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Intervention de Hervé Laud

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 16h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l'association SOS Villages d'enfants :

En tant que responsable du développement depuis 2016, je tiens à rappeler qu'il y a presque vingt ans, lors des cinquante ans de l'association, nous avons demandé qu'il soit possible d'identifier nationalement le nombre d'enfants concernés par une mesure de protection de l'enfance, en particulier ceux ayant des frères et sœurs. Nous souhaitions savoir s'ils étaient accueillis conjointement ou non, si cela résultait d'un choix ou d'une motivation spécifique et déterminer l'adéquation du placement. À ce jour, ce chiffre n'existe toujours pas.

Pour guider les politiques publiques, il est essentiel de mesurer et d'identifier les problèmes afin d'y apporter des solutions. Par exemple, pour le plan « 1 000 piscines » des années 1960, il a fallu déterminer où installer ces piscines pour que tous les enfants en France apprennent à nager. De la même manière, il est nécessaire de définir les besoins et de quoi il est question ici. Certains départements font cet effort, bien que ce soit complexe, car cela implique un travail statistique et de consolidation. Il est compréhensible que la puissance publique hésite à identifier un chiffre qui pourrait démontrer qu'elle n'est pas au rendez-vous. Cependant, ce chiffre reste important. Par exemple, un département pourrait ainsi évaluer la nécessité de disposer de deux villages d'enfants de quarante-cinq places chacun, plutôt qu'un seul, pour commencer à répondre aux questions concernant les fratries. Par ailleurs, la loi Taquet, combinée à la mise en œuvre de la contractualisation, a eu un effet prescripteur massif. Bien que je n'aie pas les chiffres exacts, nous dépassons largement les 600 places si l'on cumule l'ensemble des appels à projets proposés et les réponses apportées. Parmi les opérateurs impliqués, on peut citer SOS Villages d'Enfants, Action Enfance, la Fondation Ardouvin, ainsi que le groupe SOS, qui gère également un village.

Aujourd'hui, notre demande est de mieux organiser les choses. Je ne suggère pas de recentraliser quoi que ce soit, mais il est nécessaire de structurer un peu mieux les processus. Il existe peut-être des instances pour cela. Nous faisons face à un afflux d'appels à projets, tous urgents. Entre la recherche de terrains, la construction, le recrutement et la continuité des propositions d'accueil, il faut anticiper et planifier. Notre direction des activités est très claire sur ce point, et notre directrice générale insiste sur l'importance d'accueillir progressivement les enfants. Nous ne pouvons pas intégrer soudainement un groupe de cinquante enfants, frères et sœurs inclus. Pour que cela fonctionne, il faut avancer progressivement, prendre le temps nécessaire et anticiper les besoins. Il est essentiel de savoir précisément ce que nous voulons accomplir et d'obtenir les financements adéquats pour recruter massivement.

Un autre enjeu majeur est la compréhension des fratries. Il existe des fratries multicomposées, des fratries ayant vécu ensemble, des fratries réunies pour la première fois lors du placement et des fratries dysfonctionnelles dont il faut analyser les problèmes. Certains dysfonctionnements peuvent être résolus par les adultes pour remettre les choses sur la bonne voie. Dans certains cas, il est nécessaire de séparer temporairement les frères et sœurs. En tant que membre de SOS Villages d'enfants, je peux affirmer que, dans 80 % des cas, la fratrie est une ressource précieuse et il est important de partager la même enfance.

Pour formuler des recommandations, il est indispensable de définir des repères. Par exemple, le temps de vie en amont est crucial : les enfants se connaissent-ils et vivent-ils ensemble avant le placement ? C'est un élément essentiel à prendre en compte. Ce n'est pas parce qu'ils ont vécu ensemble qu'ils vont venir, ni parce qu'ils n'ont pas vécu ensemble qu'ils ne viendront pas. Mais la manière dont nous les accueillerons et ce que nous co-construirons avec eux sera fondamentalement différente. Dans un cas, il s'agit d'une rencontre et de la création de liens inexistants. Certes, ils ont des liens du sang, mais cela ne suffit pas. Dans l'autre cas, il s'agit de l'accueil d'un dispositif familial parfois dysfonctionnel au sein d'un établissement, ce qui nécessite un travail différent de la part de nos collègues et des enfants eux-mêmes.

