Mercredi 1er février 2023
La séance est ouverte à 17 heures 02.
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
Pour cette deuxième audition de l'après-midi, nous accueillons M. Yves Marignac, Chef du pôle énergies nucléaire et fossiles de l'institut négaWatt. Nous vous remercions d'avoir instantanément accepté de venir vous exprimer devant notre commission d'enquête. En tant qu'expert, vous menez diverses études sur la transition au sein de l'institut négaWatt, qui prône la sobriété et l'efficacité, ainsi que le développement des énergies renouvelables. Vous avez dirigé WISE-Paris, que vous prenez soin de distinguer de WISE (World Information Service of Energy), et vous participez aux travaux de l'autorité de sûreté nucléaire (ASN). Vous avez participé aux travaux de la commission particulière chargée du débat public sur le projet de réacteur EPR. Vous avez été auditionné en 2018 par la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires et vous prenez régulièrement la parole sur ces sujets dans le débat public. Vous êtes le coauteur d'une annexe au « rapport Charpin-Dessus-Pellat », commandé par M. Lionel Jospin lorsqu'il était premier ministre, et que nous avons évoqué hier à l'occasion de son audition. Cette contribution traite de la sécurité énergétique, qu'elle examine successivement aux niveaux mondial, européen, des États-Unis et du Japon. Enfin, vous êtes le coauteur d'un livre intéressant, publié en janvier 2022, sous un titre accrocheur dans le débat politique en France : Peut-on se passer du nucléaire ?, organisé sous forme d'un débat avec un contradicteur, M. François-Marie Bréon. Le rapporteur et moi-même souhaitions vous entendre pour recueillir vos analyses intégrant les événements les plus récents.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure . »
(M. Yves Marignac prête serment.)
Merci, monsieur le président, pour cette invitation. C'est un honneur et un plaisir de pouvoir contribuer à vos réflexions.
Je commencerai par partager le constat, à l'origine de cette commission d'enquête, d'une forme de perte de souveraineté nationale, en commençant par la replacer dans le temps long. À l'époque des chocs pétroliers, qui restent « la mère » de toutes les batailles énergétiques des dernières décennies, la France a répondu, en premier lieu, par une politique d'économie d'énergie (la « chasse au gaspi »), en deuxième lieu, par une stratégie du « tout nucléaire » et du « tout électrique ». Assez rapidement, après le contre-choc pétrolier, ne perdurait déjà presque plus que le second volet de cette double stratégie, les politiques de maîtrise de l'énergie ayant été progressivement abandonnées. À l'issue de ces cinquante années, les productions domestiques, qui incluaient alors le charbon, l'hydroélectricité et le bois, et couvraient presque un quart de nos consommations d'énergie, n'en couvrent plus aujourd'hui que 17 % si l'on ne compte pas le nucléaire (elles en représentent 35 % si on l'inclut), ce qui est logique, dès lors que l'uranium utilisé dans les réacteurs provient en totalité de l'importation. La dépendance à l'uranium est certes de nature très différente de celle aux énergies fossiles, mais elle n'est pas sans implication géopolitique et stratégique non plus. Ainsi, le développement du nucléaire s'est paradoxalement accompagné d'une perte de souveraineté énergétique, dans la mesure où l'évolution des autres productions d'énergie et l'augmentation de la consommation ont conduit à renforcer notre dépendance, en proportion comme en volume, à des importations de ressources énergétiques.
Derrière cet indicateur agrégé doivent cependant être distingués divers facteurs plus représentatifs de la situation.
En premier lieu, la sécurité énergétique ne se pense pas seulement au niveau national et des frontières, mais aussi au niveau des territoires. Un système énergétique extrêmement concentré autour de quelques installations crée ainsi des dépendances énergétiques et économiques entre les territoires. Le système énergétique de notre pays, pourtant l'une des premières puissances mondiales, n'est ainsi pas capable d'approvisionner correctement l'ensemble de la population, 12 millions de personnes y étant concernées par la précarité énergétique. Or, cet enjeu d'une sécurité d'approvisionnement à l'ensemble des usagers est extrêmement important en matière de souveraineté énergétique
En deuxième lieu, la souveraineté se joue aussi dans le niveau de vulnérabilité de notre système énergétique, que ce soit à l'égard d'aléas externes ou de risques qu'il génère pour lui-même. Sur ce second aspect, la situation actuelle est particulièrement éclairante. Comme candidat à l'élection présidentielle, en 2012, puis comme président, François Hollande avait formulé l'engagement, notamment dans le débat de l'entre-deux tour, d'une réduction de notre double dépendance au pétrole et au nucléaire. Ce diagnostic était juste. Après la catastrophe de Fukushima, il identifiait le risque que faisait peser l'enjeu de sûreté du parc nucléaire sur la société française, et considérait qu'il était souhaitable de le réduire. Dans le débat national sur la transition énergétique qui avait suivi cette élection, le président de l'ASN de l'époque, M. Pierre-Franck Chevet, que vous avez auditionné récemment, avait souligné que le système électrique ne disposait pas des marges nécessaires pour faire face à un problème générique inattendu, qui conduirait à arrêter pour des raisons de sûreté une dizaine de réacteurs. Le problème de corrosion sous contrainte que nous avons rencontré nous a plongés dans cette situation. Faute d'avoir engagé les transformations qui auraient permis de diversifier les options pour renforcer la résilience du système électrique, nous payons cette vulnérabilité assez cher.
Par ailleurs, la situation en Ukraine a certes rappelé, d'une part, notre dépendance à l'égard des importations en hydrocarbures, mais aussi, d'autre part, la vulnérabilité que peut constituer pour notre propre système électrique et notre société, le fait de dépendre d'un parc nucléaire. Nous avons en effet été confrontés à la situation inédite de centrales nucléaires en zone de conflit, et à l'occupation de l'une d'elles, depuis bientôt un an, par une puissance occupante, qui l'utilise comme une forme d'arme passive de dissuasion.
La situation actuelle est plutôt celle d'une dépendance accrue au nucléaire, comme en témoigne la volonté de prolonger toujours davantage les réacteurs nucléaires. On pourrait parler d'une forme d'« addiction », qui conduit aujourd'hui à des réactions paradoxales.
La difficulté du système électrique observée cet hiver est liée, d'une part à cette vulnérabilité du parc nucléaire standardisé pour les réacteurs nucléaires existants, d'autre part, au dixième hiver consécutif de retard de mise en service du réacteur Flamanville 3. Il est étonnant que, dans cette situation, le réflexe politique soit d'en appeler à davantage de nucléaire, à une prolongation plus longue des réacteurs, et au déploiement d'un nouveau programme de réacteurs EPR2 qui n'existe en réalité encore que sur papier, et reste peu avancé en termes de conception. Ce réflexe conduit à des risques importants, puisqu'il projette de renforcer la dépendance du système électrique à un parc nucléaire vieillissant, donc de plus en plus vulnérable aux problèmes génériques, et à de nouveaux réacteurs pour lesquels le retour d'expérience de Flamanville montre qu'il faut prendre en compte une incertitude d'une dizaine d'années en prévoyant leur date de mise en service.
Un deuxième paradoxe est celui de l'appel à un « plan Marshall », selon les termes du président de l'ASN au printemps dernier, et du président d'EDF alors en exercice, Jean-Bernard Lévy, à l'automne. Lors d'une audition par la commission d'enquête sur la sûreté nucléaire en 2018, Jean-Bernard Lévy avait pourtant expliqué qu'EDF était comme un cycliste qui doit pédaler pour ne pas tomber : lui fixer l'objectif de nouveaux EPR était nécessaire au maintien de ses compétences. Or, au moment où le président de la République, dans son discours de Belfort, fixait à la filière nucléaire les objectifs qu'elle avait depuis longtemps demandés pour maintenir ses compétences, le réflexe a été de dire que la filière n'était pas en état de les atteindre, et d'en appeler à ce plan Marshall, dont la faisabilité et la pertinence peuvent être questionnées. Le président de l'ASN a ainsi déclaré que la filière nucléaire n'était pas en état d'atteindre de façon sûre ces objectifs.
Face à ces constats et à cette difficulté, un troisième paradoxe a tenu à la tentative incroyable des responsables de la filière nucléaire de réécrire l'histoire des dix dernières années, au prix de dérives parfois complotistes, afin de s'exonérer de leurs responsabilités dans la triple crise énergétique, industrielle et financière où est plongée la filière nucléaire.
Dès les années 1970-1980 et le déploiement du programme nucléaire, la prévision extrêmement ambitieuse par EDF d'un doublement de la consommation d'énergie tous les dix ans a conduit, d'une part, au déploiement d'une surcapacité nucléaire par rapport aux besoins en base, d'autre part, à un déséquilibre de la pyramide des âges du parc, faisant que sa maintenance, son renouvellement et son renforcement font l'objet, quelles que soient les options retenues, de pics extrêmement importants et difficiles à gérer. Le choix du « tout nucléaire, tout électrique » a également conduit à un développement massif du chauffage électrique, qui crée un phénomène de pointe hivernale extrêmement important, et une dépendance à l'égard du « gradient thermique ». Le nucléaire, ainsi en surcapacité par rapport à la base, est néanmoins en sous-capacité par rapport à cette pointe.
Dans les années 1990-2000, la stratégie devient davantage financière qu'industrielle, malgré le lancement de Flamanville 3 pour préparer le renouvellement du parc. Le rythme initialement prévu par EDF pour ce renouvellement est ainsi rapidement abandonné au profit d'une prolongation au-delà de quarante ans, dont un calcul financier permet de prévoir l'obtention d'économies massives, à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d'euros d'investissements à l'époque. Pour compenser cette absence de nouveaux projets en France, des relais de croissance sont recherchés à l'exportation (avec AREVA et « l'équipe de France du nucléaire »), qui en réalité ne se matérialisent pas, ou ne le font que comme facteurs de charges et de pertes, plutôt que de profits et de capacités de financement.
