Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SOS
  • enfance
  • fratrie
  • village

La réunion

Source

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de M. Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants, et Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer »

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Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête consacrée aux manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition de M. Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'Enfants, et de Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de cette association. Merci d'avoir répondu à notre invitation.

Votre association se distingue par son accompagnement des frères et sœurs dont la situation familiale nécessite le placement. Dans le contexte difficile d'un placement, les relations fraternelles constituent souvent une ressource essentielle pour chaque enfant. La loi du 7 février 2022, dite loi Taquet, réaffirme ce principe de l'accueil en fratrie, sauf si l'intérêt de l'enfant requiert une autre solution. Nous pourrons revenir sur ce principe lors de votre audition. Je vous laisse la parole pour une intervention liminaire d'une durée maximale de 15 minutes.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale. En outre, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».

(M. Hervé Laud et Mme Florine Pruchon prêtent serment.)

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Nous vous remercions pour l'opportunité donnée à notre association de s'exprimer dans le cadre de cette commission d'enquête. M. Hervé Laud est directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association, fort d'une carrière de plus de trente ans en protection de l'enfance, d'abord en tant qu'éducateur, puis directeur d'établissement. Je suis quant à moi responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association, engagée depuis plus de dix ans sur les questions des droits humains, en particulier ceux des enfants. Dans ce propos liminaire, nous souhaitons d'abord vous présenter brièvement notre association et ses spécificités, puis mettre en lumière les principaux enjeux que nous avons identifiés. À ce titre, nous avons échangé en amont de cette audition avec les membres de notre Comité jeunes plaidoyer, composé d'une quinzaine d'enfants et de jeunes. Ce comité travaille avec nous pour identifier les dysfonctionnements et proposer des solutions. Nous partagerons également certains de leurs constats. Nous avons pris connaissance du périmètre de la commission d'enquête, centré sur les dysfonctionnements de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Nous allons donc vous exposer notre point de vue en tant qu'acteurs de terrain, accompagnant des enfants et des jeunes en protection de l'enfance depuis près de soixante-dix ans.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Pour poursuivre, je tiens à rappeler que Mme Florine Pruchon possède une expertise notable dans l'accompagnement des droits humains, ainsi que dans la mise en œuvre et la participation de groupes.

SOS Villages d'Enfants est une association « loi 1901 », reconnue d'utilité publique, qui accueille aujourd'hui environ 1 500 enfants, principalement dans des villages d'enfants. Actuellement, nous comptons vingt villages d'enfants et un établissement à Valenciennes, la maison Claire Morandat, qui accueille des jeunes de 16 à 21 ans. Nous disposons également de quelques dispositifs appelés « programmes de renforcement des familles », assimilables à de l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou de l'aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOr). Nous intervenons aujourd'hui dans environ quinze départements. Nous constatons que les services de l'ASE, bien qu'ils aient des lignes directrices et qu'ils présentent des homogénéités, présentent également des singularités. Ce constat est récurrent lorsque nous travaillons sur plusieurs départements.

Notre projet a été réaffirmé en 2023. Nous avons trois principaux domaines d'action : l'accompagnement des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance en France, le partenariat en matière de solidarité internationale – nous sommes une organisation non gouvernementale (ONG) membre d'une fédération internationale présente dans 136 pays et territoires – et le plaidoyer. Nous assumons pleinement notre rôle dans le débat public, depuis les fondateurs qui ont analysé leurs actions et partagé leurs conclusions pour faire avancer les choses. Notre présence dans le débat public repose sur une expertise et des analyses, renforcées par notre rôle d'acteurs de la protection de l'enfance. Notre plaidoyer est ainsi étayé et légitimé par notre ancrage dans le concret.

Nous savons que concrétiser des actions n'est pas toujours aussi simple que de les annoncer. Nous plaidons en notre nom, au nom de notre fédération, mais aussi fréquemment au sein de réseaux et de collectifs. Nous sommes notamment à l'origine de collectifs tels que « Cause Majeur ! », auditionné hier. Au quotidien, nous avons développé au sein de l'association des dispositifs et des programmes associatifs complémentaires à l'accueil des enfants. L'un de ces programmes porte sur le sport, mais surtout sur le travail sur soi via le sport, que nous appelons le projet d'épanouissement par le sport. Un autre programme, nommé « espace national de consultation des jeunes », est centré sur la participation. Un troisième programme, baptisé Pygmalion, se concentre sur les enjeux d'accompagnement de la réussite scolaire. Nous avons également développé une politique singulière autour de l'accompagnement des jeunes majeurs, pour lesquels nous plaidons beaucoup ; nous essayons de faire au mieux. Nous nous appuyons sur les textes internationaux, cela fait partie de notre ADN. La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) de 1989 a structuré notre action. Les résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU) de 2019 et les observations finales du Comité de Genève, adressées tous les cinq ans, sont vraiment précieuses – les dernières datent de juin 2023. L'année dernière, nous avons intégré le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et nous sommes membres du comité d'entente du Défenseur des droits. Nous allons aujourd'hui échanger avec vous sur nos analyses relatives aux manquements et sur nos pistes de recommandations ; certains enjeux étant devenus urgents au fil du temps.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Nous avons structuré notre présentation autour de cinq axes clés. Le premier axe, qui nous semble transversal à tous les autres, est celui de l'importance d'une approche par les droits en protection de l'enfance, en s'appuyant sur les quatre grands principes de la CIDE. Ces principes sont la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement et la participation. Nous estimons que l'approche par les droits constitue un puissant levier pour améliorer la qualité de la prise en charge proposée aux enfants. La CIDE reconnaît l'enfant comme sujet de droit et invite les débiteurs d'obligations, c'est-à-dire les pouvoirs publics, les professionnels de l'enfance et les familles, à se mobiliser pour accompagner les enfants dans la mise en œuvre effective de ces droits. La CIDE nous invite également à appréhender l'enfant dans sa globalité et à le sortir de la seule case de la « protection de l'enfance » pour s'intéresser à tous les aspects de sa vie, que ce soit sa scolarité, sa santé ou encore l'accès aux loisirs et au sport, afin qu'il puisse grandir comme un enfant vivant dans une famille traditionnelle. Pour illustrer ce point, notre Comité jeunes plaidoyer a remonté un problème concernant la distinction entre actes usuels et non-usuels, qui mérite d'être clarifiée aujourd'hui. Cette clarification permettrait à chaque enfant bénéficiant de la protection de l'enfance de vivre une enfance classique. Par exemple, les demandes d'autorisation multiples pour aller dormir chez un ami ou pour participer à des sorties scolaires et des voyages à l'étranger peuvent constituer des freins et conduire certains enfants à ne pas y participer. La loi du 7 février 2022 a permis de progresser sur ces sujets mais, à ce jour, nous estimons que le compte n'y est toujours pas, malgré les différents outils élaborés par les départements. Il nous semble essentiel d'aller plus loin sur ce sujet, notamment pour faciliter les démarches administratives et permettre aux enfants de vivre pleinement leur vie d'enfant. Lors de nos échanges avec les jeunes, ce point revient systématiquement comme une priorité.

