Je ne suis pas en mesure de répondre sur les moyens financiers. Le docteur Céline Greco pourra vous éclairer sur les questions de financement en santé, tant mentale que somatique, car elle dispose des chiffres précis.
Concernant la revalorisation des salaires des travailleurs sociaux, il est essentiel de souligner leur situation précaire. Un travailleur social, un éducateur spécialisé, une assistante sociale, un moniteur éducateur, une dame de service, une femme de ménage, ou un surveillant de nuit ne peuvent pas vivre décemment en Île-de-France ou dans les grandes métropoles avec les salaires actuels. C'est une situation intenable. Nous demandons à des personnes, elles-mêmes en situation de précarité, de s'occuper d'enfants et de familles également précaires. Il est impératif de se pencher sur ce sujet. Le Ségur de la santé a revalorisé les salaires de 238 euros bruts pour certaines catégories, mais pas pour toutes, créant ainsi des injustices. Par exemple, la secrétaire vers qui les enfants se tournent chaque matin, la dame de service, souvent mère d'une famille nombreuse, la cuisinière ou le cuisinier en poste depuis trente ans, et même le directeur ou la directrice de l'établissement se retrouvent parfois moins bien payés que le chef de service ou le directeur adjoint en raison des grilles salariales de la convention collective de 1966. Ces disparités ont engendré des tensions inutiles. Il convient donc de revaloriser les salaires des oubliés du Ségur pour éviter ces injustices. Il suffisait de ne pas faire de différenciation. Je ne sais pas qui a pris cette décision, mais elle est inadmissible.
Quant à l'idée que les départements assument davantage de charges, cela me semble difficilement réalisable. L'État doit doter les départements de moyens financiers adéquats. C'est une nécessité incontournable. Cela peut également constituer un moyen de régulation et d'harmonisation des politiques publiques au niveau départemental. Cette démarche avait d'ailleurs été amorcée à certains moments. Il est essentiel que l'État alloue des dotations aux départements pour soutenir les salaires et la création d'établissements répondant à des besoins spécifiques. Ces établissements sont particulièrement nécessaires pour les enfants dits « cas complexes », qui se trouvent à l'intersection de différentes politiques publiques fonctionnant en silos. Récemment, nous avons observé l'émergence d'appels à projets conjoints entre les agences régionales de santé et les départements, ce qui constitue une initiative positive. Il faut simplifier les financements des établissements pour le bien-être des enfants et cesser de penser qu'un pédopsychiatre n'a pas sa place dans une maison d'enfants, alors que l'accompagnement des équipes éducatives, qui nécessite une formation, est indispensable. Ce point est particulièrement important.
La recherche-action, ainsi que la formation des salariés cadres et non-cadres, revêt une importance capitale. Il y a une dizaine d'années, j'ai mis en place un diplôme universitaire de protection de l'enfance à l'université Paris-Diderot, aujourd'hui Paris-Cité. Ce diplôme pluridisciplinaire, voire transdisciplinaire, fait intervenir des experts en protection de l'enfance. J'ai sollicité les plus grands spécialistes dans les domaines juridique, historique, pédopsychiatrique, psychologique et sociologique pour offrir une vision la plus large possible de la protection de l'enfance. Chaque année, entre vingt et trente étudiants suivent ce cursus, et ce depuis dix ans.
Mon idée est née de ma formation initiale de psychologue. Lorsque j'ai débuté dans la protection de l'enfance, je n'avais aucune connaissance du dispositif, qui est extrêmement complexe et rempli d'acronymes. Comment se repérer en tant que psychologue dans une Mecs sans connaître ce dispositif ? Les générations précédentes ont dû faire preuve de courage pour y parvenir. Par la suite, je suis passé du côté de la direction d'établissement, motivé par un intérêt pour les dynamiques institutionnelles. J'ai alors jugé utile d'intégrer ce diplôme universitaire à la faculté de psychologie, afin de permettre aux psychologues entrant dans les établissements de protection de l'enfance de mieux comprendre ce domaine. De plus, cela permet de mélanger les publics assistant aux conférences et aux suivis, chaque étudiant devant rendre un mémoire en fin d'année sur une problématique choisie en lien avec un professeur. L'idée était de mélanger les étudiants, qu'ils soient psychologues ou professionnels de la protection de l'enfance. Chaque année, quatre places sont réservées aux éducateurs spécialisés, qui normalement ne pourraient pas accéder à ce diplôme. J'ai voulu que celui-ci soit non qualifiant afin de ne pas exclure ces salariés. Développer la formation continue et allouer davantage de moyens me semblent importants. Il s'avère également nécessaire de se pencher sur le droit du travail, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des enfants dans nos maisons d'enfants et la continuité de cet accompagnement. J'ai évoqué la conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant et le méta-besoin de sécurité, ainsi que la théorie de l'attachement qui s'y réfère. Si les éducateurs travaillent de 7 heures à 10 heures, puis de 16 heures à 21 heures, et reviennent trois jours plus tard pour respecter l'amplitude horaire et les droits des salariés, des questions finissent par se poser.
