Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mardi 17 janvier 2023 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EDF
  • RTE
  • centrale
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La réunion

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Mardi 17 janvier 2023

La séance est ouverte à 16 heures

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Chers collègues, notre commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France a le plaisir d'accueillir les représentants des organisations syndicales siégeant au sein du comité social et économique central (CSEC) d'EDF. Cette audition a notamment été souhaitée par Sébastien Jumel, membre du bureau de la commission d'enquête. Les problématiques liées à la gestion du personnel travaillant dans le secteur de l'énergie, en particulier dans la filière nucléaire, ont été évoquées à plusieurs reprises lors de nos précédentes auditions.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Plusieurs anciens présidents d'EDF vous ont rendu hommage pour vos compétences, votre dévouement et votre rôle dans l'organisation du dialogue dans l'entreprise.

Le comité dont vous faites partie est un organe qui a un accès exclusif à des informations sociales et financières importantes concernant EDF, contenues dans la base des données sociales, économiques et environnementales, comme tout comité social et économique, en vertu de la loi. Il peut notamment faire appel, s'il le souhaite, à des experts ; aussi le public aurait-il tort de n'y voir qu'un simple organe de gestion d'avantages sociaux et de revendications. Le CSE est en effet bien un organe de pilotage de l'entreprise. Il est partie prenante aux décisions susceptibles d'engager l'avenir de la société au sein de laquelle il a été institué. Il est consulté à cet effet, et dispose également d'un droit d'alerte. Deux de ses membres siègent, avec des voix consultatives, au sein du conseil d'administration d'EDF. Il représente plusieurs milliers de salariés – environ 62 000 en 2021, contre 66 000 en 2017.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Philippe Page Le Mérour, Mme Virginie Neumayer, M. Arnaud Barlet, M. Julien Laplace et Mme Catherine Nicolas-Michon prêtent serment.)

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Nous vous remercions de nous avoir invités. La question de la souveraineté énergétique nous alerte depuis de nombreuses années et a fait l'objet de plusieurs travaux que nous aborderons et vous communiquerons. Ce n'est en rien dû à la fatalité : au contraire, nous faisons face à une situation qui s'est dégradée progressivement depuis des années. La souveraineté énergétique recouvre deux enjeux importants pour nos concitoyens, les collectivités locales et les entreprises : il s'agit de la sécurité d'approvisionnement et du tarif de l'électricité. Ces deux enjeux, gérés pendant plusieurs décennies par EDF dans le cadre du monopole public qu'elle exerçait, ont été ventilés au fil des adoptions de directives et d'un certain nombre de lois. Deux piliers essentiels formaient l'architecture de notre service public : la loi de nationalisation de 1946 et le plan Messmer de 1973-1974. Par ailleurs, nous disposions d'atouts formidables, reposant sur l'hydroélectricité dès 1946 puis sur le nucléaire, pour garantir la souveraineté énergétique.

Or, la France a été touchée par une grave maladie qui a affecté sa souveraineté énergétique, qui n'est autre que l'appât du gain. À l'époque des premières directives, un slogan syndical proclamait lors de l'adoption des premières directives : « l'électricité n'est pas une marchandise ». Des années plus tard, il me semble nécessaire de le reprendre au pied de la lettre. À partir du moment où l'électricité a été confiée au marché, ce dernier l'a rendue rare et chère. L'analyse des causalités ayant conduit à la perte de souveraineté donne finalement le sentiment d'une profonde déresponsabilisation – en un mot, que nul n'est plus responsable du service public de l'électricité en France. Les directives ont exigé de la France la séparation des activités de production, de transport et de distribution de l'électricité. Nous nous sommes retrouvés dans des situations ubuesques, allant jusqu'à des divergences entre les avis de RTE et d'EDF sur le maintien de la centrale de Fessenheim. Chacun gère désormais ses propres affaires en boutiquier : plus personne ne défend une vision de long terme et d'intérêt national.

Or, l'électricité est un produit de première nécessité non stockable qui doit être géré en permanence, respectant une équation simple, dans laquelle les lois de la physique prennent le dessus sur les lois du marché, et suivant laquelle la production doit être égale à la consommation. Pour couvrir la production, il faut être certain de bénéficier d'une quantité de moyens de production pilotables égale en tout temps au pic potentiel de consommation d'électricité en France – lequel n'est aujourd'hui plus couvert. Le comité central d'entreprise (CCE) d'EDF, avant son remplacement par le CSEC, est l'inventeur de la notion de moyens pilotables. Dès 2017, nous avons lancé les premières alertes sur de potentielles difficultés de chauffage ou d'éclairage durant l'hiver. Nous avons tant insisté sur ce sujet que l'entreprise elle-même y consacre un point lors des séances de CSE central à l'automne, afin qu'un débat contradictoire entre l'avis de la direction et nos travaux d'expertise puisse avoir lieu.

Nous avons observé la perte de 12 gigawatts de capacités pilotables ces dix dernières années, liée à la fermeture de la centrale de Fessenheim et des centrales thermiques d'Aramon, de Porcheville et du Havre, qui, certes, ne fonctionnaient pas chaque jour, mais sécurisaient le réseau à tout moment. Ces choix ont été faits à l'encontre du bon sens, dans des circonstances différentes. L'ensemble des organisations syndicales au sein du CCE avaient émis des avis négatifs à la fermeture de Fessenheim, appuyés sur diverses expertises prouvant l'aberration d'une telle mesure qui n'était pas imposée par des enjeux économiques, ni de sûreté, ni d'environnement. La fermeture des centrales thermiques, quant à elle, résulte d'une politique de boutiquiers. Contre l'avis de toutes les organisations syndicales, la direction d'EDF a estimé que ces centrales coûtaient trop cher en coûts fixes. Ce coût s'élevait à environ 30 millions d'euros par an, alors qu'un black-out ou des coupures régionales engendreraient une facture bien supérieure à cette somme. Le dernier marché de capacité accordé au cycle combiné gaz de Landivisiau dans le Finistère, confié à Total et exploité par Siemens, représente un coût pour la nation de 40 millions d'euros par an, sans même fonctionner.

En découlent plusieurs paradoxes depuis ces années de directives, abondées par la loi Nome qui a transformé le marché de l'électricité en un trafic mafieux, autorisant de nombreuses dérives. EDF avait pu construire, grâce au monopole public, nombre d'infrastructures solides dans le pays – le réseau, les centrales hydrauliques et nucléaires. Or, au moment où la dette commençait à s'amortir, le capital a été ouvert. Entre 2006 et 2009, la dette d'EDF a été multipliée par trois, sans que des investissements sur le réseau ou sur la production hydraulique et nucléaire aient été réalisés, en raison, à nouveau, d'une forte déresponsabilisation. En effet, les directions de nouvelles entreprises à capitaux ouverts ont voulu suivre une logique de rentabilisation. La dette d'EDF, particulièrement inquiétante, est composée de trois tiers. Le premier résulte des paris parfois insensés des dirigeants d'EDF à l'international, faisant perdre des milliards d'euros à l'entreprise ; le deuxième est lié à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui résulte de la très contestable loi Nome, fixant le tarif de l'électricité à 42 euros, et qui fait travailler les salariés d'EDF pour la sous-traitance. Au lieu de faire converger leurs intérêts, des entreprises ont mené des activités différentes, voire, concurrentes, opposant les énergies pilotables aux énergies renouvelables dans leurs stratégies d'investissements. Le paquet climat-énergie européen de 2008, enrichi par celui de 2014, a poussé les investissements dans le renouvelable, tout en conduisant au délaissement des moyens pilotables. Le moratoire du nucléaire depuis la centrale de Civaux, téléguidé par l'Allemagne, est révélateur de la stratégie de la France à cet égard. Les atouts formidables dont disposait notre pays ont été détruits par les directives de 1996 et de 2002, lorsque Jacques Chirac et Lionel Jospin ont inauguré l'étape finale de la marchandisation du gaz et de l'électricité à Barcelone, avec José María Aznar, Silvio Berlusconi et Tony Blair.