Sur des enjeux plus thématiques, je souhaite également vous interpeller sur les questions liées à la santé. Il est important de rappeler que les enfants protégés ont des besoins en santé plus importants que la population générale. Cependant, ils rencontrent plusieurs obstacles à la prise en charge de ceux-ci, tels que la méconnaissance de leur état de santé lors de leur placement en protection de l'enfance, la pénurie de professionnels de santé et la crise aiguë que traverse le secteur de la pédopsychiatrie. Ils subissent également la stigmatisation et le manque de coordination entre les différents acteurs. Les enjeux de santé physique et mentale doivent être pris en compte dès le début de la prise en charge. La généralisation du dispositif « Santé protégée », annoncée lors du dernier Comité interministériel à l'enfance (CIE), est attendue. Les principales annonces des Assises de la pédopsychiatrie présentées vendredi dernier ne répondent pas suffisamment à nos attentes. Par exemple, le carnet de santé numérique constitue une piste intéressante, mais il est impératif de le mettre en œuvre rapidement.

Concernant les enjeux liés à la scolarité, les enfants confiés présentent plus souvent que la moyenne des retards scolaires et des redoublements. Les membres du Comité jeunes plaidoyer insistent particulièrement sur la question de l'orientation scolaire, souvent effectuée par défaut, dont ils se sentent parfois victimes. Ils affirment que trop de jeunes de l'ASE sont orientés vers les filières professionnelles. Les annonces faites lors du CIE de novembre dernier vont dans la bonne direction, mais il est essentiel de travailler dès maintenant à leur mise en œuvre. Pour réaliser cette approche par les droits en protection de l'enfance, il est impératif de renforcer la formation initiale et continue de tous les professionnels en lien avec les enfants. Je pense notamment aux médecins, infirmiers, enseignants, éducateurs, etc. La formation doit inclure le repérage des situations de danger dans la famille, la détection et l'accompagnement des victimes de violence, les droits de l'enfant, la participation, ainsi que les problématiques et réalités des enfants accueillis en protection de l'enfance. Ces enjeux de formation sont également partagés par notre Comité jeunes plaidoyer. M. Hervé Laud va maintenant vous présenter le second axe.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Ce second axe concerne le respect des standards de prise en charge, une terminologie quelque peu onusienne et dépassant les frontières de la France. Aujourd'hui, les manquements de l'ASE doivent être expliqués comme des défaillances systémiques. Nous sommes tous garants de faire au mieux pour que nous arrivions à nous occuper convenablement des enfants nécessitant une prise en charge alternative à celle de leur famille, au moment où ils en ont besoin. Il existe des standards importants, notamment les lignes directrices de l'ONU de 2009. Nous nous appuyons sur deux principes fondamentaux : la nécessité et l'adéquation. Sur ces deux aspects, il reste encore beaucoup à accomplir. Comment mieux déterminer ce qui est nécessaire pour chaque enfant ? Aujourd'hui, nous ne sommes pas encore assez performants dans cette évaluation. Lorsqu'une alerte est émise, que ce soit auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) ou par un signalement venant de l'école, il est crucial de prendre le temps de bien comprendre la situation. Il est nécessaire de déterminer si l'enfant concerné a besoin d'une alternative à ses parents. Existe-t-il des alternatives au sein même de la famille, comme une tante, un oncle ou un grand-parent capable de prendre en charge l'enfant ? Ces solutions sont-elles durables et fiables ? Parfois, les parents peuvent faire partie de la solution en acceptant une situation de placement. Dans d'autres cas, ils ne peuvent pas être impliqués, car la nature du lien familial est trop détériorée, rendant les rencontres dangereuses. Il est impératif de consacrer plus de temps à cette évaluation, sans subir la pression de la place disponible. Ainsi, le principe d'adéquation pourrait être mieux mis en œuvre. Par exemple, pour un enfant, un projet SOS Villages d'enfants pourrait être parfaitement adapté, tandis que pour un autre, une maison d'enfants à caractère social (Mecs) ou un placement à domicile serait préférable. Cependant, je ne semble pas convaincre grand monde à ce sujet. Comment pouvons-nous nous donner les moyens nécessaires pour y parvenir ? Il s'agit d'une question fondamentale, car il est crucial de bien accompagner les enfants.

Actuellement, nous sommes confrontés au manque d'exécution des mesures, ce qui est catastrophique non seulement pour les enfants, mais aussi pour les responsables qui se sentent coupables de ne pas pouvoir mettre en œuvre les solutions qu'ils ont élaborées. Nous avons commencé à diversifier le panel de solutions, conformément à la loi du 5 mars 2007. Toutefois, est-ce toujours fait afin de disposer d'un éventail de solutions ? Ces mesures ne sont-elles pas, parfois, influencées par des logiques financières, où l'on préfère trois placements à domicile pour une place d'accueil physique ? Ces questions méritent d'être posées. Si nous investissons dans des solutions hybrides et de prévention, il faut accepter que cela coûte presque aussi cher, voire plus. Peut-être trouverons-nous des pistes de réflexion à ce sujet. Pour l'instant, nous avons le sentiment que ce n'est pas tout à fait le cas. Concernant les fratries, les enfants eux-mêmes rappellent au Comité jeunes plaidoyer que conserver des liens fraternels reste compliqué. Bien que des progrès aient été réalisés, en cas de séparation, les enfants ont toujours besoin d'autorisations pour se rencontrer lorsqu'ils ne sont pas accueillis conjointement. Cette situation demeure très complexe et ils le dénoncent également.

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Je me permets de vous interpeller parce qu'il y a cinq axes, si j'ai bien compris.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Les autres sont plus courts, rassurez-vous.

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Nous avons déjà consacré vingt minutes à cette discussion. Nous recevrons vos réponses par écrit, ce qui nous permettra de clarifier les détails. Pourriez-vous mentionner rapidement les trois axes restants et y revenir si nous en avons le temps, afin que nous puissions disposer d'un temps suffisant pour les questions des députés et vos réponses ?

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Le troisième axe concerne la participation des enfants et des jeunes. En matière de protection de l'enfance, nous devons encore progresser, tant dans les pratiques sur le terrain que dans l'élaboration des politiques publiques.

Le quatrième axe aborde l'accompagnement des jeunes majeurs. Nous en avons discuté hier, et bien que je ne souhaite pas m'étendre davantage, il est essentiel de souligner que nous partageons les principales recommandations du collectif « Cause Majeur ! ».

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Le dernier point concerne la coordination de l'ensemble des acteurs. Je voulais juste vous signaler que les jeunes eux-mêmes expriment des difficultés lorsqu'ils doivent s'adresser à leur éducatrice familiale ou à leur éducateur spécialisé. Ils soulignent régulièrement qu'ils se sentent perdus face au nombre d'interlocuteurs qu'ils ont.

