacles à l'entrée et à la sortie des entreprises sur les marchés pour améliorer la concurrence et l'investissement ?
Enfin, s'agissant du volet industriel, le ministre, M. Bruno Le Maire a présenté lundi les premières pistes d'un projet de loi sur l'industrie verte, visant à répondre en partie à l' Inflation Reduction Act (IRA) américain. Considérez-vous que la réponse soit à la hauteur des enjeux ? Pensez-vous que les négociations doivent être poursuivies avec la Commission européenne pour favoriser les entreprises françaises dans la commande publique et la relocalisation de sites industriels bas carbone dans notre pays ?
En 2021, les entreprises du CAC 40 ont dégagé des profits records : près de 160 milliards d'euros contre 100 milliards en 2007. Selon une étude publiée en août 2022, ces résultats ont conduit à une distribution de plus de 44 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires au cours du deuxième trimestre. Le mois dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a mis en exergue le poids des profits des entreprises dans l'inflation observée dans la zone euro ces dix derniers mois, au détriment des consommateurs et des salariés. Selon ces calculs fondés sur les données d'Eurostat, ce sont les bénéfices qui ont représenté la part principale des pressions exercées sur les prix de la zone euro depuis 2021, plutôt que les coûts de main-d'œuvre et les taxes.
En France, à partir du troisième trimestre 2022, alors que les prix de l'énergie et des matières premières refluaient, des entreprises ont reconstitué leur marge en relevant leurs prix au-delà du seul renchérissement de leurs coûts. De fait, les entreprises auraient participé à l'inflation. Si on prend en compte le secteur de l'énergie et des transports, elles auraient contribué pour 37 % à l'augmentation des prix jusqu'au quatrième trimestre 2022. La première question est alors de savoir dans quelle mesure les entreprises françaises ont alimenté l'inflation en augmentant leur marge.
Par ailleurs, en période d'inflation, un profil nominal peut correspondre à une perte réelle : plus les taux d'inflation montent, plus les profits apparents peuvent induire en erreur les parties prenantes, en laissant croire que les entreprises seraient en meilleur état qu'elles ne le sont. En effet, les calculs d'inflation peuvent amener à la sous-évaluation très forte de certains actifs, comme les actifs immobiliers. Selon vous, l'inflation ferait-elle gonfler artificiellement les profits ?
Pourquoi tout augmente-t-il sauf les salaires ? C'est la question que l'on nous pose assez régulièrement. Votre rapport nous fournit quelques éléments de réponses.
S'agissant des aides aux ménages, vous préconisez une réduction du niveau global des aides qui pourrait notamment contribuer à la réduction de la consommation d'énergie ; ce dont je doute. Les politiques monétaires devraient quant à elles rester restrictives jusqu'à observer des signes clairs de réduction durable des tensions inflationnistes sous-jacentes. Enfin, de nouvelles hausses des taux d'intérêt resteraient encore nécessaires dans de nombreuses économies. En bref, l'OCDE semble préconiser, dans un contexte d'appauvrissement de la population, d'augmenter les taux d'intérêt, de casser la demande et donc freiner les investissements et de réduire les embauches, créant in fine une pression sur les salaires.
Dans le fond, si tout augmente sauf les salaires, c'est que beaucoup sont convaincus qu'améliorer les salaires renforcerait l'inflation. Comme le disait le président, il semble que vous craigniez une boucle prix-salaires. Pourtant, le FMI précise que cette boucle n'existe pas, contrairement à ce qui apparaît comme une boucle prix-profit bien réelle en ce qui concerne les dividendes. Au troisième trimestre, les salaires réels en France ont baissé de 3 %, alors que les marges des entreprises ont augmenté. Si les prix du transport et de l'énergie explosent, c'est peut-être aussi, et surtout, en raison de l'explosion des profits. Ma question est simple : alors que les profits augmentent et que les salaires réels diminuent, pourquoi continuer à exercer une pression sur les salaires plutôt que sur les profits ?