Depuis, les dettes continuent à exploser. Le recours galopant à la sous-traitance s'est imposé au détriment d'une maîtrise des capacités techniques par un personnel formé et attaché à son entreprise, tout en se doublant d'un phénomène de filialisation. En découle une perte de compétences en interne, que nous payons très cher sur le chantier du réacteur pressurisé européen (EPR), mais aussi sur l'ensemble de nos installations. La France a progressivement abandonné sa filière industrielle pour devenir une société de services, ce qui engendre des difficultés croissantes à recruter des personnels formés dans les domaines techniques. La friche du tissu industriel français en est aujourd'hui la facture. À chaque étape, il est possible d'identifier des responsables, qui n'ont jamais voulu écouter les organisations syndicales opposées à l'ensemble de ces phénomènes.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation d'impasse, sauf à s'affranchir des règles de marché. C'est ce que nous avons proposé. Nous avons ainsi remis une contribution en ce sens début décembre 2022 à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans le cadre de sa consultation publique sur la nouvelle tarification possible du tarif réglementé de vente (TRV) d'électricité. Avec le cabinet Secafi, qui nous accompagne sur ces questions, nous avons émis plusieurs propositions d'urgence que nous vous invitons à consulter. En effet, elles vous permettraient, en tant que représentants de la nation, de reprendre la main sur cette belle entreprise.

Nous adressons deux demandes à la CRE : la suspension de l'Arenh, prévue dans le code de l'énergie en cas de force majeur, ce que représentent bien la guerre en Ukraine, la mise à l'arrêt de 50 % des réacteurs, ou encore la vente de l'électricité à 1000 euros le mégawattheure alors que ses coûts de production s'établissent à moins de 100 euros. Le conseil d'administration d'EDF a poliment écouté nos propositions, sans toutefois les reprendre. Par ailleurs, nous demandons à la CRE le calcul du TRV à partir de notre mix de production national. Ces deux dérogations nous permettraient de diviser par trois le prix du TRV proposé – incluant le bouclier énergétique – sans toucher à la TVA. Pour effectuer ces calculs, nous nous sommes appuyés sur les recommandations de la Cour des comptes, à savoir environ 60 euros le mégawattheure pour le nucléaire, tout en prenant en compte l'hydraulique et les prix plafonnés du renouvelable.

La situation du Portugal et de l'Espagne doit nous inspirer. Certains prétendent que ces deux pays ont la particularité de former une péninsule. Pourtant, ils n'en sont pas moins interconnectés ; et, s'ils sont une péninsule géographique, la France est un îlot décarboné de production d'électricité. Nous devons donc bénéficier de cette dérogation immédiate, dans l'intérêt des Français, pour maîtriser l'inflation et sauver les collectivités locales, les artisans et les entreprises qui souffrent d'un tarif scandaleux qu'ils ne devraient pas avoir à payer. En dehors de la mafia, quel système économique tolèrerait de faire payer un produit dix fois son prix ?

L'électricité est un bien commun. C'est ce que nous rappelons depuis trois ans au travers de la constitution du Conseil national sur l'énergie et nos campagnes de presse. Nous sommes rejoints par nombre de mouvements d'élus, d'associations de consommateurs – comme l'association nationale de consommateurs et d'usagers pour la consommation, le logement et le cadre de vie (CLCV) ou la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) – de collectivités locales et de maires de petites et moyennes communes ou d'agglomérations.

Nous vous fournirons différentes synthèses que nous avons réalisées. L'une d'entre elles concerne la conservation de nos concessions hydrauliques, qui devaient être bradées à la concurrence à la suite d'un accord avec Bruxelles sous la présidence de M. Hollande, rendu d'autant plus inacceptable par le contexte que nous traversons. En effet, il ne serait pas audible que des actionnaires privés, dont nous ignorerions tant la nationalité que les intentions, puissent devenir propriétaires de concessions et de barrages hydrauliques en France, voire, en amont des centrales nucléaires qu'ils refroidissent.

Enfin, EDF regroupe toutes les activités de production et de commercialisation. Au sein du groupe, RTE est chargé du transport, et Enedis de la distribution. Nous plaidons pour un retour à un service public digne de ce nom et totalement intégré. En outre, EDF compte également nos collègues de Guyane, de La Réunion, de la collectivité de Saint Pierre et Miquelon, de l'archipel de Guadeloupe et de la Martinique. Dans ces territoires également, il est nécessaire de renforcer le service public. Nous menons actuellement une expertise sur l'outre-mer, qui sera publiée en mars.

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Quel est votre point de vue sur la perte de compétences et les problématiques d'attractivité de la filière ?

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Catherine Nicolas-Michon, représentante FO Énergies et Mines au CSE Central

Le passage d'EDF du statut d'établissement public industriel et commercial (Epic) à celui de société anonyme en 2004 a radicalement changé la gestion des effectifs de l'entreprise. L'entreprise a alors décidé d'optimiser sa masse salariale, et donc de supprimer des emplois pour satisfaire les actionnaires – dont le principal est l'État – auxquels d'importants dividendes ont été versés, ainsi qu'aux agences de notation, afin de pouvoir emprunter auprès des banques.

Lors de l'arrivée à la tête d'EDF de M. Lévy en 2014, l'entreprise comptait 70 000 salariés, contre seulement 60 000 à la fin de ses deux mandats en 2021. Cette diminution de près de 10 000 salariés en 8 ans n'a pas fait les gros titres des journaux. Elle ne s'est pas effectuée à l'aide de plans de licenciements, mais à bas bruit, grâce au non-renouvellement des salariés partis en retraite et par le biais de réorganisations incessantes de directions et de services, visant à supprimer les postes vacants.

Les effectifs de certaines directions ont fondu. La direction commerce est passée de 12 000 à 7 000 salariés. En effet, les clients sont partis chez nos concurrents – avec le succès que l'on connaît – ce qui a suscité une forte réduction du personnel ; or, alors que les clients reviennent chez EDF, nous sommes confrontés à des problèmes majeurs d'effectifs. Les directions supports ont également vu leurs effectifs diminuer significativement. Les directions de production ont quant à elles été affectées par une perte de compétences que nous n'avons pas réussi à compenser, étant donné que leur ticket d'embauche a été longtemps gelé.

Les conséquences sociales de ces suppressions d'emplois sont multiples et négatives. L'une d'entre elles est l'augmentation de la charge de travail des salariés d'EDF. En effet, ces derniers ont dû prendre en charge les activités de leurs collègues partis en retraite sans être remplacés ou dont les postes ont été supprimés. Cette charge de travail se traduit par une hausse forte des heures supplémentaires, notamment dans le domaine de l'ingénierie, et, pour la direction commerce, par un recours massif à l'intérim. Cette tendance est accentuée par le retour massif des clients. La deuxième conséquence est la multiplication des risques psychosociaux. Le CSE central a fait mener une expertise sur les conditions de travail et la santé des salariés d'EDF, que nous pourrons vous transmettre.

Enfin, à la suite du discours de Belfort et de la relance du nucléaire, EDF a annoncé des recrutements massifs dans les années à venir, ce dont nous nous félicitons. 1700 salariés ont été embauchés en 2021 et 3500 alternants ont été accueillis – un total porté à 4000 en 2022. Nous espérons que nombre d'entre eux seront recrutés à la fin de leur contrat. Toutefois, EDF a pris la décision d'embaucher un grand nombre de nos futurs collègues directement dans ses filiales, par le biais d'un CDI de droit commun assorti d'une convention Syntec, et non au statut des industries électriques et gazières (IEG). Or, nous exigeons qu'ils fassent partie de la maison mère d'EDF pour baigner dans nos valeurs et nos missions de service public. En outre, pour attirer et fidéliser les salariés, il est nécessaire de leur donner le statut d'IEG. Ce dernier, d'ailleurs, ne doit pas être fragilisé en détruisant notre système de retraite. En effet, ces salariés sont importants pour la souveraineté énergétique de notre pays, puisqu'ils construiront et maintiendront les futurs EPR tout en œuvrant pour l'innovation et le développement des petits réacteurs modulaires (SMR).