Enfin, face à cette situation de crise, les années 2010-2020 sont celles d'une forme de « fuite en avant » dans la trajectoire électrique. Faute d'avoir diversifié les options, il apparaît de plus en plus difficile de fermer des réacteurs, et la seule réponse politique consiste à prolonger toujours plus leur durée de vie. L'absence de déploiement industriel du projet Flamanville 3, en conséquence des choix des années 1970 et 1980, mais aussi des choix financiers ultérieurs, induit simultanément une perte de capacité industrielle et d'autofinancement.
Face à l'ensemble de ces constats, il nous semble que la stratégie reposant sur davantage de prolongations, encore plus longtemps, des réacteurs, et sur de nouvelles constructions, constitue un risque évident pour la sécurité du système électrique dans les années à venir, et porte en elle le risque d'une perte supplémentaire de souveraineté énergétique.
À l'inverse, l'option retenue par le scénario négaWatt, consistant à réduire nos besoins globaux en énergie (grâce à davantage de sobriété et d'efficacité énergétiques, pour des raisons climatiques), et à nous appuyer à terme sur 100 % d'énergie renouvelable locale (ce qui constitue aujourd'hui une trajectoire réaliste), est porteuse de beaucoup moins de risques et de beaucoup plus de souveraineté et de sécurité énergétiques à long terme. Elle est également confortée par la réponse favorable apportée par une partie de la population à l'appel à la sobriété cet hiver.
Sur quels éléments vous appuyez-vous pour mesurer la réponse de la population à cet appel à la sobriété ? Aucun détail suffisamment précis ou suffisamment récent des efforts de consommation énergétique réalisés cet hiver ne m'a pour ma part encore été présenté, notamment en matière électrique.
Ce point est évidemment très important. À conditions équivalentes, donc après correction climatique, la diminution de la consommation énergétique est estimée à près de 10 %, ce qui est très significatif. Il reste néanmoins difficile d'en identifier tous les facteurs, et nous sommes lucides à cet égard.
Un premier facteur de cette baisse tient malheureusement à l'impact de l'envolée des prix sur les entreprises, ce qui se mesure en premier lieu au niveau des entreprises « énergo-intensives », du réseau de transport plutôt que de distribution. Cette part de la baisse n'a pas vocation à être pérenne. Il faut au contraire donner à nos entreprises les moyens d'être plus résilientes face à ce type d'évolution des prix.
Une autre part de cette baisse tient également à une augmentation de la précarité énergétique, liée à l'augmentation des prix, qui fait qu'un nombre croissant de ménages rencontre des difficultés à se chauffer. Cette part est toutefois limitée par un recours massif à des mécanismes de bouclier tarifaire.
Enfin, une part de cette réduction tient très probablement à des démarches d'économies volontaires, même si elles étaient aussi motivées par les hausses de prix.
S'agissant des ménages, en effet, ces propos ne peuvent être que spéculatifs. Nous nous appuyons sur de premières enquêtes, mais une analyse statistique de la part des différents facteurs dans la baisse constatée chez les ménages est presque impossible, car il faudrait croiser ces facteurs avec les catégories socioprofessionnelles, les niveaux de revenu, les lieux d'habitation, etc. des ménages concernés. Une analyse de leurs motivations passera probablement plutôt par la réalisation d'enquêtes sociologiques, par questionnaires.
Une partie de cette baisse de consommation énergétique vient toutefois aussi des actions menées par les collectivités, dans leurs parcs de bâtiments, et par les entreprises. Il est ici plus facile, pour les membres de négaWatt notamment, de suivre et d'observer, à l'échelle des territoires, les mesures mises en œuvre : elles reposent en effet sur le déploiement d'outils et de dispositifs qui rendent ces mesures visibles, mais aussi davantage pérennes.
Vous confirmez donc que nous ne disposons pas encore de chiffres précis à cet égard. Or, il s'agit d'éléments très importants pour l'analyse future des leviers en matière de sobriété énergétique.
Nous doutons de la possibilité de mener à bien une telle analyse statistique.
Pourriez-vous nous rappeler la part de l'électricité dans la consommation énergétique en France, dans les autres pays comparables, et à l'échelle de l'Europe ? Il faudrait sans doute pouvoir expliquer une spécificité française dans ce domaine.
Je ne dispose malheureusement pas ici des chiffres relatifs à la part de l'électricité dans les autres pays européens. J'aurais dû les prévoir. Comme vous le savez, la particularité du nucléaire d'avoir un rendement d'un tiers entre la chaleur et l'électricité tend à survaloriser cette énergie par rapport aux autres formes de production d'électricité, si on la rapporte à la consommation primaire d'énergie. C'est pourquoi il faut rapporter la consommation d'électricité en France à la consommation finale d'énergie : elle en représente alors environ 25 %. Je ne suis pas en mesure de dire si la situation est significativement différente dans les autres pays ou à l'échelle européenne. En revanche, la part de l'électricité est partout en augmentation, du fait qu'il s'agit du vecteur énergétique le plus facile à décarboner, et que l'électrification des usages (notamment en matière de mobilité) va souvent de pair avec une efficacité croissante.
Vous avez pourtant semblé dire dans votre propos liminaire que le parti-pris français avait conduit à une « surélectrification » de certains usages. Néanmoins, vous semblez dire que la part de l'électricité dans la consommation d'énergie ne présente pas en France de différence significative à l'échelle européenne.
La décomposition sectorielle de la consommation d'électricité peut varier fortement selon les pays européens. Ainsi, les pays du Sud pourront être moins dépendants du chauffage électrique, mais dépendre beaucoup de l'électricité pour d'autres usages. Dans d'autres pays, c'est l'industrie qui sera beaucoup moins électrifiée. Le niveau moyen de consommation d'électricité pourra néanmoins être homogène entre les pays, et partout en croissance.
À cet égard, la singularité de la France vient notamment du chauffage électrique, qui représente aujourd'hui 30 des 90 gigawatts généralement appelés en période de pointe. D'après les évaluations de RTE, qui font foi en la matière, le gradient thermique en France est de l'ordre de 2,4 gigawatts par degré en moins l'hiver, et cette sensibilité thermique de la France représenterait la moitié de la sensibilité thermique de la plaque électrique européenne.
Lorsque je parlais d'un développement stratégiquement problématique de la consommation d'électricité en France, je pensais donc essentiellement à cette part du chauffage électrique, qui s'est développée, d'abord pour renforcer l'indépendance énergétique en remplaçant le chauffage au fuel, mais très rapidement ensuite pour donner des débouchés à une production nucléaire à l'époque structurellement surcapacitaire. Cela s'est traduit au fil des années par un différentiel d'exigence dans la réglementation thermique, dont résulte aujourd'hui le grand nombre de convecteurs électriques peu performants qui équipent des bâtiments résidentiels et tertiaires dont l'enveloppe est elle-même peu performante.
Le scénario négaWatt recommande ainsi une rénovation complète de l'ensemble du parc bâti d'ici 2050, car nous l'estimons indispensable pour notre sécurité énergétique, au regard des enjeux climatiques, et du point de vue social, compte tenu des réductions de facture énergétique qu'elle pourra entraîner. Cette amélioration de la performance du bâti s'accompagne encore d'une pénétration importante du chauffage électrique, qui atteint 60 % dans le résidentiel, mais sous forme de pompes à chaleur, elles-mêmes performantes. Alors que notre scénario renforce ainsi la part du chauffage électrique (performant dans des bâtiments isolés), de la mobilité électrique et de l'électrification de l'industrie (qui passe de 28 % aujourd'hui à 50 % dans notre scénario en 2050), cela se traduit par une réduction de la pointe électrique, qui est ainsi ramenée à 60 gigawatts, ce qui redimensionne totalement le problème.
Plusieurs auditions nous ont permis de bien distinguer la question de l'électrosensibilité de notre système électrique (correspondant au gradient de 2,5 gigawatts environ par degré) de celle de la pointe, qui n'est pas liée au même appel. Il existe une pointe tous les jours, quelle que soit la température, mais le seuil augmente en fonction de la température : la demande de base évolue en fonction du gradient thermique.
La France dispose d'une réserve d'énergie électrique, grâce à l'optimisation possible du parc de chauffage électrique. Cette disponibilité de capacités électriques à d'autres fins est-elle également présente ailleurs en Europe ?
Les autres pays européens n'ont pas la même réserve de réduction de leurs besoins électriques. L'augmentation des besoins en part relative produite par l'électrification peut toutefois se traduire, selon les circonstances, par une augmentation ou par une réduction des besoins en valeur absolue. À cet égard, des réserves pour réduire les besoins en valeur absolue tout en maintenant le principe d'électrification existent sans doute aussi dans d'autres pays, notamment en matière d'électrification industrielle, qui est probablement moins poussée dans d'autres pays que dans le nôtre.
L'association négaWatt collabore depuis plusieurs années avec différents partenaires au scénario européen Collaborative Low Energy Vision for the European Region (CLEVER). Ses résultats préliminaires ont été publiés en décembre. Ils seront complétés pour le milieu de l'année. Nous pourrons en tirer des éléments dans le cadre d'une contribution écrite si vous le souhaitez, mais j'ai préparé cette audition en me concentrant sur la situation française.
Si les pointes de consommation observées quotidiennement à certaines heures de la journée nécessitent des moyens de flexibilité ou de stockage infrajournaliers qui posent relativement peu de problèmes de gestion du système électrique, le chauffage électrique en revanche génère une variabilité intersaisonnière, plus difficile à maîtriser, et qui nécessite de le réduire.
