Je partage totalement votre constat : nous faisons face à un manque criant de recherches-actions dans le domaine de la protection de l'enfance. Quelques services spécialisés en pédopsychiatrie et en sociologie mènent des recherches, mais elles restent trop peu nombreuses et ne s'appuient pas suffisamment sur les connaissances des établissements et associations accueillant des enfants protégés. En 2012, pour le centenaire de l'OSE, nous avons mené une recherche-action avec l'université de Nanterre sur le devenir des enfants placés entre 1970 et 2000. Cette étude a été réalisée après la loi du 2 janvier 2002 et la loi du 5 mars 2007, qui ont modifié le paysage de la protection de l'enfance. Avant la loi de 2007, la subsidiarité de la mesure judiciaire à la mesure administrative n'était pas encore en place. La recherche de la contractualisation avec les familles, plutôt que le placement ordonné par le juge, a pris plusieurs années pour s'implanter. Les placements étaient alors beaucoup plus longs, ce qui était probablement lié à l'histoire de l'association, marquée par l'accueil des enfants juifs exilés pendant et après la guerre, notamment des enfants déportés et des enfants cachés, dont les parents ne sont pas revenus des camps d'extermination. Nous avons une longue expérience du psycho-traumatisme chez les enfants en protection de l'enfance et de l'accompagnement transculturel des familles ayant vécu l'exil.
L'histoire de l'OSE est très forte et noble. Parmi les personnes que nous avons accueillies après-guerre, Élie Wiesel, devenu prix Nobel de la paix, et Élie Buzyn, un grand chirurgien qui nous a quittés il y a plus d'un an, ont marqué notre histoire. Élie Buzyn a accompagné l'OSE tout au long de sa vie, transmettant ses valeurs aux jeunes générations, ce qui est essentiel.
Je tiens à souligner une spécificité de l'OSE. Nous avons la capacité d'accueillir, dans le respect des lois républicaines et du principe de laïcité, des enfants qui ne trouveraient pas d'accueil ailleurs. Je pense notamment aux enfants issus de la communauté juive, victimes de maltraitances, qui peuvent trouver chez nous un lieu de ressourcement et de résilience pour se reconstruire. L'OSE est une institution centenaire, fondée à Saint-Pétersbourg pour accompagner les populations victimes de pogroms dans la Russie tsariste. En 1923, après avoir été interdite d'exercer, l'association a émigré en Allemagne, avec Albert Einstein comme président d'honneur. À cette époque, Einstein venait de recevoir le prix Nobel, ce qui témoigne de l'importance de notre association, qui se déployait à travers le monde pour venir en aide aux populations juives persécutées. Malheureusement, les persécutions ont continué avec l'avènement du nazisme et d'Hitler dans les années trente. L'association a alors dû se réfugier en France pour accompagner les mouvements d'exil des populations juives, d'abord de Russie, puis d'Allemagne et d'Europe de l'Est. Nous connaissons tous le sort tragique réservé à de nombreux juifs de France pendant la Shoah. Heureusement, de nombreuses personnes ont sauvé des enfants de la déportation. L'OSE a constitué le réseau de sauvetage d'enfants le plus important, sauvant 5 000 enfants juifs en les cachant dans des familles. Nous avons une longue expérience de l'accueil en famille d'accueil, ainsi que de l'accueil collectif d'enfants depuis 1938. Après la nuit de Cristal, des enfants ont été confiés par leurs parents et accueillis en France avec des médecins juifs émigrés et des éducateurs, grands pédagogues qui ont contribué à la renommée de notre institution.
Tout cela témoigne de notre longue expérience dans la protection de l'enfance. Mme Vivette Samuel, l'une des directrices générales historiques de l'OSE, a contribué à l'élaboration des lois de 1958 et à la création des services d'accueil en milieu ouvert en France. Nous possédons donc une longue expérience dans le domaine de la protection de l'enfance, couvrant à la fois le milieu ouvert et le placement.