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Ma question concernait plus précisément les compétences et l'attractivité des métiers.

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Au-delà d'EDF, la filière a beaucoup souffert de l'image véhiculée sur le nucléaire. La perspective de fermeture de douze tranches supplémentaires prévue par la programmation pluriannuelle de l'énergie actuelle (PPE) pèse en outre sur l'attractivité de l'entreprise. Malgré le nouvel élan donné par le discours de Belfort, les viviers de recrutement restent assez faibles, compte tenu du temps de formation des jeunes et de leur faible intérêt pour les filières techniques.

Les compétences nucléaires s'acquièrent dans la durée : il faut plus de dix ans pour construire une centrale nucléaire. Aussi, si les salariés quittent l'entreprise avant d'y avoir passé une quinzaine d'années, nous ne pouvons capitaliser sur les compétences qu'ils auront développées. C'est ce qui explique l'importance de la préservation de notre statut et de notre système de retraite, qui a l'avantage de fidéliser les agents puisqu'ils en bénéficient après quinze ans d'ancienneté.

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Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central

Cette perte de compétences est notamment liée à la gestion en stop and go de la filière nucléaire, comme d'autres d'ailleurs. Au sommet de la pyramide des âges des salariés d'EDF SA se retrouvent ceux qui ont construit le parc nucléaire ; suivent les employés recrutés au moment de la promulgation de la loi sur les 35 h, jusqu'en 2002. Les embauches ont ensuite été gelées. En 2006, au moment de la relance des nouveaux réacteurs, notamment l'EPR, seuls six salariés ont été embauchés en ingénierie nucléaire, qui compte 6 000 salariés. Au début des années 2010, une nouvelle vague d'embauches a eu lieu, suivie d'un coup d'arrêt en 2014, alors que l'incident de Fukushima imposait de nombreuses modifications pour renforcer la sûreté des tranches nucléaires. Or, la PPE insistait sur la nécessité de fermer des tranches, ce qui allait induire une réduction de la masse salariale. Il a donc été décidé de recourir à la sous-traitance de manière massive pour gérer le pic d'activité lié aux travaux de sécurité. Cependant, il reste aujourd'hui nécessaire de renforcer la sûreté du parc, pour le prolonger et pour lancer des réacteurs nouveaux en France et dans le monde. Il est donc important de gérer les ressources humaines sur le long terme entre attractivité et fidélisation.

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Vous parlez d'une vague d'embauches en 2010. Comment l'expliquez-vous ?

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Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central

La relance du nucléaire était mondiale. Une vague d'embauche similaire a eu lieu chez Areva, qui s'attendait à ce que quatre EPR soient construits chaque année. L'accident de Fukushima et le gel du nucléaire dans le monde y ont rapidement mis un terme.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

En outre, la première vague de départ en retraites a encouragé au développement du tutorat, mais cette bouffée d'air a rapidement été étouffée. La longueur de la formation et de l'appropriation du métier doit aussi être prise en compte. Le phénomène de démissions que nous commençons à rencontrer représente un défi immense pour l'avenir de la filière nucléaire, et qui dépasse le seul cadre d'EDF. Le débat parlementaire sur les autorisations administratives touche à sa fin ; mais même si cette question et celle du financement sont réglées, nous continuerons à manquer de bras et de cerveaux. EDF compte 220 000 salariés. Selon les estimations, il en faudrait 330 000 pour répondre aux enjeux technologiques soulevés par le développement des nouveaux réacteurs. Un plan d'urgence sera nécessaire pour y parvenir, en passant par l'immigration, ou en spoliant des secteurs entiers d'activités en matière d'ingénierie. En prenant en compte les départs en retraite, les besoins s'élèvent à 180 000 embauches sur dix ans.

Par ailleurs, la libéralisation d'EDF a amené à considérer que le collège des ouvriers et employés était devenu inutile. J'en suis moi-même issu : les écoles des métiers permettaient à leurs élèves d'entrer très jeunes dans l'entreprise, en bas de la grille, avant d'acquérir compétences et savoir-faire sur la durée. La fermeture des écoles des métiers a signé la fin de l'espoir d'un grand nombre de jeunes. La filière de l'apprentissage avant le bac représentait en effet une opportunité de s'approprier la technologie propre à l'entreprise. Il ne faut pas oublier que les centrales fonctionnent sur des technologies des années 1980, dont la maîtrise ne peut être acquise auprès de l'éducation nationale. Il y avait donc un sens à maintenir ces écoles des métiers. En parallèle, s'est imposé un système de pyramide inversée, où les salariés ne sont plus détenteurs d'une maîtrise et d'une exécution, lesquelles ont été remplacées par la sous-traitance. Nous en payons aujourd'hui les conséquences : arrêts de tranches, disponibilité, ou encore manque de vision à long terme. Surtout, qui connaît aujourd'hui le mieux les installations nucléaires du pays ? Sur de nombreux circuits, les sous-traitants sont partis en retraite ou ont changé d'entreprise. Cette situation n'est pas tenable. Il faut rouvrir en grand les vannes des emplois d'exécution d'EDF. Nous nous sommes bien aperçu qu'une telle proposition n'apparaissait pas dans la lettre de Mme Borne au nouveau PDG. Pourtant, il faut absolument insister là-dessus.

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Dans votre propos liminaire, vous indiquiez avoir formulé en 2017 une alerte sur l'incapacité que rencontrerait la France à couvrir le pic hivernal. Pourriez-vous nous en dire davantage, en apportant un regard critique sur les scénarios de consommation électrique produits par les différents organismes du secteur, comme RTE ?

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

La consommation d'électricité a été dramatiquement sous-estimée ces dernières décennies. Nous faisons face à une pénurie d'électricité, dont les conséquences économiques sont sans commune mesure avec un dimensionnement suffisant des moyens de production pilotables. Avec l'ensemble des représentants du personnel, nous avons conduit des travaux concernant les scénarios prospectifs. Nous estimons que les besoins pour assurer une électricité décarbonée en 2050 sont de l'ordre de 850 térawattheures – soit 200 térawattheures de plus que le scénario N3 du RTE. Ce calcul est corroboré par plusieurs études européennes.

La transformation du système électrique s'opérera sur une trentaine d'années et concernera aussi les réseaux de distribution et de transport. Les investissements sont estimés à 20 milliards par an. Elle s'effectuera certainement dans un univers économique et technique incertain, en proie, notamment, aux guerres pour l'accès aux matières premières. Nous pensons que faire des choix responsables, c'est d'abord proposer une évaluation réaliste du moment à partir duquel ces technologies pourraient intervenir à grande échelle. Ainsi, les scénarios « 100 % renouvelable » nécessiteraient une stabilisation du réseau électrique particulièrement décentralisée et sans machine tournante. Or, ces technologies ne sont pas encore matures à l'échelle industrielle.

D'autres éléments interrogent sur la résilience du tissu industriel face au développement de travaux de grande ampleur. Au vu du désengagement des gouvernements successifs en matière de politique industrielle, les outils industriels pour l'essentiel construits sous monopole public, qui ont permis à la France d'émettre beaucoup moins de CO2 que la majorité des pays européens, sont aujourd'hui vus comme des rentes et des avantages concurrentiels indus, comme si leur pérennité et leur efficacité allaient de soi. Or, un certain nombre de ces atouts ont été liquidés. Je pense notamment à Alstom, dont la branche énergie a été saccagée. Sa réintégration – sous la forme de Steam – au sein de la filière française ou européenne était nécessaire pour préserver les savoir-faire et les propriétés industrielles autour du groupe turboalternateur, composé de la turbine Arabelle et de l'alternateur Gigatop. Pour autant, le rachat de la partie Steam ne règle pas toutes les difficultés, loin de là : je pense notamment aux brevets et aux savoir-faire en matière d'éolien offshore, à la rénovation hydraulique, alors que nombre d'outils et usines souffrent d'usure de matériel prématurée, ou encore aux grids concernant les centrales et les transformateurs pour les centrales et les réseaux.

