La réunion

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La séance est ouverte à seize heures trente.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de M. Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association OSE (Œuvre de secours aux enfants).

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Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition de M. Éric Ghozlan, psychanalyste et directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE).

Monsieur Ghozlan, merci d'avoir répondu à notre invitation. Votre association prévoit d'ouvrir fin 2024 une nouvelle maison d'enfants destinée à accueillir des fratries. Vous pourrez nous présenter ce projet. Il est important de ne pas séparer les fratries lorsque les enfants sont confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Par ailleurs, vous avez été membre d'un groupe de travail consacré à la santé des enfants au sein du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Vous pourrez exposer à notre commission les propositions que vous aviez formulées dans ce cadre, ainsi que les suites qui y ont été données.

Avant de commencer, je rappelle que l'audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et que l'enregistrement vidéo sera disponible à la demande.

En application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Éric Ghozlan prête serment.)

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Je vous remercie de m'auditionner dans le cadre de cette commission d'enquête.

Tout d'abord, j'ai eu la chance de participer aux travaux du CNPE depuis sa création. Cette instance a connu plusieurs changements, avec cinq ministres et trois présidents ou vice-présidents en huit ans. Cette instabilité témoigne de la situation précaire de la protection de l'enfance. Les politiques publiques se sont souvent intéressées à ce domaine en réaction à des scandales médiatiques, qui ont donné une visibilité sociétale aux problèmes existants. Cependant, il est essentiel de ne pas se limiter à cette vision sensationnaliste, qui peut jeter le discrédit sur les associations et les professionnels œuvrant dans ce secteur difficile.

La protection de l'enfance repose sur des équilibres fragiles, notamment entre le droit de l'enfant et celui des parents. Selon l'orientation philosophique du juge des enfants, la balance peut pencher en faveur de l'intérêt de l'enfant à protéger ou de la conception de la famille comme lieu d'épanouissement. Il est important de noter que les intérêts de l'enfant et des parents peuvent diverger.

La gestion de la protection de l'enfance est déconcentrée au niveau des départements, dont les présidents sont responsables sur leur territoire, conformément à la loi du 5 mars 2007. Cela entraîne des politiques différentes selon les départements. Un rééquilibrage par l'État apparaît nécessaire pour harmoniser les pratiques et les politiques.

Je souhaite souligner l'importance d'une approche équilibrée et harmonisée de la protection de l'enfance, qui prenne en compte les divers intérêts en jeu et les spécificités territoriales. Le juge des enfants, ordonnateur des décisions de mesures de protection, délègue souvent l'exercice de ces mesures ou la prise en charge quotidienne de l'enfant à une association habilitée, comme l'est l'OSE. Cependant, le président du conseil départemental reste le chef de file de la protection de l'enfance.

Il existe également une pression financière importante, car l'ordonnateur de la mesure n'est pas le payeur, ce rôle revenant au département.

Peu après la promulgation de la loi du 14 mars 2016, la ministre Laurence Rossignol a confié au docteur Marie-Paule Martin-Blachais l'élaboration d'une démarche de consensus sur les besoins fondamentaux en protection de l'enfance. Cette initiative a durablement structuré les connaissances dans ce domaine en définissant le méta-besoin de sécurité, en référence à la théorie de l'attachement. Il faut se rappeler que ce dispositif de protection de l'enfance, à bout de souffle depuis plusieurs années, a été particulièrement affecté par la période du covid-19. Nous subissons encore aujourd'hui les effets de cette crise sanitaire qui a bouleversé nos repères. L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) avait d'ailleurs publié, dès le 5 mai 2020, un rapport intitulé « Premières observations sur la gestion du confinement », à partir des retours d'expérience de quatorze départements. Ce rapport soulevait des questions pour l'avenir et s'interrogeait sur le paradoxe des enfants placés qui allaient mieux. Les professionnels de la protection de l'enfance avaient en effet observé que ces enfants étaient plus apaisés sur le plan affectif, n'étant plus déplacés d'un endroit à l'autre et vivant à leur rythme dans un contexte protégé. Il est important de noter que le confinement a créé une stabilité de l'environnement de proximité, favorable aux enfants ayant des troubles de l'attachement. Les théories de l'attachement, comme fondement théorique de la démarche de consensus, modifient la vision de la protection de l'enfance en y associant le besoin de sécurité comme un méta-besoin nécessaire au bon développement de l'enfant. Cela s'inscrit dans la continuité de la loi du 14 mars 2016, qui replaçait l'intérêt supérieur de l'enfant au centre du dispositif de protection de l'enfance.

Je souhaite attirer votre attention sur le problème de la formation des professionnels. Le recrutement de professionnels en protection de l'enfance devient de plus en plus difficile, entraînant une saturation des dispositifs et la fermeture de certains établissements. On observe un recours non maîtrisé aux agences d'intérim pour assurer la continuité des services en cette période de pénurie de professionnels. Selon une enquête de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) datant de septembre 2022, 9 % des postes en protection de l'enfance sont vacants. Parallèlement, l'activité de la protection de l'enfance connaît une augmentation préoccupante, avec une hausse de 20 % des mesures prononcées sur certains territoires au cours des deux dernières années.

Les situations prises en charge par l'ASE se complexifient, se trouvant à l'intersection des missions de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de la pédopsychiatrie, deux institutions également en grande difficulté.

Les missions régaliennes de l'État sont défaillantes et ne sont pas compensées par les départements, dont les recettes liées aux droits de mutation diminuent en raison de la crise des transactions immobilières. Avec le CNPE, nous avons interpellé l'État pour qu'il lance un plan Marshall. Nous proposons notamment la généralisation des parcours de santé coordonnés pour les enfants protégés et la valorisation des métiers du social, en incluant les professionnels laissés de côté par les mesures du Ségur. Au sein du CNPE, j'ai participé au groupe de travail sur la santé des enfants protégés, coordonné à l'époque par le docteur Céline Greco, aujourd'hui professeure. Elle interviendra à l'issue de mon audition pour détailler les constats et les propositions que nous avions formulés, basés sur des études nationales et internationales, ainsi que sur de nombreux rapports de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Haute Autorité de santé (HAS).