Contrairement à l'idée reçue selon laquelle le placement serait la pire solution, décidée en dernier recours par le juge, nous considérons qu'il doit être dimensionné en fonction des besoins de l'enfant, sans idéologie. En effet, le champ de la protection de l'enfance est souvent traversé par des idéologies, notamment l'idéologie familialiste, qui prétend qu'un enfant est toujours mieux dans sa famille naturelle. Cette conception est une absurdité, car la plupart des violences faites aux enfants se produisent dans le milieu familial, souvent par les parents eux-mêmes. Il est donc impératif de séparer les enfants de leurs parents pour les protéger.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons identifié 900 anciens enfants placés, ayant séjourné plus de deux ans dans nos maisons d'enfants et services de placement familial entre 1970 et 2000. Nous avons obtenu des réponses de 219 anciens enfants, dont la moyenne d'âge était de 37 ans et la durée de placement légèrement supérieure à cinq ans. Ces répondants ont ainsi pu apporter un regard et un recul significatifs sur leur expérience. La moyenne d'âge d'arrivée en placement se situait entre 6 et 12 ans, et 156 personnes sur les 219 ont accepté d'être interviewées par les éducateurs et directeurs de l'époque, qui avaient maintenu un réseau d'anciens enfants placés. Cette étude a été menée par le regretté Richard Josefsberg, directeur de la maison d'enfants de Taverny et docteur en sciences de l'éducation. Il a conduit cette recherche-action auprès de tous les établissements de l'OSE, avec pour objectif de comprendre ce que devenaient les enfants placés. Les chiffres circulant à l'époque indiquaient qu'au moins 25 % des anciens enfants placés finissaient à la rue, soulignant ainsi la nécessité de se pencher sur leur devenir. Les chiffres observés dans l'étude étaient très satisfaisants. En effet, 70 % des personnes interrogées déclaraient avoir été véritablement influencées dans leur vie par leur placement. De plus, 81 %, soit les quatre cinquièmes des anciens enfants ayant répondu, se disaient globalement satisfaits de leur vie et considéraient l'avoir réussie, ce qui constitue un élément de satisfaction important. Par ailleurs, 72 % des répondants n'avaient pas eu recours à des travailleurs sociaux, avec une répartition de 81 % d'hommes et 62 % de femmes. En outre, 80 % des répondants estimaient être en bonne santé, contre 73 % au niveau national selon les études de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de BVA. Il est également notable que 82 % des anciens enfants travaillaient, même s'il convient de rappeler que cette période correspond aux Trente Glorieuses, ce qui signifie que le contexte économique de l'époque, marqué par des facilités d'insertion professionnelle et sociale, était différent de celui d'aujourd'hui. Beaucoup de ces individus n'avaient pas de formation ni de diplôme, mais le contexte économique leur était favorable, ce qui n'est plus le cas pour les enfants placés actuellement.
Il serait pertinent de refaire cette étude dix ans après, car elle porte sur les années 1970-2000. Il serait également intéressant de disposer des moyens nécessaires pour mener des recherches-actions. À l'époque, nous avions sollicité certains départements pour obtenir des financements, et l'OSE avait bien sûr apporté des moyens pour mener cette recherche-action, qui a marqué l'institution. Lorsque la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a été instituée, nous avions rencontré le juge Edouard Durand et Mme Nathalie Mathieu, qui coprésidaient cette commission. Nous avions proposé qu'une recherche-action soit menée dans nos établissements et associations pour vérifier les chiffres annoncés par des associations d'anciens enfants placés ou des associations de victimes de violences sexuelles, qui estiment que six millions de personnes seraient touchées par ces violences en France.
Lorsque nous réalisons nos statistiques en interne dans nos établissements, nous ne retrouvons pas ces chiffres. Pourquoi ? Probablement à cause du tabou des violences sexuelles et de l'inceste, qui est très important. Cependant, nous avons observé que souvent, les enfants, après un certain temps de placement, lorsqu'une relation de confiance est établie avec les adultes référents et les éducateurs, révèlent des abus sexuels qui n'ont pas été le motif initial du placement. C'est très intéressant et il serait pertinent d'obtenir plus de détails sur ces informations, qui sont capitales. Il reste de nombreuses recherches-actions à mener.
Concernant les troubles rencontrés et les profils des enfants, je ne comprends pas, et cela fait sept ans que je le répète au sein du CNPE, pourquoi nous n'avons pas l'obligation, en tant qu'établissement de protection de l'enfance, de produire des statistiques consolidées par les départements sur les motifs de placement et les troubles présentés par les enfants. Ce n'est pas très compliqué, d'autant plus que nous avons maintenant l'obligation de tenir des dossiers numériques des usagers. Je rappelle que des moyens considérables ont été mis en place, notamment avec le Ségur du numérique, pour inciter les associations et les établissements à investir dans des systèmes informatiques conformes au règlement général sur la protection des données (RGPD), permettant également de produire des statistiques utiles pour connaître les profils des enfants placés et les motifs de leur placement. On constate que les motifs pour lesquels les enfants sont placés ne sont pas toujours ceux révélés au cours du placement.
Concernant la reconnaissance d'une ALD et la réponse de la ministre, je laisserai le docteur Céline Greco répondre à cette question, car c'est elle qui avait présenté la fiche que nous avions élaborée ; elle sera donc mieux placée que moi pour répondre.