Le dernier bilan prévisionnel de RTE tire la sonnette d'alarme. Un tiers de ce rapport est consacré aux mesures à prendre pour sécuriser le réseau grâce à des gestes citoyens pour passer l'hiver. C'est tout de même incroyable ! Les années précédentes, RTE prétendait que la fermeture de Fessenheim et des centrales thermiques ne poserait aucun problème.
Vous parlez de l'indépendance de RTE. RTE est plus qu'indépendant. Qui est en charge de la prévision à long terme des moyens de production à construire pour sécuriser l'approvisionnement ? Ce n'est pas, ou plus, EDF. En bon élève, avec un reste de culture du service public, EDF a prévu un plan de construction d'EPR. Ce n'est pourtant pas son travail, mais celui de RTE. Majoritairement, RTE appartient à EDF, mais aussi à ses actionnaires. RTE a agi en boutiquier, comme les autres ! Il lui était plus avantageux en effet d'installer des interconnexions, de tirer du câble et de monter des onduleurs que de maintenir des centrales. D'ailleurs, pendant longtemps, RTE a prétendu que les interconnexions suffiraient pour gérer la crise. On a donc parié sur les énergies renouvelables et sur les interconnexions pour fermer les centrales du Havre, de Porcheville, d'Aramon et de Fessenheim – et désormais, face à l'impasse, RTE nous appelle à respecter les gestes citoyens.
En janvier 2017, nous avons tiré la première sonnette d'alarme sur la situation du réseau. RTE, comme les autres, nous ont ri au nez en prétendant que nous n'y connaissions rien. Les travaux d'expertise ont été menés par les mêmes cabinets, que nous avons conservés en raison de leur niveau de connaissance. Cet hiver, il se trouve que les conclusions du cabinet IED, qui travaille avec nous, ont été citées par de nombreux experts économiques et médiatiques.
L'équation, à nouveau, est simple. Nos moyens pilotables doivent être égaux au pic de consommation hivernale, qui s'élève à environ 100 gigawatts. Or, nous nous sommes privés de 12 gigawatts, au prétexte que nous nous en remettrions à nos voisins en cas de besoin. Le bon sens commandait pourtant de conserver nos moyens pilotables au moins le temps de traverser la longue période de grand carénage sur le nucléaire, soit une dizaine d'années. Nous aurions alors été certains de ne pas dépendre de nos voisins. Cela ne nous empêche pas de prôner les interconnexions et les principes de solidarité et d'échanges techniques et commerciaux avec nos voisins. D'ailleurs, certains, notamment le ministre de l'économie, affirment qu'il ne faut pas toucher au marché européen, car c'est grâce à cela que nous avons des interconnexions ; c'est oublier que ces dernières datent de 1967, soit bien avant Maastricht et le funeste marché européen de l'énergie.
RTE et l'EDF ont géré leurs affaires en boutiquiers. C'est le cœur même du scandale dont nous payons très cher les conséquences : chacun a été déresponsabilisé. Il n'y a plus de vision globale du service public de l'électricité. C'est à vous, Mesdames et Messieurs les députés, de reprendre la main.
Nous avons tiré la sonnette d'alarme, mais les délais de construction des nouveaux EPR conjugués aux ambitions fortes en décarbonation de l'économie par l'électrification – véhicules électriques et transferts d'usage notamment – poseront de nouveau problème les hivers prochains. Nous risquons de nous trouver dans une impasse terrible, qui nous poussera à ouvrir des cycles combinés gaz. En effet, bien qu'interdit en France, c'est le moyen le moins cher et le plus rapide – dix-huit mois – à construire ; mais il s'agit aussi du combustible le plus coûteux.
Le marché n'a fait que son travail en rendant l'électricité rare et chère. Il s'est aussi assis sur les accords de Paris et le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) : en 2021, le marché a imposé, par le système de merit order, que les centrales à charbon tournent avant les centrales à gaz, alors que le rapport de CO2 à l'atmosphère entre les premières et les secondes est deux fois plus élevé.