Les violences intrafamiliales, qu'elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou conjugales, ainsi que les négligences lourdes, entraînent des conséquences physiques et psychiques à court, moyen et long terme sur la santé des enfants et des adolescents. Ces violences peuvent entraîner des traumatismes physiques, voire des décès, altérer le développement cérébral, provoquer des troubles du développement pondéral, sensoriel et cognitif, ainsi que des troubles psychoaffectifs et sociaux. Leur impact peut être majeur sur les compétences psychosociales et la santé mentale. On observe l'apparition de troubles du comportement se manifestant parfois par des addictions, des mises en danger, des comportements sexuels à risque, une hétéro-agressivité, des grossesses non désirées, des syndromes douloureux complexes, mais aussi des maladies chroniques telles que l'obésité, les troubles cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux et le cancer à l'âge adulte.

Ces constats nous ont amenés à considérer la maltraitance comme une pathologie chronique dans son retentissement. Nous avions demandé à l'époque qu'elle soit prise en charge par la sécurité sociale sous la forme d'une affection de longue durée (ALD), avec un parcours de soins ciblé et spécialisé, ainsi que des remboursements appropriés. Nous avions fait ce premier constat en 2018-2019, ce qui avait donné lieu à un premier avis. Un second avis, qui reprend les mêmes constats et se fonde également sur d'autres travaux publiés par l'ONPE, en particulier en juillet 2022, sur la santé des enfants protégés, est paru récemment ou paraîtra en mai 2024. Le temps de réaction pour mener des politiques publiques est malheureusement très long et ne correspond pas à la temporalité des besoins des enfants protégés. C'est un réel problème dont il faut avoir conscience. Les enfants protégés ont une temporalité qui ne correspond pas du tout à celle des politiques publiques, ni à celle de l'ouverture d'établissements. On fait des constats en 2022, mais on ouvre des établissements en 2024 dans le meilleur des cas, voire en 2025. Il existe un décalage entre le moment où nous constatons les problèmes et celui où nous sommes en mesure de proposer des solutions concrètes pour protéger les enfants. C'est un fait.

Les constats sont connus, les recommandations sont précises et couvrent tous les domaines de la protection de l'enfance. Parfois, on note des avancées législatives et des expérimentations positives à généraliser. Pourtant, année après année, de nouveaux rapports et groupes de travail dressent un état des lieux alarmant sans qu'une réelle politique publique ne soit mise en place pour investir massivement dans ce secteur. En tant que professionnels, nous plaçons beaucoup d'espoir dans votre commission d'enquête pour qu'elle influence véritablement et concrètement les orientations politiques en matière de protection de l'enfance. Nous attendons la mise en place de moyens financiers conséquents capables de provoquer un choc dans le système et de le sortir de la grave crise qu'il traverse. Ce constat est partagé par tous.

En ce qui concerne l'appropriation des nombreuses réformes engagées dans le champ de la protection de l'enfance dans les territoires, notamment les lois du 14 mars 2016 et du 7 février 2022, il est important de rappeler que les lois de décentralisation de 1982 à 1984 ont confié la protection de l'enfance aux départements sans véritable régulation par l'État. Depuis une quinzaine d'années, la protection de l'enfance a été quelque peu négligée par la PJJ, qui jouait pourtant un rôle de régulation. Je me souviens des discussions budgétaires avec les départements où la PJJ s'intéressait beaucoup à la qualité de l'accompagnement des enfants placés et apportait sa voix aux débats budgétaires importants.

Aujourd'hui, les discussions budgétaires ont quasiment disparu des départements. Il est fréquent que ces discussions se déroulent rapidement et se concentrent uniquement sur le budget, c'est-à-dire sur les données financières, en négligeant les aspects qualitatifs. La loi de 2022 a professionnalisé le secteur, a introduit des appels à projets, des évaluations internes et externes, ainsi que l'obligation pour les départements de se doter de schémas départementaux révisés tous les cinq ans. Ces mesures ont eu un impact significatif sur les projets développés et confiés aux associations. Les schémas départementaux de prévention et de protection de l'enfance, mis en place ces dernières années, révèlent plusieurs tendances. La préparation de ces schémas est souvent confiée à des cabinets de conseil, qui soumettent ensuite leurs propositions aux conseils départementaux. Ces derniers adoptent les schémas, parfois en reprenant des éléments d'un département à l'autre, notamment concernant la mise en place de services de placement éducatif à domicile (PEAD). Le CNPE a rendu deux avis dénonçant l'appellation inappropriée de ces PEAD, les qualifiant plutôt de mesures de milieu ouvert. La Cour de cassation a récemment confirmé cette position.

La parole des enfants est mieux prise en compte par les départements et les associations, qui mettent en place une politique d'inclusion et de prévention. La mise en place de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) et d'une convergence tarifaire, ainsi que l'introduction d'indicateurs d'évaluation, témoignent de cette évolution. Parallèlement, il y a une volonté de passer de la protection à la prévention, comme le souligne le rapport de Boris Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours. Le développement du placement à domicile, que nous préférons appeler « protection à domicile », est également une priorité. Enfin, nous observons une catégorisation de l'offre d'accueil, avec des distinctions entre les mineurs non accompagnés, les situations d'autonomie, les cas complexes et les situations classiques. Les prix de journée varient en fonction de ces catégories établies par les départements. Les appels à projets dans ces catégories proposent des tarifs journaliers souvent bien inférieurs à ceux d'un placement en maison d'enfants à caractère social (Mecs). Cela pourrait entraîner une dérive en matière de protection de l'enfance si l'aspect financier prenait le dessus. Nous risquerions de voir disparaître les établissements de vie collective, relativement coûteux, ou les établissements spécialisés pour des situations complexes, encore plus onéreux en raison des spécificités de ce public. Les cas complexes, situés au carrefour de la pédopsychiatrie, de la PJJ et de la protection de l'enfance, nécessitent des structures adaptées. Les tarifs journaliers y sont beaucoup plus élevés, parfois trois ou quatre fois plus, car il faut créer des microstructures avec des moyens importants, au moins du « un pour un », et des unités très réduites de sept à neuf enfants au maximum.