Je souhaiterais au nom de mon groupe revenir sur votre préconisation de renforcement du ciblage des mesures de soutien budgétaire : « Les mesures visant à atténuer les conséquences de la hausse des prix de l'énergie devraient être ciblées, temporaires et ne pas remettre en cause les incitations à réduire la consommation d'énergie. » Il est précisé plus loin : « Il convient de se garder de stimuler encore la demande de manière persistante dans un contexte d'inflation élevée. »
L'OCDE met donc en garde à l'égard de la soutenabilité budgétaire. S'agissant de la situation française, quel est votre avis sur les mesures gouvernementales qui ont été prises et que préconisez-vous en ce qui concerne celles à prendre en matière de ciblage et de retrait progressif ?
Votre exposé m'a éclairé sur de nombreuses thématiques. Néanmoins, nous aurions besoin d'explications supplémentaires.
Selon votre rapport, l'inflation devrait se modérer progressivement en 2023 et 2024, mais rester supérieure aux objectifs des banques centrales jusqu'au second semestre 2024 dans la plupart des pays. Dans les économies du G20, l'inflation globale devrait reculer de 8,1 % en 2022 à 4,5 % en 2024. L'inflation sous-jacente devrait s'établir quant à elle à 4 % en 2023 et à 2,5 % en 2024. Quelle est pour vous la différence entre l'inflation globale et l'inflation sous-jacente ? Quels sont les outils les plus efficaces afin de lutter contre l'inflation, en dehors d'une augmentation des taux directeurs au sein de la zone euro ?
Votre rapport appelle à une meilleure régulation des marchés financiers pour se prémunir de la contagion. Avez-vous des propositions plus précises dans cette visée ?
Vous recommandez des aides contre l'inflation mieux ciblées que les plafonnements de prix et les baisses de TVA. Avez-vous observé dans d'autres pays des mesures plus efficaces ?
Vous préconisez dans votre rapport une forme de blocage des prix des premiers biens consommés. Quelles sont les modalités que vous proposez ?
Enfin, vous évoquez le risque d'une boucle prix-salaires, mais votre rapport montre que la croissance des salaires a été inférieure à l'inflation dans la zone euro.
Le sujet qui nous mobilise aujourd'hui est vaste. Il n'en est pas moins majeur pour notre pays et notre continent. Rarement le monde a connu une succession de tels chocs. Tout d'abord la crise sanitaire qui a mis le monde à l'arrêt ; ensuite l'agression russe qui a fragilisé et déstabilisé les marchés, notamment ceux de l'énergie et de l'agroalimentaire. La croissance mondiale a ralenti depuis le début de la guerre en Ukraine, comme vous le démontrez vous-même : elle est de 3,2 % en 2022, soit 1 point de moins par rapport à 2021. Cette guerre a des effets directs sur le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Selon vos prévisions, elle contribuerait encore à ralentir la croissance en 2023 et 2024. La guerre a suscité un choc majeur sur les prix de l'énergie à l'échelle mondiale : selon votre étude, les prix de l'énergie n'avaient pas connu de pareilles fluctuations depuis les années 1970. Malgré la progressive baisse du coût de l'énergie qui a permis une légère amélioration des perspectives mondiales, les tarifs restent élevés par rapport à l'avant-guerre et grèvent les niveaux de vie partout sur la planète.
En France, le gouvernement se mobilise pour atténuer les effets de cette augmentation des prix de l'énergie et de l'inflation sur les produits alimentaires. Ces politiques nous permettent de préserver au mieux le pouvoir d'achat. Elles assurent par ailleurs l'attractivité de notre pays au sein de l'Union européenne et à travers le monde. Cette conjoncture économique complexe n'entame pas pour autant totalement la confiance des entreprises et des ménages, signe d'une dynamique positive pour l'avenir.