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Je souhaite aborder la problématique spécifique des fratries. Le principe de non-séparation des fratries, réaffirmé dans la loi du 7 février 2022, semble encore peu effectif. Nous constatons, à travers nos échanges fréquents sur ce sujet, de nombreuses difficultés, notamment lorsque les enfants arrivent en centre d'hébergement d'urgence sans préparation, dans le cadre d'une ordonnance de placement provisoire (OPP). Il est souvent compliqué, au sein des structures, de garantir l'accueil de fratries, surtout lorsque celles-ci comptent plusieurs enfants d'âges variés, par exemple de 2 à 15 ans. Il est impératif que cela change. L'objectif est de garantir que, dans l'intérêt des enfants, les fratries puissent être maintenues ensemble, sauf en cas de présence d'un agresseur parmi eux. Il est essentiel de sécuriser les enfants au moment de leur accueil, qui constitue toujours un traumatisme.

Vous avez indiqué intervenir dans quinze départements. J'aimerais donc vous poser quelques questions. Premièrement, rencontrez-vous des difficultés liées au foncier pour l'ouverture de villages d'enfants ? Ces problèmes nous ont été remontés et il est crucial que vous nous en informiez afin que nous puissions lever les obstacles et rendre les projets plus efficaces, notamment en levant les freins associés.

Deuxièmement, je souhaite vous poser des questions sur la mise en œuvre de la loi Taquet du 7 février 2022. Est-ce que celle-ci correspond bien aux besoins que vous avez identifiés ? Le nombre de fratries dans les villages d'enfants est-il en adéquation avec le nombre d'enfants accueillis dans le cadre de la protection de l'enfance au niveau départemental ? Avez-vous, dans le cadre de cette loi, participé aux contractualisations entre l'État et les départements ? Disposez-vous d'une vision claire concernant les 600 places supplémentaires demandées dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance de 2020-2022 ? Pouvez-vous nous fournir des éléments concrets, indiquer les éventuels blocages et éclairer la commission d'enquête sur ces points ? Enfin, pensez-vous qu'il soit nécessaire de formuler des propositions concrètes concernant l'accueil, y compris en urgence, l'observation, l'orientation et la capacité pour ces enfants de se retrouver en fratrie et de construire un projet à long terme ensemble ?

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

En tant que responsable du développement depuis 2016, je tiens à rappeler qu'il y a presque vingt ans, lors des cinquante ans de l'association, nous avons demandé qu'il soit possible d'identifier nationalement le nombre d'enfants concernés par une mesure de protection de l'enfance, en particulier ceux ayant des frères et sœurs. Nous souhaitions savoir s'ils étaient accueillis conjointement ou non, si cela résultait d'un choix ou d'une motivation spécifique et déterminer l'adéquation du placement. À ce jour, ce chiffre n'existe toujours pas.

Pour guider les politiques publiques, il est essentiel de mesurer et d'identifier les problèmes afin d'y apporter des solutions. Par exemple, pour le plan « 1 000 piscines » des années 1960, il a fallu déterminer où installer ces piscines pour que tous les enfants en France apprennent à nager. De la même manière, il est nécessaire de définir les besoins et de quoi il est question ici. Certains départements font cet effort, bien que ce soit complexe, car cela implique un travail statistique et de consolidation. Il est compréhensible que la puissance publique hésite à identifier un chiffre qui pourrait démontrer qu'elle n'est pas au rendez-vous. Cependant, ce chiffre reste important. Par exemple, un département pourrait ainsi évaluer la nécessité de disposer de deux villages d'enfants de quarante-cinq places chacun, plutôt qu'un seul, pour commencer à répondre aux questions concernant les fratries. Par ailleurs, la loi Taquet, combinée à la mise en œuvre de la contractualisation, a eu un effet prescripteur massif. Bien que je n'aie pas les chiffres exacts, nous dépassons largement les 600 places si l'on cumule l'ensemble des appels à projets proposés et les réponses apportées. Parmi les opérateurs impliqués, on peut citer SOS Villages d'Enfants, Action Enfance, la Fondation Ardouvin, ainsi que le groupe SOS, qui gère également un village.

Aujourd'hui, notre demande est de mieux organiser les choses. Je ne suggère pas de recentraliser quoi que ce soit, mais il est nécessaire de structurer un peu mieux les processus. Il existe peut-être des instances pour cela. Nous faisons face à un afflux d'appels à projets, tous urgents. Entre la recherche de terrains, la construction, le recrutement et la continuité des propositions d'accueil, il faut anticiper et planifier. Notre direction des activités est très claire sur ce point, et notre directrice générale insiste sur l'importance d'accueillir progressivement les enfants. Nous ne pouvons pas intégrer soudainement un groupe de cinquante enfants, frères et sœurs inclus. Pour que cela fonctionne, il faut avancer progressivement, prendre le temps nécessaire et anticiper les besoins. Il est essentiel de savoir précisément ce que nous voulons accomplir et d'obtenir les financements adéquats pour recruter massivement.

Un autre enjeu majeur est la compréhension des fratries. Il existe des fratries multicomposées, des fratries ayant vécu ensemble, des fratries réunies pour la première fois lors du placement et des fratries dysfonctionnelles dont il faut analyser les problèmes. Certains dysfonctionnements peuvent être résolus par les adultes pour remettre les choses sur la bonne voie. Dans certains cas, il est nécessaire de séparer temporairement les frères et sœurs. En tant que membre de SOS Villages d'enfants, je peux affirmer que, dans 80 % des cas, la fratrie est une ressource précieuse et il est important de partager la même enfance.

Pour formuler des recommandations, il est indispensable de définir des repères. Par exemple, le temps de vie en amont est crucial : les enfants se connaissent-ils et vivent-ils ensemble avant le placement ? C'est un élément essentiel à prendre en compte. Ce n'est pas parce qu'ils ont vécu ensemble qu'ils vont venir, ni parce qu'ils n'ont pas vécu ensemble qu'ils ne viendront pas. Mais la manière dont nous les accueillerons et ce que nous co-construirons avec eux sera fondamentalement différente. Dans un cas, il s'agit d'une rencontre et de la création de liens inexistants. Certes, ils ont des liens du sang, mais cela ne suffit pas. Dans l'autre cas, il s'agit de l'accueil d'un dispositif familial parfois dysfonctionnel au sein d'un établissement, ce qui nécessite un travail différent de la part de nos collègues et des enfants eux-mêmes.

La durée du placement envisagé constitue également un facteur déterminant. Cette famille a-t-elle besoin d'un soutien temporaire de neuf à dix-huit mois ou d'une suppléance pérenne de cinq à six ans ? Parfois, la famille ne fait vraiment pas partie de la solution. D'autres fois, la famille est bienveillante mais absolument incapable de prendre en charge des enfants, pour mille raisons, souvent liées à la pauvreté. Lorsque l'on s'engage sur le long terme, il faut en être conscient.