Par ailleurs, nous constatons une réorganisation des services de l'ASE avec la création de référents de parcours dans les territoires. Cette réorganisation est souvent liée à la crise de recrutement des travailleurs sociaux dans les départements. De plus, la gestion numérique de l'offre de places ne prend pas toujours en compte les spécificités des lieux d'accueil. Cette gestion repose sur l'idée qu'une place équivaut à un enfant à placer, sans considérer le contexte collectif, ni les besoins individuels de l'enfant.

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Nous constatons un manque d'analyse en matière de protection de l'enfance, contrairement à d'autres pays où des recherches approfondies sont menées sur les profils des enfants concernés. Ces enfants proviennent de familles spécifiques, et il est essentiel de comprendre les différentes analyses. Si je ne me trompe pas, l'OSE gère environ trente-sept établissements et prend en charge environ 1 500 enfants. Elle propose différents modules d'intervention, tels que les mesures éducatives à domicile et des formes d'accueil variées. Il serait pertinent que vous nous détailliez ce panel d'interventions, tant auprès des familles qu'auprès des enfants confiés.

La recherche, notamment les recherches-actions, est fondamentale. Elle permet aux universitaires et aux professionnels de terrain de collaborer, offrant ainsi une perspective longitudinale pour accompagner les réflexions. La politique de protection de l'enfance souffre d'un manque de visibilité, de projection et de connaissances. Dans les territoires, les disparités sont notables. Par exemple, l'un des plus grands départements de France accueille 22 000 enfants, tandis qu'un autre n'en accueille que 700. Ces différences soulèvent des problématiques sociales, environnementales et familiales, constituant un écosystème complexe. Cette vision partagée est absente, en raison d'un déficit de ressources au niveau des données, ce qui constitue une problématique majeure. Ainsi, il est crucial de disposer d'analyses et de données précises pour mieux appréhender ces enjeux et améliorer la protection de l'enfance.

Tout d'abord, pourriez-vous nous expliquer brièvement l'historique de l'OSE afin que mes collègues puissent mieux se repérer ? Ensuite, pourriez-vous détailler les profils que vous rencontrez ainsi que les problématiques auxquelles vous êtes confrontés lorsque vous accompagnez les enfants dans le cadre de la protection de l'enfance ? Il serait également pertinent de nous exposer les principaux troubles que vous observez chez ces enfants, notamment en matière de santé psychique. Vous avez mentionné les travaux du CNPE et la proposition de la reconnaissance d'une ALD. Cette proposition a-t-elle été formulée en présence d'un ministre ? Avez-vous reçu une réponse ?

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Je partage totalement votre constat : nous faisons face à un manque criant de recherches-actions dans le domaine de la protection de l'enfance. Quelques services spécialisés en pédopsychiatrie et en sociologie mènent des recherches, mais elles restent trop peu nombreuses et ne s'appuient pas suffisamment sur les connaissances des établissements et associations accueillant des enfants protégés. En 2012, pour le centenaire de l'OSE, nous avons mené une recherche-action avec l'université de Nanterre sur le devenir des enfants placés entre 1970 et 2000. Cette étude a été réalisée après la loi du 2 janvier 2002 et la loi du 5 mars 2007, qui ont modifié le paysage de la protection de l'enfance. Avant la loi de 2007, la subsidiarité de la mesure judiciaire à la mesure administrative n'était pas encore en place. La recherche de la contractualisation avec les familles, plutôt que le placement ordonné par le juge, a pris plusieurs années pour s'implanter. Les placements étaient alors beaucoup plus longs, ce qui était probablement lié à l'histoire de l'association, marquée par l'accueil des enfants juifs exilés pendant et après la guerre, notamment des enfants déportés et des enfants cachés, dont les parents ne sont pas revenus des camps d'extermination. Nous avons une longue expérience du psycho-traumatisme chez les enfants en protection de l'enfance et de l'accompagnement transculturel des familles ayant vécu l'exil.

L'histoire de l'OSE est très forte et noble. Parmi les personnes que nous avons accueillies après-guerre, Élie Wiesel, devenu prix Nobel de la paix, et Élie Buzyn, un grand chirurgien qui nous a quittés il y a plus d'un an, ont marqué notre histoire. Élie Buzyn a accompagné l'OSE tout au long de sa vie, transmettant ses valeurs aux jeunes générations, ce qui est essentiel.

Je tiens à souligner une spécificité de l'OSE. Nous avons la capacité d'accueillir, dans le respect des lois républicaines et du principe de laïcité, des enfants qui ne trouveraient pas d'accueil ailleurs. Je pense notamment aux enfants issus de la communauté juive, victimes de maltraitances, qui peuvent trouver chez nous un lieu de ressourcement et de résilience pour se reconstruire. L'OSE est une institution centenaire, fondée à Saint-Pétersbourg pour accompagner les populations victimes de pogroms dans la Russie tsariste. En 1923, après avoir été interdite d'exercer, l'association a émigré en Allemagne, avec Albert Einstein comme président d'honneur. À cette époque, Einstein venait de recevoir le prix Nobel, ce qui témoigne de l'importance de notre association, qui se déployait à travers le monde pour venir en aide aux populations juives persécutées. Malheureusement, les persécutions ont continué avec l'avènement du nazisme et d'Hitler dans les années trente. L'association a alors dû se réfugier en France pour accompagner les mouvements d'exil des populations juives, d'abord de Russie, puis d'Allemagne et d'Europe de l'Est. Nous connaissons tous le sort tragique réservé à de nombreux juifs de France pendant la Shoah. Heureusement, de nombreuses personnes ont sauvé des enfants de la déportation. L'OSE a constitué le réseau de sauvetage d'enfants le plus important, sauvant 5 000 enfants juifs en les cachant dans des familles. Nous avons une longue expérience de l'accueil en famille d'accueil, ainsi que de l'accueil collectif d'enfants depuis 1938. Après la nuit de Cristal, des enfants ont été confiés par leurs parents et accueillis en France avec des médecins juifs émigrés et des éducateurs, grands pédagogues qui ont contribué à la renommée de notre institution.