La chaîne de valeur est externalisée aux quatre coins du monde. Il nous a même été indiqué que dans le cadre du rachat de Steam, les turbines utiles pour se doter de SMR à l'avenir pourraient être produites en Inde. Nous devons donc nous demander comment nous doter d'outils industriels robustes.

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Pourriez-vous revenir sur la manière dont ont été reçues vos alertes sur la capacité à couvrir le pic ?

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Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central

Les alertes sur la sécurité d'approvisionnement sont structurelles, et non conjoncturelles. La crise sanitaire a bouleversé les programmes d'arrêt de tranches sur le parc nucléaire. Il a ensuite fallu gérer le combustible. S'est ensuivie la crise technique de la corrosion sous contrainte, qui a touché près d'une vingtaine de tranches. La guerre en Ukraine soulève des questions d'approvisionnement en gaz. Le réchauffement climatique, l'été, réduit la capacité de production nucléaire puisqu'il est nécessaire de refroidir par l'eau des fleuves, et atteint le potentiel d'hydroélectricité. Les travaux d'expertise menés par le CSEC indiquent que lors de tous les hivers à venir, voire, durant les étés, des risques pèseront sur l'approvisionnement électrique en raison de la fermeture de 12 gigawatts de moyens de production pilotables. La France est thermosensible : dès que la température baisse d'un degré, 2,4 gigawatts de plus sont nécessaires. Aussi, en fermant 12 gigawatts, on réduit la marge pour passer l'hiver de cinq degrés par rapport aux moyennes.

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RTE est complètement indépendant, mais reste propriété d'EDF. Je suppose donc que le CSE n'a rien à voir avec RTE.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Non. Nous sommes les représentants du personnel d'EDF SA, maison mère. RTE a son propre CSEC. Nous regardons de près les travaux de RTE, et notamment les bilans prévisionnels, sur lesquels nous avons conduit une expertise. Nous en sommes assez critiques : pendant des années, RTE a prétendu que tout allait très bien…

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Pourriez-vous être plus précis sur les années en question ?

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Le dernier bilan prévisionnel de RTE tire la sonnette d'alarme. Un tiers de ce rapport est consacré aux mesures à prendre pour sécuriser le réseau grâce à des gestes citoyens pour passer l'hiver. C'est tout de même incroyable ! Les années précédentes, RTE prétendait que la fermeture de Fessenheim et des centrales thermiques ne poserait aucun problème.

Vous parlez de l'indépendance de RTE. RTE est plus qu'indépendant. Qui est en charge de la prévision à long terme des moyens de production à construire pour sécuriser l'approvisionnement ? Ce n'est pas, ou plus, EDF. En bon élève, avec un reste de culture du service public, EDF a prévu un plan de construction d'EPR. Ce n'est pourtant pas son travail, mais celui de RTE. Majoritairement, RTE appartient à EDF, mais aussi à ses actionnaires. RTE a agi en boutiquier, comme les autres ! Il lui était plus avantageux en effet d'installer des interconnexions, de tirer du câble et de monter des onduleurs que de maintenir des centrales. D'ailleurs, pendant longtemps, RTE a prétendu que les interconnexions suffiraient pour gérer la crise. On a donc parié sur les énergies renouvelables et sur les interconnexions pour fermer les centrales du Havre, de Porcheville, d'Aramon et de Fessenheim – et désormais, face à l'impasse, RTE nous appelle à respecter les gestes citoyens.

En janvier 2017, nous avons tiré la première sonnette d'alarme sur la situation du réseau. RTE, comme les autres, nous ont ri au nez en prétendant que nous n'y connaissions rien. Les travaux d'expertise ont été menés par les mêmes cabinets, que nous avons conservés en raison de leur niveau de connaissance. Cet hiver, il se trouve que les conclusions du cabinet IED, qui travaille avec nous, ont été citées par de nombreux experts économiques et médiatiques.

L'équation, à nouveau, est simple. Nos moyens pilotables doivent être égaux au pic de consommation hivernale, qui s'élève à environ 100 gigawatts. Or, nous nous sommes privés de 12 gigawatts, au prétexte que nous nous en remettrions à nos voisins en cas de besoin. Le bon sens commandait pourtant de conserver nos moyens pilotables au moins le temps de traverser la longue période de grand carénage sur le nucléaire, soit une dizaine d'années. Nous aurions alors été certains de ne pas dépendre de nos voisins. Cela ne nous empêche pas de prôner les interconnexions et les principes de solidarité et d'échanges techniques et commerciaux avec nos voisins. D'ailleurs, certains, notamment le ministre de l'économie, affirment qu'il ne faut pas toucher au marché européen, car c'est grâce à cela que nous avons des interconnexions ; c'est oublier que ces dernières datent de 1967, soit bien avant Maastricht et le funeste marché européen de l'énergie.

RTE et l'EDF ont géré leurs affaires en boutiquiers. C'est le cœur même du scandale dont nous payons très cher les conséquences : chacun a été déresponsabilisé. Il n'y a plus de vision globale du service public de l'électricité. C'est à vous, Mesdames et Messieurs les députés, de reprendre la main.

Nous avons tiré la sonnette d'alarme, mais les délais de construction des nouveaux EPR conjugués aux ambitions fortes en décarbonation de l'économie par l'électrification – véhicules électriques et transferts d'usage notamment – poseront de nouveau problème les hivers prochains. Nous risquons de nous trouver dans une impasse terrible, qui nous poussera à ouvrir des cycles combinés gaz. En effet, bien qu'interdit en France, c'est le moyen le moins cher et le plus rapide – dix-huit mois – à construire ; mais il s'agit aussi du combustible le plus coûteux.

Le marché n'a fait que son travail en rendant l'électricité rare et chère. Il s'est aussi assis sur les accords de Paris et le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) : en 2021, le marché a imposé, par le système de merit order, que les centrales à charbon tournent avant les centrales à gaz, alors que le rapport de CO2 à l'atmosphère entre les premières et les secondes est deux fois plus élevé.

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Comment ont été reçues vos alertes sur le risque d'incapacité à couvrir le pic dès janvier 2017 ? Auprès de qui les avez-vous émises ?

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Nous avons exercé notre devoir d'alerte, en tant que représentants du personnel, au travers de conférences de presse et de travaux rendus publics. Depuis, nous n'avons eu de cesse de dénoncer la fermeture de 12 gigawatts de production pilotable – thermique et nucléaire – qui correspondent précisément au manque calculé par RTE pour passer sereinement cet hiver et les prochains. L'illusion de disposer d'une surcapacité d'électricité est terminée. Nous devons désormais faire face à des défis, notamment sur le parc nucléaire et le service qu'il rend dans des conditions de plus en plus difficiles.

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Vous indiquez que RTE n'aurait pas émis les alertes que vous avez soulevées. Pourtant, dès son bilan prévisionnel 2017, RTE mentionne les hivers 2022-2023 et 2023-2024 comme des passages difficiles. Pourquoi RTE aurait-il « dramatiquement sous-estimé la consommation d'électricité » ? Jusqu'alors, les prévisions de RTE ont été avérées, à quelques points de pourcentage près.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

RTE prévoyait des difficultés pour les hivers 2022 et 2023 en se fondant sur le calendrier du grand carénage. Certes, des imprévus sont survenus. Toutefois, RTE ne s'est jamais opposé à la fermeture de Fessenheim ou des moyens thermiques, en préférant miser sur un taux de disponibilité des énergies renouvelables et des interconnexions de manière particulièrement optimiste.