Un autre aspect concerne l'aptitude à intégrer une prise en charge de type familiale, notamment dans le cadre des villages d'enfants. La symbolique pour une famille d'intégrer un village d'enfants, avec tout ce que cela implique, n'est pas anodine. Il faut également considérer l'adéquation des ressources du village d'enfants avec les besoins spécifiques des enfants. Ce n'est pas toujours évident mais idéalement, en collaboration avec l'ASE, nous pouvons mobiliser des ressources additionnelles. Par exemple, si le troisième enfant de la fratrie doit continuer à fréquenter un institut médico-éducatif (IME), il est bienvenu au village et grandira avec ses frères et sœurs, mais il nécessitera une double prise en charge. Il faut alors faire des choix : sommes-nous capables de gérer cette situation ou non ? L'enfant ne sera pas présent tous les jours. L'adhésion des enfants et des parents est évidemment essentielle, tout comme le travail important pour identifier les situations à risque.

Il est essentiel de comprendre que la capacité d'accueil d'une fratrie dépend directement des places vacantes. Cela peut sembler évident, mais pour accueillir quatre enfants, il est nécessaire de disposer de quatre places libres. Dans les familles d'accueil, qui sont excellentes pour recevoir des enfants, ainsi que dans les maisons d'enfants – j'ai moi-même dirigé une maison d'enfants par le passé, la pression du taux d'occupation est constante. L'idée de fluidité dans les parcours est souvent mise à mal par la réalité. Lorsqu'un enfant quitte sa chambre, un lieu où il a vécu pendant six mois, un an, voire dix ans, il n'est pas possible d'y installer un autre enfant immédiatement. Cela relève de la gestion des taux d'occupation. Pour accueillir des fratries, il est impératif que nos collègues de Mecs concernés parviennent à négocier, même dans les services d'accueil d'urgence et d'orientation, la possibilité de disposer de places vacantes. Il existe des astuces pour y parvenir, mais cela reste une question concrète et mathématique qui se négocie dans les budgets. Au-delà des considérations psycho-pédagogiques sur l'accueil des fratries, c'est un levier structurant essentiel.

En ce qui concerne le foncier, la situation est variable. Il peut être maîtrisé par le département ou, très souvent, offert à un euro symbolique par des communes qui voient l'arrivée de dix familles comme un atout. Notre objectif n'est pas de sauver des villages, mais d'assurer que les enfants soient accueillis dans des communes disposant des infrastructures nécessaires, au moins jusqu'au collège. L'installation d'un établissement soulève un enjeu d'aménagement du territoire. Cependant, la disponibilité du foncier n'est pas toujours le problème principal. Le véritable défi réside dans la nécessité d'investir pour construire. Actuellement, les départements rencontrent des difficultés à cause des problèmes de droits de mutation et des taux d'intérêt élevés. Ces sujets doivent être traités, par exemple sous forme de prêts bonifiés. Nous devons pour cela identifier les besoins précis pour établir un plan à long terme. Une approche pluriannuelle du système d'aide aux enfants serait une mesure de sauvegarde intéressante. Nous pourrions avancer progressivement avec l'appui de la Caisse des dépôts et consignations, qui propose désormais des prêts bonifiés avantageux.

Nous devons impérativement prendre cette question au sérieux. Si nous échouons à transformer l'offre de manière souhaitée et souhaitable, la déception sera immense. Nous avons longtemps défendu l'idée que, une fois inscrite dans la loi, une mesure devient acquise et qu'il est interdit de procéder autrement. Cependant, si nous n'y parvenons pas, cela représente un danger pour les enfants et pour la Nation. De plus, cela constitue une catastrophe en termes d'attractivité des métiers. Les individus souhaitent s'engager dans des initiatives qui fonctionnent. Il est donc essentiel de mettre en place les moyens nécessaires pour garantir leur succès.

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La question des pratiques en protection de l'enfance est un débat passionnant, à la fois éthique et philosophique. Aujourd'hui, la difficulté à laquelle nous sommes confrontés est l'étendue du sujet. Or notre commission d'enquête se concentre sur les manquements des politiques publiques. J'aimerais donc aborder les défaillances des départements, qui sont les chefs de file en matière de protection de l'enfance. Un premier déplacement de la commission d'enquête a permis de constater des insuffisances, notamment en termes d'anticipation du nombre d'enfants placés et de solutions pour ces enfants. De plus, l'État semble s'être fortement désengagé. Au sein du groupe La France insoumise, nous défendons l'idée de la recentralisation et d'une reprise en main des compétences par l'État. J'aimerais entendre votre position, au nom de l'association SOS Villages d'enfants, sur la manière de mettre en place une politique de protection de l'enfance efficace dans notre pays, car actuellement cela ne semble pas être le cas.

Vous avez également évoqué la question des métiers du secteur. Nous faisons face à une véritable crise d'attractivité, avec une perte de sens profonde pour les travailleurs sociaux, notamment les éducateurs spécialisés. Pourriez-vous nous expliquer vos pratiques en matière de recrutement ? Parvenez-vous à embaucher uniquement des personnes formées et diplômées ? Avez-vous recours à l'intérim pour faire fonctionner vos structures ? Rencontrez-vous des difficultés à pourvoir certains postes, comme le signalent de nombreux employeurs dans diverses études ? Par exemple, en Auvergne, une ouverture de structures est prévue dans l'Allier et dans le Puy-de-Dôme. Cependant, la question de la disponibilité des professionnels nécessaires pour faire fonctionner celles-ci se pose.

J'aimerais aborder un dernier point concernant le secteur privé lucratif. Par exemple, le groupe SOS s'implante progressivement et devient de plus en plus présent dans le domaine de la protection de l'enfance. Nous avons observé cette tendance dans plusieurs départements. Hier, nous avons interrogé une personne travaillant pour le groupe Domino sur ce sujet, mais j'aimerais également connaître votre avis. La protection de l'enfance constitue-t-elle un marché comme un autre pour les entreprises privées ?

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Je tiens à apporter une précision importante : Domino et le groupe SOS représentent deux entités très différentes. D'un côté, nous avons un acteur privé lucratif, et de l'autre, une organisation relevant de l'économie sociale et solidaire. Ces deux structures opèrent dans des registres distincts. Il est essentiel de le souligner. Lorsque vous m'interpellez sur la question de la privatisation, je ne peux en aucun cas inclure le groupe SOS dans cette catégorie. En effet, bien que je ne veuille pas les citer spécifiquement, d'autres entités beaucoup plus orientées vers le profit privé sont impliquées dans ce domaine.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

En réponse à votre question sur les enjeux de recentralisation, des dysfonctionnements persistent même dans des systèmes où la protection de l'enfance est centralisée – nous sommes membres d'une fédération internationale présente dans 136 pays et territoires. Pour nous, le cœur du problème ne se situe pas nécessairement là. Nous devons plutôt œuvrer à un pilotage plus cohérent et efficace entre l'État et les départements, tout en renforçant la dimension de contrôle de l'État sur les actions des départements. À ce titre, la loi du 7 février 2022 avait notamment prévu la mise en place des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE). Même si leur mise en œuvre est laborieuse, nous considérons que c'est un bon moyen de piloter ces politiques publiques en réunissant les différents acteurs autour de la table. Chez SOS Villages d'enfants, nous prônons l'accélération de cette expérimentation et, si elle s'avère concluante, sa généralisation.