Les organismes que vous avez auditionnés vous ont sans doute signalé la nécessité de renouveler notre système électrique, ce qui constitue un chantier d'une ampleur considérable. RTE dit souvent que l'essentiel du système électrique de 2050 reste à construire, quels que soient les choix retenus. Tout effort visant à réduire les effets de pointe a un effet dimensionnant de premier ordre. La rénovation thermique complète et performante des bâtiments (inclus les bâtiments électriques) constitue de ce point de vue un levier essentiel de sécurité électrique et énergétique à moyen et long terme. Malheureusement, ce n'est pas un levier qui s'actionne rapidement, et les contraintes actuelles nécessitent de trouver des leviers plus rapides à mobiliser.
Nous avons compris que le réseau énergétique est interconnecté et interdépendant, et que le parc nucléaire de la France, lorsqu'il est disponible normalement, la met en situation d'être fournisseuse d'électricité à l'échelle de l'Europe. Pour atteindre les objectifs de décarbonation qui nous engagent collectivement, la France pourrait donc se contenter de maintenir ses moyens de production déjà décarbonés, de réduire ses exportations et d'optimiser son usage interne de l'électricité. Nos voisins, qui ne disposent pas des mêmes marges, devront probablement en revanche construire des capacités tout en décarbonant leurs capacités actuelles. Malheureusement, il ne semble pas exister de réelle programmation stratégique à cet égard au niveau européen.
Vous avez raison. Les stratégies énergétiques des pays européens diffèrent sur des points fondamentaux, comme celui de la place du nucléaire, et il n'existe pas de vision européenne coordonnée et cohérente sur ces enjeux.
La plupart des pays européens, notamment les plus avancés dans le déploiement des énergies renouvelables, ont jusqu'ici beaucoup compté sur une réserve exportatrice et une réserve importatrice. En Allemagne, notamment, le développement massif des énergies renouvelables a reposé, non sur une transformation, mais sur les ajustements rendus possibles par le maintien de la capacité carbonée, dont la part a certes été réduite dans la production d'électricité interne, mais dont le surplus a été destiné à l'export. Or, il n'est pas possible que chaque pays européen compte ainsi sur un solde exportateur pour développer ses nouveaux moyens de production sans fermer les moyens anciens. C'est seulement récemment que l'échéance de la fermeture du parc charbon allemand a été avancée à 2030.
En développant fortement leurs énergies renouvelables, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne ou le Portugal ont toutefois pris de l'avance sur la France dans le renouvellement du système électrique construit par l'Europe dans les années 1970. Cette avance leur permettra de fermer leur parc charbonné, et de disposer de gains de compétitivité importants, car les énergies renouvelables une fois installées, leur coût marginal de fonctionnement est extrêmement faible.
Enfin, cette avance leur permettra un certain nombre d'innovations et d'évolutions. Ces dix dernières années, la performance de l'énergie photovoltaïque a été multipliée par 10, celle de l'éolien par 3. Au-delà de ces progrès de performances, qui se poursuivront, quoique sans doute pas au même rythme, de nombreuses innovations concernent la participation des énergies renouvelables au fonctionnement des systèmes électriques, à travers notamment les expériences récentes de « Grid Forming » (c'est-à-dire de fonctionnement synchrone de différents équipements électroniques pour fournir une réactivité aux systèmes électriques) dans les fermes éoliennes offshore en Écosse. Lorsqu'en France on envisage de mettre en service de nouveaux EPR en 2035 (et plus vraisemblablement en 2037), leurs performances ne doivent pas être comparées à celles des systèmes fondés sur les énergies renouvelables disponibles aujourd'hui, mais à celles des systèmes reposant sur les énergies renouvelables qui pourront être engagés en 2030.
Les modèles énergétiques qui se construisent ne sont pas toujours entièrement choisis : ils résultent aussi d'une somme de choix passés. Quel que soit le modèle électrique du futur, la question des interconnexions, donc des réseaux de transport, avec la fonction assurantielle commune qu'ils impliquent au niveau européen, sera centrale pour lui. Comment envisagez-vous l'évolution du réseau de transport, qui est jusque-là basé sur de gros points de production, qu'il faut ensuite remonter lorsqu'il s'agit de diffus ? Nous avons appris lors de l'une de nos auditions qu'il fallait plus de temps encore pour mettre en œuvre ces interconnexions que pour mettre en place un EPR.
Le facteur temps est d'autant plus déterminant que l'on parle de gros équipements et de grosses infrastructures. Les publications scientifiques sur les leviers de massification de la transition énergétique insistent de plus en plus sur le fait que les solutions à petite échelle sont davantage susceptibles d'apporter des transformations plus rapidement, car elles peuvent être multipliées et que chacune, individuellement, peut être mise en œuvre plus rapidement. Cela présente également l'avantage de diluer le risque que ces solutions échouent ou rencontrent des difficultés.
Il faut distinguer deux problématiques. La première, qui se joue sur le temps long, est celle du renforcement du réseau de transport et des interconnexions à l'échelle européenne pour faire face aux fluctuations plus grandes de la production, notamment renouvelable : ce renforcement suppose une vision coordonnée des États européens et une mutualisation bien comprise de leurs moyens de production.
La deuxième est celle de l'adaptation du réseau de distribution à l'intégration notamment des énergies renouvelables, qui peut se faire sur un temps beaucoup plus rapide. Elle n'en reste pas moins difficile et coûteuse.
Entre ces deux problématiques s'insère la nécessité de prendre davantage en compte la dimension territoriale, tout en tenant compte de la nécessité (essentielle selon négaWatt) d'une péréquation tarifaire au niveau national. Les stratégies énergétiques doivent être davantage régionalisées, à la fois pour mieux valoriser les potentiels renouvelables locaux et pour laisser aux collectivités un pilotage plus actif du niveau de consommation d'énergie des territoires. Dès lors, la question de la mutualisation et de la cohérence des stratégies territoriales à travers le réseau de transport, à une échelle intermédiaire entre les grandes interconnexions européennes et l'échelle diffuse des réseaux de distribution, est essentielle. Nous répétons souvent ainsi à RTE qu'il doit devenir un opérateur national, garant de la cohérence du réseau, mais au service du développement territorial de chaque collectivité.
Même la ressource renouvelable est parfois concentrée elle aussi. Avec le rapporteur, nous venons par exemple de régions où l'éolien offshore ne sera jamais présent, et où les frontières physiques avec nos voisins européens sont plus difficilement franchissables. Il est tout aussi difficile de faire traverser le Rhin à un réseau de distribution qu'à un réseau de transport. Or, la France a cette particularité d'avoir beaucoup de frontières physiques. Je préfère éviter le terme de « frontière naturelle », qui renvoie à un passé historique désagréable.
Les fleuves et les massifs montagneux constituent en effet de vraies frontières physiques pour le réseau.
Le scénario négaWatt insiste beaucoup sur « l'équilibre des vecteurs énergétiques ». Partant du constat que notre consommation finale d'énergie repose à plus de 60 % sur les énergies fossiles, et notamment sur la combustion, nous soulignons la nécessité de décarboner la combustion en complément de son remplacement par de l'électricité elle-même décarbonée. Nous insistons à cet égard sur le rôle de la biomasse énergie, sous différentes formes.
Si, en matière d'électricité, les enjeux pour maîtriser les besoins en renouvellement du système portent essentiellement sur la sobriété et l'efficacité ; en matière de biomasse, les enjeux concernent les contraintes croisées, le stress du changement climatique sur la forêt, et la disponibilité de ressources agricoles en priorité pour des usages alimentaires et pour des biomatériaux, puisque notre scénario intègre une vision complète en empreinte des besoins en matière première de l'économie française. Pour autant, un potentiel très important est également à mobiliser dans le développement du bois énergie dans des conditions locales, et le développement du biogaz, là aussi sous forme de « biogaz de terroir » (selon l'expression heureuse de l'un de nos spécialistes), c'est-à-dire en organisant la filière biogaz d'une manière adaptée à la spécificité de chaque territoire agricole. Pour des raisons d'optimisation des contraintes, des potentiels et des impacts, il nous paraît en effet plus facile de mobiliser ces ressources que de continuer à développer l'électrification, au risque de rendre critiques les besoins en réseaux, mais aussi en batteries, et en matériaux associés, à commencer par le cuivre.
Cette logique d'optimisation de l'affectation des ressources aux usages à travers les différents vecteurs tient également compte des infrastructures de réseaux existantes. Ainsi, le gaz, même devenu renouvelable à terme, est remplacé dans les bâtiments par l'électrification, afin de privilégier l'emploi de ce gaz dans des process industriels difficilement électrifiables, et dans une partie des transports. En effet, notre scénario, publié avant l'interdiction européenne des véhicules thermiques à 2035, considère que le tout électrique pose question dans la mobilité longue distance, et maintient dans ce domaine une part de véhicules hybrides (donc alimentés en partie au gaz renouvelable), mais surtout pour le fret, considérant que l'électrification massive du transport routier posera énormément de problèmes de matériaux, et/ou de réseau. Cela permet aussi de maintenir la valeur de l'infrastructure du réseau de gaz.
Une synergie entre les réseaux et les vecteurs est enfin recherchée à travers notamment le « power-to-gas », c'est-à-dire la production d'hydrogène par électrolyse à partir d'électricité excédentaire (relativement facile à produire grâce au développement du photovoltaïque). Cet hydrogène servirait avant tout aux besoins en matière première, plutôt qu'en énergie : il remplacerait l'hydrogène produit aujourd'hui à partir de gaz fossile (au prix d'une grande production de CO2), et pourrait être maintenu sous forme d'hydrogène, ou recombiné avec du CO2 (typiquement issu de la purification du biogaz) pour produire du méthane de synthèse, qui pourrait marginalement servir à une production d'électricité permettant d'assurer la sécurité du système électrique.