RTE a fait sortir la France de l'équation selon laquelle la production – appuyée sur des moyens pilotables – doit être égale à la consommation. Il est vrai que les énergies renouvelables permettent d'économiser les moyens pilotables. Cependant, il ne peut s'agir que d'un complément. RTE, par ses bilans et ses prévisions, a poussé la France hors du système surcapacitaire, qui permettait d'entretenir les centrales nucléaires sans la pression du marché. Au contraire, les Allemands, qui ont développé les énergies renouvelables bien davantage que la France à ce jour, ont conservé un parc de production pilotable qui couvre leur pic hivernal.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Je ne sais pas comment l'expliquer autrement. Nous sommes sortis d'un cadre très sécurisé. Des décideurs ont autorisé cela. Le problème est qu'EDF gère les moyens de production, sans avoir la main sur la vision de long terme. C'est l'un des effets de la déresponsabilisation induite par les différentes directives et à la libéralisation du marché.

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Les centrales nucléaires construites entre 1977 et 1994 avaient une durée de vie de quarante ans. On savait donc qu'elles allaient s'arrêter entre 2017 et 2034, ce qui entraînerait un problème de production. En parallèle, la tendance à l'électrification des besoins s'accélère. Comment pouvait-on donc concevoir des scénarios envisageant une baisse de la demande en électricité ? Ce n'est pas cohérent.

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Ce n'est pas ma question. Vous avez dit que RTE avait sous-estimé la consommation d'électricité. Ce n'est pas vrai.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

RTE n'a pas sous-estimé la consommation d'électricité, mais a surestimé la capacité de production pilotable.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Le président du directoire avait indiqué dans une conférence de presse en 2017 que nous étions passés à 1 gigawatt de mesure d'interruptibilité sur le réseau. Pour y répondre, les pouvoirs publics ont suggéré de travailler sur les contrats d'effacement. Ces derniers ont certaines limites. Il n'est en outre pas exclu que les efforts s'accroissent pour réduire la consommation grâce aux discours sur l'efficacité énergétique, la chasse au gaspillage, et, désormais, la sobriété. Il se pourrait même que nous poussions encore les efforts de sobriété auprès des populations et des industriels afin de faire mieux encore l'année prochaine. Nous entrons finalement dans un cercle de récession industrielle et les usagers expérimentent un sentiment de déclassement quotidien. Ainsi, ces alertes plus ou moins répétées n'ont pas été suivies d'effets.

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Comme les responsables que nous avons reçus, vous estimez problématique la manière dont l'Arenh a été décidée ainsi que le fait qu'il n'ait pas été réévalué progressivement et qu'il ne tienne pas compte du prix du nucléaire existant et du nouveau nucléaire. M. Proglio et d'autres responsables d'EDF sont allés jusqu'à affirmer que l'intégralité des difficultés financières et de capacités d'investissements de l'entreprise était issue de l'Arenh. Quel est votre sentiment sur ce point ?

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Nous estimons que l'Arenh est responsable d'un tiers de la dette, soit environ 15 milliards. Les autres tiers sont liés aux dividendes et aux aventures internationales. Il y avait donc des leviers qu'auraient pu activer les dirigeants. L'Arenh est insupportable, puisqu'il devait servir au démarrage à amorcer la pompe des concurrents, afin qu'ils lancent des moyens de production. L'Arenh devait en outre favoriser l'innovation. Nous n'avons constaté aucun de ces effets.

Vous soulignez que nous convergeons sur ce point avec la direction ; certes, mais jusqu'à un certain niveau, puisque notre demande de suspension immédiate de l'Arenh n'est pas reprise par la direction de l'entreprise.

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La question des compétences représente un autre point de convergence. Selon vous, l'attractivité des métiers aurait été fortement réduite par l'annonce d'un plafond en volume et en pourcentage du mix électrique de la production nucléaire et par la fermeture prévue de tranches. Cependant, vous avez aussi évoqué les suppressions d'emplois et le pas de temps nécessaire au recrutement et à l'acquisition de compétences. Avant les annonces qui ont pu avoir un effet sur les compétences et les capacités à recruter, notamment sur le futur réacteur, le management d'EDF a-t-il pris les mesures pour attirer les compétences ? La responsabilité incombe-t-elle seulement aux politiques, ou le management d'EDF a-t-il failli, partiellement ou totalement, dans sa capacité à attirer les compétences ?

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Catherine Nicolas-Michon, représentante FO Énergies et Mines au CSE Central

En effet, plusieurs raisons peuvent être identifiées. Cependant, le management d'EDF a une grande part de responsabilité dans ce manque d'attractivité. Lorsqu'EDF est devenue société anonyme, l'entreprise a cherché à optimiser la masse salariale grâce à un pilotage très cadré des ressources humaines. Nous avons alors assisté à un décrochage des salaires de l'entreprise par rapport à d'autres industries, ou, plus encore, d'autres domaines ou services. Nous avons pâti de ce pilotage qui a généré une austérité salariale de longue durée, et que nous avons du mal à rattraper pour faire face aux défis technologiques qui nous attendent. Nous avons aussi souffert de Fukushima et de ses conséquences sur l'image du nucléaire. Les jeunes salariés veulent exercer un travail qui corresponde à leurs aspirations. Le « nucléaire bashing » a donc eu des effets néfastes. Nous avons en outre subi des plans d'austérité budgétaire à tous les niveaux. Les projets industriels ont ainsi été soumis à un fonctionnement en stop and go.

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Pourriez-vous apporter des précisions sur le décrochage des salaires ?

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Catherine Nicolas-Michon, représentante FO Énergies et Mines au CSE Central

Le décrochage a affecté le salaire et le modèle social tout entier. Nous sommes aujourd'hui attaqués sur notre régime spécial, mais ce dernier a une histoire, liée à la spécificité de l'électricité. Après avoir construit le parc, nous devons aujourd'hui le maintenir et développer de nouveaux moyens de production.

Lorsque EDF était un Epic, les salaires étaient inférieurs et l'évolution des salaires était plus lente que dans une entreprise privée. Cependant, le régime spécial de retraite rendait la situation des salariés intéressante. Ces dernières années, le curseur placé sur l'austérité salariale maximum et le souhait de se débarrasser de notre grille de rémunération, affiché par le président Lévy, ont fortement affecté l'attractivité de notre entreprise. Ces cinq à six dernières années, nous avons assisté à un phénomène de démissions – certes encore faible par rapport à d'autres entreprises, puisqu'elles s'élèvent à 200 ou 300 par an, mais que nous n'avions jamais connu. De jeunes salariés, aux compétences stratégiques, quittent l'entreprise en raison du manque d'attractivité des salaires.

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Les salaires d'embauche sont fixés par une grille, comme pour les fonctionnaires : aussi peut-on en quelque sorte réactualiser le point d'indice pour faire évoluer les salaires d'embauche. À partir des années 2000, le décrochage de la grille des salaires par rapport à l'inflation est de l'ordre de 15 % par rapport à l'inflation. Un technicien ou un ingénieur embauché dans les années 2000 se voyait donc proposer un salaire d'embauche attractif par rapport à d'autres entreprises. Désormais, la concurrence sur le marché de l'emploi offre des niveaux égaux, voire, supérieurs aux jeunes qui démissionnent rapidement d'EDF.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Les prix de marché ne reflètent pas les coûts de production et d'investissements futurs. Le niveau de rémunération dans l'ensemble des activités d'EDF est bas et insuffisant. Il est aussi peu représentatif de l'ensemble des services que nous rendons au système électrique.

Dans la même période de libéralisation du secteur de l'énergie, nous avons assisté à une offensive sans précédent contre EDF, ses motivations et même sa structure, allant jusqu'à un pillage pur et simple de ses ressources avec l'Arenh. Dans ce contexte, les affaires courantes étaient gérées comme celles d'une autre entreprise, ce qui induisait de ne pas dépenser trop d'argent pour les effectifs et les investissements utiles à l'avenir. Dans un domaine aussi capitalistique que celui de l'énergie, et, a fortiori, du nucléaire, les conséquences ne sont pas immédiatement visibles, mais elles nous rattrapent aujourd'hui.