Vous avez également évoqué les manquements de l'État. Hier, j'ai été auditionnée par votre commission d'enquête sur la question des jeunes majeurs. Pour illustrer les manquements que nous avons identifiés, prenons l'exemple de la loi du 7 février 2022, qui demande aux départements de proposer une solution aux jeunes à partir de 18 ans, idéalement jusqu'à 21 ans. Je le formule ainsi volontairement, car il n'est pas explicitement écrit que l'on demande d'accompagner les jeunes jusqu'à 21 ans. Cependant, un transfert de fonds de seulement 50 millions d'euros a été effectué pour accompagner la mise en œuvre de cette disposition. Même si certains départements font preuve de volontarisme, des questions budgétaires subsistent, empêchant la mise en œuvre effective des compétences qui leur sont attribuées.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Lorsque nous abordons la question de la centralisation et de la décentralisation, il ne s'agit pas d'éviter le débat. En réalité, pour ceux d'entre nous qui œuvrent dans la protection de l'enfance depuis longtemps, nous avons constaté qu'il a fallu au moins quarante ans pour que les départements montent en compétences. Malheureusement, l'État a perdu ses compétences à ce moment-là. Si demain nous revenons en arrière, il faudra encore trente ans pour qu'il les acquière à nouveau, et nous ne nous en sortirons pas. Durant la crise de la covid-19, nous avons constaté qu'à certains endroits, les acteurs se sont véritablement unis pour agir. Les masques sont arrivés à peu près au bon moment et les problèmes ont été résolus de manière satisfaisante. En revanche, dans d'autres endroits, la coordination entre le département et l'État a été chaotique, entraînant une véritable catastrophe. De cette expérience, et en écho aux propos de Mme Florine Pruchon sur les comparaisons internationales, aucun pays ne nous a démontré que c'est la question du millefeuille administratif qui change la donne.

Nous affirmons qu'il est nécessaire de recouper les lieux d'action. Créer une instance supplémentaire à laquelle personne n'a le temps de participer reflète une certaine réalité. Une des logiques pourrait être que ces lieux ne soient pas des instances où l'on énonce encore les problèmes et où on les analyse davantage, pour ensuite repartir avec un sac de problèmes à traiter. Il serait plus pertinent d'amener dans ces lieux les situations critiques et de ne pas quitter la pièce tant qu'elles ne sont pas résolues. Nous pourrions ainsi résoudre trois problèmes par réunion, sans aborder tout ce qui se passe dans le département, mais en avançant concrètement sur ces points précis. Il nous semble que si les moyens de l'État et des collectivités territoriales sont mobilisés, avec la participation des personnes concernées, des familles et des associations, nous pourrions avancer efficacement.

Vous avez posé une question sur le recrutement, ce qui est légitime, car nous faisons face à une crise d'attractivité des métiers. Étonnamment, il existe une manière spécifique de travailler pour les éducateurs familiaux en village d'enfants, qui bénéficient d'un statut particulier dans le code de l'action sociale et des familles. Nous appelons ces éducateurs « père ou mère SOS », en référence à societas socialis, au sens d'une organisation solidaire. Ce métier se caractérise par des séquences de travail de trois semaines, suivies de périodes de repos et de relais. Nous avons toujours accueilli des personnes aux parcours atypiques. Ainsi, nous sommes un peu moins touchés que les structures employant des salariés aux horaires plus classiques, bien que nous soyons tout de même impactés. Concernant les diplômes, nous avons toujours recherché des compétences spécifiques pour ce métier. Nous disposons d'un dispositif de formation interne très solide, qui ne dépend pas de la validation d'un diplôme. Ces démarches nous permettent d'être moins affectés par la crise de recrutement. À ce jour, et je croise les doigts pour que cela continue, nous n'avons presque pas recours à l'intérim. En tant que concitoyens et acteurs globaux, nous sommes extrêmement vigilants sur cet enjeu.

Il n'est pas nécessaire d'être privé lucratif ou public pour paraître capter un marché. Notre association se développe mais elle ne vise pas à implanter des villages d'enfants SOS partout dans le monde. Cela ne nous rapporte rien et n'a pas de sens. Notre priorité est de maintenir la qualité de nos actions sans les dénaturer. Actuellement, nous collaborons avec d'autres associations pour définir des standards, en espérant que les parlementaires nous écouteront. Nous discutons beaucoup des normes d'encadrement. Nous avons validé l'avis du CNPE, mais nous continuons à insister sur la nécessité de normes spécifiques pour l'accueil de type familial, comme celui des villages d'enfants SOS. Il est essentiel de comprendre que, d'un côté, un équivalent temps plein (ETP) représente 35 heures de travail hebdomadaire, tandis que de l'autre, il s'agit d'un rapport annualisé, ce qui peut prêter à confusion.

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Je veux bien distinguer les différents types de structures privées, mais la question du profit est essentielle. On observe un mouvement des entreprises, qu'elles relèvent de l'économie sociale et solidaire ou non, visant à récupérer des marchés. Prenons l'exemple de mon département : le groupe SOS gère un centre éducatif fermé (CEF) dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Je peux vous assurer que ce n'est pas un modèle de bientraitance ni de transparence, et je suis très inquiète de voir des groupes de ce type s'implanter. On peut distinguer le cas de l'entreprise Domino RH – que nous allons auditionner – qui est spécialisée dans l'intérim et très influente dans certains départements. Toutefois, on observe que les Mecs du groupe SOS ou leurs structures en PJJ n'offrent pas une meilleure gestion que celle assurée auparavant par les associations ou la fonction publique. C'est sur ce point précis que je m'interrogeais. Bien que je sois prête à distinguer les deux types de structures, je pense qu'il existe un point commun : nous ne sommes plus dans le cadre de l'associatif non lucratif.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Ma réponse sur ce point est que notre organisation a fait le choix d'être une association non lucrative, apolitique. Nous sommes cohérents avec cela. Nous n'avons pas ici à juger du reste.

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Je souhaiterais aborder la question de votre présence dans les outre-mer, en particulier à La Réunion, dont je suis députée. Vous avez évoqué des situations de violences, notamment envers les enfants. Quelles mesures mettez-vous en place pour garantir la sécurité des plus jeunes, en particulier face aux violences sexuelles qui pourraient être perpétrées par d'autres enfants ou par des professionnels de la protection de l'enfance ? Par ailleurs, considérez-vous que le conflit de loyauté avec la famille, qui concerne certains jeunes de l'ASE, est correctement pris en compte par les départements et les structures d'accueil ? Vous avez mentionné la formation des éducateurs spécialisés, en soulignant un dispositif de formation que vous avez qualifié de très solide. Pourriez-vous détailler en quoi consiste ce dispositif ? Avez-vous dû faire des concessions en matière de compétences ou de savoir-être de candidats aux postes d'éducateurs pour réussir à recruter ? Enfin, concernant les disparités entre les départements, quels recours utilisez-vous lorsque vous constatez que la loi n'est pas appliquée par certains d'entre eux ? Selon vous, dans quels départements les enfants de l'ASE sont-ils les mieux pris en charge ?