Le développement du biogaz dans vos scénarios implique donc une part importante d'intensification agricole.
Ce développement va plutôt de pair avec une évolution des pratiques agricoles pour les rendre plus soutenables. Les intrants de la méthanisation, voire à terme de la pyrogazéification, sont des co-produits ou des sous-produits de la production agricole, ce qui signifie qu'il n'y a pas dans notre scénario (au-delà de l'existant déjà destiné aux biocarburants, que nous réservons à la décarbonation extrêmement difficile de l'aérien) de surface agricole dédiée à la production de biomasse énergie.
J'ai seulement parlé d'intensification agricole. Lavoisier disait : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Même à surface agricole constante, utiliser le biogaz revient à appauvrir les co-produits agricoles avant qu'ils retournent au sol. Il s'agit donc bien d'intensification : on sort davantage du même mètre carré de terres arables.
Vous m'amenez sur un terrain dont je ne suis pas spécialiste. Toutefois, négaWatt dispose de spécialistes dans ce domaine. En s'appuyant notamment sur le scénario Afterres de l'association Solagro, ils assurent que, loin d'appauvrir le cycle organique qui soutient les cultures agricoles (et de renforcer ainsi les besoins d'intrants chimiques), développer une filière biogaz est de nature à régénérer les sols, si l'on crée à cette fin des cultures intermédiaires, qui font partie des coproduits et sous-produits que j'évoquais.
Une culture intermédiaire signifie qu'on récolte un champ trois fois par an, plutôt que deux fois.
Quel rôle joue la rareté des matériaux dans votre scénario, et comment y contraint-elle les mobilités et les usages énergétiques ?
La question de sécurité ou de la souveraineté énergétique doit être posée, non seulement au regard des besoins en importation de matières énergétiques, mais aussi des besoins en importation de matériaux minéraux. À cet égard, le scénario négaWatt est fondé sur le modèle d'entrées-sorties négaMat, qui permet de tracer l'évolution de l'empreinte complète en matières premières de l'économie française, et ainsi de resituer l'enjeu des matières critiques pour les énergies renouvelables (ou pour les options de la transition) dans une évolution plus globale.
Les options de sobriété et d'efficacité retenues dans le scénario négaWatt permettent de réduire de 30 % l'empreinte matières premières de l'économie française dans son ensemble, même si cette diminution n'est pas uniforme et les besoins augmentent au contraire en certaines matières, comme le cuivre ou le lithium, notamment, qui servent aux batteries. Le scénario négaWatt s'est néanmoins fixé comme critère que la consommation cumulée de 2020 à 2050 d'aucune matière ne dépasse la part française actuelle rapportée à la population mondiale des réserves prouvées. Cette part n'est pas la même selon que l'on parle du cuivre ou du lithium, mais elle n'est dépassée pour aucun de ces matériaux, qui sont ceux dont la consommation s'en rapproche le plus dans notre scénario.
Les besoins critiques dans notre scénario viennent beaucoup plus de la mobilité ou (hors transition numérique) d'enjeux comme le numérique (qui exerce une pression forte sur les métaux rares et les terres rares) que des énergies renouvelables, qui sont certes plus consommatrices de matériaux pour une même capacité de production que le nucléaire ou les centrales thermiques, mais qui présentent peu d'enjeux associés aux terres rares ou aux matériaux rares (même s'agissant par exemple du graphite). Le seul élément rare sur lequel elles font peser un enjeu est le néodyme, qui fait aujourd'hui partie des éléments permanents des éoliennes offshore. Toutefois, il existe aujourd'hui des alternatives technologiques qui permettraient de s'en passer.
En revanche, les énergies renouvelables ont un impact significatif sur des matériaux davantage de masse, comme l'acier ou le béton. Ainsi, elles représentent 9 % de la consommation totale d'acier à 2050, mais dans le cadre d'un scénario global qui permet de réduire de 20 % la consommation nationale d'acier, qui reste ainsi très en deçà du seuil critique que nous nous sommes fixé.
Ma question ne portait pas seulement sur votre scénario. Vous paraissez confiants sur notre capacité à contenir nos besoins en approvisionnement en matériaux rares en amont du cycle énergétique, mais quels en seraient les effets en aval, c'est-à-dire sur la vie quotidienne des gens ? Cet enjeu est assez rarement examiné.
Les éléments chiffrés que je vous ai fournis, y compris sur les capacités de production électrique nécessaires, valent seulement dans le cas où la sobriété et l'efficacité prévues par notre scénario s'appliquent.
Les enjeux de l'électrification portent cependant surtout sur l'aval ou le diffus, c'est-à-dire sur les besoins en cuivre et en matériaux pour le réseau, la mobilité et le transport électriques notamment. À cet égard, notre scénario envisage les hypothèses suivantes, qui réduisent de manière significative les besoins en batteries associés au transport : une absence d'électrification massive du fret ; une réduction globale du nombre de véhicules légers grâce à des solutions d'autopartage ou de covoiturage ; un allégement des véhicules, notamment dédiés à la mobilité urbaine.
Malgré ces hypothèses, les besoins en lithium approchent encore dans notre scénario le seuil fixé de la part française des réserves prouvées, au-delà duquel la pression extractive est moins maîtrisable nationalement. L'électrification des usages sans sobriété ni efficacité risque ainsi d'engendrer des problèmes aujourd'hui mal évalués de criticité sur certains matériaux.
Je suis à la fois salarié de l'association négaWatt (dont je suis le porte-parole), et de sa filiale, l'institut négaWatt (où je suis chef du pôle d'expertise énergies nucléaire et fossiles). L'institut a un statut d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), à actionnaire unique, qui est l'association.
Sous sa forme d'institut ou d'association, négaWatt participe-t-elle à l'élaboration des schémas publics de stratégie énergétique : notamment les schémas RTE, ou d'autres stratégies ministérielles ?
Chaque fois que nous pouvons, nous participons, au même titre que tous les acteurs de la concertation, aux différents exercices menés par RTE, mais aussi, lorsque nous sommes sollicités, au débat public, par exemple sur le programme de nouveaux réacteurs. Nous avons participé en tant qu'experts au forum des jeunesses sur l'avenir du mix énergétique, qui s'est tenu il y a deux semaines sous l'égide du gouvernement dans le cadre de la concertation sur l'avenir du système énergétique. Nous avons généralement le sentiment d'être écoutés, comme les autres acteurs, et que la robustesse de notre expertise est reconnue, mais aussi que nous ne sommes pas toujours suivis, et heureusement, puisque ces exercices cherchent à capter l'ensemble des visions.
C'est l'association qui, dans son objet statutaire, a vocation à y participer.
Comment se construit le financement de l'association ? Les éléments succincts de publicité fournis sur votre site internet font état de subventions d'exploitation, mais aussi de mécénat et de partenariats d'entreprises. Êtes-vous transparents à cet égard ?
Oui : nos rapports d'activité et nos rapports financiers sont publics et disponibles sur notre site. Nos interventions en matière de plaidoyers sont régulièrement déclarées à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, ce que ne font pas toutes les associations opérant dans notre champ.
Nous avons pour la première fois dépassé en 2022 le million d'euros de budget. Ce budget incluait les principales sources de financement suivantes : GRDF et RTE, dans le cadre de partenariats (pour moins de 5 %) ; le mécénat (pour 7 %) qui représente une part deux moindre de celle représentée par les contributions des adhérents ; les dons des adhérents (pour environ 15 %), qui sont tous des personnes physiques, aucune personne morale ne participant ainsi à la gouvernance de négaWatt ; les fondations, notamment la fondation européenne pour le climat (ECF) (à hauteur de 25 %) ; l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), dans le cadre de partenariats sur le développement d'outils, par exemple sur les matériaux (à hauteur de 12 %).
Les développeurs renouvelables (français et étrangers) représentent moins de 2 % de notre financement.
Cette transparence est relative, puisque votre compte de résultat 2021 (disponible sur votre site internet) fait état de 20 % de financement issu du mécénat et de partenariat d'entreprises, donc de personnes morales. Nous apprécierions également de disposer de chiffres absolus, et non seulement de pourcentages. Vous intervenez parfois sur ces questions de transparence par ailleurs.
Vous avez été membre en 2012 du secrétariat général du débat national sur la transition énergétique, l'organe directeur de ce débat, l'année même où vous êtes lauréat d'un prix du Nuclear free future award (NFFA), qui récompense (selon les termes de l'association) les « activistes souhaitant la sortie du nucléaire ». La formation de ce débat a-t-elle résulté d'un choix politique d'y représenter la variété des positions possibles, et comment ses conclusions ont-elles été accueillies par les ministres de l'époque ?
J'ai en effet reçu le NFFA en 2012, mais dans la catégorie « Solutions », pour « avoir contribué par mon expertise rigoureuse au développement du scénario négaWatt », qui dessine la possibilité d'une trajectoire 100 % renouvelable pour la France, ce qui, pour l'organisation qui décerne ce prix, contribue à la conception d'un monde sans nucléaire à long terme. On est donc assez loin d'un prix décerné à un activiste antinucléaire, ce que je ne suis pas.