Tout cela témoigne de notre longue expérience dans la protection de l'enfance. Mme Vivette Samuel, l'une des directrices générales historiques de l'OSE, a contribué à l'élaboration des lois de 1958 et à la création des services d'accueil en milieu ouvert en France. Nous possédons donc une longue expérience dans le domaine de la protection de l'enfance, couvrant à la fois le milieu ouvert et le placement.

Contrairement à l'idée reçue selon laquelle le placement serait la pire solution, décidée en dernier recours par le juge, nous considérons qu'il doit être dimensionné en fonction des besoins de l'enfant, sans idéologie. En effet, le champ de la protection de l'enfance est souvent traversé par des idéologies, notamment l'idéologie familialiste, qui prétend qu'un enfant est toujours mieux dans sa famille naturelle. Cette conception est une absurdité, car la plupart des violences faites aux enfants se produisent dans le milieu familial, souvent par les parents eux-mêmes. Il est donc impératif de séparer les enfants de leurs parents pour les protéger.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons identifié 900 anciens enfants placés, ayant séjourné plus de deux ans dans nos maisons d'enfants et services de placement familial entre 1970 et 2000. Nous avons obtenu des réponses de 219 anciens enfants, dont la moyenne d'âge était de 37 ans et la durée de placement légèrement supérieure à cinq ans. Ces répondants ont ainsi pu apporter un regard et un recul significatifs sur leur expérience. La moyenne d'âge d'arrivée en placement se situait entre 6 et 12 ans, et 156 personnes sur les 219 ont accepté d'être interviewées par les éducateurs et directeurs de l'époque, qui avaient maintenu un réseau d'anciens enfants placés. Cette étude a été menée par le regretté Richard Josefsberg, directeur de la maison d'enfants de Taverny et docteur en sciences de l'éducation. Il a conduit cette recherche-action auprès de tous les établissements de l'OSE, avec pour objectif de comprendre ce que devenaient les enfants placés. Les chiffres circulant à l'époque indiquaient qu'au moins 25 % des anciens enfants placés finissaient à la rue, soulignant ainsi la nécessité de se pencher sur leur devenir. Les chiffres observés dans l'étude étaient très satisfaisants. En effet, 70 % des personnes interrogées déclaraient avoir été véritablement influencées dans leur vie par leur placement. De plus, 81 %, soit les quatre cinquièmes des anciens enfants ayant répondu, se disaient globalement satisfaits de leur vie et considéraient l'avoir réussie, ce qui constitue un élément de satisfaction important. Par ailleurs, 72 % des répondants n'avaient pas eu recours à des travailleurs sociaux, avec une répartition de 81 % d'hommes et 62 % de femmes. En outre, 80 % des répondants estimaient être en bonne santé, contre 73 % au niveau national selon les études de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de BVA. Il est également notable que 82 % des anciens enfants travaillaient, même s'il convient de rappeler que cette période correspond aux Trente Glorieuses, ce qui signifie que le contexte économique de l'époque, marqué par des facilités d'insertion professionnelle et sociale, était différent de celui d'aujourd'hui. Beaucoup de ces individus n'avaient pas de formation ni de diplôme, mais le contexte économique leur était favorable, ce qui n'est plus le cas pour les enfants placés actuellement.

Il serait pertinent de refaire cette étude dix ans après, car elle porte sur les années 1970-2000. Il serait également intéressant de disposer des moyens nécessaires pour mener des recherches-actions. À l'époque, nous avions sollicité certains départements pour obtenir des financements, et l'OSE avait bien sûr apporté des moyens pour mener cette recherche-action, qui a marqué l'institution. Lorsque la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a été instituée, nous avions rencontré le juge Edouard Durand et Mme Nathalie Mathieu, qui coprésidaient cette commission. Nous avions proposé qu'une recherche-action soit menée dans nos établissements et associations pour vérifier les chiffres annoncés par des associations d'anciens enfants placés ou des associations de victimes de violences sexuelles, qui estiment que six millions de personnes seraient touchées par ces violences en France.

Lorsque nous réalisons nos statistiques en interne dans nos établissements, nous ne retrouvons pas ces chiffres. Pourquoi ? Probablement à cause du tabou des violences sexuelles et de l'inceste, qui est très important. Cependant, nous avons observé que souvent, les enfants, après un certain temps de placement, lorsqu'une relation de confiance est établie avec les adultes référents et les éducateurs, révèlent des abus sexuels qui n'ont pas été le motif initial du placement. C'est très intéressant et il serait pertinent d'obtenir plus de détails sur ces informations, qui sont capitales. Il reste de nombreuses recherches-actions à mener.

Concernant les troubles rencontrés et les profils des enfants, je ne comprends pas, et cela fait sept ans que je le répète au sein du CNPE, pourquoi nous n'avons pas l'obligation, en tant qu'établissement de protection de l'enfance, de produire des statistiques consolidées par les départements sur les motifs de placement et les troubles présentés par les enfants. Ce n'est pas très compliqué, d'autant plus que nous avons maintenant l'obligation de tenir des dossiers numériques des usagers. Je rappelle que des moyens considérables ont été mis en place, notamment avec le Ségur du numérique, pour inciter les associations et les établissements à investir dans des systèmes informatiques conformes au règlement général sur la protection des données (RGPD), permettant également de produire des statistiques utiles pour connaître les profils des enfants placés et les motifs de leur placement. On constate que les motifs pour lesquels les enfants sont placés ne sont pas toujours ceux révélés au cours du placement.