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Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central

Vous nous demandez si, au-delà des décisions politiques, des responsabilités peuvent être attribuées à l'employeur. Deux, au moins, ont limité l'attractivité des emplois de nos entreprises. La première est le recours massif à la sous-traitance, qui a conduit à une perte d'intérêt pour le travail. Les salariés d'EDF surveillent les prestataires au lieu d'apprendre les gestes, ce qui génère une forme de lassitude. Des changements de modèle d'activité doivent aussi être soulignés. En devenant une société anonyme, EDF est entré dans un modèle beaucoup plus concurrentiel, faisant de la masse salariale le levier de pilotage principal de l'activité. Pour maintenir la filière en l'absence de projets en France, EDF a développé un nouveau modèle d'activité autour du nouveau nucléaire. EDF a servi de vendeur d'études : ce n'est plus la maîtrise du projet qui devient facteur principal, mais le taux horaire. EDF a procédé à des filialisations, avec des conventions collectives révisées à la baisse sur le plan social, pour abaisser le taux horaire et devenir plus compétitif sur un marché qui n'était à l'origine pas le sien. Nos directions nous entendent sur ces sujets, en annonçant qu'elles souhaitent réinternaliser certaines activités, mais il nous semble que cela ne sera pas suffisant. S'agissant de la filialisation, que ce soit dans l'ingénierie hydraulique ou nucléaire, nous ne sommes pas encore entendus. Ainsi, une filiale en convention collective Syntec a été créée pour les SMR – comme si les ingénieurs d'EDF n'étaient pas jugés suffisamment compétents pour s'occuper de cette activité.

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Au contraire, la situation actuelle fait l'objet d'analyses différentes entre les dirigeants que nous avons auditionnés et vous-mêmes, notamment du point de vue de la maintenance.

Quand bien même la fermeture de tranches progressive a été annoncée, EDF disposait d'un actif industriel. Il s'agit donc de l'entretenir. Vous évoquez une baisse tendancielle de productible. On peut aussi s'interroger sur le calendrier du grand carénage. Selon vous, l'évolution du productible ces dernières décennies traduit-elle des choix industriels et managériaux de la direction ?

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Le covid a profondément désorganisé l'activité du parc. EDF a décidé de procéder au grand carénage pour prolonger la durée de vie des centrales et parce que le contexte réglementaire français contraint à développer les meilleures technologies et à moderniser sans arrêt les centrales nucléaires. Ces obligations génèrent des dépenses et des travaux immenses. Ce sont des choix politiques, administratifs ou de société, qui n'existent pas aux États-Unis, par exemple, où certaines centrales ont quatre-vingts ans. Seules les composantes dont la durée de vie ne permettait pas d'atteindre cette longévité sont remplacées.

Les contraintes techniques ou administratives qui pèsent sur l'entreprise sont à l'origine d'une partie du travail colossal que nous devons mener sur le grand carénage. Ces travaux ont des effets sur le productible puisque certaines tranches doivent rester indisponibles. Si cela n'excuse pas les dirigeants d'EDF, il faut reconnaître qu'ils sont obligés d'appliquer les directives qui s'imposent à eux.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Certes, le covid et le phénomène de corrosion sous contrainte étaient imprévisibles. Cependant, certaines dérives étaient visibles et identifiables depuis quelques années. Une première expertise avait été conduite en 2016 sur la diminution du coefficient de disponibilité. Elle a été actualisée au sein du CSEC il y a quelques mois.

En effet, le parc de production doit produire toujours plus et le mieux possible. Or, le champ de contraintes a évolué depuis quelques années. Il est de plus en plus difficile d'absorber les variations de production intermittentes. Le taux de pénétration des énergies renouvelables est en effet croissant, tandis qu'en parallèle, le parc thermique, qui permettait un suivi de charges plus adapté, est réduit à peau de chagrin. Le parc nucléaire français a effectué ce suivi de charge et le fera sans doute encore. Cependant, les contraintes sont sévères. Les effets de saisonnalité sont de plus en plus importants. S'y ajoutent les difficultés à déployer le programme de maintenance.

Le bon fonctionnement du système électrique repose désormais sur le parc nucléaire et sa part dans les moyens de production pilotables ne cesse paradoxalement d'augmenter. Ce phénomène n'a pas été suffisamment anticipé et rémunéré.

Il faut désormais engager une meilleure gestion des arrêts pour maintenance, en matière d'entretien et de contenu des activités, et surtout s'y tenir, car les enjeux de prolongation de durée de vie du parc actuel sont aussi corrélés aux activités de maintenance. Pendant plusieurs décennies, cela a bien été le cas, avant d'être progressivement perdu, sous l'effet notamment de la dégradation du tissu industriel. Les compétences sont en effet vivantes. Sur le nucléaire en exploitation, nous n'avons pas la possibilité de transmettre un certain nombre de compétences pratiques. Il faut recruter rapidement pour pouvoir anticiper les défis qui nous attendent.

S'agissant de l'augmentation des volumes d'activité sur le parc en exploitation, les exigences en matière de sûreté sont accrues. Mais aussi, les contraintes liées au suivi des besoins du marché forment un élément nouveau.

Enfin, concernant le personnel, il faut prendre des mesures d'urgence pour redonner du sens au travail. Les réorganisations incessantes bouleversent la stabilité des équipes. Des contrats de plus long terme sont nécessaires pour donner davantage de visibilité aux sous-traitants. Enfin, les plannings d'intervention doivent être sécurisés le mieux possible. Les arrêts de tranches ne peuvent servir de variable d'ajustement du niveau de disponibilité du parc.

Il faut recruter dans les collèges d'exécution et de maîtrise pour recréer des viviers pratiques de compétences.

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Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central

L'un des enjeux pour l'entreprise est de créer un moyen de contrôle non disruptif, qui ne contraint pas à opérer une coupure pour vérifier l'existence de corrosion. Or, cela passe par la recherche et le développement, ce qui constitue un autre point de désaccord avec la direction. En effet, l'intensité des investissements en R&D par rapport au chiffre d'affaires est inférieure à celle d'autres électriciens comparables en Europe.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Nous savions que le vieillissement des tranches induirait des complications lors des arrêts. C'est la raison pour laquelle les 12 gigawatts – qui représentent l'énergie produit par dix réacteurs – qui ont été fermés nous manquent tant. Une telle décision à l'approche des opérations de maintenance témoigne d'un manque criant de responsabilité.

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L'enjeu de la commission d'enquête est de nous éclairer sur les décisions politiques ou de gouvernance d'entreprise qui ont conduit à affaiblir notre souveraineté énergétique. Quels sont les moments clés et qui sont les responsables politiques ayant pris des décisions de nature à l'affaiblir ? Il ne s'agit pas de régler des comptes, mais d'éviter de renouveler les erreurs du passé.

Par ailleurs, notre commission enquête sur les leviers qui nous permettraient de regagner en souveraineté énergétique. À ce titre, suffit-il que l'État soit actionnaire, même à 100 %, pour devenir stratège et planificateur en matière énergétique ? De quels outils de gouvernance et démocratiques devons-nous nous doter pour développer notre politique énergétique ?

Croyez-vous que l'affaiblissement de notre souveraineté énergétique, qui a eu des conséquences sur la souveraineté industrielle plus largement, réside dans l'émiettement de l'unicité de l'outil de politique énergétique et de l'affaiblissement de sa capacité à mener une politique globale et cohérente ?

Le statut des électriciens gaziers est-il consubstantiel à une garantie de souveraineté, étant donné qu'il va de pair avec un haut niveau de qualification, de compétences, et même de neutralité dans un secteur aussi stratégique ?