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Je vous prie d'accepter que nous ne répondions pas à la dernière question. En effet, après trente ans d'expérience en protection de l'enfance, j'ai constaté que les départements et les services peuvent très bien fonctionner à un moment donné, puis dysfonctionner cinq ans plus tard, souvent simplement en raison de changements de personnel. Il n'existe pas de champion en la matière. Nous parlons ici d'éducation et d'accompagnement d'enfants, un domaine que Freud qualifiait de plus beau des métiers impossibles. Je n'ai donc pas de modèle exemplaire à proposer.

Concernant les outre-mer, notre association n'y est pas présente ou très peu, à l'exception notable de la Polynésie française. Le village de Papara, associé à SOS Villages d'enfants France, en est un exemple. Bien que nous soyons conscients des besoins qui sont à la fois spécifiques et similaires en outre-mer, notre implication directe y est limitée. J'ai eu des contacts réguliers avec La Réunion et les Antilles, mais jusqu'à présent je n'ai jamais reçu d'appel à projets. Les enjeux organisationnels sont également un facteur. En Polynésie française, les défis sont singuliers, notamment en raison de la disparité territoriale. Le travail avec les familles, lorsqu'il est dans l'intérêt de l'enfant, est complexe. Par exemple, certains enfants vivent sur des atolls éloignés, nécessitant parfois trois jours de trajet pour les atteindre. Le recrutement y est également un défi majeur. Le projet de Papara, bien que similaire dans ses fondamentaux, est adapté aux spécificités locales. Il est mené par l'association autonome SOS Villages d'enfants Polynésie, sous l'égide de la France au sein de la fédération internationale. Leur travail est remarquable et mérite d'être souligné.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Concernant la prévention des violences, nous avons adopté une politique associative de protection des enfants en 2020. Concrètement, cela se traduit par la mise en place d'une référente associative qui pilote ce dispositif, ainsi que d'une cellule nationale de protection des enfants, déclinée dans chaque établissement sous forme de cellules locales. Cette politique se matérialise par une procédure de déclaration et de gestion des incidents. Si un collaborateur constate, craint ou a connaissance d'une situation de violence, il est tenu de déclarer cet incident via une application informatique, opérationnelle depuis 2022. Une fois l'incident déclaré, la direction de l'établissement reçoit une alerte par e-mail et procède à une évaluation de sa gravité. En fonction de cette évaluation, les étapes à suivre sont déterminées tant pour la déclaration externe auprès des autorités administratives et judiciaires que pour la gestion interne de l'incident. Les informations sont transmises aux services concernés et à la famille. Des actions d'accompagnement sont mises en place, incluant un plan de traitement de l'incident. Nous disposons d'un outil informatique dédié qui centralise toutes ces informations.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Nous développons également une culture globale de sensibilisation aux psycho-traumatismes, véritable gage de prévention des violences. Lorsqu'un enfant se montre particulièrement pénible ou insupportable, il faut savoir apaiser la crise et comprendre ce qu'il se passe. Parfois, dans un moment de fatigue, on peut dire : « File dans ta chambre ! ». Cela peut arriver quand on gère quotidiennement six enfants. La culture que nous développons vise à ce que les parents ou les éducateurs, aient le réflexe de revenir ensuite pour demander : « Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? » En général, l'enfant a quelque chose à exprimer. Lui dire : « Je t'ai trouvé très en colère, ce n'est pas normal » permet de démêler de nombreux fils, évitant ainsi des complications qui pourraient mener à la violence de l'enfant, qu'elle soit dirigée contre lui-même ou vers d'autres. En protection de l'enfance, les enfants présentent souvent des troubles de l'attachement, qu'ils expriment généralement envers eux-mêmes et parfois envers d'autres enfants. Il est crucial de les protéger des violences des adultes qui les entourent et qui peuvent se comporter de manière inappropriée, voire dangereuse.

À l'échelle nationale, il est également important de vérifier les antécédents judiciaires des personnes avant de les embaucher. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. Mon collègue directeur des activités me rappelle régulièrement l'importance de cette vérification. Actuellement, nous devons souvent trouver des solutions complexes pour effectuer des remplacements, car nous avons des candidats potentiels pour ceux-ci, mais nous n'avons pas encore pu vérifier leur casier judiciaire. En résumé, il est impératif, d'une part, de développer une culture sensible aux psycho-traumatismes pour prévenir les violences et, d'autre part, de s'assurer de la fiabilité des personnes travaillant avec les enfants en vérifiant leurs antécédents judiciaires.

Concernant la formation, nous avons mis en place un parcours structuré autour de quatre grands axes : la protection et le respect des droits de l'enfant, l'attachement et le développement des liens affectifs, l'accompagnement sur la durée et le bien-être des enfants. Ces quatre pôles sont répartis sur quatre semaines de formation intensive. Des professionnels de divers villages se réunissent pendant une semaine au siège, où ils bénéficient d'interventions de juristes, de médecins pédopsychiatres, d'adjoints du Défenseur des droits, entre autres. Nous privilégions une approche reposant sur les compétences plutôt que sur des cours magistraux. Dès leur arrivée, les participants suivent une formation de trois jours pour comprendre les fondamentaux de l'ASE, la protection de l'enfance et les bases du projet. Cette formation se poursuit tout au long des deux premières années. Bien que cela puisse sembler long, cette méthode s'avère efficace. J'ai moi-même constaté, en intervenant auprès de groupes de professionnels travaillant quotidiennement avec les enfants, que ces formations ajustées aux réalités du terrain offrent un rendement bien supérieur. Contrairement aux cours magistraux où l'on retient peu sur le long terme, ces sessions pratiques permettent une meilleure assimilation des connaissances. Face à des situations concrètes, les participants sont plus impliqués et bénéficient d'un apprentissage plus durable. Voilà comment nous procédons.

Il est impératif que toutes les personnes qui viennent travailler chez nous en tant que « père ou mère SOS » bénéficient d'une supervision obligatoire. Nous ne précisons pas quel superviseur ni le type exact de supervision, mais une supervision individuelle doit être possible pendant les deux premières années, ou moins le cas échéant. Cette période constitue un moment de réarticulation significative de la vie personnelle et professionnelle, particulièrement avec des enfants qui, par leur nature, exigent une présence constante de l'adulte. Nous estimons que, au-delà de l'analyse des pratiques entre professionnels, chacun doit disposer d'un espace pour réfléchir à sa situation et évaluer son état. Ces mesures de prévention, je les associe à la formation.

Par ailleurs, nous avons un enjeu majeur de développement des entretiens de carrière tous les deux ans, axés sur les compétences. Nous proposons également des formations spécifiques, telles que des sessions de deux jours sur la gestion du stress, la compréhension des adolescents, l'attention aux premiers signes de détresse ou l'initiation aux enjeux des violences sexuelles intrafamiliales et leur détection. En outre, nous sommes un centre de formation ouvert, sans concurrence avec les instituts régionaux du travail social (IRTS). Il est donc possible de se former chez SOS Villages d'enfants.