Concernant la reconnaissance d'une ALD et la réponse de la ministre, je laisserai le docteur Céline Greco répondre à cette question, car c'est elle qui avait présenté la fiche que nous avions élaborée ; elle sera donc mieux placée que moi pour répondre.

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Je souhaite réagir à votre propos liminaire. Vous avez évoqué la décentralisation de la politique de protection de l'enfance, confiée aux départements. Vous vous êtes interrogé sur les potentielles inégalités de traitement concernant les différentes politiques menées par ces départements, ainsi que sur les moyens qui peuvent leur être alloués. Quelle serait, selon vous, la meilleure approche à adopter ? Défendez-vous une recentralisation des compétences au niveau de l'État ? Pensez-vous qu'il serait nécessaire d'instaurer davantage de contrôles ou de mettre en place une grille d'évaluation globale ?

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Je n'ai pas connu la centralisation de la protection de l'enfance, étant arrivé dans le secteur après cette période. D'après ce que j'entends, la situation n'était pas meilleure auparavant. Je pense qu'il est pertinent de partir des territoires et des problématiques spécifiques qu'ils rencontrent. Cependant, il est nécessaire que l'État assure une régulation. Nous avions proposé que le préfet de département siège dans des commissions afin de garantir un regard étatique sur la politique de protection de l'enfance. Il est essentiel d'assurer une égalité de traitement pour tous les enfants protégés sur l'ensemble du territoire national, afin d'éviter toute disparité. Par exemple, un département ne devrait pas se permettre de développer des places hôtelières pour des enfants présentant des troubles sévères de la personnalité ou du comportement, et ayant vécu des ruptures de placement en raison de ces troubles. Les réponses apportées ne sont pas toujours adaptées aux besoins des enfants et ne sont pas toujours dignes de ce que nous leur devons.

Je ne plaide pas nécessairement pour une recentralisation, mais il est évident que la situation actuelle est insatisfaisante. Il est impératif d'améliorer la régulation et l'harmonisation des politiques publiques sur les territoires. Comme l'a mentionné la rapporteure Isabelle Santiago, certains départements doivent suivre 22 000 enfants, tandis que d'autres n'en comptent que 400 ou 700. De quoi parlons-nous ?

Il me semble judicieux de ne pas se limiter aux catégorisations que j'ai évoquées dans mon propos liminaire, telles que les mineurs non accompagnés, auparavant désignés comme mineurs isolés étrangers, les cas complexes, les semi-autonomies, les autonomies, les jeunes majeurs, etc. Un enfant reste un enfant. Nous plaidons pour que tous les enfants vivent ensemble dans le creuset républicain, sans disparité ni insuffisance de moyens pour accueillir les mineurs non accompagnés, qui méritent autant que les autres de bénéficier du dispositif de protection de l'enfance. Je n'ai pas de position tranchée sur la recentralisation ou le maintien de la décentralisation, mais je préconise une régulation par l'État.

Concernant les contrôles, les enquêtes, les enquêtes flash et les évaluations, nous vivons une époque où la prise de risque est devenue quasi impossible et où l'on exige un risque zéro. Or, en matière de protection de l'enfance, le risque zéro n'existe pas. La responsabilité doit être partagée entre le magistrat, l'ASE et l'établissement qui accueille l'enfant. Tout ne peut pas reposer sur l'établissement d'accueil. Les défaillances de l'ASE, qui peine à recruter des éducateurs référents dans certains départements et reporte parfois sa mission sur les établissements, constituent un problème à résoudre. Les projets pour l'enfant ne sont pas encore déployés dans tous les départements et dépendent parfois des établissements associatifs habilités. Il reste donc beaucoup à accomplir dans ce domaine.

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Vous avez brièvement abordé la question des moyens financiers alloués à la protection de l'enfance. Disposez-vous d'une évaluation ou d'un chiffrage des besoins exprimés pour ce secteur ? S'agirait-il d'une dotation de l'État aux départements ou d'un renforcement des engagements financiers des départements eux-mêmes ?

Par ailleurs, vous avez mentionné que 25 % des anciens enfants placés étaient sans domicile fixe. J'avais entendu que 25 % des sans domicile fixe nés en France étaient d'anciens enfants placés, ce qui est différent. Votre recherche-action semble indiquer que ce n'est pas le cas pour les anciens enfants placés de l'OSE. Avez-vous des informations sur la véracité de ce chiffre au niveau national ? Selon votre expérience, quelles mesures sont mises en place et quelles mesures devraient être mises en place pour améliorer la situation des enfants placés lorsqu'ils atteignent la majorité ?

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Je ne suis pas en mesure de répondre sur les moyens financiers. Le docteur Céline Greco pourra vous éclairer sur les questions de financement en santé, tant mentale que somatique, car elle dispose des chiffres précis.

Concernant la revalorisation des salaires des travailleurs sociaux, il est essentiel de souligner leur situation précaire. Un travailleur social, un éducateur spécialisé, une assistante sociale, un moniteur éducateur, une dame de service, une femme de ménage, ou un surveillant de nuit ne peuvent pas vivre décemment en Île-de-France ou dans les grandes métropoles avec les salaires actuels. C'est une situation intenable. Nous demandons à des personnes, elles-mêmes en situation de précarité, de s'occuper d'enfants et de familles également précaires. Il est impératif de se pencher sur ce sujet. Le Ségur de la santé a revalorisé les salaires de 238 euros bruts pour certaines catégories, mais pas pour toutes, créant ainsi des injustices. Par exemple, la secrétaire vers qui les enfants se tournent chaque matin, la dame de service, souvent mère d'une famille nombreuse, la cuisinière ou le cuisinier en poste depuis trente ans, et même le directeur ou la directrice de l'établissement se retrouvent parfois moins bien payés que le chef de service ou le directeur adjoint en raison des grilles salariales de la convention collective de 1966. Ces disparités ont engendré des tensions inutiles. Il convient donc de revaloriser les salaires des oubliés du Ségur pour éviter ces injustices. Il suffisait de ne pas faire de différenciation. Je ne sais pas qui a pris cette décision, mais elle est inadmissible.

