Puisque nous disposons à présent de la totalité des chiffres pour l'année 2022, je pensais vous dresser un bilan au regard des perspectives que nous avions établies à l'échelle globale et pour les trois zones principales : Asie, États-Unis et zone euro.
Je souhaitais également vous donner un aperçu des forces qui soutiennent la tendance de l'activité et évoquer les principaux risques et les implications pour les politiques publiques macro-économiques.
La croissance mondiale s'est établie à 3,2 % en 2022, ce qui constitue un ralentissement assez net par rapport à l'année 2021, qui a connu une croissance de 6 %. De plus, la croissance se situe bien en deçà du niveau attendu au début de l'année et a été freinée par l'impact de la guerre en Ukraine, la crise du coût de la vie et le ralentissement de l'activité en Chine.
Cependant, les signes plus positifs qui ont commencé à apparaître nous amènent à revoir favorablement nos prévisions de novembre dernier. Nous notons ainsi un début d'amélioration de la confiance des entreprises et des consommateurs, une baisse des prix des produits alimentaires et de l'énergie plus rapide que prévu ainsi que la réouverture complète de l'économie chinoise. Pour autant, ces signes ne sont pas uniformes à travers les grandes régions et le constat reste celui d'une reprise fragile, avec des risques qui sont peut-être un peu moins orientés à la baisse, mais qui ne sont tout de même pas équilibrés.
La croissance mondiale devrait rester inférieure à son niveau tendanciel en 2023 et 2024, pour s'établir à 2,6 % et 2,9 % respectivement, alors que le resserrement des politiques monétaires et fiscales continuera de produire ses effets. Néanmoins, une amélioration progressive est prévue en 2023 et 2024, parallèlement à l'atténuation des conséquences produites par les prix élevés de l'énergie.
Aux États-Unis, la croissance annuelle devrait continuer à ralentir jusqu'à 1,5 % en 2023 et même moins de 1 % en 2024, la politique monétaire modérant les tensions liées à la demande.
La croissance dans la zone euro sera également modeste en 2023, mais les effets de la baisse des prix de l'énergie et de celle de l'inflation devraient l'aider à s'accélérer à 1,5 % en 2024, contre 0,8 % en 2023. Le creux arrive donc un peu plus tôt dans la zone euro comparé au profil des États-Unis, ce qui devrait également amener une amélioration dès 2024.
Un profil de croissance similaire est prévu pour la France, avec des taux de 0,7 % en 2023 et de 1,3 % en 2024, relativement faibles, bien qu'en légère amélioration. Ces taux sont en train d'être révisés : ils ne devraient pas connaître d'importantes modifications, si ce n'est une très légère amélioration.
En Chine, la croissance devrait rebondir pour atteindre 5,3 % cette année et près de 5 % en 2024, après un maigre résultat de 3 % en 2022. Par conséquent, les résultats dans les principaux pays émergents d'Asie devraient rester relativement solides, aidés par la réouverture complète de l'économie chinoise.
L'inflation globale diminue, mais l'inflation sous-jacente demeure élevée, sous l'effet de fortes hausses des prix des services, de l'augmentation des marges dans certains secteurs et de pressions à la hausse exercées sur les coûts, en raison de la situation tendue des marchés du travail. L'impact sur l'inflation est donc moins important pour les facteurs qui ont été à l'origine de cette dernière, c'est-à-dire la hausse du coût de l'énergie et des matières premières. Cependant, les effets d'inflation se sont déplacés vers d'autres secteurs, comme les services. L'inflation sous-jacente montre donc une certaine résistance, ce qui oblige à maintenir les politiques mises en place.
L'inflation devrait se modérer progressivement en 2023 et 2024, tout en restant supérieure aux objectifs des banques centrales jusqu'au second semestre de 2024. À la fin de l'année 2024, les taux d'inflation devraient revenir au niveau généralement visé par les banques centrales.