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Le cinquième axe de votre plaidoyer concerne la coordination des acteurs. Je souhaite savoir s'il existe en France des villages d'enfants qui fonctionnent de manière exemplaire, notamment en termes d'accompagnement réussi. Peut-être que cela se produit dans des territoires où les acteurs se connaissent mieux et collaborent efficacement. Cette question est presque une affirmation, mais elle mérite d'être posée. Pour rebondir sur ce que vous avez évoqué précédemment, la loi Taquet oblige à proposer une solution, dans le cadre du contrat d'engagement jeune (CEJ), financé par les missions locales et France Travail. Il n'est pas toujours nécessaire de disposer de moyens supplémentaires, mais plutôt de solutions externes en lien avec les acteurs locaux. Est-ce que cela fonctionne mieux dans certains endroits parce que les acteurs se parlent, se connaissent mieux et collaborent ?

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Depuis plus de soixante-dix ans, nous sommes présents dans certaines régions où nous avons établi quatre ou cinq villages. Cela découle du hasard, notre fondateur ayant débuté dans le Nord. Par la suite, nous avons bénéficié du soutien des Charbonnages de France, ce qui nous a permis de nous étendre vers l'Est. Dans ces lieux, une imprégnation mutuelle entre l'ASE et les villages s'est développée ; ils collaborent étroitement. Cette relation dépasse les changements de directeurs ou le départ d'éducateurs. Des liens sont intégrés aux dispositifs, permettant aux gens de savoir comment utiliser au mieux les villages d'enfants pour ceux à qui cela convient, et de ne pas les utiliser pour d'autres – encore une fois, je défends fermement cette solution pour les enfants lorsqu'elle est adaptée à leur situation.

Concernant le lien avec le droit commun, nous avons une position claire. Il est de notre responsabilité de veiller à ce que les enfants soient le plus ancrés possible dans le droit commun. Cependant, il est également dans notre ADN de faire comprendre à tous que ces enfants vivent des situations exceptionnelles. Il est donc nécessaire d'assumer des accompagnements bien au-delà de leurs 18 ans, qui ne se limitent pas aux missions locales ou aux aides pour passer le permis. Ces enfants ont souffert de carences éducatives et ont besoin de suppléance parentale et de soutien psychoaffectif. J'ai accompagné pendant des années des jeunes qui étaient autonomes sur le plan fonctionnel, payant leur loyer, mais qui restaient extrêmement vulnérables sur le plan affectif et émotionnel. Je défends ardemment, et continue de défendre, des mesures d'accompagnement pour les jeunes majeurs. Ces mesures ne sont pas des contrats, mais des accompagnements spécifiques pour répondre à leurs besoins.

Les enfants et les jeunes anciennement placés expriment très bien leurs besoins psychoaffectifs, le soutien nécessaire lors des premières relations amoureuses, ainsi que les enjeux liés aux choix professionnels. Ce sont des moments où la présence d'adultes référents est indispensable. Il ne s'agit plus seulement de s'occuper de petits enfants, mais de rester des personnes de confiance pour ces jeunes. Notre position est claire, il est essentiel de maintenir une personne référente pour les accompagner. Lorsque le territoire offre de nombreuses alternatives en matière de sport, de culture, etc., cela apporte évidemment une aide.

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Je tiens à préciser que je ne suggère pas de se débarrasser du jeune en le plaçant dans un dispositif où il serait accompagné par quelqu'un d'autre. Il s'agit de créer une communauté éducative où chacun, dans son rôle, contribue à guider le jeune vers plus d'autonomie.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Chez SOS Villages d'enfants, chaque éducateur et la maison commune, composée de plusieurs éducateurs et de la direction, travaillent ensemble à cet objectif. Les psychologues, par exemple, ne proposent pas de thérapies aux enfants, mais animent un réseau de soutien. Nous avons également des éducateurs scolaires dans le cadre du programme Pygmalion, ainsi que des chargés d'insertion. Leur mission est de tisser des relations affectives durables et d'ouvrir les jeunes à la socialisation, à l'intégration, au droit au logement, à la gestion bancaire, etc., en établissant des partenariats au bénéfice des enfants.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Je souhaite revenir sur un point concernant le CEJ. Lors des débats ayant précédé l'adoption de la loi du 7 février 2022, nous avons veillé à ce que le CEJ puisse être cumulé avec l'accompagnement provisoire pour les jeunes majeurs. Cependant, dans la pratique, ce cumul n'est pas toujours effectif. En tant que coordinatrice du collectif « Cause Majeur ! », j'ai constaté que l'on considère que certains jeunes bénéficiant du dispositif CEJ disposent grâce à celui-ci de ressources financières suffisantes et n'auraient donc pas besoin d'un accompagnement provisoire pour les jeunes majeurs. Cette situation suscite une vigilance particulière.

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Je suis d'accord avec vous sur le fait que proposer ne suffit pas ; il est essentiel de travailler ensemble et d'accompagner jusqu'à la fin. Nous sommes donc bien d'accord sur ce point. Toutefois, il est important de ne pas réduire le CEJ à une simple allocation. En réalité, il s'agit d'un accompagnement global et complet, à 360 degrés.

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J'ai observé une tendance croissante, bien que non quantifiée en raison du manque de données, des fondations privées à intervenir dans le domaine de la protection de l'enfance. Elles financent et accompagnent parfois des jeunes majeurs dans leurs projets, allant même jusqu'à effectuer des donations de biens immobiliers. J'ai moi-même été sollicitée par des personnes intéressées pour participer à des initiatives comme les villages d'enfants. Pour moi, c'est une nouveauté. Je voudrais savoir si vous avez connaissance de cette tendance et quel est votre avis à ce sujet.

Ensuite, j'apprécie souvent de prendre des exemples internationaux pour enrichir notre réflexion. Vous avez aussi cette capacité grâce à vos missions à l'échelle internationale. En France, comment expliquez-vous que nous n'ayons pas su nous inspirer de modèles étrangers ? En dépit de la décentralisation, nous ne parvenons pas à créer un écosystème territorial où tous les acteurs pourraient collaborer efficacement. Quels sont, selon vous, les freins rencontrés par les différents partenaires ? Nous constatons qu'il existe 101 politiques publiques, correspondant aux 101 départements, mais il y a aussi 101 politiques publiques de prise en charge par les services de l'État en matière de santé ou au niveau des IME.

Dans certains départements, il n'y a aucune place pour les enfants de la protection de l'enfance, tandis que dans d'autres, quelques places sont disponibles ou d'autres sont en cours de construction. On constate ainsi des inégalités de prise en charge au sein de l'écosystème de la protection de l'enfance, aujourd'hui en grande difficulté. Par exemple, certains départements n'ont que trois juges dans leurs juridictions, alors que d'autres en ont davantage. Les approches varient également quant à la manière de poursuivre la prise en charge d'un enfant dans le cadre d'une AEMO : parfois cela peut durer quatre ans, alors que dans d'autres cas il existe une dynamique plus proactive autour de la famille, qui ne s'est pas forcément assez mobilisée. La question de la guidance parentale est aussi un sujet en France.

Je tiens à saluer les professionnels de terrain pour la qualité de leur travail et leur investissement. Cependant, on observe également que la formation initiale et continue de ces professionnels est très inégale. Par exemple, certains départements offrent une formation initiale et continue, tandis que d'autres ne le font pas. Je souhaiterais avoir votre avis sur le sujet.