Quant à l'idée que les départements assument davantage de charges, cela me semble difficilement réalisable. L'État doit doter les départements de moyens financiers adéquats. C'est une nécessité incontournable. Cela peut également constituer un moyen de régulation et d'harmonisation des politiques publiques au niveau départemental. Cette démarche avait d'ailleurs été amorcée à certains moments. Il est essentiel que l'État alloue des dotations aux départements pour soutenir les salaires et la création d'établissements répondant à des besoins spécifiques. Ces établissements sont particulièrement nécessaires pour les enfants dits « cas complexes », qui se trouvent à l'intersection de différentes politiques publiques fonctionnant en silos. Récemment, nous avons observé l'émergence d'appels à projets conjoints entre les agences régionales de santé et les départements, ce qui constitue une initiative positive. Il faut simplifier les financements des établissements pour le bien-être des enfants et cesser de penser qu'un pédopsychiatre n'a pas sa place dans une maison d'enfants, alors que l'accompagnement des équipes éducatives, qui nécessite une formation, est indispensable. Ce point est particulièrement important.

La recherche-action, ainsi que la formation des salariés cadres et non-cadres, revêt une importance capitale. Il y a une dizaine d'années, j'ai mis en place un diplôme universitaire de protection de l'enfance à l'université Paris-Diderot, aujourd'hui Paris-Cité. Ce diplôme pluridisciplinaire, voire transdisciplinaire, fait intervenir des experts en protection de l'enfance. J'ai sollicité les plus grands spécialistes dans les domaines juridique, historique, pédopsychiatrique, psychologique et sociologique pour offrir une vision la plus large possible de la protection de l'enfance. Chaque année, entre vingt et trente étudiants suivent ce cursus, et ce depuis dix ans.

Mon idée est née de ma formation initiale de psychologue. Lorsque j'ai débuté dans la protection de l'enfance, je n'avais aucune connaissance du dispositif, qui est extrêmement complexe et rempli d'acronymes. Comment se repérer en tant que psychologue dans une Mecs sans connaître ce dispositif ? Les générations précédentes ont dû faire preuve de courage pour y parvenir. Par la suite, je suis passé du côté de la direction d'établissement, motivé par un intérêt pour les dynamiques institutionnelles. J'ai alors jugé utile d'intégrer ce diplôme universitaire à la faculté de psychologie, afin de permettre aux psychologues entrant dans les établissements de protection de l'enfance de mieux comprendre ce domaine. De plus, cela permet de mélanger les publics assistant aux conférences et aux suivis, chaque étudiant devant rendre un mémoire en fin d'année sur une problématique choisie en lien avec un professeur. L'idée était de mélanger les étudiants, qu'ils soient psychologues ou professionnels de la protection de l'enfance. Chaque année, quatre places sont réservées aux éducateurs spécialisés, qui normalement ne pourraient pas accéder à ce diplôme. J'ai voulu que celui-ci soit non qualifiant afin de ne pas exclure ces salariés. Développer la formation continue et allouer davantage de moyens me semblent importants. Il s'avère également nécessaire de se pencher sur le droit du travail, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des enfants dans nos maisons d'enfants et la continuité de cet accompagnement. J'ai évoqué la conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant et le méta-besoin de sécurité, ainsi que la théorie de l'attachement qui s'y réfère. Si les éducateurs travaillent de 7 heures à 10 heures, puis de 16 heures à 21 heures, et reviennent trois jours plus tard pour respecter l'amplitude horaire et les droits des salariés, des questions finissent par se poser.

Les travailleurs sociaux peuvent-ils véritablement servir de figures d'attachement aux enfants ? Ces figures d'attachement sont cruciales pour permettre la résilience, comme l'ont démontré les travaux de Boris Cyrulnik et d'autres depuis de nombreuses années. Il convient donc d'introduire plus de souplesse dans le droit du travail pour permettre aux enfants de bénéficier d'un accompagnement continu. Je fais référence à ce que nous avons observé pendant la période de confinement, où tous les établissements de protection de l'enfance se sont affranchis, sur la base du volontariat, des règles de droit du travail. Il est important de le souligner. Pendant la première période de confinement, nous ignorions si, en rentrant chez nous, nous allions contaminer nos proches et les exposer à un risque mortel involontairement. Certains travailleurs sociaux sont restés quinze jours, trois semaines, voire un mois par roulement, sans interruption, dans les maisons d'enfants pour accompagner les jeunes. Paradoxalement, cette période de confinement, bien qu'extrêmement difficile pour tout le monde, a été bénéfique, si je puis dire, pour les enfants de la protection de l'enfance. Ces enfants n'étaient plus ballottés de droite à gauche, n'avaient plus à se rendre à des visites médiatisées, chez le psychologue ou à l'école, souvent source de souffrance pour eux. Cette période a permis de repérer des difficultés spécifiques. Les enfants restés dans les établissements de protection de l'enfance, accompagnés par les éducateurs dans leur scolarité, ont réalisé des progrès considérables. Nous devons tirer des leçons de cette période qui nous a profondément marqués et qui a eu un impact significatif sur la protection de l'enfance. Après le confinement, nous avons constaté de nombreux départs de salariés, qui, comme dans le reste de la société, ont souhaité soit faire du télétravail et changer de métier, soit se tourner vers des professions plus manuelles ou commerciales, abandonnant ainsi leur mission de protection de l'enfance. Aujourd'hui, nous faisons face à une pénurie à tous les niveaux ; l'Uniopss mène une étude à ce sujet. Cette pénurie ne concerne pas seulement les éducateurs spécialisés, mais également les psychologues, les directeurs, les chefs de service et les cadres. La situation apparaît très préoccupante.