Le secrétariat général du débat national sur la transition énergétique constituait une petite équipe autonome au sein du cabinet de la ministre de l'écologie de l'époque, Mme Delphine Batho. Sous l'égide d'un comité de pilotage du débat, présidé par Mme Batho, et où siégeaient notamment Mmes Laurence Tubiana et Anne Lauvergeon, ce secrétariat général était chargé de faciliter la mise en œuvre du débat. J'y ai notamment contribué sur la partie « expertise », qui ne représentait qu'un volet du débat, avec le conseil national du débat, réunissant les différentes parties prenantes ; un dispositif citoyen ; et un volet dédié aux territoires d'outre-mer. J'ai notamment aidé à constituer le groupe d'une cinquantaine d'experts (dont M. Jean-Marc Jancovici, parmi d'autres que vous avez auditionnés ces dernières semaines) retenus pour éclairer ce débat sur les scénarios possibles, sous la présidence de M. Alain Grandjean.
Ce débat, d'une manière générale, portait sur les conditions de mise en œuvre d'une transition énergétique incluant l'objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire à 2025. Le fait que cet objectif n'ait pas été soumis au débat, mais ait fait partie de son cahier des charges, avait d'ailleurs suscité plusieurs réactions et difficultés.
Une douzaine de recommandations principales, chacune déclinées en plusieurs propositions et mesures, avaient finalement été adoptées par consensus par le conseil national du débat. Elles préfiguraient notamment les objectifs de rénovation thermique des bâtiments ou de sobriété dont on sait aujourd'hui qu'ils sont essentiels à la transition énergétique. Le groupe d'experts avait notamment analysé l'ensemble des scénarios existants pour les rassembler en quatre familles, avant d'examiner s'ils permettaient ou non d'atteindre les objectifs climatiques. C'est ici notamment qu'une baisse de 50 % de la consommation finale d'énergie est apparue nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques, ce qui a conduit à inscrire cet objectif dans la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte de 2015, l'objectif d'une baisse de 20 %, qui était porté par certains scénarios, apparaissant à l'inverse insuffisant.
Vous appartenez depuis 2008 à un groupe de travail sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), et depuis 2014 à des groupes permanents d'experts au sein de l'ASN sur les réacteurs nucléaires, les laboratoires et les usines, ainsi que les équipements sous pression nucléaire. Vous êtes donc « un puits de science » en matière de sûreté nucléaire. Or, vous déclarez qu'elle traverse aujourd'hui une « crise systémique ». Quels faits techniques et scientifiques vous paraissent problématiques pour la sûreté de nos centrales ? Le président de l'ASN, que nous avons auditionné récemment, semblait davantage satisfait, et ne pas réellement percevoir une crise.
Je participe à des groupes permanents d'experts auprès de l'ASN, et non en son sein. Les experts y siègent intuitu personae, et non en tant que représentants de leurs associations.
M. Pierre-Franck Chevet avait dit un jour que, s'il était élève, il ne se satisferait pas d'une appréciation « globalement satisfaisant ». Cette appréciation constitue pour l'ASN une manière de dire que la situation ne présente pas d'alerte majeure en matière de sûreté, mais reste perfectible.
J'avais notamment parlé d'une crise systémique de la sûreté, ou de la gouvernance de la sûreté, lors de l'une de mes deux auditions par la commission d'enquête sur la sûreté nucléaire, au regard d'une multiplication d'événements relatifs à la sûreté, parmi lesquels peuvent être cités les suivants : les incidents faisant suite à des défauts de surveillance et de maintenance en 2018 et 2019 (notamment s'agissant de l'ancrage d'équipements nécessaires au fonctionnement des groupes diesels de secours) ; la problématique apparue en 2015 de la cuve de l'EPR de Flamanville et les problèmes de soudure survenus depuis ; l'accumulation de matières dites « valorisables » sans emploi, avec les difficultés de fonctionnement de l'usine Melox à Marcoule, qui conduisent aujourd'hui à saturer les capacités d'entreposage de plutonium à La Hague, donc à recourir pour cet entreposage à des ateliers de l'installation qui n'y étaient pas initialement destinés ; la saturation des capacités d'entreposage du combustible dans les piscines, avec le projet d'une nouvelle piscine d'entreposage centralisé, qui, comme beaucoup d'autres, a pris du retard ; etc.
Or, ces difficultés diverses ont souvent eu pour origine un défaut d'anticipation, de compétence ou de sérieux du côté des exploitants, et une capacité insuffisante à anticiper, détecter les problèmes et à agir, du côté de l'ASN. J'ai donc parlé d'une crise systématique au regard des difficultés posées par l'origine du système de gouvernance et l'évolution institutionnelle des dernières années.
Vous avez évoqué hier avec M. Lionel Jospin la loi de 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire. Il s'agit d'une loi importante, même si je n'aime pas du tout le terme de transparence. Daniel Pennac dit ainsi dans Monsieur Mallaussène que « la transparence est un concept d'escamoteur ». Je lui préfère largement le concept d'« accès à l'information », qui inverse la charge entre le demandeur et le détenteur. Surtout, cette loi a changé le rôle institutionnel des différents acteurs de la gouvernance de la sûreté nucléaire, mais sans changer les règles concrètes du contrôle de la sûreté. Dans la réalité, l'ASN reste dépendante du bon vouloir des exploitants, qui sont, dans la logique de la réglementation française, les « premiers responsables de la sûreté ». Or, cette expression souvent utilisée signifie que l'IRSN, dans son évaluation, et l'ASN, dans son contrôle, doivent pouvoir en permanence faire confiance à la sincérité et à la qualité des informations transmises par les exploitants. Toutefois, les problèmes rencontrés avec la forge du Creusot, la cuve de l'EPR, etc. ont montré que cette sincérité et cette qualité n'étaient plus acquises par principe.
Par ailleurs, j'avais indiqué dans ces auditions que la réglementation nucléaire comportait de très nombreuses « zones grises ». Par exemple, l'ASN utilise souvent dans ses décisions des termes apparemment exigeants : elle demande, pour prolonger la durée de vie des réacteurs existants, de « s'approcher autant que possible » du niveau de sûreté d'un EPR ; de mettre en œuvre telles dispositions « aussi tôt que possible » ; etc. Toutefois, aucun élément réglementaire ne permet d'apprécier la pertinence des actions de l'exploitant face à ces exigences, ce qui laisse l'ASN relativement démunie dans sa fonction de contrôle, dès lors qu'elle ne peut plus compter sur l'exploitant pour se plier réellement à ses exigences, et qu'elle est confrontée à des problèmes de délais et de carence dans la mise en œuvre de ses exigences.
La crise dont je parle est donc à la fois une crise de compétences, manifestée par la multiplication des problèmes, et une crise de la capacité des acteurs à réguler ces difficultés.
Je rappelle que le réacteur de Flamanville n'a pas été construit et n'est pas en activité. Aucune forme de combustible ne se trouve donc dans la cuve de l'EPR de Flamanville, qui ne pose donc aucun problème de sûreté radioactive.
S'agissant par ailleurs de la sûreté des matières valorisables, l'ASN a bien précisé dans ses vœux en 2023 qu'il fallait anticiper une « potentielle » saturation de l'usine de La Hague, qui « pourrait intervenir avant 2034 », ce qui signifie que cette usine n'est pas déjà saturée.
Vous mentionnez le problème lié aux soudures, sans autre précision. Or, en matière nucléaire, les informations données doivent être précises.
Le scénario de négaWatt semble plus exigeant en termes de sobriété, et aussi exigeant en matière d'énergies renouvelables, que le scénario M0 de RTE. Vous insistez également sur le fait que votre scénario met l'accent sur la maîtrise de la demande, alors que la plupart des autres scénarios seraient centrés sur la question de l'offre. Cette différence ne repose-t-elle pas sur une hypothèse politique, c'est-à-dire sociale, selon laquelle nos compatriotes accepteront de covoiturer davantage, d'utiliser d'autres moyens de transport que les véhicules thermiques, de réduire leurs consommations de chauffage et d'électricité, etc. ?
La situation que vous signalez à Flamanville illustre parfaitement mes propos. Lorsqu'EDF et Framatome ont souhaité installer la cuve de l'EPR à Flamanville et souder la virole porte-tubulure aux boucles du circuit primaire, l'ASN avait en effet communiqué sur le fait que cela ne posait aucun problème de sûreté tant que le réacteur n'était pas construit, qu'elle n'avait donc pas de raison de s'y opposer, et qu'elle laissait l'industriel prendre ce « risque industriel ». Toutefois, refaire une cuve que l'on contrôle avant de la mettre en place, ou reprendre une cuve que l'on a déjà mise en place dans une enceinte de confinement présente des risques industriels très différents. En l'occurrence, la plupart des experts soupçonnaient la présence, compte tenu du procédé de forgeage, d'une ségrégation de carbone dans le couvercle et le fond de cuve, et la réglementation imposait la réalisation d'un contrôle surfacique, non destructif, de la concentration de carbone, avant la procédure de qualification de la cuve. L'industriel a donc délibérément choisi de créer un fait accompli, rendant l'opération plus irréversible, et l'ASN n'a pas voulu ou pas su s'y opposer.
L'échéance de saturation de La Hague peut être évaluée à 2034, mais peut également survenir plus tôt en cas de problème sur les chaînes de retraitement, par exemple en lien avec les opérations de remplacement des évaporateurs. Un problème de saturation à La Hague se pose en tout cas, car il faut tenir compte du temps nécessaire au déploiement d'alternatives. Or, la piscine centralisée projetée par EDF pour répondre en temps utile à ce problème de saturation a pris du retard, et risque donc de ne pas être mise en service suffisamment tôt, ce qui conduit à envisager dans l'attente un entreposage à sec en château.