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Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l'association SOS Villages d'enfants

Je vais répondre à la première question concernant notre articulation avec les fondations d'entreprise. Notre association, reconnue d'utilité publique et agréée par le Comité de la charte de déontologie des organisations faisant appel à la générosité du public, collecte des fonds majoritairement destinés à des programmes soutenus par nos associations sœurs à l'international. Comme mentionné en introduction, nous sommes également une ONG. En examinant notre organigramme, on constate l'existence d'un pôle « Partenariats » au sein de l'association, consacré à la collaboration avec les entreprises. Nous restons ouverts à ces partenariats, tout en respectant une charte définissant des principes clairs pour ces collaborations. Nous privilégions des engagements à long terme, plutôt que des actions ponctuelles ou simplement destinées à des opérations de communication. Lors de l'introduction, nous avons évoqué divers programmes associatifs complémentaires que nous avons mis en place. Je pense notamment à notre programme d'épanouissement par le sport, entre autres initiatives. Certaines fondations cofinancent ces programmes spécifiques.

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Nous avons une limite essentielle : nous pensons que notre mission principale consiste à inciter les pouvoirs publics à assumer leurs responsabilités. Ces missions régaliennes, qu'elles soient décentralisées ou non, doivent rester sous leur égide. Nous sommes ravis de pouvoir faire un peu plus, différemment, avec l'aide de mécènes occasionnels, ce qui est formidable et très utile. Cependant, nous ne cherchons pas à inverser les rôles. Pour lancer et développer des projets, comme par exemple Pygmalion, nous avons bénéficié de la générosité du public. Aujourd'hui, nous poursuivons et amplifions ce projet, tout en collaborant avec chaque département pour, par exemple, ouvrir un nouveau dispositif où l'éducateur scolaire est pris en charge par le département. Nous ne venons pas en disant : « Ne vous inquiétez pas, un mécène s'en occupe. » Cela ne nous semble pas être la bonne approche. L'articulation entre les différents acteurs est également remarquable. Vous mentionniez la création ; nous avons aussi des exemples de villages d'enfants qui ont vu le jour grâce à des dons de personnes très investies, avec un véritable engagement. La générosité du public représente un soutien extraordinaire sur lequel nous comptons énormément. Cependant, cela ne doit pas être perçu comme une alternative aux financements publics. À l'international, nous avons également développé nos programmes en obtenant davantage de financements institutionnels, notamment avec l'Agence française de développement.

Concernant la mise en place de bonnes idées venues d'ailleurs, il y a deux aspects à considérer. D'une part, comment intégrer ces idées, et d'autre part, comment établir un pacte autour de l'enfance.

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Cette commission d'enquête est une première, mais il y a déjà eu de nombreux rapports, lois, feuilles de route et plans ministériels. Pourtant, les enfants rencontrent encore des difficultés concrètes dans leur accompagnement. On constate une problématique de coordination dans les territoires. À l'échelle nationale, la gouvernance est un sujet récurrent. L'objectif est de trouver des moyens efficaces, avec humilité, pour améliorer la situation. Il serait pertinent d'adopter une vision à long terme, avec une loi de programmation sur la protection de l'enfance qui se déclinerait de manière continue, et non pas sur une seule année. Il est également essentiel de réfléchir à un socle de base élevé pour la prise en charge, l'accompagnement et la suppléance parentale des enfants, afin d'éviter les situations actuelles. Notre collègue Marianne Maximi a évoqué la situation inimaginable d'une pouponnière dans le Puy-de-Dôme, qui accueille des enfants de quelques jours à 4 ans. Comment est-il possible que cela perdure encore aujourd'hui, en 2024 ?

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Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants

Je ne suis pas sociologue, mais je m'interroge sur ces questions depuis longtemps. Nos collègues de la fondation des Apprentis d'Auteuil, avec qui nous avons collaboré sur un travail de prospective impliquant plusieurs associations, ont élaboré quatre scénarios pour l'horizon 2030-2035. Ces quatre scénarios reposent principalement sur des choix sociétaux. En France, nous avons peut-être des difficultés à aborder ces questions, ce que je vais illustrer par deux exemples. Premièrement, M. Camille Peugny, sociologue spécialisé dans la jeunesse, cite souvent le Danemark, un pays avec une démographie moins importante que la nôtre. Deuxièmement, on évoque fréquemment la Finlande pour son système scolaire. Aujourd'hui, nous percevons ces deux pays comme des modèles de réussite, mais ils ont dû surmonter des crises profondes. À un moment donné, ces nations ont décidé collectivement que leur enfance et leur jeunesse représentaient leur bien le plus précieux. Ce sont des pays vieillissants et ils ont investi massivement dans ces domaines. Une fois cette décision prise, il semble y avoir un consensus national pour avancer.

Il est troublant de constater que, à deux reprises dans ma carrière, en 2008 et actuellement, j'ai rencontré des difficultés à voir se concrétiser le travail que je réalise ou que j'accompagne. En 2008, en raison de la crise des subprimes, la plupart des départements ont contracté de mauvais prêts, se retrouvant dans des situations inextricables. Cela a particulièrement affecté les jeunes majeurs, devenus une variable d'ajustement. Actuellement, les droits de mutation sont une véritable problématique pour les départements. Lorsque deux leviers de cette nature sont activés, il devient difficile de protéger nos enfants. Je peine à comprendre pourquoi nous ne parvenons pas à sanctuariser certains budgets pour éviter de nous mettre en danger avec des financements non pérennes.

Nous avons eu une idée en visitant nos collègues de Grèce, SOS Villages d'enfants Grèce, qui ont mis en place des babies homes. Cette expérience en Grèce répond à un besoin différent de celui de la France, ancré dans une autre historicité. Cependant, nous avons identifié des éléments ingénieux dans ce modèle. Nous avons donc créé un village des tout-petits au sein de SOS Villages d'enfants France. Avec la directrice Isabelle Moret, nous avons mis trois ans à réfléchir et à mobiliser nos équipes. Il était clair que nous ne pouvions pas simplement transposer ce modèle en France, mais certains aspects méritaient d'être adaptés à notre contexte.

En France, nous avons envisagé des alternatives aux pouponnières pour les enfants nécessitant une mesure de protection. Nous avons développé un projet, encore modeste et à ses débuts, mais qui semble prometteur. Deux maisons ont été ouvertes dans le Nord. Cela illustre bien l'importance de se mettre d'accord sur des principes fondamentaux, considérés comme intangibles et sanctuarisés. Cette approche facilitera grandement les discussions, parfois enlisées depuis des années.

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Nous vous remercions pour votre participation à cette audition. Nous avons apprécié les réponses que vous nous avez fournies. Comme nous n'avons pas eu l'opportunité de développer tous les points initiaux, nous vous invitons à nous envoyer vos réponses écrites afin que nous puissions disposer de vos éléments introductifs.

L'audition s'achève à dix-sept heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago

Excusées. - Mme Béatrice Descamps, Mme Astrid Panosyan-Bouvet