Quelle perspective attendre dans les prochains mois en la matière et comment la France résiste-t-elle, comparativement aux autres pays, à cette succession de crises ?
L'OCDE a longtemps été à la pointe quant aux indicateurs alternatifs au PIB, avec notamment la publication du rapport « Au-delà du PIB, mesurer ce qui compte pour les performances économiques et sociales » en 2018. Dans la même logique, les écologistes avaient fait adopter en France dès 2015 une loi sur les nouveaux indicateurs de richesse, visant à évaluer nos politiques publiques à l'aune d'indicateurs de santé, d'éducation, d'inégalités de revenus et d'empreinte environnementale. Indicateurs suivis par l'Insee, mais dont le gouvernement ne s'empare pas.
J'ai écouté votre point de conjoncture qui ne fait état que d'inflation, de croissance du PIB et d'indicateurs purement économiques. Pourriez-vous donc nous présenter un point de conjoncture en matière de santé, d'empreinte carbone, d'inégalités de revenu, de situation de la biodiversité et de préservation des espèces, de taux de pauvreté et de niveau d'éducation ?
Je voudrais évoquer l'IRA américain, qui est clairement protectionniste et qui risque de multiplier les délocalisations et d'amoindrir les richesses européennes et l'emploi. Nous savons que l'Union européenne a répondu en modulant un certain nombre de mécanismes d'État ainsi que le fonds pour l'innovation. Pensez-vous que nous allions vers une course à la subvention et à l'avantage fiscal ?
Nous observons que les cours des taux directeurs fixés par la BCE suivent mécaniquement ceux de la Réserve fédérale (FED). Pensez-vous que l'Europe fait suffisamment preuve de souveraineté sur la scène internationale dans l'orientation de ses choix monétaires ?
Je souhaite enfin formuler une remarque sur le dossier des retraites. Le secrétaire général de l'OCDE Mathias Cormann a invité le gouvernement français à rester sur sa ligne et à aller jusqu'au bout. Si je comprends que votre fonction soit de délivrer des analyses financières, la politique intérieure touche aux limites extrêmes de ce que devrait être le rôle de l'OCDE.
L'OCDE s'est longtemps spécialisée dans les déterminants structurels de la croissance. Or, derrière les variations conjoncturelles, la forte augmentation du niveau de vie aux États-Unis semble caractérisée par l'appropriation des gains de l'innovation technologique, à une époque où l'intelligence artificielle explose dans l'actualité. Les analyses qui prédisaient un rattrapage possible des États-Unis par des économies un peu moins avancées technologiquement ont-elles toujours cours ? Est-il toujours pertinent d'estimer que nous devons soutenir l'innovation et l'entrepreneuriat de façon à capter les gains de l'intelligence artificielle et des autres technologies ?
Je répondrai à certaines questions de manière générale. J'aurai plus de difficulté à traiter celles portant spécifiquement sur la France qui ne constitue pas ma spécialité.
S'agissant des politiques de soutien, nous estimons que les mesures mises en place, y compris en France, étaient appropriées au moment où la crise s'est déclarée. Si nous préconisons aujourd'hui de cibler, la question n'est pourtant pas si simple : qui doit-on cibler ? Les bas revenus ? Si on vise les coûts de l'énergie, une typologie de ménages peut se dessiner, mais c'est moins évident pour le transport, puisque d'autres types de ménages peuvent apparaître, notamment en zone péri-urbaine et rurale. Nous sommes justement en train de réaliser un rapport exhaustif référençant toutes les mesures de soutien et mettant en exergue des études de cas dans différents pays. Ce rapport sera probablement publié au moment de notre prochain point de prévisions économiques.