Le scénario négaWatt assume en effet pleinement de porter une vision sociétale, et de traduire sous la forme d'une trajectoire d'évolution des modes de production et de consommation un certain nombre de valeurs notamment humanistes et d'enjeux, que nous référons à la matrice des 17 objectifs de développement durable. Pour autant, l'insistance que nous portons sur la maîtrise de la consommation ne constitue pas la spécificité politique de notre scénario. J'introduis souvent l'approche de négaWatt en disant : « l'énergie fait système et ce système fait société ». La manière dont la société organise la mise en relation de ressources et de services énergétiques (dans le chauffage, la cuisson, la mobilité, etc.) constitue un système complexe, qui structure notre économie et nos modes de vie. À cet égard, tout scénario qui projette une évolution du système énergétique projette une évolution de l'économie et des modes de vie, et est donc politique. La différence de notre scénario est peut-être d'assumer davantage cette dimension politique et de projet sociétal. Nos hypothèses concernant la demande ne sont cependant pas plus politiques, ni d'une autre nature, que des hypothèses sur l'offre.
Lors des concertations de RTE, notamment, nous observons une dissymétrie culturelle assez paradoxale en France.
En matière de transformation du système énergétique, la tendance est de fixer des objectifs relatifs à la production et d'avoir confiance dans la possibilité de les atteindre. La France était pourtant en 2020 le seul pays de l'Union européenne à voir pris du retard sur les objectifs qu'elle s'était fixés en 2010 concernant la part des renouvelables. Les retards du développement de l'éolien et du photovoltaïque sur les objectifs, même à 2023, de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sont connus, de même que les retards de l'EPR de Flamanville.
À l'inverse, tout objectif relatif à la demande tend à susciter un réflexe de défiance quant à la possibilité de l'atteindre, au regard de sa nature politique. Pourtant, les politiques publiques ont montré leur capacité à réguler les comportements, notamment s'agissant des exemples classiques que constituent le port de la ceinture de sécurité et l'usage de la cigarette dans les lieux publics. C'est pourquoi le retour d'expérience sur la part de la sobriété volontaire dans la baisse actuelle de la consommation sera important. Il est indispensable que les politiques prennent confiance dans leur capacité à maîtriser la demande, car on ne fera pas l'économie de ce type de politique dans la stratégie de transition énergétique.
Quelle part de l'économie occupera l'industrie dans votre scénario en 2050 ?
Ce scénario prévoit l'arrêt de tous les réacteurs avant leur cinquantième anniversaire. Quel est le rythme de ces arrêts, et quand le premier doit-il survenir ?
Je ne saurais dire quelle part de l'industrie dans l'économie prévoit le scénario négaWatt en 2050, car ce scénario ne s'appuie pas sur un modèle économique. Nous nous préoccupons naturellement de la vraisemblance économique de notre scénario, et nous chiffrons notamment les besoins en investissements et les créations d'emplois qu'il implique, mais aucune évaluation exogène ou endogène du PIB n'y est incluse.
En revanche, notre scénario intègre une relocalisation importante de l'industrie, mais réaliste, et ciblée sur les filières pertinentes à moyen et long terme pour la transition énergétique (typiquement les filières de fabrication d'équipements pour la production renouvelable), sur les filières les plus stratégiques (par exemple celles relatives aux composants électroniques), et sur celles dont la relocalisation présente les enjeux de soutenabilité les plus importants. Par exemple, notre scénario suppose une diminution de 30 % des volumes de textile vendus à 2050, mais avec un maintien du chiffre d'affaires, grâce à une qualité et une durabilité plus grandes des textiles, qui permettent, d'une part aux filières françaises de retrouver de la compétitivité, donc de relocaliser une partie de la production, d'autre part d'augmenter très fortement le taux de recyclage des textiles.
Nous sommes en revanche très critiques du scénario « de réindustrialisation profonde » porté par RTE. Même si nous soulignons régulièrement le sérieux méthodologique de RTE, et le sérieux de son travail de concertation, son scénario « futurs énergétiques 2050 » a pour biais méthodologique de ne porter que sur des futurs électriques, dans la mesure où seule la partie électrique du système y est modélisée. En conséquence, ses hypothèses de réindustrialisation, qui ciblent les industries présentant un enjeu pour l'électricité, ne nous semblent pas réalistes au sein de l'Union européenne. Elles portent notamment la part de l'industrie à 13 % d'un PIB en croissance constante, et le solde exportateur de la France à 200 milliards d'euros en 2050, sans en vérifier les conséquences en empreinte matière ou en empreinte gaz à effet de serre (GES).
Dans le scénario négaWatt, l'échéance d'arrêt des réacteurs n'est pas celle des cinquante ans, mais du cinquième réexamen périodique, ce qui peut amener à deux, trois ou quatre années de plus que cinquante ans selon les réacteurs. Le dernier réacteur nucléaire devrait ainsi s'arrêter en 2045. Il ne nous paraît pas aujourd'hui raisonnable de parier sur un renouvellement au-delà de cinquante ans, dans la mesure où aucun argument de sûreté n'a encore été apporté pour garantir une tenue des cuves face à la fatigue neutronique à cet horizon. Certains réacteurs seraient arrêtés dès maintenant, afin de lisser ces fermetures autant que possible, sur un rythme de deux fermetures par an, alors que la pyramide des âges des réacteurs du parc nous condamnera à fermer quatre réacteurs par an si la logique actuelle est conservée. Nous insistons particulièrement sur le fait que, quelles que soient les options de renouvellement du parc retenues, tous les scénarios devront notamment trouver un statut juridique et un mécanisme de financement dédiés pour les réacteurs qui ne seront que partiellement prolongés, en leur conservant un rôle de réserve de capacité, à des fins de flexibilité, et afin de ne plus avoir à y réaliser tous les investissements de sûreté. La sensibilité hivernale notamment rendra impossible de fermer de manière maîtrisée quatre réacteurs par an dans le contexte du système électrique existant.
Un gouvernement qui s'engagerait à appliquer le scénario négaWatt devrait ainsi fermer dès son arrivée trois réacteurs par an, d'une capacité de 900 mégawatts chacun, donc renoncer à 2,7 gigawatts par an, et à 10 gigawatts en sept à huit ans. Imaginons dans ces circonstances que les énergies renouvelables soient confrontées aux mêmes difficultés qu'ont rencontrées les énergies lors des vingt-cinq dernières années. De l'électricité produite ailleurs en Europe devrait-elle alors être importée ?
Notre scénario ne prévoit pas un échec dans le déploiement des énergies renouvelables, ou dans la maîtrise de la consommation, mais une planification, aussi raisonnable et maîtrisée que possible, de l'évolution de notre système électrique, qui permette de trouver des marges le plus rapidement possible.
Les chiffres que vous venez de donner illustrent la difficulté croissante que nous rencontrons, à mesure que nous prenons du retard dans la diversification de nos options, c'est-à-dire dans le déploiement des énergies renouvelables, dans la maîtrise de la consommation, y compris en matière de réduction de la pointe électrique, et dans la production des mécanismes de flexibilité et de stockage qui seront nécessaires au bon fonctionnement du système.
La situation est d'ores et déjà très contrainte. Vous avez raison de dire qu'un nouveau gouvernement qui voudrait appliquer le scénario négaWatt devrait fermer des réacteurs « dès que possible », mais cette possibilité devrait être analysée au regard des marges alors disponibles. Toutefois, ne pas fermer de réacteurs, et parier sur le prolongement de plus en plus de réacteurs de plus en plus longtemps, exposerait toujours davantage à des risques de défaillances du parc pour des raisons de sûreté, voire à la nécessité d'arbitrages impossibles entre des enjeux de sûreté nucléaire et de sécurité électrique.
La priorité devrait donc être, d'abord, de trouver des marges de manœuvre par le développement des énergies renouvelables et la maîtrise de la demande ; ensuite, de sécuriser la trajectoire de fermeture des réacteurs par la planification de son lissage et le cadre juridique de flexibilité précédemment évoqué, avant de s'engager sur de nouveaux moyens de production, qui, pour les plus massifs d'entre eux, n'arriveront que trop tard par rapport aux enjeux.
La PPE actuelle prévoit la fermeture de 12 réacteurs d'ici 2035. En supposant qu'ils soient les plus anciens du parc, les 44 réacteurs restants en 2035 atteindraient alors 49,5 ans de fonctionnement. La PPE engage donc déjà à prolonger à cinquante ans l'ensemble des réacteurs, mais aussi par anticipation à prolonger au-delà de cinquante ans une partie du parc, sauf à imaginer que le reste du parc pourrait fermer très rapidement après 2035. Repousser encore les échéances de fermeture des premiers réacteurs ne ferait qu'accroître ces difficultés.
Nous aurons probablement l'occasion d'avoir ces débats, en effet, dans le cadre de l'examen de la loi de programmation énergie et climat.
Nous avons auditionné avant vous M. André Merlin, scientifique et ingénieur qui a consacré l'ensemble de sa carrière à la gestion des réseaux électriques, et qui jugeait quant à lui totalement impossible un scénario 100 % énergies renouvelables du point de vue des réseaux. Il est très intéressant de bénéficier de deux visions aussi différentes dans la même après-midi.
Si j'ai bien compris votre scénario, il prévoit, de 2014 à 2050, une diminution de l'extraction du cuivre de 95 % et du cobalt de 84 %. La commission européenne estime quant à elle que les besoins en cuivre devraient doubler ou tripler, et que la croissance des besoins en autres matériaux critiques devrait être encore plus importante. Dans le même temps, vous prévoyez de passer de 0 gigawatt à 64 gigawatts la puissance installée de l'éolien offshore, beaucoup plus consommateur en cuivre que l'éolien terrestre ; et vous multipliez par 21 la capacité de production de panneaux photovoltaïques en France (et j'imagine à l'échelle mondiale). Comment pouvez-vous dans ces conditions prévoir l'arrêt de l'extraction des matériaux essentiels à leur production et aux circuits industriels, alors que l'agence internationale de l'énergie (AIE), l'institut français des relations internationales (IFRI) et la commission européenne s'attendent à l'exact inverse ?