La durée du placement envisagé constitue également un facteur déterminant. Cette famille a-t-elle besoin d'un soutien temporaire de neuf à dix-huit mois ou d'une suppléance pérenne de cinq à six ans ? Parfois, la famille ne fait vraiment pas partie de la solution. D'autres fois, la famille est bienveillante mais absolument incapable de prendre en charge des enfants, pour mille raisons, souvent liées à la pauvreté. Lorsque l'on s'engage sur le long terme, il faut en être conscient.

Un autre aspect concerne l'aptitude à intégrer une prise en charge de type familiale, notamment dans le cadre des villages d'enfants. La symbolique pour une famille d'intégrer un village d'enfants, avec tout ce que cela implique, n'est pas anodine. Il faut également considérer l'adéquation des ressources du village d'enfants avec les besoins spécifiques des enfants. Ce n'est pas toujours évident mais idéalement, en collaboration avec l'ASE, nous pouvons mobiliser des ressources additionnelles. Par exemple, si le troisième enfant de la fratrie doit continuer à fréquenter un institut médico-éducatif (IME), il est bienvenu au village et grandira avec ses frères et sœurs, mais il nécessitera une double prise en charge. Il faut alors faire des choix : sommes-nous capables de gérer cette situation ou non ? L'enfant ne sera pas présent tous les jours. L'adhésion des enfants et des parents est évidemment essentielle, tout comme le travail important pour identifier les situations à risque.

Il est essentiel de comprendre que la capacité d'accueil d'une fratrie dépend directement des places vacantes. Cela peut sembler évident, mais pour accueillir quatre enfants, il est nécessaire de disposer de quatre places libres. Dans les familles d'accueil, qui sont excellentes pour recevoir des enfants, ainsi que dans les maisons d'enfants – j'ai moi-même dirigé une maison d'enfants par le passé, la pression du taux d'occupation est constante. L'idée de fluidité dans les parcours est souvent mise à mal par la réalité. Lorsqu'un enfant quitte sa chambre, un lieu où il a vécu pendant six mois, un an, voire dix ans, il n'est pas possible d'y installer un autre enfant immédiatement. Cela relève de la gestion des taux d'occupation. Pour accueillir des fratries, il est impératif que nos collègues de Mecs concernés parviennent à négocier, même dans les services d'accueil d'urgence et d'orientation, la possibilité de disposer de places vacantes. Il existe des astuces pour y parvenir, mais cela reste une question concrète et mathématique qui se négocie dans les budgets. Au-delà des considérations psycho-pédagogiques sur l'accueil des fratries, c'est un levier structurant essentiel.

En ce qui concerne le foncier, la situation est variable. Il peut être maîtrisé par le département ou, très souvent, offert à un euro symbolique par des communes qui voient l'arrivée de dix familles comme un atout. Notre objectif n'est pas de sauver des villages, mais d'assurer que les enfants soient accueillis dans des communes disposant des infrastructures nécessaires, au moins jusqu'au collège. L'installation d'un établissement soulève un enjeu d'aménagement du territoire. Cependant, la disponibilité du foncier n'est pas toujours le problème principal. Le véritable défi réside dans la nécessité d'investir pour construire. Actuellement, les départements rencontrent des difficultés à cause des problèmes de droits de mutation et des taux d'intérêt élevés. Ces sujets doivent être traités, par exemple sous forme de prêts bonifiés. Nous devons pour cela identifier les besoins précis pour établir un plan à long terme. Une approche pluriannuelle du système d'aide aux enfants serait une mesure de sauvegarde intéressante. Nous pourrions avancer progressivement avec l'appui de la Caisse des dépôts et consignations, qui propose désormais des prêts bonifiés avantageux.

Nous devons impérativement prendre cette question au sérieux. Si nous échouons à transformer l'offre de manière souhaitée et souhaitable, la déception sera immense. Nous avons longtemps défendu l'idée que, une fois inscrite dans la loi, une mesure devient acquise et qu'il est interdit de procéder autrement. Cependant, si nous n'y parvenons pas, cela représente un danger pour les enfants et pour la Nation. De plus, cela constitue une catastrophe en termes d'attractivité des métiers. Les individus souhaitent s'engager dans des initiatives qui fonctionnent. Il est donc essentiel de mettre en place les moyens nécessaires pour garantir leur succès.

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