Les travailleurs sociaux peuvent-ils véritablement servir de figures d'attachement aux enfants ? Ces figures d'attachement sont cruciales pour permettre la résilience, comme l'ont démontré les travaux de Boris Cyrulnik et d'autres depuis de nombreuses années. Il convient donc d'introduire plus de souplesse dans le droit du travail pour permettre aux enfants de bénéficier d'un accompagnement continu. Je fais référence à ce que nous avons observé pendant la période de confinement, où tous les établissements de protection de l'enfance se sont affranchis, sur la base du volontariat, des règles de droit du travail. Il est important de le souligner. Pendant la première période de confinement, nous ignorions si, en rentrant chez nous, nous allions contaminer nos proches et les exposer à un risque mortel involontairement. Certains travailleurs sociaux sont restés quinze jours, trois semaines, voire un mois par roulement, sans interruption, dans les maisons d'enfants pour accompagner les jeunes. Paradoxalement, cette période de confinement, bien qu'extrêmement difficile pour tout le monde, a été bénéfique, si je puis dire, pour les enfants de la protection de l'enfance. Ces enfants n'étaient plus ballottés de droite à gauche, n'avaient plus à se rendre à des visites médiatisées, chez le psychologue ou à l'école, souvent source de souffrance pour eux. Cette période a permis de repérer des difficultés spécifiques. Les enfants restés dans les établissements de protection de l'enfance, accompagnés par les éducateurs dans leur scolarité, ont réalisé des progrès considérables. Nous devons tirer des leçons de cette période qui nous a profondément marqués et qui a eu un impact significatif sur la protection de l'enfance. Après le confinement, nous avons constaté de nombreux départs de salariés, qui, comme dans le reste de la société, ont souhaité soit faire du télétravail et changer de métier, soit se tourner vers des professions plus manuelles ou commerciales, abandonnant ainsi leur mission de protection de l'enfance. Aujourd'hui, nous faisons face à une pénurie à tous les niveaux ; l'Uniopss mène une étude à ce sujet. Cette pénurie ne concerne pas seulement les éducateurs spécialisés, mais également les psychologues, les directeurs, les chefs de service et les cadres. La situation apparaît très préoccupante.
La question de la majorité représente un véritable enjeu. On m'a même posé la question de savoir si la fin de l'accompagnement devait être fixée à 21 ans ou 25 ans. La question fondamentale est de savoir jusqu'à quand nous devons protéger les enfants les plus vulnérables. Ceux qui bénéficient d'un contrat jeune majeur sont généralement ceux qui ont été placés le plus longtemps en protection de l'enfance et qui ont vécu les traumatismes les plus importants. Ils ont passé de nombreuses années en protection de l'enfance, que ce soit en famille d'accueil ou en placement collectif, et arrivent à la majorité avec des besoins spécifiques. La loi du 7 février 2022 a permis de donner une orientation aux départements concernant les contrats jeunes majeurs, une avancée globalement respectée, mais insuffisante. Nous devrions imaginer que ces contrats deviennent « tacites ». En effet, bien que l'enfant majeur doive formuler une demande et contractualiser, il ne devrait pas être contraint de renouveler sa demande tous les trois mois pour continuer à bénéficier d'une prise en charge. Il est également inacceptable qu'il doive prouver constamment son inscription dans un parcours de formation rapide, car cela ne doit pas peser sur la collectivité. Les jeunes sont souvent orientés vers des formations courtes, sans possibilité de poursuivre de longues études. Cela me rappelle le docteur Céline Greco, qui partagera sans doute son parcours avec vous, et M. Élie Wiesel. Dans son autobiographie, ce dernier raconte comment, après avoir été accueilli dans les années 1945-1950, il a dû quitter l'OSE à 18 ans, en raison de l'absence de financement. Tous les enfants déportés ou enfants de déportés ont été émancipés à cet âge. Cinquante ou soixante ans plus tard, dans son ouvrage Tous les fleuves vont à la mer, Élie Wiesel exprime encore sa colère envers le directeur de l'époque pour l'avoir sorti de la protection de l'enfance à 18 ans. Il décrit les difficultés qu'il a rencontrées pour s'insérer socialement, comme le fait de porter des chaussures usées pendant des années faute de moyens pour en acheter de nouvelles. Cette situation est similaire pour les jeunes qui sortent aujourd'hui de la protection de l'enfance. Quinze ans après, certains reviennent me voir, moi qui ai été directeur de maisons d'enfants il y a une vingtaine d'années, en me disant : « Je suis à la rue, j'ai des difficultés, comment pouvez-vous m'aider ? ».