Je vous recommande d'auditionner de jeunes ingénieurs travaillant dans d'autres pays. Les experts ayant effectué toute leur carrière en France, dans un système électrique régulé et organisé autour d'un parc nucléaire extrêmement centralisé, présentent un biais culturel, et des difficultés à saisir les évolutions et les innovations que j'évoquais précédemment, lorsque le débat est projeté à l'international.
M. André Merlin a été président du conseil international des grands réseaux électriques (CIGRE) dans les vingt dernières années. Il a donc une légitimité du point de vue international.
Je ne conteste ni sa légitimité ni le rôle important qu'il a eu durant toutes ces années. Je mentionne seulement ce que je considère être un biais culturel.
S'agissant des matériaux, nous devrons vous apporter par écrit des éléments complémentaires. Sur le cuivre, du moins, la réponse tient dans une forte augmentation du taux de recyclage, à des horizons qui sont ceux du renouvellement d'un certain nombre d'infrastructures. Le cuivre est en effet relativement facile à collecter et à recycler. Par ailleurs, la commission européenne envisage une très forte électrification avec très peu de sobriété énergétique, ce qui entraîne en effet des besoins très forts en matériaux en aval. Notre scénario parie sur une maîtrise des volumes nécessaires par la sobriété et l'efficacité.
Vous avez participé activement au PNGMDR. Quel est votre point de vue sur le recyclage des matériaux issus de la déconstruction des sites nucléaires ?
Les discussions relatives aux déchets « très faible activité » (TFA) qui seront issus, en masse très importante, du démantèlement des installations nucléaires, portent généralement sur le « seuil de libération », c'est-à-dire le seuil de radioactivité permettant de libérer ces déchets, à un niveau équivalant à la radioactivité rencontrée dans l'environnement, ou à une fraction de ce niveau. C'est une réponse de l'industrie à ce qu'elle considère être un problème de rareté de la ressource en capacités de stockage des déchets. Je ne pense cependant pas que la capacité de stockage de déchets TFA soit, comme la capacité de stockage de déchets haute activité à vie longue, une ressource rare, le type d'entreposage requis par les déchets TFA restant relativement accessible. Le problème tient plutôt à l'acceptabilité de ces stockages par les populations, mais je ne crois pas que le seuil de libération soit, dans le contexte français, une bonne réponse à cette difficulté. L'ASN, qui s'est jusqu'ici opposée à un seuil de libération, rappelle souvent que le moindre problème de traçabilité, et le moindre dépassement du seuil en question dans des matériaux issus de déchets de démantèlement, remettraient en cause l'ensemble de cette démarche. D'un point de vue économique, les précautions que la filière aurait à mettre en place pour garantir l'acceptabilité d'une démarche de libération complète seraient telles qu'elle ne représenterait pas un gain. Je préconiserais plutôt une libération dans le seul circuit de l'industrie nucléaire, pour des opérations de remblais ou de fabrication de fûts de stockage de déchets radioactifs. Cela éviterait à la fois les problèmes de stockage dédié et les difficultés d'une libération totale.
La seule usine Georges Besse 1 du Tricastin comporte 150 000 tonnes d'acier, ce qui correspond à 15 tours Eiffel. Votre préconisation d'enfouir une telle quantité de matériaux dans un trou, fût-il peu profond et d'accès relativement aisé, me paraît donc entrer en contradiction avec votre insistance sur les nécessités d'économiser la matière par ailleurs, d'autant que le coût des matériaux continuera à croître dans les prochains temps.
Je parlais de matériaux de remblai pour le béton et de fûts de conditionnement de déchet pour l'acier. Je n'ai précisément pas parlé de stockage, et encore moins de stockage sous la surface, pour ces déchets TFA dont la radioactivité ne le nécessite pas. Il faudrait alors choisir entre un stockage centralisé et un stockage sur place, avec les contraintes de surveillance du site, etc. alors impliquées sur le long terme. C'est pourquoi leur réutilisation au sein de la filière nucléaire me paraît constituer une bonne alternative, même s'il faudra examiner comment les volumes correspondent.
L'usine EURODIF d'enrichissement par diffusion gazeuse au Tricastin que vous évoquiez illustre la variété de problèmes qu'il est possible de rencontrer. En effet, l'acier de ces machines, qui n'a normalement été contaminé que de manière surfacique par l'uranium enrichi, est potentiellement plus facile à décontaminer que l'acier issu de réacteurs. Toutefois, sa libération poserait d'importants problèmes de traçabilité, de garantie et de confiance de la population, qui n'en feraient pas une solution si rentable pour la filière, et l'exposeraient dans son ensemble à des risques importants que ne présente pas sa réutilisation au sein de la filière même.
Il serait en effet possible de réutiliser ces matériaux pour construire de nouvelles centrales nucléaires.
Vous avez dit qu'il était difficile de faire la part de la sobriété choisie et du prix subi dans la baisse de la consommation, en l'absence d'enquête sociologique à ce stade. Des indices sur cette répartition pourraient également venir des informations, que j'ai demandées à ENEDIS, et que j'attends encore, sur les différences de baisse de consommation entre les logements individuels et les logements collectifs (logements sociaux et copropriétés), qui durant un an n'ont pas bénéficié du bouclier tarifaire qui les protège aujourd'hui, et ont dû supporter des charges très élevées.
Nous avons débattu de l'acceptabilité des questions de sobriété. La crise des matières premières, qui s'est généralisée à l'issue de la crise sanitaire, a déjà mis les chaînes d'approvisionnement sous tension, sans attendre la criticité aiguë prévue pour certaines matières premières. À cet égard, une certaine sobriété paraît nécessaire pour éviter les pénuries. J'avais également demandé aux syndicats d'EDF et d'ENGIE leur vision à ce sujet. Serions-nous d'ailleurs capables de tenir nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre (et d'éviter des coupures d'électricité) d'ici 2030 sans une accélération très rapide de nos progrès en matière de sobriété et d'efficacité énergétique ? La question climatique reste centrale, car sans elle nous pourrions rouvrir des centrales à charbon pour résoudre nos problèmes.
Je n'ai pas de commentaire particulier à apporter sur le premier point. La question que vous posez à ENEDIS apportera peut-être des éclaircissements supplémentaires, même s'il restera difficile de faire la différence entre une réponse subie et une réponse choisie à un prix plus élevé. Plus de 50 milliards d'euros ont été dépensés par la collectivité pour le bouclier tarifaire, ce qui rappelle combien ces mêmes sommes auraient été mieux dépensées par anticipation dans des actions nous rendant moins consommateurs, donc plus résilients face à une hausse du prix unitaire. Cela nous enseigne aussi l'importance d'engager plus d'efforts dans ce domaine à l'avenir.
En se centrant beaucoup, sans grand résultat, sur la question climatique, les débats politiques des dernières années avaient un peu perdu de vue les enjeux de sécurité d'approvisionnement physique et de souveraineté énergétique. La crise de 2022 a réaligné ces trois agendas politiques, en rappelant l'urgence de chacun. Si la survenance simultanée de difficultés liées premièrement à notre parc nucléaire, deuxièmement à notre dépendance aux importations d'énergies fossiles, et troisièmement au changement climatique (qui engendre aussi une baisse de productivité de l'hydroélectricité en 2022) comporte un aspect conjoncturel qui la rendait difficile à prévoir, il était cependant possible d'anticiper chacun de ces facteurs de crise, ce qui signifie qu'il s'agit véritablement d'effets structurels. C'est pourquoi la réponse par la sobriété doit elle aussi rester structurelle, et non seulement conjoncturelle.
Quoi qu'on en pense par ailleurs, les solutions nucléaires sont trop à long terme pour répondre à cette triple urgence de sécurité énergétique, de souveraineté et climatique. Les solutions renouvelables sont déployables plus rapidement, mais restent lentes à déployer massivement. De même, s'il est possible d'améliorer rapidement l'efficacité des équipements, c'est plus difficile s'agissant des bâtiments. À court terme, la sobriété constitue donc bien un levier essentiel à actionner, ce qui fait tout l'intérêt du plan de sobriété énergétique, qu'il faudra pérenniser.
Monsieur le rapporteur, vous avez estimé que le scénario négaWatt reposait sur le présupposé que les gens accepteraient de changer de véhicule. Or, nous sommes en train d'obliger les gens à changer de véhicule dans le cadre des zones à faible émission (en passant malheureusement à côté de la question du carbone dans ce processus brutal). La question de l'acceptabilité se pose donc à travers la norme, et non seulement la volonté des personnes.
Monsieur Marignac, nous avons beaucoup entendu dire, notamment lors de l'audition de l'ADEME dans le cadre du rapport spécial sur l'impact du changement climatique, que les réseaux de chaleur au biogaz constituaient une des solutions les plus sous-évaluées en termes d'investissements pour éviter les émissions de CO2. Quelle place y fait votre scénario ?
Pourriez-vous préciser les solutions de stockage des ENR qui se développent à l'étranger ? Permettent-elles d'envisager l'existence d'un véritable stockage efficient à l'échéance 2035 ? Vous nous avez conseillé d'auditionner des experts étrangers : pourriez-vous nous en conseiller à ce sujet ?
Les réseaux de chaleur constituent également pour nous un vecteur important et à développer, dans le cadre de l'équilibre des vecteurs qu'il faudra trouver, donc en articulation avec les réseaux de gaz et d'électricité, notamment grâce à l'alimentation de ces réseaux de chaleur par des solutions de cogénération. Notre scénario ne projette cependant un développement des réseaux de chaleur qu'à moyen ou long terme, et non à court terme. À court terme, la sobriété reste le premier levier disponible, comme levier que nous appelons « serviciel » à négaWatt, c'est-à-dire permettant de mieux utiliser l'existant. Il est toutefois urgent également d'engager les actions structurelles qui seront nécessaires pour atteindre les objectifs à long terme, car elles seront longues à déployer : c'est le cas des réseaux de chaleur.