Quelles sont les forces qui soutiendront l'amélioration de l'activité dans les dix-huit mois à venir ? Notons tout d'abord que les prix de l'énergie, en particulier ceux du gaz et du pétrole, sont bien redescendus par rapport à leur pic de l'an dernier, même s'ils restent assez largement au-dessus de leur niveau d'avant la guerre en Ukraine. Même si les prix à la pompe sont à nouveau en hausse, cette redescente représente une atténuation du choc d'offre et de pouvoir d'achat intervenu en 2022
La réouverture de la Chine est susceptible d'avoir un impact positif sur la demande globale, bénéficiant d'abord à l'Asie, qui pourrait retrouver son dynamisme après un moment délicat fin 2022, mais aussi à l'Europe et à l'Amérique. La réouverture de la Chine peut aussi contribuer à réduire les tensions sur certaines chaînes de valeurs ou de production et donc à relâcher légèrement les contraintes d'offre et atténuer ainsi les pressions inflationnistes sur certains produits. Ces deux phénomènes conjugués peuvent en partie expliquer la remontée que l'on constate d'ores et déjà dans les indices de confiance des ménages et des entreprises. Ainsi, plus de la moitié des entreprises s'attend à une augmentation de l'activité. De plus, le marché du travail reste très dynamique à peu près partout, montrant des effets positifs sur les salaires, même si pour beaucoup de travailleurs, le salaire reste en décalage par rapport aux hausses de prix. Si nous ne constatons pas encore de hausse des salaires réels, nous observons néanmoins un rattrapage en cours, qui pourrait amener la situation à s'inverser.
De plus, la marge d'épargne existant encore chez les ménages pourrait contribuer à maintenir la consommation, notamment en France.
Pour ce qui est de l'inflation, la baisse des prix de l'énergie et des matières premières devrait continuer à se refléter dans les indices des mois à venir. Une baisse de l'inflation globale est donc attendue. Entre temps, la hausse plus soutenue des prix s'est généralisée à l'ensemble des biens et services. C'est la raison pour laquelle l'inflation sous-jacente reste élevée et mettra un peu plus de temps à redescendre. En outre, cette hausse empêche les banques centrales d'opérer une baisse des taux d'intérêt trop rapidement.
Quels sont les principaux risques ? L'amélioration des perspectives reste fragile. Les risques demeurent orientés à la baisse. En effet, l'incertitude qui entoure l'évolution de la guerre en Ukraine et ses conséquences dans leur globalité constitue un sujet de préoccupation majeure. En outre, des tensions pourraient réapparaître sur les marchés mondiaux de l'énergie, se traduisant par de nouvelles flambées des prix et une augmentation de l'inflation. Une forte remontée de l'activité en Chine et en Asie, qui constitue pourtant une bonne nouvelle, pourrait aussi amener de nouvelles tensions sur les marchés du gaz et du pétrole. S'agissant du gaz, la situation affecterait en premier lieu l'Europe, qui est plus vulnérable en matière d'approvisionnement.
L'éventuelle détérioration de la sécurité alimentaire dans les économies émergentes et en développement représente également un risque connexe. Malgré les baisses récentes, les prix des denrées alimentaires et des engrais restent en effet bien au-dessus des niveaux observés avant la pandémie. Ces marchés alimentaires restent ainsi vulnérables à la fois à une nouvelle perturbation des expéditions de céréales en provenance d'Ukraine et aux phénomènes météorologiques extrêmes, qui sont devenus plus fréquents.
Les tensions liées au commerce demeurent également préoccupantes : la couverture cumulée des restrictions à l'importation imposées par les économies du G20 continuant d'augmenter, par ailleurs plusieurs pays qui ne sont pas membres du G7 ont introduit de nouvelles restrictions à l'exportation de denrées alimentaires. Il s'ensuit une baisse de l'activité commerciale ayant des impacts sur l'économie.
La force de l'impact des changements de politique monétaire constitue une autre préoccupation majeure, qu'il est difficile d'évaluer, en particulier après une longue période de taux d'intérêt très bas. Les récentes turbulences à l'œuvre pour les banques américaines et européennes pourraient avoir des effets plus abrupts sur le ralentissement, via le canal de prêts aux entreprises, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Les banques ont en effet nettement resserré les conditions de prêts à cette catégorie d'entreprises, en réaction aux récentes turbulences financières. Ainsi, ce qui semblait frapper en premier lieu les ménages pourrait avoir un impact significatif sur les entreprises.
Enfin, s'agissant des implications pour les politiques monétaires, nous restons sur l'idée que les banques centrales ont terminé leur travail d'ajustement des taux d'intérêt visant à maîtriser le profil de l'inflation au regard des objectifs fixés. Néanmoins, si un resserrement rapide des conditions financières était observé, c'est-à-dire un accès plus contraint aux prêts pour les entreprises et les ménages, cette situation pourrait conduire à une augmentation moindre des taux d'intérêt que précédemment ou même à une baisse plus rapide que celle établie dans nos prévisions.
Nous attendons également un resserrement des politiques budgétaires, mais de manière plus modeste. Ce resserrement reflète essentiellement le fait que la baisse des coûts de l'énergie ouvre une fenêtre pour ralentir les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. Néanmoins, ce ralentissement visant à ramener les déficits vers des niveaux plus compatibles avec la soutenabilité des finances publiques devrait rester modéré et graduel.