Le ciblage se lit selon deux facteurs. Premièrement, le coût fiscal et budgétaire, la France se situant à cet égard dans la fourchette haute, soit 4 à 4,5 % du PIB pour les mesures de 2022 et 2023, ce qui représente le double de la moyenne des pays de l'OCDE. Néanmoins, ce niveau reste comparable à celui des pays européens qui ont été le plus lourdement affectés. De plus, nous allons tenter d'améliorer des outils numériques visant à identifier les catégories de ménages les plus impactées. Deuxièmement, freiner la hausse des coûts de l'énergie, et notamment celle des énergies fossiles, brouille quelque peu le message envoyé pour la transition écologique. Ainsi, en Allemagne, les mesures compensatoires en direction des entreprises ont été réalisées sur seulement 80 % de la consommation moyenne des années précédentes, ce qui a poussé les ménages et les entreprises à réduire leur consommation énergétique. Cette démarche a contribué en définitive à la situation favorable que nous connaissons en matière énergétique.
Il serait erroné de dire que les salaires ont contribué à l'inflation, puisque c'est l'explosion du coût de l'énergie qui a été le premier facteur inflationniste. Néanmoins, les coûts unitaires du travail et ceux du capital ont contribué d'une certaine manière à renforcer l'inflation, les marges de profit ayant augmenté. On peut espérer que, comme c'est le cas généralement, les hausses de salaire fassent suite au rétablissement des marges.
Il faut néanmoins garder à l'esprit qu'un choc a eu lieu : un choc d'offre pour les petites et moyennes entreprises, et un choc de revenu, car la France reste dépendante des pays étrangers pour une bonne partie de son énergie. Or ce choc doit être absorbé quelque part. Comment ? Il faut garder un œil sur la productivité, qui peut amener une augmentation des salaires plus pérennes. Néanmoins, si nos rapports ont suggéré que nous pointions le risque d'une boucle prix-salaires, je pense que ce risque est beaucoup moins important aujourd'hui.
Quant à la question des taux d'intérêt, il est certain que ceux-ci ont un impact sur la demande, mais l'inflation aussi. J'estime donc que, s'il n'est peut-être pas nécessaire d'aller encore plus loin sur les taux d'intérêt, les diminuer dès aujourd'hui, comme si une page s'était tournée, serait un peu prématuré. Nous risquerions de devoir ensuite à nouveau les rehausser pour réduire les salaires.
Je vous remercie de rappeler que l'OCDE examine les enjeux bien au-delà du PIB, même si nous n'y procédons peut-être pas assez souvent. Ces enjeux importants de santé ou d'éducation ne sont pas suffisamment pris en compte dans le PIB. Nous menons un travail pour mieux intégrer dans les mesures des comptes nationaux des facteurs de distribution de revenus et de stock environnemental, mais cela prend du temps. Nous avons développé entre temps un ensemble d'indicateurs de bien-être qui sont utilisés dans beaucoup d'études. Néanmoins, je retiens qu'il faudrait effectivement plus souvent rappeler ces dimensions, qui plus est dans un contexte de transition environnementale et d'inclusion.
Existe-t-il un risque de course aux subventions ? Je pense que oui. Si certaines sont nécessaires pour développer des technologies vertes, une course désordonnée est à craindre à l'échelle internationale. Néanmoins, l'Europe a un réel intérêt à développer l'innovation et l'entrepreneuriat. D'ailleurs, l'une des principales entreprises ayant développé les semi-conducteurs très avancés est néerlandaise, donc européenne. Favoriser un écosystème favorable à l'innovation est en définitive fondamental, car toute mesure permettant de soutenir la productivité et l'emploi, et donc l'offre globalisée, contribue à réduire l'inflation.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 11 heures
Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Dominique Da Silva, M. Jocelyn Dessigny, Mme Alma Dufour, Mme Stella Dupont, Mme Sophie Errante, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, M. Patrick Hetzel, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Charlotte Leduc, M. Louis Margueritte, M. Bryan Masson, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Benoit Mournet, Mme Mathilde Paris, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Joël Giraud, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Charles Sitzenstuhl
Assistaient également à la réunion. - M. Mathieu Lefèvre, M. Jean-Luc Warsmann