La question de la majorité représente un véritable enjeu. On m'a même posé la question de savoir si la fin de l'accompagnement devait être fixée à 21 ans ou 25 ans. La question fondamentale est de savoir jusqu'à quand nous devons protéger les enfants les plus vulnérables. Ceux qui bénéficient d'un contrat jeune majeur sont généralement ceux qui ont été placés le plus longtemps en protection de l'enfance et qui ont vécu les traumatismes les plus importants. Ils ont passé de nombreuses années en protection de l'enfance, que ce soit en famille d'accueil ou en placement collectif, et arrivent à la majorité avec des besoins spécifiques. La loi du 7 février 2022 a permis de donner une orientation aux départements concernant les contrats jeunes majeurs, une avancée globalement respectée, mais insuffisante. Nous devrions imaginer que ces contrats deviennent « tacites ». En effet, bien que l'enfant majeur doive formuler une demande et contractualiser, il ne devrait pas être contraint de renouveler sa demande tous les trois mois pour continuer à bénéficier d'une prise en charge. Il est également inacceptable qu'il doive prouver constamment son inscription dans un parcours de formation rapide, car cela ne doit pas peser sur la collectivité. Les jeunes sont souvent orientés vers des formations courtes, sans possibilité de poursuivre de longues études. Cela me rappelle le docteur Céline Greco, qui partagera sans doute son parcours avec vous, et M. Élie Wiesel. Dans son autobiographie, ce dernier raconte comment, après avoir été accueilli dans les années 1945-1950, il a dû quitter l'OSE à 18 ans, en raison de l'absence de financement. Tous les enfants déportés ou enfants de déportés ont été émancipés à cet âge. Cinquante ou soixante ans plus tard, dans son ouvrage Tous les fleuves vont à la mer, Élie Wiesel exprime encore sa colère envers le directeur de l'époque pour l'avoir sorti de la protection de l'enfance à 18 ans. Il décrit les difficultés qu'il a rencontrées pour s'insérer socialement, comme le fait de porter des chaussures usées pendant des années faute de moyens pour en acheter de nouvelles. Cette situation est similaire pour les jeunes qui sortent aujourd'hui de la protection de l'enfance. Quinze ans après, certains reviennent me voir, moi qui ai été directeur de maisons d'enfants il y a une vingtaine d'années, en me disant : « Je suis à la rue, j'ai des difficultés, comment pouvez-vous m'aider ? ».

Ces témoignages illustrent les défis persistants auxquels ces jeunes font face. Ils soulignent l'importance de revoir et d'améliorer les dispositifs actuels pour leur offrir un soutien durable et efficace. Il est nécessaire de mettre en place des services de suivi, que ce soit au sein des associations ou des départements, pour accompagner les enfants sortant de la protection de l'enfance et qui en font la demande. Ce besoin n'est pas systématique, mais sur cent enfants suivis, environ six à dix nécessiteront un accompagnement prolongé, parfois au-delà de 21 ans, voire 25 ans. Il nous faut disposer de la flexibilité nécessaire pour les accueillir et les guider.

La semaine dernière, une directrice d'établissement m'a rapporté qu'un jeune homme de plus de 30 ans, élevé par l'OSE en placement familial, est venu solliciter de l'aide. Issu d'une famille où le père était incarcéré et la mère disparue, son référent parental n'était pas le juge pour enfants ou l'ASE, mais bien l'OSE. Il peut donc s'agir d'une personne qui peut venir dans le bureau du directeur général adjoint demander une solution d'hébergement parce qu'elle est à la rue ou a été victime d'une agression. Des situations similaires sont fréquentes, illustrant la nécessité d'un accompagnement au-delà de 21 ans. Il est également essentiel de sécuriser le parcours entre 18 et 21 ans, en permettant aux jeunes de poursuivre des études. Tous ne doivent pas se limiter à des métiers manuels comme chauffagiste ou cordonnier. Par exemple, M. Gautier Arnaud-Melchiorre, auteur d'un rapport et diplômé de Sciences Po, ou encore M. Élie Buzyn, devenu chirurgien après avoir entamé des études de médecine à 27 ans, montrent la diversité des parcours possibles. M. Izio Rosenman, accueilli à l'OSE à 10 ans après avoir été déporté à Buchenwald, a fait carrière au CNRS tout en intervenant bénévolement comme psychologue dans notre centre médico-psycho-pédagogique pour accompagner des enfants.

Ces réussites exemplaires en protection de l'enfance doivent être mises en avant. Elles ne sont possibles que grâce à un accompagnement de longue durée. Si l'on décrète qu'un placement ne doit pas excéder deux ou trois ans, on se tire une balle dans le pied. Si l'on considère qu'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui dure au-delà de trois ans doit évoluer vers un placement ou être remise en question parce que la dynamique intrafamiliale n'a pas été modifiée, il faut envisager d'autres solutions. Il faut pouvoir innover et s'inspirer des pratiques étrangères, comme l'a mentionné la rapporteure Isabelle Santiago. Il est incroyable que nous ne nous inspirions pas davantage de ce qui se fait à l'étranger. Par exemple, je ne suis jamais allé au Canada, bien que je sache qu'il s'y passe beaucoup de choses intéressantes. Il y a quelques années, j'avais développé au sein des services de l'OSE la médiation par l'animal, un dispositif extrêmement courant en Israël. Dans de nombreuses institutions de soins, des instituts médico-éducatifs ou des instituts médico-professionnels, des petits zoos sont présents pour accompagner les enfants avec des professionnels spécialisés, souvent formés en psychologie et en médiation par l'animal. En France, l'équithérapie est déjà bien implantée et l'approche par les chiens commence à se développer, mais il reste encore beaucoup à accomplir. Inspirons-nous des pratiques existantes à l'étranger pour mieux accompagner les enfants ici.

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Je tiens à vous remercier pour votre allusion à la médiation animale, notamment en ce qui concerne les bienfaits du contact avec les animaux pour les enfants. Dans certaines structures, comme les unités d'accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED), des chiens accompagnent les enfants, ce qui est très bénéfique.