Les discussions sont nombreuses au niveau international actuellement sur la faisabilité technique du 100 % renouvelable. Un groupe de travail de l'agence internationale de l'énergie a par exemple récemment rendu un rapport sur la manière dont l'éolien peut contribuer à un système 100 % renouvelable. Il faut sortir du paradigme historique des systèmes électriques reposant sur des centrales thermiques pilotables, pour leur imaginer de nouveaux modes de fonctionnement.
On parle beaucoup de l'intermittence des énergies renouvelables. Nous préférons parler de « variabilité fatale prévisible ». Lorsque la base minimum de consommation passe de 30 à 90 gigawatts selon les moments de l'année, on peut parler d'une intermittence de la demande de pointe. Les très grandes variations auxquelles est confronté le système viennent ainsi autant de la demande que de l'offre aujourd'hui. Au niveau journalier ou hebdomadaire, un premier enjeu important consiste donc à piloter la demande, pour la faire coïncider avec le moment où les renouvelables produisent.
Au niveau saisonnier, la question du stockage reste toutefois incontournable. Le scénario négaWatt a retenu à cet égard le power-to-gas, en combinaison avec d'autres options, car, sur une échelle internationale standardisée de maturité des solutions technologiques, le power-to-gas en est à un stade immédiatement préalable au déploiement industriel, et fait désormais l'objet de plusieurs centaines de prototypes en Europe, de tailles très diverses et basés sur des technologies très variées, ce qui donne une « raisonnable assurance » (pour reprendre un terme utilisé dans la sûreté nucléaire) que certaines de ces technologies passeront au stade ultérieur, et seront disponibles au moment où nous en aurons besoin, c'est-à-dire vers 2035. La question est plutôt de savoir lesquelles seront les plus compétitives.
Le Grid Forming intervient enfin pour maîtriser le réseau en tension et en fréquence. Il y a deux manières principales de fournir une inertie assurant la tenue du réseau : d'une part, solliciter des machines tournantes (les turbines des grandes installations actuellement) ; d'autre part, synchroniser un certain nombre d'outils, d'onduleurs, etc., grâce à l'électronique de puissance.
Vous avez parlé de variabilité plutôt que d'intermittence. La différence que vous faites entre ces notions tient-elle au fait que l'intermittence comprendrait des arrêts momentanés, au contraire de la variabilité ? Le solaire pourrait alors être qualifié d'énergie intermittente, et l'éolien atteint souvent des facteurs de charge de moins de 5 %.
Dans le débat, le qualificatif « intermittent » est souvent utilisé de manière péjorative à l'encontre des énergies relatives. Un réacteur nucléaire peut toutefois être arrêté également, en raison par exemple d'un signal relatif à la sûreté, ce qui le rend aussi intermittent qu'un panneau photovoltaïque. Un parc nucléaire a ainsi besoin d'une multiplicité de réacteurs pour garantir en permanence un certain niveau de production. En photovoltaïque, cette garantie n'est toutefois pas possible, sauf à déployer un parc photovoltaïque à l'échelle mondiale. Même à l'échelle européenne, il y aura nécessairement des périodes de non-ensoleillement. Le critère n'est donc pas celui de l'arrêt total ou non, sauf à raisonner dans le cadre d'un système électrique reposant sur une seule forme d'énergie.
Dans l'expression de « variabilité fatale prévisible », tous les mots sont importants. Les énergies renouvelables sont évidemment variables au gré des conditions d'ensoleillement ou de vent. Leur variabilité est « fatale », par opposition à « pilotable », parce qu'on ne décide pas des moments où elles peuvent produire. Toutefois, elle est aussi « prévisible » parce qu'on sait anticiper la production du photovoltaïque et de l'éolien aux échelles de temps où il faut savoir se projeter pour gérer un système électrique. On peut par exemple prévoir qu'à minuit, aucune production photovoltaïque ne sera possible. De même, on sait anticiper des périodes anticycloniques longues, et même prévoir à vingt-quatre heures près le niveau d'ensoleillement ou de vent, au point de pouvoir aujourd'hui le contractualiser. En Inde, ainsi, les producteurs photovoltaïques s'engagent sur un niveau de production du jour pour le lendemain au quart d'heure près.
Un système avec une grande part de renouvelable, voire à 100 % renouvelable avec une partie pilotable (hydroélectrique ou liée au gaz renouvelable), est donc gérable grâce à cette prévisibilité. Les systèmes 100 % renouvelables ne consistent pas à accepter des périodes sans énergie. Les caricatures de certains acteurs à cet égard desservent le débat. Il faut en sortir pour envisager les moyens de piloter la demande et de stocker l'énergie à différentes échelles. De nombreux travaux et de nombreux experts considèrent aujourd'hui que le 100 % renouvelable est parfaitement atteignable à l'horizon 2050.
Pour rendre acceptable le modèle qui sera choisi par les décideurs publics, il vaudra toujours mieux parler de « la nuit » que de « périodes de non-ensoleillement ». Ce type de jargon nous coupe de nos compatriotes. La nuit est naturellement prévisible, et personne n'a jamais prétendu le contraire.
Vous pouvez considérer que j'ai jargonné, mais je pense aussi avoir indiqué clairement qu'une absence de production photovoltaïque était prévisible chaque nuit. Il y aura évidemment des périodes anticycloniques où la production éolienne, même en la supposant foisonnante à l'échelle européenne, sera très faible (même si les vents marins peuvent relativiser cette affirmation), mais ce sera précisément prévisible. Il restera donc à décider politiquement de se donner ou non les moyens de faire face à ce type d'aléas.
À l'inverse, l'aléa d'indisponibilité de 15 réacteurs du fait d'un problème de corrosion sous contrainte, qui était probablement apparu sans être détecté depuis quinze à vingt ans, a été dimensionnant pour le problème de sécurité électrique rencontré cet hiver, mais il n'était pas prévisible. On pouvait envisager, comme le président de l'Autorité de sûreté nucléaire en 2012, que le système électrique était exposé à ce risque, mais on ne pouvait pas anticiper le moment où ce danger allait se manifester. C'est ce qui fait la différence entre la prévisibilité intrinsèque d'un système 100 % renouvelable (dès lors qu'on se dote des moyens de le gérer) et la disponibilité à tout prix sur laquelle on parie pour prolonger un parc nucléaire, ou la disponibilité à une échéance déterminée de réacteurs que l'on veut construire.
Il faudra ensuite que tout le monde comprenne bien les choix de société que ces systèmes impliquent : on prévoit alors de ne pas avoir d'électricité l'hiver en cas d'anticyclone sur l'Europe.
Non : on prévoit des moyens de pilotage et de stockage permettant d'assurer la continuité de l'approvisionnement électrique, même dans ces circonstances.
Cela nécessite naturellement des investissements dédiés, et la question est alors de savoir s'ils sont plus élevés que ceux requis par un système fonctionnant avec du nucléaire et des énergies renouvelables. À cet égard, les travaux de RTE montrent une différence d'environ 15 % entre les coûts moyens annualisés à horizon 2050 de ces différents scénarios, à niveau de demande égal. Compte tenu de l'ensemble des incertitudes pesant sur les hypothèses retenues dans ces scénarios, nous en concluons qu'ils sont économiquement similaires.
Par ailleurs, RTE calcule que les scénarios reposant sur la trajectoire basse (dite « de sobriété ») coûteront 10 milliards d'euros de moins par an que les scénarios empruntant la trajectoire de référence, qui prévoit 100 térawatts heure de plus. Le calcul est ici beaucoup moins incertain, car il repose sur un moindre besoin en investissements. Le bénéfice économique d'une trajectoire maîtrisée de la consommation est donc assuré.
Enfin, parmi les analyses de sensibilité, RTE a examiné le taux moyen de rémunération du capital, donc le risque financier, associé aux différents projets pour les investisseurs privés, mais a retenu un taux de 4 % pour tous les moyens de production, de stockage, de réseau, etc., estimant que ce n'était pas son rôle de différencier les risques financiers des différentes options. Or, les taux de rémunération peuvent aujourd'hui atteindre moins de 4 % sur certains projets renouvelables, tandis qu'ils sont de 8 % sur l'investissement privé à Hinkley Point. Autrement dit, il existe un véritable différentiel à cet égard dans la vraie vie. En retenant un taux de 7 % pour les nouveaux EPR et de 4 % pour les autres moyens de production, les scénarios avec ou sans nucléaire deviennent aussi coûteux. Les scénarios avec nucléaire n'apparaissent donc moins coûteux qu'à la condition de faire porter à la collectivité les risques financiers associés. Expliciter ce point permet aussi de mieux faire comprendre le choix de société impliqué par le système retenu.
Enfin, ces calculs de RTE sont fondés sur les projections de coût des EPR du gouvernement et d'EDF, d'une part, et des projections prudentes sur les moyens renouvelables et stockables, d'autre part. Or, les EPR de 2037 ne doivent pas être comparés aux moyens actuels, mais aux moyens qui seront mis en œuvre en 2030. Je prends donc le pari que, dans cinq à dix ans, le différentiel de coût apparaîtra très clairement en faveur des scénarios 100 % renouvelable.
Merci beaucoup pour cette audition. Nous avons essayé avec le rapporteur de ne pas poser trop de questions sur le nucléaire, mais nous avons finalement reçu beaucoup de réponses sur le nucléaire.
La séance s'achève à 19 heures 37.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Antoine Armand, Mme Alma Dufour, M. Raphaël Schellenberger.
Excusée. – Mme Valérie Rabault.