Ces témoignages illustrent les défis persistants auxquels ces jeunes font face. Ils soulignent l'importance de revoir et d'améliorer les dispositifs actuels pour leur offrir un soutien durable et efficace. Il est nécessaire de mettre en place des services de suivi, que ce soit au sein des associations ou des départements, pour accompagner les enfants sortant de la protection de l'enfance et qui en font la demande. Ce besoin n'est pas systématique, mais sur cent enfants suivis, environ six à dix nécessiteront un accompagnement prolongé, parfois au-delà de 21 ans, voire 25 ans. Il nous faut disposer de la flexibilité nécessaire pour les accueillir et les guider.
La semaine dernière, une directrice d'établissement m'a rapporté qu'un jeune homme de plus de 30 ans, élevé par l'OSE en placement familial, est venu solliciter de l'aide. Issu d'une famille où le père était incarcéré et la mère disparue, son référent parental n'était pas le juge pour enfants ou l'ASE, mais bien l'OSE. Il peut donc s'agir d'une personne qui peut venir dans le bureau du directeur général adjoint demander une solution d'hébergement parce qu'elle est à la rue ou a été victime d'une agression. Des situations similaires sont fréquentes, illustrant la nécessité d'un accompagnement au-delà de 21 ans. Il est également essentiel de sécuriser le parcours entre 18 et 21 ans, en permettant aux jeunes de poursuivre des études. Tous ne doivent pas se limiter à des métiers manuels comme chauffagiste ou cordonnier. Par exemple, M. Gautier Arnaud-Melchiorre, auteur d'un rapport et diplômé de Sciences Po, ou encore M. Élie Buzyn, devenu chirurgien après avoir entamé des études de médecine à 27 ans, montrent la diversité des parcours possibles. M. Izio Rosenman, accueilli à l'OSE à 10 ans après avoir été déporté à Buchenwald, a fait carrière au CNRS tout en intervenant bénévolement comme psychologue dans notre centre médico-psycho-pédagogique pour accompagner des enfants.
Ces réussites exemplaires en protection de l'enfance doivent être mises en avant. Elles ne sont possibles que grâce à un accompagnement de longue durée. Si l'on décrète qu'un placement ne doit pas excéder deux ou trois ans, on se tire une balle dans le pied. Si l'on considère qu'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui dure au-delà de trois ans doit évoluer vers un placement ou être remise en question parce que la dynamique intrafamiliale n'a pas été modifiée, il faut envisager d'autres solutions. Il faut pouvoir innover et s'inspirer des pratiques étrangères, comme l'a mentionné la rapporteure Isabelle Santiago. Il est incroyable que nous ne nous inspirions pas davantage de ce qui se fait à l'étranger. Par exemple, je ne suis jamais allé au Canada, bien que je sache qu'il s'y passe beaucoup de choses intéressantes. Il y a quelques années, j'avais développé au sein des services de l'OSE la médiation par l'animal, un dispositif extrêmement courant en Israël. Dans de nombreuses institutions de soins, des instituts médico-éducatifs ou des instituts médico-professionnels, des petits zoos sont présents pour accompagner les enfants avec des professionnels spécialisés, souvent formés en psychologie et en médiation par l'animal. En France, l'équithérapie est déjà bien implantée et l'approche par les chiens commence à se développer, mais il reste encore beaucoup à accomplir. Inspirons-nous des pratiques existantes à l'étranger pour mieux accompagner les enfants ici.