Cela étant dit, je souhaite revenir sur la question des maltraitances. Quelles sont vos recommandations pour détecter des cas de maltraitance et extraire un enfant maltraité de son environnement familial ? Je rappelle, et je m'excuse auprès de cette commission pour cette répétition, que nous avons eu en Seine-et-Marne le cas du petit Bastien, décédé après avoir été placé dans une machine à laver, malgré neuf signalements. Avez-vous rencontré des cas similaires ou approchants en tant que directeur et, si oui, quelles seraient vos préconisations ? Quelles sont vos recommandations générales pour améliorer les contrôles, sachant que ceux-ci sont actuellement très rares ?

Enfin, pourquoi votre établissement semble-t-il plus performant que les autres pour remettre un jeune enfant sur la bonne voie, puisque les enfants de votre structure semblent s'en sortir mieux que ceux d'autres établissements ?

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Sur la question de la maltraitance, j'ai évoqué l'importance de la formation. Il est impératif d'établir un référentiel commun d'évaluation du danger pour l'enfant, partagé par les travailleurs sociaux. Un référentiel, élaboré par la HAS, est destiné aux cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip). Divers services évaluent les situations de danger pour l'enfant, notamment les mesures judiciaires d'investigation éducative (MJIE) et les services d'accueil en milieu ouvert, qui peuvent intervenir en urgence pour retirer un enfant de son milieu familial en cas de maltraitance ou de suspicion de maltraitance. L'essentiel réside dans la formation et l'adoption de référentiels communs.

L'année dernière, dès la mise en œuvre du référentiel d'évaluation de la HAS pour les Crip, nous avons exigé une formation pour nos services d'accueil en milieu ouvert, chargés d'évaluer les situations de danger. Cette formation vise à leur faire connaître ce référentiel et à l'adapter aux mesures éducatives en milieu ouvert ainsi qu'aux MJIE, qui diffèrent. Il est crucial d'avoir une meilleure connaissance des populations confiées à nos services et de former les travailleurs sociaux à détecter les signes de maltraitance, tant au sein des familles que dans les établissements. J'insiste donc sur l'importance de ce référentiel d'évaluation.

Je ne sais pas si nous sommes plus performants, mais je crois que les conditions d'accueil, bien que moins structurées qu'aujourd'hui, permettaient paradoxalement de créer davantage de liens entre les enfants et leurs encadrants. C'est une hypothèse. Si cette étude avait été réalisée dans d'autres maisons d'enfants partageant les mêmes valeurs que l'OSE, nous aurions probablement obtenu des résultats similaires sur une population comparable. La différence réside peut-être dans notre fonctionnement, qui se réfère à la tradition juive. Ce fonctionnement, proche de celui que l'on trouve en famille, est marqué par des moments inscrits dans le calendrier de vie des établissements. Il y a une ritualisation plus importante des moments clés de la vie de l'enfant, tels que les anniversaires et le passage à l'âge adulte. Cette ritualisation permet de créer un discours, un narratif dans la vie de l'enfant, l'accompagnant tout au long de son parcours.

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Je souhaite revenir sur la question des jeunes majeurs. Il y a deux ans, j'ai consacré une partie de mon rapport relatif à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances à l'égalité des chances des enfants placés. Dans ce rapport, j'ai constaté un manque d'interconnaissance et de coopération entre les différents acteurs d'un territoire. Cela fonctionnait dans les deux sens, les travailleurs sociaux ne connaissaient pas les actions des missions locales et, inversement, les missions locales ignoraient souvent les interventions des travailleurs sociaux auprès de ces publics. Je me demande si, parmi les multiples solutions que vous préconisez, il existe un travail sur cette interconnaissance et cette coopération autour du référent de parcours. Cela permettrait de prévenir les sorties sèches de l'ASE et de mieux accompagner les jeunes vers les dispositifs de droit commun. J'inclus également l'éducation nationale dans cette réflexion, ainsi que les Apprentis d'Auteuil et de nombreux autres acteurs présents sur les territoires, bien que ceux-ci varient selon les régions. Que pensez-vous de cette situation ? La ressentez-vous toujours de la même manière ? Est-ce que cela a évolué depuis 2022 ?

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Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l'association Œuvre de secours aux enfants (OSE)

Je constate une progression notable, car nous sommes également incités à accompagner les enfants vers leur sortie de l'ASE. Nous nous efforçons désormais de construire des parcours au sein même des maisons d'enfants. Par exemple, dans notre foyer de Saint-Germain, nous avons mis en place une équipe spécialisée dans l'accompagnement des jeunes de 16 à 21 ans, afin d'assurer une transition la plus fluide possible. Cette équipe inclut un chargé d'insertion en lien avec les missions locales et les foyers d'hébergement, qui oriente les jeunes vers les dispositifs de droit commun. Aujourd'hui, nous sommes mieux équipés qu'il y a quelques années, où les enfants les plus discrets pouvaient échapper à l'attention des professionnels. Cela représente une avancée significative.

Concernant les contrôles et les enquêtes, je tiens à préciser que nous en subissons de nombreux, contrairement à certaines idées reçues. Nous faisons face à des enquêtes flash et à des inspections départementales inopinées, qui vérifient la conformité de nos établissements aux lois et règlements en vigueur. Actuellement, nous devons nous conformer à une évaluation calquée sur le secteur hospitalier et médico-social. Nous avons déjà réalisé plusieurs évaluations dans nos établissements. Une évaluation selon le référentiel de la HAS comporte 157 questions posées aux équipes. Elle ne se limite pas au directeur, mais inclut des recoupements avec les équipes de nuit, de jour, ainsi que le personnel de cuisine et de service. Cette évaluation, qui dure environ une semaine, concerne tous les aspects de la vie de l'établissement et de l'association. Les organismes habilités par la HAS vérifient minutieusement chaque aspect. Nous sommes donc bien familiers avec les contrôles et les évaluations.

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Je vous remercie pour la qualité de cette audition et pour les réponses apportées.

La séance s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Frédéric Boccaletti, M. Paul Christophe, Mme Béatrice Descamps, Mme Ingrid Dordain, M. David Guiraud, Mme Stéphanie Kochert, Mme Christine Le Nabour, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), Mme Laure Miller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, Mme Eva Sas