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Nous sommes les héritiers de la loi de nationalisation de 1946 édictée par Marcel Paul en application du Conseil national de la résistance. Désormais, nous vivons une étatisation par offre publique d'achat (OPA) édictée par des banques d'affaires. Ce n'est pas la même chose. Nous souhaitons, devant vous, une loi de nationalisation, afin de fixer les moyens objectifs du service public de l'électricité et d'en suivre les effets et conséquences dans le temps. Or, nous en sommes si loin que les informations sur les tranches arrêtées ou le productible sont délivrées au marché avant d'être communiquées à l'Assemblée nationale ou aux représentants du personnel.

La loi de nationalisation, cependant, ne serait pas suffisante en elle-même. Il faudrait qu'elle précise la gouvernance de l'entreprise, qui ne peut consister en un conseil d'administration chargé de régler les affaires – et, surtout, les bonnes affaires – à court terme, quitte à accentuer la dette sans investir dans les moyens de production. La gouvernance doit avant tout défendre une vision du service public, en associant la représentation nationale, la représentation des usagers, les associations de consommateurs notamment, et la représentation des salariés. C'était d'ailleurs le modèle qui était proposé en 1946.

Il s'agit en réalité d'un des trois éléments que nous proposons. Nous réclamons en effet également la sortie du marché de l'électricité, afin de recouvrer la souveraineté énergétique en maîtrisant les tarifs par le mix de production nationale, et la sécurisation de l'approvisionnement. Il s'agirait également de mettre un terme au dogme de la concurrence dite libre et non faussée. Chacun est en effet bien conscient des méfaits du marché de l'électricité. Toutes les collectivités locales et les entreprises appellent au retour du tarif réglementé de l'électricité, et il est scandaleux qu'elles n'y aient pas accès.

Tout projet de loi de nationalisation qui prendra en compte ces propositions serait plus que de bon ton. Il est urgent que le pays reprenne la main, par l'action des représentants de la nation, sur le service public de l'électricité et plus globalement de l'énergie.

La loi de nationalisation date du 8 avril 1946 ; celle qui a créé le statut d'électricien gazier a été promulguée le 22 juin 1946. On peut sans doute y voir un esprit de cohérence. La CGT a un bel institut d'histoire sociale, dont la devise est « connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l'avenir ». Comment ce statut est-il apparu ? Marcel Paul et ses camarades ont compris que la loi de nationalisation n'était pas suffisante, car il fallait aussi disposer de la main-d'œuvre nécessaire. Or, à la sortie de la seconde guerre mondiale, la main-d'œuvre était majoritairement attirée par le secteur du bâtiment. Le statut vient aussi de ce constat : il fallait consolider, attirer et fidéliser les salariés. Dans le contexte actuel, la question du statut, de la garantie collective forte et de haut niveau de compétences doit faire l'objet de toute notre attention. Or, notre inquiétude ne fait que s'accentuer. Le statut est donc un corollaire indispensable aux missions de service public – si, du moins, on veut retrouver un véritable service public.

Nous avons déjà pointé les responsables dans notre propos liminaire. Depuis 1946, EDF a traversé cinquante ans de monopole public, au service du pays, avant de connaître, avec les directives de 19996, 2002, 2004 et la loi Nome, une période de libéralisation où l'entreprise a été fragilisée, pillée et spoliée, rendant difficile l'accomplissement de ses missions de service public.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Depuis vingt-cinq ans, la libéralisation du secteur en a fragilisé la maîtrise publique et a dégradé notre souveraineté énergétique. Le personnel en subit les conséquences au quotidien, notamment en matière du sens qu'il donne à son travail – dont il ne faut pas minimiser la charge symbolique : il est différent de travailler au service de la nation ou d'une entreprise quelconque.

Nous avons su réussir de grands projets industriels. Le plan Messmer est toujours reconnu comme le plus grand succès industriel des quarante dernières années, grâce, notamment, à l'électricien public national et son personnel statutaire. Nous sommes alertés par la filialisation latente de l'ingénierie au sein d'EDF, notamment du personnel chargé de la conception du nouveau nucléaire. Un tel sujet soulève des questions de responsabilité en tant qu'exploitant, mais aussi de concepteur de centrales nucléaires. Nous sommes unanimement opposés à la dégradation des conditions statutaires du personnel. La propriété capitalistique des entreprises ne suffit pas à assurer la maîtrise publique. Certes, nous devons assurer la maîtrise par le citoyen des missions et des orientations des entreprises, mais aussi renforcer les prérogatives du personnel. Nous avons exercé notre devoir d'alerte sur les moyens de production pilotables et les risques de pénurie au plus fort de l'hiver, ainsi que sur les questions économiques. Il semble essentiel que le droit d'intervention des salariés soit renforcé : cela aurait évité bien des déboires. Depuis 2006, nous avons continuellement fait part de nos inquiétudes sur la tenue des calendriers, sur l'état des capacités industrielles ou encore sur les moyens dédiés à la réussite de l'EPR de Flamanville. Nous avons été insuffisamment entendus. La CGT a été la seule à pointer certaines problématiques sociales en lien avec le développement de l'EPR – Bouygues a ainsi été condamné pour avoir employé des salariés détachés.

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Nous devons aussi rappeler l'intérêt de l'entreprise intégrée. En effet, si un opérateur intégré possède une centrale hydraulique, une centrale nucléaire et des énergies renouvelables, il lui est plus aisé de chercher à les optimiser et d'arbitrer entre leur utilisation. Au contraire, le morcellement de la production sur le territoire met à mal l'optimisation. La meilleure optimisation, d'ailleurs, consisterait à avoir un producteur européen.

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Les dirigeants d'EDF que nous avons auditionnés ont longuement abordé les types de compétences nécessaires pour réhabiliter et relancer la production des centrales. Pourriez-vous nous préciser la nature des compétences et des métiers particulièrement critiques ? On entend souvent parler du soudage, de la chaudronnerie et de la maintenance. En avez-vous identifié d'autres ? Que pensez-vous du projet de l'université du nucléaire ?

Je souhaite également vous entendre sur le moral des salariés d'EDF. Vous disposez de l'indicateur MyEDF. Un récapitulatif de l'année 2022 a-t-il été publié ? En ce sens, il me paraîtrait éclairant que vous commentiez les données auxquelles vous avez accès, tant sur le moral actuel des salariés que sur la confiance qu'ils ont dans l'avenir de l'entreprise et du secteur.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

La filière nucléaire a travaillé sur plusieurs secteurs, notamment les opérateurs de première ligne que vous avez cités, mais aussi les projeteurs, les usineurs... Nos préoccupations portent sur leur nombre, mais également sur la transmission des compétences. En effet, dans les dix ans à venir, seule la moitié des fondeurs sera présente au sein de l'entreprise.

Le premier secteur qui intervient dans le développement de nouveaux réacteurs est le génie civil. Le génie-civiliste Bouygues a accusé environ deux ans de retard sur l'EPR de Flamanville. Or, le génie civil donne le la au reste du chantier. Ces secteurs, souvent dans l'ombre de la filière nucléaire, sont particulièrement pénibles. Aussi, pour favoriser l'attractivité, il est nécessaire d'améliorer la reconnaissance de ces métiers techniques et les valoriser. Il n'y aura pas d'industrie 2.0 sans industrie lourde. Il faudra revitaliser le tissu industriel, afin de disposer d'aciéries et de fonderies. Il a par exemple fallu importer des pièces d'Italie lors des problèmes de corrosion sous contrainte.

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Arnaud Barlet, représentant CFE Énergies au CSE Central

Nous devons identifier les métiers qui nous font défaut aujourd'hui, sans oublier ceux qui seront critiques demain si le statut des IEG ou le système des retraites évoluent. En effet, leur avantage est de fidéliser les ressources. Nos centrales fonctionnent grâce à des technologies qui datent des années 1975 à 1990. Dans les écoles, personne ne forme à ces technologies. Les employés acquièrent donc leurs compétences lors de leur entrée dans leur entreprise. Pour les rendre autonomes, ils doivent connaître l'ensemble des matériels de la centrale, ce qui requiert une dizaine d'années.

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

Je ne commenterai pas l'outil de management MyEDF, qui est probablement en cours d'étude ou d'écriture. Du point de vue des organisations syndicales, le personnel est lucide sur la situation dans laquelle se trouve l'entreprise, sur le problème de la spoliation au travers de l'Arenh et sur les problèmes de conditions de travail quotidiennes. De nombreux services, de l'exploitation aux directions commerciales, connaissent une surcharge de travail sur les tranches. Pour autant, nous connaissons une unanimité syndicale sur tous les sujets depuis quatre ans. Le personnel est donc acteur de victoires majeures, notamment contre le plan Hercule, qui visait à désintégrer l'entreprise en ouvrant plusieurs activités aux capitaux privés. Par ailleurs, nous avons obtenu récemment gain de cause sur les salaires. Le personnel est donc prêt à de nouvelles batailles.

Les travaux de votre commission bâtissent les projets d'avenir autour du service public de l'électricité. On nous répète que l'avenir sera électrique : le personnel d'EDF n'est donc pas dans le même esprit que celui de Kodak lors du passage de l'argentique au numérique !

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

Les discours récurrents qui ont consisté à demander sans arrêt des efforts supplémentaires au personnel ont montré de sérieuses limites. Nous avons subi plusieurs plans d'économies. Cela doit cesser. Nous sommes à l'heure des choix : si nous voulons nous engager pour un avenir décarboné et pour assurer l'avenir énergétique de la nation, il faut redresser la situation et nous inscrire dans la durée. Je pense que nous pourrons trouver avec les directions d'EDF, les parlementaires et l'ensemble des parties prenantes des points d'accord qui nous permettront d'avancer définitivement.

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Nous subissons une pénurie d'électricité et une politique de sobriété dignes d'un pays du tiers-monde, qui auraient pu être évitées si nous avions conservé a minima durant la durée du grand carénage nos capacités de production pilotables. Nous souffrons également d'une perte de savoir-faire qui menace l'avenir de la filière nucléaire. La stratégie pour recouvrer notre sécurité d'approvisionnement électrique du pays passera par le groupe EDF. Le projet Hercule qui visait à démanteler le groupe en trois entités et à en ouvrir au moins deux aux capitaux privés a semble-t-il été abandonné ; qu'en est-il de son projet alternatif ? La Première ministre a chargé le nouveau PDG du groupe d'émettre une proposition dans les six mois pour structurer le groupe EDF. Avez-vous connaissance des préconisations envisagées ? Si je ne me trompe pas, la Première ministre souhaite en effet que les parties prenantes soient associées. Dans quelle mesure est-ce votre cas ?

Par ailleurs, vous avez longuement évoqué les difficultés qu'implique l'abandon progressif de nombreuses activités par le groupe EDF, notamment vis-à-vis de certaines compétences liées à la maintenance et à la construction de centrales nucléaires ou hydrauliques par exemple. Au regard du récent feu vert en faveur de la construction de nouvelles centrales nucléaires, la direction de EDF envisage-t-elle une stratégie de réintégration de ces activités, ou souhaite-t-elle continuer à recourir à des sous-traitants, ce qui peut conduire à des situations malheureuses, comme le cas de l'EPR de Flamanville en témoigne ?

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE Central

La Première ministre a en effet mandaté le nouveau PDG sur plusieurs thèmes. Comme du temps du projet Hercule, nous ne sommes associés à aucune préconisation. Le Gouvernement a garanti qu'Hercule n'était plus à l'ordre du jour dans le document de l'OPA, mais je rappelle qu'il ne l'était pas davantage auparavant, puisque le dossier n'a prétendument jamais existé. Nous n'obtenions des bribes d'information que par la presse. Le montage de désintégration de l'entreprise et de bradage au privé des parties les plus rentables à court terme a surtout fait l'objet de discussions en coulisses entre le Président de la République, le PDG sortant et l'autorité chargée de la concurrence au sein de la Commission européenne à Bruxelles.

Nous considérons que nous avons emporté la victoire, mais nous restons vigilants. Un autre Hercule pourrait être dans les cartons. Cependant, il est certain que nous sommes à l'heure des choix. Les représentants de la nation ne peuvent laisser se poursuivre la désintégration de la boutique : ils doivent en refaire un service public. Tant que cela n'aura pas changé, le PDG gèrera EDF comme un boutiquier, sans vision à long terme d'un service public qui aurait la capacité à construire son parc nucléaire remboursé au fil du temps sur les factures. Il en va de même pour le parc hydraulique : en 1960, 56 % de la production était hydraulique. Or, en 1973, 75 % de la production dépendait du pétrole en raison de l'augmentation de la demande et de l'ouverture de centrales au fioul.

Les choix en matière énergétique ont été faits en général avec audace et rapidité. La loi de 1946 a été votée en six mois, tout comme le plan Messmer. En vingt ans, cinquante-six réacteurs nucléaires ont été construits ; aujourd'hui, en quinze ans, on n'arrive pas à en faire un seul. Nous pouvons continuer à gérer EDF comme une boutique, alimentée par des projets de banques d'affaires, avec la bénédiction de Bruxelles ; ou bien la Nation reprend la main sur les questions énergétiques et sur le service public de l'électricité. Nous ne parlons pas là d'une utopie, mais bien de quelque chose qui a existé. J'ai passé la moitié de ma carrière professionnelle dans le cadre du monopole public d'EDF. C'est la raison pour laquelle nous insistons également sur la nécessité d'un double bilan, qui comparerait les conséquences de cinquante ans de monopole public et celles des vingt-cinq dernières années.

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Catherine Nicolas-Michon, représentante FO Énergies et Mines au CSE Central

EDF affiche une volonté de réinternaliser les compétences qui ont été sous-traitées pour faire face aux défis industriels de demain, ce qui est une bonne chose. EDF investit pour attirer les profils sur les compétences clés qui nous manquent. Nous pensons avoir enfin été entendus sur ce point, mais nous attendons d'en voir les résultats.

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Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central

La question du faire ou du faire faire dans l'entreprise est un sujet tabou. Malgré nos demandes réitérées, la tenue d'un échange serein avec la direction sur nos besoins sur la maîtrise technique et industrielle nous a toujours été refusée.

L'entreprise donne par ailleurs des contre-signaux sur la réinternalisation, et notamment sur la R&D. La R&D permet d'anticiper et de traiter les difficultés rencontrées sur le parc nucléaire. Outre le développement d'un outil performant de contrôle non disruptif de la corrosion sous contrainte, nous avons par exemple pu traiter des phénomènes d'apparition des dépôts sur les crayons combustibles. Or, après sept années consécutives de diminution des effectifs, près de trois départements de R&D ont été supprimés. C'est inacceptable. Par ailleurs, nous venons d'apprendre la prochaine fermeture des boucles d'essais concernant la robinetterie, qui permet de qualifier certains matériels. Ce sont des pertes de compétences dans un domaine indispensable tant sur le parc en exploitation que sur l'EPR. Sans ces outils internes, EDF sera dépendant d'installations extérieures. Par conséquent, elle devra diffuser des informations confidentielles et attendre les disponibilités de ces moyens d'essais.

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Je vous remercie. Cette audition nous a été utile pour apporter un angle supplémentaire à notre lecture. Bien que 63 % du mix énergétique français ne soit pas électrique, la politique énergétique évoque bien souvent la politique électrique. Les Français comme les politiques ont d'ailleurs le sentiment qu'EDF est encore leur outil. Malgré les évolutions de sa nature juridique, l'actionnariat principal d'EDF est en effet toujours resté public, ce qui nous donne davantage de moyens d'agir dans ce domaine que sur le reste des moyens énergétiques.

La séance s'achève à 18 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, M. Sébastien Jumel, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.